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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-1804(IT)I

ENTRE :

MIRANDA BECKFORD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 8 avril 1998, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Terrence P. O'Connor

Comparutions

Pour l'appelante :                       l'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                 Me Sanjana Bhatia

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993 et 1994 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 1998.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980429

Dossier: 97-1804(IT)I

ENTRE :

MIRANDA BECKFORD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]      Les présents appels ont été entendus à Toronto (Ontario), le 8 avril 1998, sous le régime de la procédure informelle de cette cour.

[2]      L'appelante a témoigné, ainsi qu'un certain Kenneth Reid.

Question en litige

[3]      Dans ces appels, la question est de savoir si l'appelante a le droit de déduire des pertes locatives pour les années d'imposition 1993 et 1994.

Faits

[4]      Les faits essentiels sont énoncés comme suit dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

2.          En calculant son revenu pour les années d'imposition 1993 et 1994, l'appelante a déduit des pertes locatives provenant d'une propriété située au 21, avenue Lindridge, à Brampton, en Ontario (la « propriété » ), soit des montants de 13 009,62 $ et de 9 558,10 $, respectivement.

3.          Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi à l'égard de l'appelante des cotisations visant les années d'imposition 1993 et 1994 par voie d'avis de cotisation envoyés par la poste le 11 avril 1994 et le 27 mars 1995, respectivement.

4.          En établissant de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1993 et 1994, par voie d'avis de nouvelle cotisation simultanés envoyés par la poste le 25 mars 1996, le ministre a refusé la déduction des pertes locatives.

5.          Pour établir ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)       l'appelante et une autre personne (le « copropriétaire » ) ont acheté la propriété (une maison) en tant que résidence principale, en septembre 1990, pour 187 000 $;

b)       durant les années visées par les appels, l'appelante et le copropriétaire habitaient la propriété;

c)       durant les années en question, l'appelante louait censément une partie de la propriété à son fils et à son beau-fils;

d)       pour les années d'imposition 1990 à 1992, l'appelante a déclaré les revenus de location bruts et les pertes locatives nettes qui suivent à l'égard de la propriété :

Année

Revenu de location brut

Pertes locatives nettes

1990

4 000 $

9 069 $

1991

5 000 $

16 618 $

1992

6 600 $

11 469 $

e)       pour les années d'imposition 1993 et 1994, l'appelante a déclaré les revenus de location, les dépenses (avant la déduction pour amortissement) et les pertes qui suivent au titre de la location d'une partie de la propriété à son fils et à son beau-fils :

1993

1994

Revenu de location brut

6 000,00 $

6 000,00 $

Impôt foncier

2 832,62

2 622,00

Entretien et réparations

3 004,17

2 100,00

Intérêts

19 181,24

14 781,00

Assurance

467,22

485,00

Électricité, chauffage et eau

2 493,16

3 000,00

Publicité

64,00

25,00

Honoraires

344,00

300,00

Dépenses totales

28 386,41 $

23 313,00 $

- Moins la partie personnelle des dépenses*

9 376,79

7 754,90

- Dépenses nettes

19 009,62 $

15 558,10 $

Perte locative nette

13 009,62 $

9 558,10 $

* la partie personnelle déduite des dépenses totales déclarées pour les années d'imposition 1993 et 1994 équivaut à 33,3 p. 100.

f)        l'appelante a omis de fournir de la documentation étayant les frais d'entretien et de réparation déduits pour les années d'imposition 1993 et 1994;

g)       selon la documentation fournie par l'appelante pour justifier la déduction des frais d'intérêt relatifs à la propriété, l'appelante a surévalué ces frais de 5 793 $ pour l'année d'imposition 1993 et de 1 903 $ pour l'année d'imposition 1994;

h)       pour l'année d'imposition 1995, l'appelante n'a déclaré aucun revenu de location ni aucune perte locative relativement à la propriété;

[...]

[5]      Le fils et le beau-fils avaient loué deux chambres et certaines parties communes. En 1993, le fils avait 21 ans et le beau-fils avait 29 ans. Ils ont tous les deux déménagé en 1995 et il n'y a pas eu d'autre locataire depuis lors.

Observations de l'appelante

[6]      L'appelante soutient qu'il faut imputer la faute au spécialiste en déclarations de revenus en ce qui a trait aux dépenses déduites et à certaines divergences mentionnées à l'alinéa 5g) de la réponse. L'appelante se plaint également du fait que le ministre n'a établi de nouvelles cotisations que le 5 mars 1996 relativement à 1993 et à 1994, ce qui représente un délai déraisonnable, et que, en raison de cela, elle est tenue de payer des intérêts importants. Elle croit également, en ce qui concerne le fond de l'affaire, qu'il y avait une attente raisonnable de profit avec le temps.

Observations de l'intimée

[7]      L'intimée soutient que les loyers déclarés étaient nettement insuffisants pour payer les frais fixes tels que les intérêts et l'impôt foncier, et qu'il y avait un élément personnel en ce que la maison constituait la résidence principale de l'appelante et qu'elle était louée en partie à un fils et à un beau-fils.

Analyse et décision

[8]      Dans ses plus récentes décisions traitant des pertes locatives, à savoir Tonn, Mastri et Mohammad, la Cour d'appel fédérale a établi certains critères permettant de déterminer quand il existe une attente raisonnable de profit.

[9]      Dans Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), le juge Linden, au nom de la Cour, déclarait ceci à la page 6008 (DTC) :

[...] Le critère de l'arrêt Moldowan est plus strict que les critères de la fin commerciale prévus au paragraphe 9(1) et à l'alinéa 18(1)a). Tel qu'il est mentionné ci-dessus, ces critères exigent que le contribuable ait formé l'intention subjective de réaliser un bénéfice lorsqu'il engage une dépense. Cependant, selon le critère de l'arrêt Moldowan, cette intention doit également être raisonnable sur le plan objectif. En réalité, dans la plupart des cas, le critère objectif de l'arrêt Moldowan et les critères subjectifs découlant de la loi ne donneront pas de résultats vraiment différents. Il est fréquemment possible de déduire l'intention subjective d'une analyse raisonnable des circonstances. Une personne qui invoque une intention subjective irréaliste ne sera peut-être pas crue. Habituellement, l'intention de réaliser un bénéfice doit être raisonnable pour qu'un tribunal l'accepte. [...]

[10]     Aux pages 6009 et 6010 (DTC), il écrivait ceci :

Il appert d'un examen plus approfondi de la jurisprudence que cette interprétation est maintenant celle qui est retenue dans la plupart des cas. Les litiges dans lesquels le critère de « l'attente raisonnable de profit » est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux, la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride ou de chalets de ski, l'affrètement de yachts, l'exploitation de chenils et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[11]     À la page 6011 (DTC), il déclarait ceci :

L'autre catégorie de cas se compose de situations dans lesquelles le contribuable ne poursuit pas l'activité en question pour en tirer des avantages personnels et dans lesquelles cette activité ne peut être considérée comme un passe-temps. Dans ces affaires, l'activité semble être poursuivie d'une façon commerciale et ne constitue pas une forme déguisée de loisir personnel. Habituellement, le Ministère ne conteste pas ces déductions; par conséquent, elles ne sont pas portées en appel et les décisions publiées dans les recueils judiciaires à ce sujet sont peu nombreuses. Cependant, les tribunaux doivent encore déterminer s'il existe dans ce genre de situations des facteurs moins évidents qui pourraient mener à une conclusion différente. Bien qu'ils soient moins enclins à refuser ces dépenses, ils le font dans les cas opportuns.

[12]     À la page 6012 (DTC), il déclarait ceci :

Lorsque les causes sont classées en deux groupes de la façon susmentionnée, il apparaît évident que les cas dans lesquels l'entreprise est exploitée comme passe-temps ou dans le but d'en tirer un avantage personnel sont rarement tranchés en faveur du contribuable. En revanche, l'activité qui est purement commerciale est rarement contestée. Si elle l'est, les tribunaux se sont montrés réticents à deviner l'intention du contribuable et lui ont accordé le bénéfice du doute. Je constate également que, sur le plan de la quantité pure et simple, le nombre d'affaires concernant un passe-temps ou un avantage personnel est nettement supérieur à celui des cas touchant une activité commerciale, qui sont plutôt rares, ce qui indique que l'activité du contribuable est moins souvent contestée dans ce genre de situations.

[13]     À la page 6013 (DTC), il déclarait ceci :

[...] Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. [...]

[14]     À la page 6015 (DTC), il affirmait ceci :

[...] La propriété n'était pas un lieu de vacances. Elle n'a pas été utilisée non plus pour offrir un logement à prix modique ou sans frais à des parents ou à des amis. Les contribuables se sont honnêtement trompés et ont perdu de l'argent plutôt que d'en gagner. Il n'appartient pas au Ministère ou à la Cour de les pénaliser pour cette erreur en appliquant le critère de l'attente raisonnable de profit sans donner à l'entreprise suffisamment de temps pour prouver qu'elle est rentable.

[15]     Après l'arrêt Tonn, la Cour d'appel fédérale a déclaré, dans Procureur général du Canada c. Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), qu'il ne faisait aucun doute que la décision rendue dans l'arrêt Tonn était correcte. La décision de la Cour canadienne de l'impôt a été cassée parce que celle-ci commettait une erreur de droit en affirmant que, simplement parce qu'il n'y avait pas d'élément personnel, une conclusion de fait non contestée selon laquelle il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit ne constituait pas un motif suffisant pour refuser la perte. L'erreur de la Cour canadienne de l'impôt semble avoir été au plan de l'interprétation qu'elle a donnée à l'arrêt Tonn, à savoir que l'absence d'un élément personnel l'emportait sur la conclusion d'absence d'attente raisonnable de profit. En fait, la conclusion de la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle il n'y avait pas d'élément personnel semble avoir été mise en doute, puisque les contribuables avaient acheté la maison afin de l'utiliser comme résidence personnelle et y avaient en fait emmenagé un an plus tard.

[16]     Dans Mohammad c. Canada, C.A.F., [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), il a été décidé qu'on commettait une erreur de droit en réduisant le montant des intérêts déductibles d'un montant arbitraire en vertu de l'article 67. Dans Mohammad, la propriété avait été financée à 100 p. 100. À la page 5506 (DTC), le juge Robertson déclarait ceci :

            L'analyse précitée a pour but de démontrer qu'il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. Comme tout propriétaire l'apprend tôt ou tard, presque toutes les mensualités hypothécaires sont imputées au paiement des intérêts pendant les cinq premières années d'un prêt hypothécaire amorti sur vingt à vingt-cinq ans. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que le système fiscal canadien subventionne l'acquisition d'un immeuble de rapport pour des périodes indéfinies. Les contribuables qui ont l'intention de financer l'acquisition d'un immeuble à usage locatif de façon qu'aucun bénéfice ne soit déclaré, malgré qu'ils aient touché la totalité des revenus locatifs prévus, ne doivent pas s'attendre à bénéficier d'un traitement fiscal favorable en l'absence d'une preuve objective et convaincante de leur intention et de leur capacité financière de rembourser une part importante de l'emprunt ayant servi à l'achat dans les quelques années qui suivent l'acquisition du bien. Si, en raison du niveau de financement, l'immeuble ne peut générer suffisamment de bénéfices pouvant servir à réduire l'emprunt en cours, alors le contribuable doit trouver d'autres sources de revenu pour parvenir à ce résultat. Si les autres sources de revenu d'un contribuable, par exemple, le revenu tiré d'un emploi, sont insuffisantes pour lui permettre de réduire le montant de l'emprunt qui a servi à l'acquisition, alors il se peut que le contribuable ait à supporter le plein coût de la perte locative. Certainement, de vagues attentes indiquant qu'un apport de capital était attendu de tante Béatrice ou d'oncle Bernard ne sera pas suffisant pour conclure que le contribuable s'est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. En pratique, le contribuable s'acquittera de ce fardeau en démontrant que des paiements importants ont été faits sur le principal dans les années d'imposition suivant de près l'année de l'acquisition.

[17]     En me basant sur tous les faits en l'espèce et sur les critères exposés par la Cour d'appel fédérale, dont les décisions me lient, je conclus, sans difficulté, que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit au cours des années en question. Mes principaux motifs sont les suivants : les loyers étaient de toute évidence insuffisants pour payer les frais fixes (soit les intérêts hypothécaires et l'impôt foncier) et il y avait des éléments personnels, soit l'utilisation de la maison comme résidence principale et la location à des parents. La charge de la preuve incombe à l'appelante. En l'espèce, cette charge était considérable, et l'appelante ne s'en est pas acquittée.

[18]     L'appelante s'est également plainte de la production tardive des nouvelles cotisations et des frais d'intérêt qui en ont résultés. Comme je n'ai pas le pouvoir de supprimer ou de réduire les intérêts, je ne peux que recommander à l'appelante de demander au ministre du Revenu national d'appliquer le dossier Équité à cet égard. L'appelante s'est aussi plainte du comportement du spécialiste en déclarations de revenus et du fait qu'il lui avait donné de mauvais conseils. Cela n'arrive que trop souvent dans les causes de cette nature, où les spécialistes en déclarations de revenus font valoir que les pertes locatives peuvent être déduites d'un revenu d'emploi, réduisant ainsi le montant d'impôt qu'un contribuable doit payer. La difficulté réside dans le fait que les spécialistes en déclarations de revenus n'expliquent pas toujours tout ce qu'implique la déduction ni n'expliquent que l'activité de location doit offrir une attente raisonnable de profit pour que la déduction des pertes locatives puisse véritablement être admise.

[19]     En conclusion, appliquant les critères de la Cour d'appel fédérale tels qu'ils sont décrits ci-dessus, je conclus qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit et que, par conséquent, les appels doivent être rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'avril 1998.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d'avril 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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