Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-1777(IT)I

ENTRE :

ROBERT D. McDONALD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 27 août 1999 à Regina (Saskatchewan), par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Avocat de l'appelant :                           Me Dwayne Anderson

Avocate de l'intimée :                            Me Karen Janke

JUGEMENT

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 1999.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19990901

Dossier: 98-1777(IT)I

ENTRE :

ROBERT D. McDONALD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]      Le présent appel, qui est interjeté sous le régime de la procédure informelle, a été entendu à Regina (Saskatchewan) le 27 août 1999. L'appelant et son fils Grant ont été les seuls témoins.

[2]      L'appelant porte en appel une cotisation fondée sur la responsabilité qui lui incombe comme administrateur aux termes de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) concernant la société Channel One Entertainment Ltd. ( « Channel One » ) pour la période allant de janvier à mai 1995.

[3]      Les hypothèses formulées aux alinéas a) à z) du paragraphe 9 de la réponse à l'avis d'appel se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

9.          Dans cette cotisation établie à l'égard de l'appelant, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          les faits admis ou énoncés dans la présente réponse, certains de ces faits étant réitérés ici pour que l'on puisse s'y reporter aisément;

b)          à l'époque pertinente, la Société était une personne morale en règle en vertu de la loi de la Saskatchewan intitulée Business Corporations Act;

c)          l'appelant est devenu un administrateur de la Société le 30 novembre 1990;

d)          à l'époque pertinente, l'appelant était un administrateur de la Société;

e)          l'appelant a cessé d'être un administrateur de la Société le 1er juin 1995 ou vers cette date;

f)           l'appelant était un homme d'affaires expérimenté;

g)          l'appelant était également un administrateur de Target Resources Ltd. ( « Target » );

h)          Grant, le fils de l'appelant, s'occupait des comptes de paye et effectuait les versements pour les deux sociétés;

i)           la Target versait souvent en retard les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur les salaires qu'elle avait payés à ses employés;

j)           la Société n'a versé que le 19 juillet 1993 les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération qu'elle avait payée pour les mois d'avril et de mai 1993;

k)          le 2 décembre 1993 ou vers cette date, la Société a reçu une cotisation fiscale pour les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération et qu'elle n'avait pas versés, soit une cotisation fiscale de 7 354 $, plus les pénalités et intérêts applicables;

l)           le 2 décembre 1993 ou vers cette date, le ministre a reçu un paiement de 3 436 $ à l'égard de la cotisation fiscale mentionnée au précédent alinéa;

m)         la Société n'a versé que le 1er mars 1994 les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération qu'elle avait payée pour les mois de novembre et de décembre 1993;

n)          le 27 avril 1994 ou vers cette date, la Société a reçu une cotisation fiscale totalisant 891 $ relativement à de l'impôt fédéral sur le revenu non versé pour l'année d'imposition 1993;

o)          le 22 août 1994, la Société a reçu une cotisation fiscale pour les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération et qu'elle n'avait pas versés pour les mois de mars à juillet 1994, soit une cotisation fiscale de 12 028,18 $, plus les pénalités et intérêts applicables;

p)          l'appelant était au courant que les versements en cause au précédent alinéa n'avaient pas été effectués aux dates prévues dans la législation;

q)          la Société n'a versé que le 13 octobre 1994 les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération pour les mois d'août et de septembre 1994;

r)           le 13 octobre 1994, la Société a versé 3 000 $ comme paiement partiel du montant impayé de la cotisation fiscale mentionnée à l'alinéa 9k) ci-dessus et elle a remis deux chèques postdatés de 2 000 $ chacun;

s)          l'appelant a pris part à la négociation des modalités de paiement mentionnées au précédent alinéa;

t)           le 27 janvier 1995, la banque de la Société a envoyé au ministère, conformément à un ordre de payer, la somme de 11 509,58 $, soit le montant de l'impôt fédéral sur le revenu, de l'impôt provincial sur le revenu, des cotisations du RPC et des cotisations d'a.-c., plus la pénalité et les intérêts, que la Société devait au 24 janvier 1995;

u)         la Société n'a pas versé les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait retenus sur la rémunération pour les mois d'octobre à décembre 1994 et les mois de janvier à juillet 1995;

v)          le 13 juillet 1995, la Société a reçu des cotisations fiscales pour les impôts fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations du RPC et les cotisations d'a.-c. qu'elle avait omis de verser pour les mois de novembre et décembre 1994 et les mois de janvier à mai 1995;

w)         le 20 juillet 1995, la Société a reçu une cotisation fiscale lui imposant une pénalité pour production tardive concernant l'année d'imposition 1994;

x)          le 13 octobre 1995, la Société a reçu une cotisation fiscale pour d'autres cotisations du RPC et d'a.-c. qu'elle avait omis de verser en 1994;

y)          au cours de l'année d'imposition 1994 et des mois de janvier à mai 1995 (la « période pertinente » ), la Société a omis de verser au receveur général la somme totale de 5 832,19 $ relativement à de l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle avait retenu sur la rémunération;

z)          la Société a omis de payer des pénalités et des intérêts d'environ 983,21 $ et 1 599,28 $, respectivement, à l'égard de l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle n'avait pas versé et qui est mentionné au précédent alinéa;

[4]      Sur l'ensemble de ces hypothèses, seules les hypothèses formulées aux alinéas p) et s) ont été réfutées. Sur les hypothèses restantes, l'hypothèse formulée au sous-alinéa pp) est en litige, et les autres n'ont pas été réfutées.

[5]      L'appelant a maintenant 69 ans, et son fils Grant approche de la quarantaine. Les deux ont vécu en Saskatchewan toute leur vie. L'appelant a terminé des études secondaires à Regina et a fréquenté l'université pendant deux ans. Il a commencé à travailler en 1954. Pendant un certain nombre d'années, il a travaillé pour une société d'arpentage, Mobil Oil, puis, en 1981 ou en 1982, lui et un associé ont créé une société, Condor Resources ( « Condor » ). Grant a obtenu un diplôme d'études secondaires avec distinction à Regina en 1979. Il a suivi deux cours de comptabilité à l'école secondaire et il travaillait durant l'été au service de comptabilité de Saskatchewan Oil. Il faisait en outre de la comptabilité à temps partiel pour Condor Resources à domicile. Il a entrepris un baccalauréat en administration à la University of Regina, mais, au cours de la première année, il a abandonné pour se joindre à un groupe rock. Puis il a été un employé à temps plein de Condor Resources, jusqu'à ce que, vers 1985, son père vende la participation qu'il détenait dans Condor Resources.

[6]      L'appelant a lancé Target Resources Ltd. ( « Target » ) en 1983 ou en 1984, avec Grant comme actionnaire à parts égales. L'appelant s'occupait des questions pétrolières ainsi que des opérations sur le terrain, tandis que Grant s'occupait de la comptabilité. La Target détenait et gérait des puits marginaux dans le sud-est de la Saskatchewan. Elle avait obtenu d'une entreprise de Calgary un contrat de gestion relatif à plus de 100 puits, mais elle a perdu ce contrat en 1993. Jusqu'en 1993, l'appelant passait 60 p. 100 du temps aux bureaux de la Target. Il était au courant que la Target était parfois en retard dans ses versements à Revenu Canada à l'époque où elle était en affaires, mais il n'a jamais vérifié pour voir si ces versements étaient effectués. Le 31 mai 1995, il a démissionné comme administrateur de la Target. Deux mois plus tard, la Target était en faillite.

[7]      Le 30 novembre 1990, l'appelant et Grant ont pris contrôle de la Channel One, qui était alors une société inactive. La Target a prêté à la Channel One un capital de démarrage de 20 000 $ ou 30 000 $. L'appelant et Grant ont changé le nom de cette société pour Channel One le 10 avril 1991; l'appelant a signé les statuts de modification en tant que président. Au 24 octobre 1991, l'actionnariat de la Channel One était le suivant :

          appelant                           35 actions

          Grant McDonald              35 actions

          John Vancise                    15 actions

          Robert Vancise                15 actions

L'actionnariat est resté le même jusqu'à ce que la Channel One cesse ses activités. L'appelant en était président et en a été un administrateur jusqu'à ce que, le 31 mai 1995, il démissionne comme administrateur.

[8]      La Channel One exploitait une boîte de nuit pour jeunes. Ses locaux étaient à quelques pâtés de maisons des bureaux de la Target, à l'angle de la 8e Avenue et de la rue Broad à Regina, mais l'appelant ne s'y est rendu qu'environ quatre fois tout au long de l'exploitation de cette société. L'appelant n'a reçu aucun salaire ou dividende de la Channel One. Les livres et registres de cette société étaient tenus aux bureaux de la Target. L'appelant pense qu'il était signataire autorisé, mais il n'a jamais signé un chèque et il dit qu'il ne participait pas à la gestion de la Channel One. Grant ou John Vancise signait les chèques de cette société. Grant en tenait les livres et signait la plupart des chèques. John Vancise gérait apparemment les activités. Grant se rendait souvent aux locaux de la Channel One. Il a témoigné qu'il adorait cette entreprise et que la Channel One engageait des artistes de premier ordre pour sa boîte de nuit. Grant a témoigné que, les difficultés financières de la Channel One n'ayant de cesse, il avait effectué une vérification informelle et avait déterminé qu'une somme d'environ 1 000 $ par semaine était volée ou disparaissait de l'entreprise durant l'existence de celle-ci.

[9]      Vers la fin de l'automne 1993, l'appelant avait 65 ans. Lui et son épouse ont commencé à faire des voyages en caravane d'une durée d'un mois ou plus chaque année. L'appelant se considérait à la retraite. Grant a admis que, vers le milieu de 1993, la Channel One a commencé à prendre du retard dans ses versements de retenues à Revenu Canada. Puis cela a continué. Grant et l'appelant ont tous les deux témoigné que l'appelant ne l'avait appris que vers le 30 janvier 1995, lorsqu'il a reçu une lettre de Revenu Canada en date du 24 janvier 1995 (pièce R-4). Cette lettre l'avisait que la Channel One devait 11 509,58 $ de retenues à la source non versées et qu'il était responsable du paiement de cette somme en tant qu'administrateur.

[10]     L'appelant a téléphoné à Grant, lui a dressé une liste de choses à faire, s'est entretenu avec lui lors d'un petit déjeuner et, pour reprendre les termes de Grant, lui a demandé : « Qu'est-ce qui se passe, bon sang? » L'appelant ne s'était jamais adressé à Grant de cette manière. Grant ne lui avait pas parlé des précédents problèmes de versements de la Channel One, mais il a dit à l'appelant que l'on s'était occupé de Revenu Canada. En fait, Revenu Canada avait été payé grâce à une saisie-arrêt du compte bancaire de la Channel One. L'appelant a remis à Grant une liste des questions qui le préoccupaient, insistant sur le fait qu'il fallait s'occuper des versements. Grant lui a dit que l'on s'en était occupé. Grant croit qu'ils se sont de nouveau entretenus lors d'un petit déjeuner une semaine ou deux plus tard, qu'ils ont alors également discuté des « rapports tardifs » de la Target et qu'il a de nouveau assuré à l'appelant que l'on s'occupait de ces choses.

[11]     L'appelant n'a rien fait d'autre.

[12]     À cette époque, la Channel One était en retard dans ses paiements à tous ses fournisseurs et créanciers. Grant traitait avec ces derniers à partir des bureaux de la Target et payait, au jour le jour, « ceux qui aboyaient le plus fort » .

[13]     En avril 1995, le propriétaire des locaux de la Channel One a fermé les portes à clé et a cherché à saisir les éléments d'actif de la société. Ceux-ci étaient toutefois garantis par une débenture en faveur de la Target, de sorte que la saisie a échoué, et le propriétaire a permis à la Channel One de réouvrir. Toutefois, ces faits ont été rapportés dans le Leader Post de Regina. L'appelant était au courant de la situation. Il a témoigné qu'il faisait des commentaires à Grant à ce sujet et que, à divers dîners de famille, il demandait à Grant comment les choses allaient et Grant le rassurait.

[14]     Le 31 mai 1995, l'appelant et Grant se sont réunis avec leurs avocats. L'appelant a témoigné qu'il avait alors été mis au courant de la véritable situation financière de la Channel One et de sa propre responsabilité comme administrateur. Il a résigné ses fonctions d'administrateur de la Channel One. En juin 1995, la Channel One a été « liquidée » .

[15]     Dans le témoignage de Grant et celui de l'appelant, il était allégué que l'appelant pouvait avoir des problèmes de mémoire et qu'il ne s'y connaissait pas en comptabilité. L'appelant, qui a témoigné pendant environ une heure et demie, semblait avoir la capacité et la mémoire d'une personne de son âge et être un homme d'affaires compétent et expérimenté.

[16]     L'appelant soutient qu'il était un administrateur externe, qu'il avait vérifié auprès de son fils Grant dès qu'il avait appris les difficultés et qu'il était en droit de se fier à ce que Grant lui disait pour le rassurer. Il soutient qu'il s'est donc conformé aux obligations prévues par la Loi. Il fait notamment valoir que, Grant étant son fils, il était en droit de se fier davantage à lui qu'à un étranger.

[17]     Le paragraphe 227.1(3) énonce qu'un administrateur n'encourt pas de responsabilité lorsqu'il a « agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables » .

[18]     De l'avis de la Cour, il est étonnant que l'on allègue que l'appelant ne contrôlait pas ou ne connaissait pas les activités d'une société dont la gestion administrative était assurée dans les locaux de la Target, où travaillaient deux ou trois personnes. C'est particulièrement étonnant du fait que l'appelant était un administrateur, qu'il détenait 35 p. 100 des actions, que la Channel One devait de l'argent à la Target et que la Target avait une débenture à l'égard des actifs de la Channel One. De plus, la Target et la Channel One avaient le même comptable et directeur de bureau - Grant.

[19]     Les critères qui permettent de savoir si l'appelant était un administrateur interne ou externe et quelles étaient par conséquent ses obligations ont été examinés à fond par le juge Robertson de la Cour d'appel dans l'affaire Neil Soper v. The Queen, 97 DTC 5407 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a convenu à l'unanimité de ce qui suit :

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[...]

Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

[...]

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières. À titre d'exemple, dans l'affaire Byrt c. M.R.N., 91 DTC 923 (C.C.I.), un administrateur externe a signé des états financiers qui révélaient un résultat déficitaire et, par conséquent, savait, ou aurait dû savoir, que la société avait des difficultés financières. Le même administrateur savait également que l'intégrité en affaires d'un autre administrateur, qui était également le président de la société, était douteuse. Dans ces circonstances, comme l'administrateur externe n'a fait aucun effort pour s'assurer que les versements étaient faits, il a été tenu personnellement responsable des sommes que la société devait à Revenu Canada. Selon le juge de la Cour de l'impôt, l'administrateur externe n'a pas satisfait à la norme de prudence d'origine législative puisqu'il n'a pas « ten[u] compte de ce qui se pass[ait] dans l'entreprise et de ce qu'il sa[vait] des personnes chargées des activités quotidiennes de la société » (précité, à la page 930, le juge Rip, C.C.I.).

[...]

Il est important de noter que la question de savoir si une société a de graves difficultés financières, de nature à révéler un problème avec les versements, ne peut pas être tranchée simplement en fonction du fait que le résultat indiqué sur le bilan mensuel est négatif. À titre d'exemple, de nombreuses entreprises ont une ligne de crédit pour faire face aux fluctuations fiscales. C'est au juge de la Cour de l'impôt qu'il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d'après les renseignements ou les documents financiers que possédait l'administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu'il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l'administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu'elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier.

Si j'applique l'analyse du droit que je viens de faire aux faits de l'espèce, j'arrive à la conclusion que le contribuable était dans l'obligation expresse d'agir et que cette obligation est apparue, au plus tard, en novembre 1987 lorsqu'il a reçu le bilan de RBI qui révélait que la société éprouvait ce que le juge de la Cour de l'impôt a appelé, en fait, des difficultés financières « extrêmement graves » (Dossier d'appel, à la page 43). Vu cette conclusion du juge de la Cour de l'impôt et vu la vaste expérience du contribuable dans le domaine des affaires, le bilan du mois de novembre 1987 aurait dû éveiller l'attention de ce dernier sur l'existence d'un éventuel problème avec les versements. C'est d'autant plus vrai que rien ne portait à croire que les difficultés financières de RBI étaient de nature purement temporaire. Dans les circonstances, toutefois, le contribuable ne s'est pas renseigné sur le versement des sommes retenues sur la rémunération des employés.

[20]     Compte tenu de ces critères, la preuve est que l'appelant était un administrateur externe. En tant qu'administrateur externe, l'appelant est clairement devenu au courant que la Channel One avait de sérieuses difficultés financières le 30 janvier 1995, lorsqu'il a reçu la pièce R-4, soit la lettre que Revenu Canada lui adressait. Cette lettre l'avisait que la Channel One avait omis de verser 11 509,58 $ et que, en tant qu'administrateur, il était personnellement responsable du paiement de cette somme. Les mesures qu'il a prises par la suite se sont limitées à rencontrer son fils Grant et à se fier aux assurances que celui-ci lui donnait. Tel a été le cas bien qu'il ait su que Grant avait déjà toléré un arriéré de versements dans le cas de la Target. Le fait que l'appelant dise qu'il n'a été mis au courant des obligations qu'il avait aux termes de l'article 227.1 que lorsqu'il a rencontré les avocats le 30 mai 1995 n'est pas crédible vu les déclarations explicites figurant dans la pièce R-4. De même, ses protestations et celles de Grant quant à son ignorance en matière de comptabilité manquent de crédibilité dans la mesure où elles se rapportent à l'obligation d'une société de verser des retenues à la source. Un employeur ou un employé est au courant de cette obligation d'un employeur. Cette obligation fait partie de n'importe quelle petite entreprise. L'appelant était bien au courant de cette obligation lorsque la Target a pris du retard dans ses versements. Il l'était encore lorsqu'il a reçu la pièce R-4.

[21]     L'obligation qu'un administrateur a aux termes du paragraphe 227.1(3) est d'agir pour prévenir le manquement. Dans le cas de la Channel One, le manquement en cause entrait dans la sphère de responsabilité de Grant, qui avait déjà manqué à cette obligation en ce qui concerne la Target, et l'appelant le savait. C'est la principale raison pour laquelle le simple fait que l'appelant ait parlé à Grant, qu'il lui ait remis une liste, qu'il lui ait fait des rappels ou qu'il ait vérifié auprès de lui ne satisfait pas à l'obligation que l'appelant avait dans ce cas en tant qu'administrateur. L'appelant savait que Grant avait déjà été négligent dans ces mêmes tâches relativement à la Target. Grant faisait partie du problème, et l'appelant le savait le 30 janvier 1995.

[22]     En tant qu'administrateur externe, l'appelant a commencé à manquer à ses obligations le 30 janvier 1995. À cette date-là, il était au courant du problème de versements et a téléphoné à Grant. Ce n'était pas suffisant. Avec sa connaissance de Grant, son expérience des affaires et sa connaissance des manquements de la Channel One à cette date-là, un degré de soin, de diligence et d'habileté approprié aurait exigé qu'il fasse plus que simplement parler à Grant et lui remettre une liste, puis compter sur Grant pour régler le problème et prévenir d'autres manquements de la Channel One.

[23]     Pour ces motifs, la Cour conclut que, pour la période commençant le 30 janvier 1995, l'appelant est responsable du paiement des sommes non versées par la Channel One.

[24]     Les actes de procédure n'indiquent pas clairement si les sommes fixées dans la cotisation en janvier 1995 s'appliquaient à une période commençant le 30 janvier 1995 ou après ou s'il s'agissait de sommes que devait la Channel One avant cette date. Pour cette raison, le greffier communiquera avec les parties concernant une conférence téléphonique devant avoir lieu d'ici 30 jours, afin qu'elles puissent présenter des détails par affidavit relativement aux montants et aux dates d'exigibilité des versements et qu'elles puissent faire valoir des arguments aux fins du jugement définitif dans la présente affaire.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 1999.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.