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1999-2841(EI)

ENTRE :

IMMEUBLES JEAN LACAILLE INC.

o/s DAN'S PIZZERIA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 8 novembre 2000 à Sherbrooke (Québec), par

l'honorable juge suppléant J.F. Somers

Comparutions

Avocat de l'appelante :     Me Richard Arcand

Avocat de l'intimé :          Me Vlad Zolia

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa (Canada), ce 20e jour de novembre 2000.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.


Date: 20001120

Dossier: 1999-2841(EI)

ENTRE :

IMMEUBLES JEAN LACAILLE INC.

o/s DAN'S PIZZERIA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1]      Cet appel a été entendu à Sherbrooke (Québec), le 8 novembre 2000.

[2]      Par avis de cotisation daté du 30 septembre 1998, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) cotisa l'appelante, relativement aux années 1997 et 1998, pour des cotisations ouvrières et patronales impayées d'assurance-emploi à l'égard de 26 employés (les « travailleurs » ) et pour les intérêts s'y rapportant. La cotisation s'établissait comme suit :

pour l'année 1997

assurance-emploi

=

7 619,11 $

pénalité

=

      00,00 $

intérêts

=

    482,92 $

pour l'année 1998

assurance-emploi

=

4 849,92 $

pénalité

=

      00,00 $

intérêts

=

    150,23 $

pour un total de

13 102,18 $

[3]      Le Ministre, en date du 20 avril 1999, informa l'appelante qu'il avait été déterminé de confirmer les cotisations pour la raison que les travailleurs occupaient des emplois assurables car il existait une relation employeur-employé entre elle et les travailleurs.

[4]      Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit en partie comme suit :

            5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)     un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[5]      Le fardeau de la preuve incombe à l'appelante. Cette dernière se doit d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[6]      Le Ministre s'est fondé, pour rendre sa décision, sur les faits suivants lesquels ont été admis ou niés :

« a)        l'appelante faisait affaires sous la raison sociale Dan's Pizzeria; (admis)

b)          l'appelante exploitait une entreprise dans le domaine de la restauration; (admis)

c)          l'appelante offrait un service de livraison à domicile; (admis)

d)                   l'appelante embauchait des livreurs; (nié)

e)                   les livreurs étaient contrôlés par l'appelante; (nié)

f)                     l'appelante établissait les horaires de travail des livreurs; (nié)

g)                   les livreurs devaient respecter l'horaire et se présenter à l'heure fixée par le gérant; (nié)

h)                   les livreurs devaient informer le gérant de l'appelante s'ils devaient s'absenter et motiver leur absence; (nié)

i)                     le gérant de l'appelante répartissait le travail entre les livreurs; (nié)

j)                     les livreurs effectuaient des livraisons à tour de rôle; (admis)

k)                   les livreurs devaient revenir au restaurant entre les livraisons; (nié)

l)                     les livreurs ne pouvaient pas s'absenter pendant leur quart de travail; (nié)

m)                 les livreurs devaient obéir aux directives du gérant de l'appelante pendant toute la période de leur quart; (nié)

n)                   entre les livraisons, les livreurs devaient effectuer des tâches pour l'appelante comme remplir les réfrigérateurs de boissons gazeuses, monter des boîtes de carton pour la livraison et sortir les poubelles du restaurant; (nié)

o)                   les livreurs ne pouvaient pas refuser d'effectuer une livraison; (nié)

p)                   les livreurs utilisaient leur propre véhicule pour effectuer les livraisons; (admis)

q)                   la rémunération des livreurs était déterminée uniquement par l'appelante; (nié)

r)                    les livreurs recevaient 1,80 $ pour une livraison à Sherbrooke et 2,50 $ pour une livraison à Rock Forest et 5,00 $ pour une livraison dont la facture dépassait 100,00 $. » (admis)

[7]      L'appelante faisait affaires sous le nom de Dan's Pizzeria, exploitant une entreprise dans le domaine de la restauration en plus d'offrir un service de livraison à domicile, l'appelante pouvait accommoder 350 personnes dans une salle à dîner située dans l'immeuble du commerce. Les revenus des ventes par livraison s'élèvent à 618 400,90 $ pour les mois d'août 1999 à juillet 2000. Ces chiffres, selon Jean Lacaille, se comparent aux chiffres d'affaires pour les périodes en cause. Ces revenus sont à 25 % de la totalité des revenus. L'appelante exploite, d'après la preuve, une entreprise assez florissante.

[8]      Pour offrir à sa clientèle ce service de livraison à domicile, l'appelante devait faire appel à un certain nombre de livreurs. Le recrutement des livreurs se faisait par une annonce dans un journal. Monsieur Yvan Poulin, employé de l'entreprise, gérait ce service à la clientèle. Yvan Poulin, à titre de répartiteur, établissait l'horaire de travail des livreurs. L'ancienneté avait une influence sur le choix des livreurs, surtout pendant la période d'achalandage où il devait y avoir trois ou quatre livreurs. Cependant, cette méthode n'était pas de rigueur.

[9]      Les livreurs pouvaient se remplacer sans l'assentiment du répartiteur. À l'occasion, un ami d'un livreur pouvait le remplacer. De plus, un livreur pouvait avoir un ami pour l'aider, mais sans frais pour l'appelante. Les livreurs pouvaient laisser le travail sans avertir le répartiteur. Par contre, les livreurs décidaient entre eux lesquels restaient à la disposition de l'appelante, selon le besoin. Les livreurs devaient s'assurer que le service de livraison à domicile était bien couvert. L'achalandage déterminait le nombre de livreurs qui devaient rester sur place. La répartition des tâches était flexible à condition qu'un certain nombre de livreurs soient disponibles. Un livreur a témoigné que le répartiteur lui téléphonait et lui disait : « c'est à ton tour » . Si le livreur ne pouvait pas y aller, il avait l'obligation de se faire remplacer. Ce livreur affirme qu'il avait l'obligation de livrer la pizza dans un certain délai. Il y avait, selon lui, sept ou huit livreurs qui travaillaient à temps plein, de 30 à 50 heures par semaine; au total, il pouvait y avoir environ quinze livreurs.

[10]     Le répartiteur dit qu'il choisissait les livreurs selon l'ancienneté ou l'efficacité. Le répartiteur rompait ses relations contractuelles avec les livreurs s'ils n'étaient pas efficaces. Les livreurs pouvaient travailler pour un autre compétiteur à condition qu'ils soient disponibles pour l'appelante.

[11]     Les livreurs recevaient 1,80 $ pour une livraison à Sherbrooke, 2,50 $ pour une livraison à Rock Forest et 3,00 $ pour une livraison dont la facture dépassait 100,00 $. Les livreurs effectuaient, à l'occasion et à leur choix, d'autres tâches pour l'appelante. Le livreur fournissait, à ses frais, son véhicule pour les livraisons. S'il ne pouvait se rendre au travail à cause d'un bris du véhicule, il n'était pas payé. Si un livreur s'absentait trop souvent, le répartiteur se questionnait. Les livreurs n'avaient pas de vacances. Cependant, dans le passé, l'appelante a donné des vacances à environ dix livreurs, et ce, à la demande de l'union.

[12]     Le procureur de l'appelante a soumis à cette Cour une jurisprudence et doctrine qui s'inspire fondamentalement de la décision City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161. Cette Cour s'inspire d'une décision plus récente dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 de la Cour d'appel fédérale. Cette décision relie les énoncés de principes de la décision City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd.

[13]     Dans la cause Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Pétroles Veltra (1979) ltée, [1991] R.D.F.Q. 1 (rés.), [1991] R.L. 489 (C.A.), J.E. 91-595, D.F.Q.E. 91F-16, le juge Vallerand dit ceci :

« [...]

Employé ou travailleur autonome, ouvrier ou entrepreneur, préposé ou pas, les différences n'ont pas fini de faire couler l'encre judiciaire! D'autant plus qu'elles varient souvent au gré des lois auxquelles les notions s'appliquent.

[...] »

[14]     Un principe que l'on doit retenir afin de distinguer le contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise est d'examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties. Une jurisprudence constante reconnaît quatre éléments de base pour distinguer un contrat de louage de services d'un contrat d'entreprise :

1.                  Le degré ou l'absence de contrôle exercé par l'employeur;

2.                  La propriété des outils nécessaires au travail;

3.                  Les chances de profit ou les risques de perte;

4.                  Le degré d'intégration du travail de l'employé à l'entreprise de l'employeur.

Le degré ou l'absence de contrôle exercé par l'employeur

[15]     Le degré de contrôle peut varier selon le cas d'espèce. Dans cet appel, l'appelante, par l'entremise du répartiteur, recrute les travailleurs par une annonce. Ce répartiteur choisit ou retient les services d'un travailleur selon la disponibilité ou l'efficacité de celui-ci. Si le livreur n'est pas efficace, il est remercié de ses services. Le répartiteur s'assure d'avoir à sa disposition trois ou quatre livreurs à la fois et selon les besoins. Il choisit les livreurs selon leur l'ancienneté et leur efficacité : son expression quand il appelle le livreur « c'est à ton tour » . Même si les livreurs peuvent se remplacer entre eux sans l'intervention du répartiteur, ils doivent s'assurer que quelqu'un soit sur place pour faire la livraison. Il faut reconnaître que les conditions de travail sont flexibles. La jurisprudence parle du degré ou l'absence de contrôle. On ne peut conclure qu'il y a une absence de contrôle. Le répartiteur a un degré de contrôle sur les livreurs et ceux-ci doivent être disponibles à l'établissement pour les besoins de l'appelante.

La propriété des outils nécessaires au travail

[16]     Le livreur fournit son véhicule et paie pour l'entretien de celui-ci. Les montants payés aux livreurs et établis par l'appelante pour faire ces livraisons doivent couvrir les coûts d'opération du véhicule. Bien que la preuve soit muette sur ce fait, il est normal que les coûts d'opération du véhicule soient inclus dans les montants payés. Cet élément de base n'est pas un élément déterminant pour faire la distinction entre un contrat de louage de services et un contrat d'entreprise.

Les chances de profit ou les risques de perte;

[17]     Les livreurs n'ont fait aucun investissement pour faire ce travail, sauf le prix d'achat et l'entretien d'un véhicule. Les risques de perte étaient minimes et cela ne dépendait que de l'état du véhicule. Donc, il n'y a pas de chances de profit ou risques de perte.

Le degré d'intégration du travail de l'employé à l'entreprise de l'employeur.

[18]     Le travail des livreurs faisait partie de l'exploitation de l'entreprise de l'appelante. La livraison à domicile représentait une part importante du chiffre d'affaires du restaurant, soit environ 600 000 $ par année, ce qui équivaux à 25 % du montant global des revenus. Ce pourcentage représente plus qu'un simple revenu supplémentaire. Cette partie du service était plus qu'un accessoire à l'entreprise de l'appelante. La clientèle était celle de l'appelante et non des livreurs. Les livreurs étaient disponibles à tour de rôle à l'établissement de l'appelante. Le travail des livreurs était essentiel aux opérations du service de livraison à domicile. Si ce n'était de la participation des livreurs, l'appelante ne pourrait pas offrir ce service de livraison à domicile puisque les travailleurs faisaient partie intégrante des opérations de l'entreprise de l'appelante.

[19]     C'est l'ensemble des divers éléments qu'il faut retenir pour conclure qu'il y avait une relation employeur-employé entre l'appelante et les travailleurs.

[20]     L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa (Canada), ce 20e jour de novembre 2000.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.

Jurisprudence citée par l'appelante :

·         Khan c. Québec (Sous-ministre du Revenu), C.Q. Montréal 500-02-056209-971 et 500-02-077664-998, 2000-07-10, AZ-50078244, D.F.Q.E. 2000F-60, juge Armando Aznar

·         Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Pétroles Veltra (1979) ltée, [1991] R.D.F.Q. 1 (rés.), [1991] R.L. 489 (C.A.), J.E. 91-595, D.F.Q.E. 91F-16

Jurisprudence citée par l'intimé :

·         872538 Ontario Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1993] A.C.I. no 46

·         872538 Ontario Inc. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1994] F.C.J. no 235

·         Cerasoli (Lugi's Pizza) c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.I. no 858

·         City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161.

·         Family Pizza Inc. c. Canada, [1997] A.C.I. no 123

·         Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553


No DU DOSSIER DE LA COUR :       1999-2841(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Immeubles Jean Lacaille Inc. o/s Dan's Pizzeria

et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 8 novembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge suppléant J.F. Somers

DATE DU JUGEMENT :                    le 20 novembre 2000

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :               Me Richard Arcand

Avocate de l'intimé :                  Me Vlad Zolia

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                   Nom :           Me Richard Arcand

                   Étude :                   Vaillancourt Guertin

                                                Sherbrooke (Québec)

Pour l'intimé :                            Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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