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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3734(IT)G

ENTRE :

DOMENICA SCENNA,

appelante,

ET

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Fernando Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3738(IT)G), de

Kerry Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3739(IT)G) et de

Rita Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3740(IT)G) à Toronto (Ontario),

le 6 décembre 2001, par l'honorable juge Terrence O'Connor.

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Paul E. Hawa

Avocat de l'intimée :                            Me David W. Chodikoff

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.


          Les appelants se voient adjuger un seul mémoire de frais pour les quatre appels.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2002.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3738(IT)G

ENTRE :

FERNANDO NORCIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Domenica Scenna c. Sa Majesté la Reine(1999-3734(IT)G), de

Kerry Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3739(IT)G) et de

Rita Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3740(IT)G) à Toronto (Ontario),

le 6 décembre 2001, par l'honorable juge Terrence O'Connor.

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Paul E. Hawa

Avocat de l'intimée :                            Me David W. Chodikoff

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les appelants se voient adjuger un seul mémoire de frais pour les quatre appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2002.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3739(IT)G

ENTRE :

KERRY NORCIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Fernando Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3738(IT)G), de

Domenica Scenna c. Sa Majesté la Reine (1999-3734(IT)G) et de

Rita Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3740(IT)G) à Toronto (Ontario),

le 6 décembre 2001, par l'honorable juge Terrence O'Connor.

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Paul E. Hawa

Avocat de l'intimée :                            Me David W. Chodikoff

JUGEMENT

Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.


          Les appelants se voient adjuger un seul mémoire de frais pour les quatre appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2002.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3740(IT)G

ENTRE :

RITA NORCIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Fernando Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3738(IT)G), de

Kerry Norcia c. Sa Majesté la Reine(1999-3739(IT)G) et de

Domenica Scenna c. Sa Majesté la Reine(1999-3734(IT)G) à Toronto (Ontario),

le 6 décembre 2001, par l'honorable juge Terrence O'Connor.

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Paul E. Hawa

Avocat de l'intimée :                            Me David W. Chodikoff

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995 sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les appelants se voient adjuger un seul mémoire de frais pour les quatre appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2002.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020118

Dossiers: 1999-3734(IT)G

1999-3738(IT)G

1999-3739(IT)G

1999-3740(IT)G

ENTRE :

DOMENICA SCENNA,

FERNANDO NORCIA,

KERRY NORCIA,

RITA NORCIA,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor

[1]      Les appels en l'instance ont été entendus ensemble sur preuve commune, à Toronto (Ontario), le 6 décembre 2001. Il a été convenu au début de l'audience que, malgré le fait que quatre appels ont été interjetés, il ne serait adjugé qu'un seul mémoire de frais.

FAITS

[2]      En janvier 1991, Domenica Scenna, Fernando Norcia, Kerry Norcia et Rita Norcia en société de personnes (la « société de personnes » ) ont acheté un bien immeuble sis au 2291 Fifth Line, Churchill (Ontario) (le « bien immeuble » ). D'après sa description légale, le bien immeuble était le lot partiel 15, concession 4, dans le canton d'Innisfil. Il se composait d'un terrain de 11 acres comportant un bungalow de type ranch de 8 000 pieds carrés avec une piscine intérieure et un atelier de 5 000 pieds carrés. Le bien immeuble se trouvait sur la route 11 (la rue Yonge). Le prix du bien immeuble était de 485 000 $, dont la société de personnes a financé 293 000 $ par le biais d'un prêt hypothécaire. Le solde a été réglé comme suit : 70 000 $ par Rita, 70 000 $ par Domenica et 70 000 $ conjointement par Fernando et Kerry (ces derniers se sont mariés par la suite), soit un total de 210 000 $. Les chiffres ne concordent pas exactement en raison des frais de conclusion, des redressements et de quelques petites différences quant au montant du prêt hypothécaire. Ces écarts sont négligeables.

[3]      Kerry Norcia a témoigné que la société de personnes avait acheté le bien immeuble avec l'intention de le revendre rapidement (dans les deux ans). La pièce A-2 est une lettre de Kerry Norcia à Academy Realty en date du 13 novembre 1990, qui se lit comme suit :

                   [TRADUCTION]

Academy Realty                                                Le 13 novembre 1990

Armando,

- Nous sommes en fait à la recherche d'un terrain ou d'une maison qui constituerait un bon placement. Nous voulons le revendre dans les deux ans.

- Comme vous le savez, nous ne cherchons pas une maison pour y vivre, car nous ne prévoyons nous marier qu'en octobre 1991. (Nous vous appellerons quand nous voudrons une maison pour y vivre.)

Moi-même, Fernando et ses soeurs voulons placer notre argent dans un bien que nous pourrons revendre pour réaliser un bénéfice.

- Voyez ce que vous pourrez trouver.

Merci.

Kerry

[4]      Les appelants ont également déclaré qu'ils avaient examiné six ou sept biens immeubles au cours d'une période d'une année avant de choisir ce bien immeuble qui avait été mis en vente pour 620 000 $ et acheté par eux pour 485 000 $, comme il a été indiqué. Kerry Norcia a également expliqué qu'avant l'achat, les appelants avaient parlé avec des agents immobiliers et des représentants des autorités municipales qui leur avaient affirmé que le bien immeuble pouvait faire l'objet d'un changement de zonage d'agricole à commercial, condition essentielle à une revente propre à produire un bénéfice intéressant. Kerry Norcia a également déclaré que les associés avaient investi toutes leurs économies dans le bien immeuble. Elle a expliqué que, même si le changement de zonage n'avait pas lieu, la société de personnes pensait pouvoir dégager un bénéfice, quoique moindre, de la revente du bien immeuble.

[5]      Le bien immeuble a été mis en vente pour la première fois par la société de personnes le 15 août 1992 pour 569 900 $ (pièce A-5) et de nouveau le 20 août 1994 pour 339 900 $ (pièce A-6). Kerry Norcia a indiqué qu'il y avait eu d'autres inscriptions auprès d'environ cinq courtiers, mais les deux seules inscriptions produites correspondent aux pièces A-5 et A-6.

[6]      Malgré les efforts des appelants, qui comprenaient des réunions avec les urbanistes, avec le maire adjoint et avec d'autres parties, la municipalité a fini par changer d'idée et rejeter la demande de modification de zonage. La société de personnes n'a pas présenté de demande officielle de changement de zonage, car cela aurait coûté trop cher et n'aurait sans doute servi à rien.

[7]      Pour compenser les pertes encourues par la société de personnes et couvrir les coûts de possession du bien immeuble, la société de personnes, prenant conscience des délais à prévoir pour préparer le bien immeuble et essayer de modifier le zonage, a diffusé plusieurs annonces afin de tenter de le louer et, puisqu'ils n'y sont pas arrivés, Kerry Norcia et Fernando Norcia ont occupé le bien immeuble en tant que résidence, en ont assuré l'entretien et ont versé un loyer à la société de personnes. Kerry Norcia a témoigné que le bien immeuble ne représentait certes pas ce qu'elle aurait choisi comme résidence personnelle. Il ne convenait pas à Kerry et à Fernando. Ils ne connaissaient presque personne dans le quartier et, pour se rendre jusqu'à Toronto, où ils travaillaient, il leur fallait d'une heure et demie à trois heures à l'aller comme au retour. Ils étaient surtout là pour entretenir le bien immeuble. Pendant leur occupation, du printemps 1991 jusqu'au moment où ils ont enfin vendu le bien immeuble en 1996, ils ont poursuivi leurs efforts pour vendre ou louer le bien immeuble à des tiers, faisant affaire avec environ cinq agents immobiliers, mais en vain. Ils versaient un loyer de base, les charges et une partie de l'intérêt hypothécaire, soit un total de 3 000 $ à 3 500 $ par mois.

[8]      En 1994, la société de personnes a amorti le bien immeuble à sa juste valeur marchande estimée de l'époque, c'est-à-dire 300 000 $. La société de personnes a calculé ce chiffre en prenant le prix moyen entre ce qu'ils demandaient pour le bien immeuble cette année-là, soit 339 900 $, et une offre ridicule qui avait alors été reçue, de 265 000 $.

[9]      Sur la base du prix d'origine de 485 000 $, ajouté aux coûts de possession capitalisés, la dépréciation du bien immeuble à 300 000 $ a produit une perte de 306 376 $, distribuée entre les associés comme suit :

          Fernando Norcia     -         76 594 $

          Kerry Norcia          -         51 603 $

          Domenica Scenna -         76 593 $

          Rita Norcia            -         102 126 $

Bien que la perte ait été réalisée en 1994, les parties ont reporté certaines portions de leurs pertes respectives aux années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995. Les montants précis pour chaque année sont établis dans les réponses aux avis d'appel. Les écarts entre les chiffres et l'attribution de la perte n'ont fait l'objet d'aucune explication, mais les réponses aux avis d'appel ne soulèvent pas ce point. On se contente d'y nier que les appelants ont droit à une dépréciation d'inventaire ou à la déduction des pertes et de refuser d'y reconnaître que la juste valeur marchande était de 300 000 $.

[10]     Le bien immeuble a finalement été vendu en 1996 pour 290 000 $. Cela représente plus ou moins le solde du prêt hypothécaire à l'époque, ce qui fait que les appelants ont, à toutes fins pratiques perdu tout l'argent qu'ils avaient personnellement investi pour acheter le bien immeuble.

[11]     Pour commencer, les appelants avaient essayé de déduire les pertes locatives, mais après vérification, le ministre a rejeté cette façon de procéder. Les appelants ont changé de comptables et ont produit une déclaration établie sur la base d'une dépréciation d'inventaire. Après une seconde vérification, cette méthode a également été refusée.

OBSERVATIONS DE L'AVOCAT DES APPELANTS

[12]     L'avocat des appelants estime que, même s'il n'y avait qu'un seul bien immeuble, à son avis, il figurait à un inventaire, et les appelants avaient droit à l'amortissement de leurs pertes conformément au paragraphe 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) dont il sera question plus bas, et que, d'autre part, conformément à l'alinéa 111(1)a) de la Loi, ils avaient le droit d'étaler les pertes sur plusieurs années comme ils l'ont fait. Il soutient par ailleurs que cette cause est similaire à l'affaire Friesen c. Canada, un arrêt de la Cour suprême du Canada reproduit dans [1995] 3 R.C.S. 103 (95 DTC 551), qui ne traitait que d'un seul lot non bâti, la Cour ayant alors déterminé que celui-ci pouvait être considéré comme figurant à un inventaire. Par conséquent, la Cour a admis la dépréciation conséquente de l'inventaire. Cette décision est analysée plus bas.

[13]     L'avocat soutient également que l'intention des appelants était de revendre le bien immeuble et de produire un bénéfice, mais que cette intention a été mise en échec par un affaissement du marché et par le refus des autorités municipales de modifier le zonage d'agricole à commercial, et ce, malgré les efforts déployés par les appelants pour obtenir ce changement de zonage.

[14]     L'avocat soutient par ailleurs que la définition d' « entreprise » comprend un risque de caractère commercial et qu'un risque unique est admissible.

[15]     Par conséquent, il y avait une entreprise, laquelle a essuyé une perte lors de la réduction de valeur de l'inventaire, et les appelants avaient le droit de traiter la perte comme ils l'ont fait.

[16]     L'avocat des appelants affirme également que les appelants avaient un espoir raisonnable de voir le zonage du bien immeuble modifié. Celui-ci comportait les caractéristiques décrites ci-dessus, et la concession juste derrière faisait l'objet d'une mise en valeur commerciale. D'autre part, moins d'un mois suivant l'achat, le bien immeuble a été proposé en location et, pendant toute la période où il appartenait à la société de personnes jusqu'à sa vente en 1996, il a continué à être annoncé comme étant à louer ou à vendre, même lorsque Kerry Norcia et Fernando Norcia l'occupaient.

[17]     Dans les réponses, l'intimée affirme que c'était un bien immeuble à usage personnel. L'avocat des appelants réplique qu'aucune des actions des appelants ne permet de déduire qu'il s'agissait d'un bien immeuble à usage personnel. Lorsqu'on achète une maison pour son usage personnel, il n'est pas normal qu'avant et après l'achat, on fasse des démarches pour obtenir le zonage commercial du bien immeuble, et il n'est pas non plus normal que, pendant l'occupation, on cherche constamment à le vendre ou à le louer.

[18]     En outre, le bien immeuble ne convenait pas comme résidence personnelle, au vu des circonstances de Fernando Norcia et de Kerry Norcia, décrites ci-dessus.

[19]     Un aspect connexe de la question de l'usage personnel consiste à savoir si le bien immeuble a ou non été loué à Kerry Norcia et Fernando Norcia à sa juste valeur marchande.

[20]     D'après la preuve produite, le bien immeuble était constamment annoncé comme étant à louer, et Kerry Norcia et Fernando Norcia payaient un loyer que personne d'autre n'était disposé à verser. Ils ont d'abord payé 850,00 $ par mois, puis 900,00 $ par mois, puis 950,00 $ par mois, charges en sus, et c'était plus qu'aucun tiers n'était disposé à débourser. C'est une juste valeur marchande, puisque, d'après la définition, la « juste valeur marchande » est la valeur qu'une personne sans lien de dépendance serait prête à payer.

[21]     L'inscription immobilière de 1994 a été présentée à la Cour, car elle est pertinente pour la détermination de la juste valeur marchande du bien immeuble en 1994. Celui-ci a été inscrit à 339 000 $, mais la seule offre reçue a été de 265 000 $.

[22]     Par définition, la « juste valeur marchande » doit s'établir entre ces deux montants. Le bien immeuble a d'ailleurs été vendu deux ans plus tard pour 290 000 $. L'avocat affirme que les appelants ont produit suffisamment de preuves pour établir que la valeur du bien immeuble en 1994 était de 300 000 $, et aucune preuve du contraire n'a été présentée à la Cour.

[23]     Les appelants ont examiné les valeurs immobilières dans le secteur pendant un an avant d'effectuer leur achat. Pendant six mois de cette année-là, ils ont travaillé avec un agent. Ils n'ont pas abordé cette transaction à la légère. C'est de toutes leurs économies que l'on parle.

[24]     Ils ont acheté le bien immeuble pour des centaines de milliers de dollars de moins que le prix demandé à l'origine. Ils ont mené une enquête sur la possibilité de changer le zonage avant d'acheter le bien immeuble, et ils en sont arrivés à un degré de certitude qu'ils pouvaient prendre ce risque.

[25]     Vu l'échec de leurs tentatives de changement de zonage ou de leurs vaines attentes en ce sens, ils ont mis le bien immeuble en vente dans les deux années suivantes, conformément à leur intention déclarée, au prix demandé de 569 900 $. C'était leur attente. C'était le prix auquel un agent l'a inscrit. C'était la valeur qu'ils pensaient raisonnablement obtenir du bien immeuble.

[26]     Ce que les appelants ne prévoyaient pas, c'est que le changement de zonage n'aurait pas lieu et qu'avec la récession, la valeur du bien continuerait de s'effriter. Toutefois, lorsque des contribuables font un investissement commercial véritable en vue de réaliser un bénéfice, ce qu'ils perdent est de la nature d'un revenu.

[27]     Le ministre doit avoir de bonnes raisons de nier des pertes engagées par des contribuables dans le cadre d'une entreprise commerciale véritable. Le bien immeuble a été vendu pour 290 000 $. Les pertes sont réelles, elles ne sont pas sur papier, elles ne visent pas à réduire l'impôt.

[28]     Et si cette cour détermine que les appelants avaient l'intention d'acheter le bien immeuble à titre de bien immeuble commercial, que les appelants qui ont occupé la maison ont payé le loyer courant, et que les appelants ont acheté le bien immeuble en vue de le revendre afin de réaliser un bénéfice ultérieur, alors le bien immeuble figure à un inventaire.

[29]     L'avocat ajoute que l'intimée reconnaît que les appelants se sont associés, et au paragraphe 5(c) des réponses, l'intimée admet que la société de personnes a acheté le bien immeuble.

[30]     En common law et en droit ontarien, une « société de personnes » est un terme défini. Il a un sens très précis. Une « société de personnes » existe, en vertu de la Loi sur les sociétés en nom collectif et en common law, si deux personnes ou plus mènent des affaires avec l'intention commune d'en dégager un bénéfice. S'il n'y a pas d'entreprise à but lucratif, il n'y a pas de société de personnes.

[31]     L'avocat ajoute que, puisque le montant du loyer correspondait à la juste valeur marchande, il n'y a pas d'avantage personnel. La définition de « juste valeur marchande » est le prix établi entre un acheteur et un vendeur sans lien de dépendance. Par conséquent, puisqu'il n'y avait pas de preneurs au loyer affiché, et puisque Kerry et Fernando Norcia ont payé le loyer affiché et les charges en sus, ils ont payé la juste valeur marchande.

[32]     L'avocat des appelants admet que la société de personnes ne pouvait pas tirer un bénéfice de la location du bien immeuble, mais que la question n'est pas là. Les appelants ont acheté le bien avec l'intention de le revendre pour réaliser un bénéfice rapide. Leur intention était de participer à un projet comportant un risque de caractère commercial. Par conséquent, il s'agissait d'une entreprise comportant le droit et l'obligation de calculer le bénéfice en fonction de la dépréciation de l'inventaire.

OBSERVATIONS DE L'AVOCAT DE L'INTIMÉE

[33]     L'avocat de l'intimée soutient que le bien immeuble était utilisé comme résidence principale par deux des quatre associés. Ces deux-là ont versé un loyer, lequel n'était toutefois pas établi à la juste valeur marchande. La société de personnes n'aurait jamais pu tirer un bénéfice de la location du bien immeuble car celui-ci n'avait jamais été correctement financé. Le bien immeuble a été utilisé à des fins personnelles.

[34]     La société de personnes n'oeuvrait pas dans le domaine immobilier. Le bien immeuble ne figurait pas à un inventaire pour la société de personnes. La société de personnes n'a jamais officiellement déposé de demande de modification du zonage en vue de construire un bien immeuble commercial et, pour toutes ces raisons, les appelants ne pouvaient pas déclarer une perte et l'affecter comme ils l'ont fait conformément à l'alinéa 111(1)a) de la Loi. Il soutient également que le bien immeuble ne figurait pas à un inventaire au sens du paragraphe 248(1) de la Loi, et que les appelants n'avaient donc pas droit aux déductions demandées, parce que le paragraphe 10(1) de la Loi et l'article 1801 du Règlement de l'impôt sur le revenu ne s'appliquent pas en l'espèce. L'avocat conclut qu'il n'y avait pas de perte autre qu'en capital selon la définition du paragraphe 111(8) de la Loi pour l'année d'imposition 1994 des appelants, qu'une telle perte ne pouvait donc être déductible du calcul du revenu imposable pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995, et que le ministre avait eu raison de refuser les déductions demandées par les appelants pour ces années-là.

[35]     L'affaire Friesen est, bien entendu, sans doute l'arrêt faisant autorité lorsqu'il s'agit de savoir si un bien immeuble unique, constituant ou non un projet comportant un risque de caractère commercial, peut être traité comme un bien immeuble pouvant faire l'objet d'une dépréciation d'inventaire.

[36]     L'avocat de l'intimée a essayé d'expliquer comme suit l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Friesen. La question centrale de ces appels est celle de savoir si les appelants ont le droit de s'appuyer sur la méthode d'évaluation de l'inventaire prévue au paragraphe 10(1) de la Loi. Cet exercice nécessite une étude attentive du libellé des dispositions de la Loi et une réflexion sur l'interprétation correcte de celles-ci en fonction de la structure fondamentale du régime fiscal canadien qui a été établi par la Loi.

[37]     Une interprétation franche de cet article permet de constater qu'il s'agit d'une disposition exécutoire obligeant le contribuable qui calcule le revenu d'une entreprise à évaluer l'inventaire au moindre du prix coûtant ou de la valeur marchande, ou d'une façon prévue par les règlements. Par conséquent, à première vue, le contribuable doit répondre à deux critères pour se prévaloir des dispositions de l'article : le risque en question doit être de caractère commercial et le bien en question doit figurer à un inventaire.

[38]     L'avocat de l'intimée soutient qu'il n'y avait ni projet comportant un risque de caractère commercial, ni entreprise.

[39]     L'avocat affirme que le bulletin IT-218R, qui a remplacé le bulletin IT-218, et auquel renvoie l'affaire Friesen, contient une liste de facteurs utilisés par les tribunaux afin de décider si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui produit un revenu commercial, ou si c'est une opération en capital comportant la vente d'un investissement. Quatre de ces facteurs sont abordés ci-dessous.

1.        L'intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de son achat, la faisabilité de cette intention et la mesure dans laquelle elle est réalisée : une intention de vendre le bien immeuble pour réaliser un bénéfice aura plus de chances d'être considérée comme un projet comportant un risque de caractère commercial.

Qu'en est-il donc des intentions des contribuables? En l'espèce, nous savons que l'intention était d'acheter un bien immeuble et de le vendre. Nous savons cela. Il s'agit maintenant de savoir si c'était l'intention au moment de l'achat. La réponse : oui, ça l'était.

L'élément suivant, c'est la faisabilité de cette intention, et c'est ici que la position des appelants commence à s'affaiblir, voire à contredire carrément ce critère, puisque leur plan n'était pas faisable.

Ils n'avaient aucune expérience du secteur immobilier. Ils n'habitaient pas dans les alentours. Ils n'ont examiné que cinq biens immeubles. Ils ont dit qu'ils allaient revendre le bien immeuble dans les deux ans, mais ils ne l'ont inscrit la première fois que 18 mois après l'achat.

Quant au changement de zonage du bien immeuble, ils ont témoigné avoir parlé à une ou deux personnes. Ils n'ont retenu les services d'aucun professionnel pour les aider en ce sens. Aucune démarche officielle n'a été entreprise pour présenter une demande, et rien n'a été présenté comme preuve pour montrer qu'une demande avait effectivement été déposée.

Par conséquent, en ce qui concerne l'exécution du plan, j'affirme qu'il ne l'a pas été, parce qu'il n'y a rien qui le démontre. D'après moi, la preuve indique largement que leurs efforts étaient négligeables, dans le meilleur des cas, et qu'au pire ils étaient futiles.

2.        La nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou du secteur d'activité du contribuable et de ses associés : plus l'entreprise ou la profession du contribuable fait intervenir des opérations immobilières, plus il est probable que le revenu produit sera considéré comme un revenu d'entreprise au lieu d'un gain en capital. Les appelants n'exploitaient pas une entreprise immobilière.

3.        La nature du bien immeuble et l'usage qui en est fait : nous savons que cette cause diffère de l'affaire Friesen. Il ne s'agissait pas d'un terrain non bâti. Nous savons que c'était un terrain à zonage agricole. Ce n'était pas un terrain à zonage commercial. C'est ce qu'il leur aurait fallu obtenir pour intéresser un acheteur potentiel, mais ils n'y sont pas arrivés. Nous savons que les contribuables ont utilisé le bien comme résidence personnelle.

4.        La mesure dans laquelle des emprunts ont servi à financer la transaction et la durée de la possession du bien par le contribuable : les opérations faisant intervenir des emprunts et une revente rapide sont le plus souvent des projets comportant des risques de caractère commercial. Ce bien immeuble n'avait pas été financé par une forte proportion d'emprunts. Ils ont englouti toutes leurs économies. En fait, nous avons appris qu'ils sont allés très loin. Ils ont investi 210 000 $ dans un bien immeuble qui coûtait 485 000 $.

[40]     L'avocat mentionne que les associés qui ont pris part à l'entreprise dans l'affaire Friesen étaient des gens d'affaires chevronnés qui ont traité l'opération comme une entreprise commerciale. Le terrain en question était un bien immeuble non bâti qui convenait à la revente mais ne pouvait servir d'investissement producteur de revenu ou donner lieu à une jouissance personnelle.

[41]     Ce bien immeuble, contrairement à celui de l'affaire Friesen, était habitable.

[42]     Le bien immeuble n'est pas conforme aux facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Friesen et décrits dans les bulletins d'interprétation cités dans cet arrêt.

[43]     Pour résumer, l'avocat de l'intimée affirme que les faits dans ces appels sont suffisamment différents de ceux de l'affaire Friesen pour que l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada dans la cause Friesen ne puisse s'appliquer en l'espèce.

ANALYSE ET DÉCISION

[44]     Les dispositions pertinentes de la Loi qui étaient en vigueur en 1994 se lisent comme suit :


9. (1)     Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

(2)         Sous réserve de l'article 31, la perte subie par un contribuable au cours d'une année d'imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte subie au cours de l'année relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée par l'application, avec les adaptations nécessaires, des dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

[...]

10. (1) Pour le calcul du revenu tiré d'une entreprise, les biens figurant à un inventaire sont évalués au moins élevé du coût supporté par le contribuable et de leur juste valeur marchande ou de toute autre façon permise par règlement.

[...]

(2)         Malgré le paragraphe (1), pour le calcul du revenu tiré d'une entreprise au cours d'une année d'imposition, les biens figurant à un inventaire au début de l'année sont évalués au même montant que celui auquel ils ont été évalués à la fin de l'année d'imposition précédente pour le calcul du revenu de cette année précédente.

[...]

248.      (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.[...]

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2 et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou un emploi.

[...]

« inventaire » Description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition [...]

[45]     Même si les appelants n'étaient pas des investisseurs immobiliers chevronnés, ils ont investi toutes leurs économies et devaient avoir des motifs raisonnables de le faire. Ils avaient examiné environ six à sept autres biens et ont conclu que ce bien immeuble présentait le potentiel de bénéfice le plus probable si le changement de zonage d'agricole à commercial avait lieu. Au début, on leur a laissé entendre que c'était possible, mais les autorités municipales ont ensuite changé d'idée à ce sujet. Il y avait des biens-fonds à zonage commercial près du bien immeuble, et j'estime qu'il était raisonnable pour les appelants de penser que le changement de zonage était possible. Dans ce cas, tout permettait de croire qu'un bénéfice rapide était réalisable. Par conséquent, à mon avis, le projet comportait un risque de caractère commercial et, à ce titre, une entreprise était exploitée; les appelants ont donc le droit de se prévaloir de la disposition concernant la dépréciation de l'inventaire prévue au paragraphe 10(1). D'autre part, ils ont la possibilité de reporter la perte résultante aux années antérieures et consécutives comme ils l'ont fait.

[46]     J'estime que les faits en l'espèce sont suffisamment similaires à ceux de l'affaire Friesen, et j'affirme que cet arrêt détermine le traitement de ces appels.

[47]     Je cite les passages suivants de l'arrêt majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Friesen :

[...] l'appelant s'est engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial visant un terrain situé dans la ville de Calgary et désigné sous le nom de « domaine Styles » . Le domaine Styles a été acheté à seule fin de revente avec bénéfice. [...] Contrairement aux attentes des investisseurs, les prix des immeubles ont baissé au lieu de monter.

[...]

II. Analyse

A. Introduction

    Il s'agit précisément, en l'espèce, de savoir si un terrain détenu en vue d'être revendu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial peut être évalué comme un bien figurant dans un inventaire en vertu du par. 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. [...]À mon avis, les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu permettent d'évaluer un terrain détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial comme un bien figurant dans un inventaire en vertu du par. 10(1), et je suis donc d'avis d'accueillir le présent pourvoi.

B. Le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu

[...]

    L'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu énonce les règles de base qui régissent le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition. L'article 3 reconnaît deux catégories fondamentales de revenus : le « revenu ordinaire » tiré d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise et d'un bien, qui sont tous visés par l'al. 3a), et le revenu tiré de biens en immobilisation, ou les gains en capital, qui sont visés par l'al. 3b). Toute la structure de la Loi de l'impôt sur le revenu reflète cette distinction de base, reconnue dans le régime fiscal canadien, entre le revenu et le gain en capital.

    La sous-section b de la section B de la Loi, intitulée « Revenu ou perte provenant d'une entreprise ou d'un bien » , énonce toutes les règles régissant le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. La disposition principale de cette sous-section est l'art. 9 qui prévoit que le contribuable est assujetti à l'impôt sur le bénéfice qu'il tire d'une entreprise ou d'un bien pour l'année. Le mot « bénéfice » n'est pas défini dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

[...]

D. Le sens ordinaire de l'art. 10

[...]

D'après le sens ordinaire de cet article, il s'agit d'une disposition impérative qui oblige le contribuable, lors du calcul de son revenu tiré d'une entreprise, à évaluer les biens figurant dans l'inventaire au moindre de leur coût et de leur valeur marchande, ou d'une autre façon permise par les règlements. Par conséquent, le contribuable doit, à première vue, satisfaire à deux exigences pour pouvoir recourir à cet article: le projet en cause doit être une « entreprise » et la propriété en question doit être un « bien figurant dans un inventaire » .

    (1) Le projet de l'appelant est-il une entreprise?

    La définition du mot « entreprise » au par. 248(1) inclut expressément un projet comportant un risque de caractère commercial : [...]

L'expression « projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » n'est pas définie dans la Loi, mais elle a un sens établi par la common law.

    Les deux parties au présent pourvoi reconnaissent que le projet immobilier de l'appelant constitue un projet comportant un risque le caractère commercial. Il est néanmoins utile d'examiner brièvement les éléments constitutifs d'un tel projet puisqu'ils servent à limiter la gamme de projets susceptibles de permettre l'application des dispositions du par. 10(1).

    La notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d'achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d'une immobilisation. [...]

[...]

    La première condition de l'existence d'un projet comportant un risque de caractère commercial est qu'il comporte un « plan visant la réalisation d'un bénéfice » . Le contribuable doit avoir l'intention légitime de tirer un bénéfice de l'opération. Les autres conditions sont énoncées utilement dans le bulletin d'interprétation IT-459, intitulé « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), qui fait mention du bulletin d'interprétation IT-218, intitulé « Profits sur la vente de biens immeubles » (26 mai 1975), comme document où sont résumés les facteurs pertinents dans le cas de biens immeubles.

    Le bulletin IT-218R, qui a remplacé le bulletin IT-218 en 1986, énumère un certain nombre de facteurs dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui génère un revenu d'entreprise ou une opération portant sur une immobilisation, impliquant la vente d'un placement.

[...]

[...] Je reprends le résumé sommaire du droit applicable, que contient le bulletin IT-218R :

Le terme « entreprise » est défini dans le paragraphe 248(1) et comprend, entre autres choses, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. En vertu de cette définition, une transaction isolée mettant en cause des biens immeubles peut être considérée comme une transaction d'entreprise. Comme pour toute entreprise, les gains ou les pertes qui en découlent doivent, en vertu de l'article 9, être pris en compte dans le calcul du revenu ou de la perte, selon le cas.

    (2) Le domaine Styles est-il un bien figurant dans un « inventaire » ?

    Pour pouvoir bénéficier de la méthode d'évaluation prévue au par. 10(1), le contribuable doit aussi établir que le bien-fonds en question est un bien figurant dans un inventaire. La définition suivante du terme « inventaire » figure au par. 248(1) de la Loi:

« inventaire » signifie la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition;

Le premier élément à noter au sujet de cette définition du terme « inventaire » est qu'il n'est pas nécessaire que ces biens contribuent directement au revenu pour une année d'imposition pour pouvoir être considérés comme des biens figurant dans un inventaire. Il suffit que le coût ou la valeur d'un bien entre dans le calcul du revenu d'entreprise pour une année, pour que ce bien fasse partie des biens figurant dans un inventaire. En général, le coût ou la valeur d'un bien est comptabilisé comme une dépense (et le prix de vente comme un revenu) dans le calcul du revenu.

    Réduit à sa plus simple expression, le revenu ou le bénéfice tiré de la vente d'un seul article d'inventaire par une entreprise commerciale est, selon la formule d'identification ordinaire, calculé en soustrayant le coût de son acquisition du produit de sa vente. C'est la formule de base qui s'applique au calcul du bénéfice avant que n'entre en ligne de compte la valeur des biens figurant dans un inventaire, comme l'a clairement affirmé le juge Abbott dans l'arrêt Minister of National Revenue c. Irwin, [1964] R.C.S. 662, aux pp. 664 et 665 :

D'après la loi, il est donc clair qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, dans le cas d'une entreprise consacrée à acquérir des biens et à les revendre, le bénéfice brut s'établit selon l'excédent du prix de vente sur le coût, sous réserve uniquement de toute modification due à la règle du « moindre du coût et de la valeur marchande » .

[...]

    Le bulletin IT-218R précise qu'un bien immeuble qui est détenu par le contribuable comme bien en immobilisation peut être utilisé comme bien à usage personnel ou comme placement dans le but de réaliser ou de produire un revenu. La vente de ce type de bien donne lieu à un gain en capital ou à une perte en capital. Par ailleurs, le bien immeuble qui est acheté afin d'être revendu avec bénéfice est un bien figurant dans un inventaire qui génère un revenu d'entreprise ou une perte d'entreprise. Lorsqu'il s'agit de déterminer si les gains tirés de la vente d'un bien immeuble constituent un revenu ou des gains en capital, l'on tient particulièrement compte de l'intention du contribuable au moment de l'achat initial du bien immeuble. Par conséquent, un bien immeuble particulier devient soit un bien figurant dans un inventaire soit un bien en immobilisation entre les mains du contribuable dès le moment de l'achat initial.

[...]

... Je préfère plutôt suivre le courant jurisprudentiel bien établi où il a été expressément statué, dans les rationes decidendi, que des biens immeubles détenus pour être revendus dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial constituent des biens figurant dans un « inventaire » aux fins du par. 10(1) : [...]

[...]

    Le paragraphe 10(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu sanctionne le principe commercial et comptable reconnu, selon lequel une entreprise doit évaluer les biens figurant dans son inventaire au moindre de leur coût et de leur valeur marchande. Ce principe est une exception au principe général voulant que ni les bénéfices ni les pertes ne soient reconnus avant leur réalisation. Il représente, en outre, une dérogation au principe général voulant que les éléments d'actif soient évalués à leur coût d'origine. La raison d'être de cette exception particulière aux principes généraux est habituellement rattachée au principe de prudence. Le principe comptable généralement reconnu qui s'applique à la présente situation est expliqué par D.E. Kieso et autres, dans Comptabilité intermédiaire (1991), aux pp. 489 et 490 :

C'est dans les évaluations de stocks que l'on peut retrouver les principales dérogations au principe du coût d'origine. En comptabilité, la mise en pratique du principe de prudence suppose que l'on constate une perte dès qu'elle s'avère probable et que l'on peut en estimer le montant avec suffisamment de précision. Par contre, selon le principe de réalisation, les gains connus ne sont pas constatés avant d'être matérialisés. Si, pour n'importe quel motif, la valeur des stocks tombe en dessous du coût d'origine [...], il faut diminuer la valeur des stocks pour refléter cette perte. En règle générale, lorsque la valeur utile future d'un bien, c'est-à-dire sa capacité de générer des recettes, est moins élevée que son coût d'origine, on abandonne le principe du coût d'origine. Cette dérogation se justifie par le fait qu'une perte de valeur utile doit être passée en charges dans le résultat de l'exercice au cours duquel elle survient. C'est ce qui explique que les stocks sont évalués à leur valeur minimale, c'est-à-dire à leur coût d'origine ou à leur valeur du marché, selon le moins élevé des deux. [Je souligne.]

[...]

    En résumé, je conclus que la méthode d'évaluation prévue au par. 10(1) peut s'appliquer aux biens figurant dans un inventaire qui sont détenus dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. La méthode d'évaluation devient applicable pour calculer le revenu d'entreprise au cours de toute année d'imposition donnée. Le revenu d'entreprise est calculé conformément à des principes commerciaux et comptables reconnus. Selon ces principes, la valeur des biens figurant dans un inventaire entre dans le calcul du revenu pour les années antérieures à leur vente puisqu'elle comprend une partie du coût des ventes. Selon les mêmes principes, les biens figurant dans un inventaire doivent être évalués au moindre de leur coût et de leur valeur marchande, à titre d'exception particulière au principe général de réalisation. Cette exception est reconnue dans le cas particulier qui nous intéresse en l'espèce : l'évaluation de biens immeubles figurant dans un inventaire. [...]

[48]     Il existe certaines différences entre les situations factuelles de l'affaire Friesen et de ces appels. En particulier, dans l'affaire Friesen, les parties ont convenu qu'il existait un projet comportant un risque de caractère commercial. Toutefois, la Cour suprême du Canada ne s'est pas contentée de se fonder sur cet accord, mais elle s'est donnée la peine d'analyser les situations où un risque de caractère commercial existe. L'un des principaux facteurs pour établir cela est l'intention des parties au moment de l'achat. Si l'intention est de revendre assez vite, cela constitue une indication claire qu'il s'agit d'un projet comportant un risque. C'était l'intention dans ces appels. D'autre part, j'accepte les observations de l'avocat des appelants sur les autres différences entre les deux causes par rapport aux deux associés qui occupaient le bien immeuble, le manque d'expérience dans le domaine immobilier et le niveau de financement du bien immeuble. Ces facteurs ne sont pas suffisants, à mon avis et à la lumière des observations de l'avocat des appelants, pour soutenir que l'arrêt Friesen ne devrait pas s'appliquer.

[49]     Vers la fin de l'audience, on a fait référence à certaines causes en instance auprès de la Cour suprême du Canada concernant le concept d'une attente raisonnable de bénéfice. Réflexion faite, je ne pense pas que ce concept soit important dans la détermination de ces appels. Par conséquent, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'attendre que la Cour suprême du Canada rende des jugements dans ces affaires.

[50]     En conséquence, les appels sont admis. Les appelants se voient adjuger un seul mémoire de frais.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2002.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'août 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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