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2001-1570(IT)G

ENTRE :

CALCE HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu les 9 et 10 septembre 2004 à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable Brent Paris

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Mes Louis-Frédérick Côté et Josée Massicotte

Avocat de l'intimée :

Me Bernard Fontaine

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté avec dépens selon les motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juin 2005.

"B. Paris"

Juge Paris


Référence : 2005CCI335

Date : 20050609

Dossier : 2001-1570(IT)G

ENTRE :

CALCE HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]    L'appelante est une société de portefeuille privée appartenant à Lorenzo Calce. En 1994, elle a acquis du fils de Lorenzo, John Calce, certaines actions (les « actions » ) de 159506 Canada Inc. Pendant son année d'imposition qui a pris fin le 31 mai 1997, l'appelante a disposé des actions. Elle affirme avoir disposé des actions en faveur d'un tiers sans lien de dépendance pour un produit de disposition correspondant à leur prix de base rajusté, de sorte qu'aucun gain n'a été tiré de la vente des actions.

[2]    Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante en se fondant sur le fait qu'au lieu de vendre les actions à un tiers, l'appelante avait revendu les actions à John Calce le 19 décembre 1996 pour le montant qu'elle lui avait initialement versé - 238 000 $ - et que John Calce avait immédiatement disposé des actions en faveur du tiers à leur juste valeur marchande de 400 000 $. Selon le sous-alinéa 69(1)b)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), la personne qui a disposé d'un bien en faveur d'une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ce bien est réputée avoir reçu une contrepartie égale à cette juste valeur marchande. Le ministre a donc établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante compte tenu du fait que le produit réputé s'élevait à 400 000 $ et qu'un gain en capital de 162 000 $ avait donc été tiré de la disposition des actions.

[3]    L'appelante admet avoir conclu avec John Calce, le 19 décembre 1996, une entente qui semble à première vue se rapporter à la vente des actions en faveur de celui-ci moyennant une contrepartie s'élevant à 238 000 $, mais elle affirme que le document était une simulation ou un trompe-l'oeil, et que ni l'une ni l'autre partie ne voulait que John devienne propriétaire des actions. L'appelante affirme que le document a été créé afin de permettre à John Calce d'agir à titre de personne interposée pour son compte, dans le cadre de la vente subséquente des actions au tiers; elle déclare ne pas avoir disposé des actions en faveur de John Calce, et soutient que le sous-alinéa 69(1)b) de la Loi ne s'applique pas eu égard aux circonstances.

[4]    Les parties ne sont pas non plus d'accord pour ce qui est du prix de base rajusté des actions de l'appelante. En effet, l'appelante fait valoir que la vente des actions qu'elle a conclue avec le tiers a entraîné une augmentation du prix qu'elle était tenue de payer à John Calce pour les actions, avec effet rétroactif à l'année 1994, année au cours de laquelle John Calce lui avait vendu les actions. L'intimée fait valoir de son côté qu'aucune entente de rajustement du prix n'a été conclue entre l'appelante et John Calce au moment où l'appelante a acquis les actions et que toute entente de ce genre a été conclue après la vente et ne faisait pas partie de la contrepartie à verser dans le cadre de la vente.

Points litigieux

[5]    Dans cet appel, les questions en litige sont donc les suivantes :

i) Le prétendu transfert des actions que l'appelante a effectué en faveur de John Calce, le 19 décembre 1996, était-il une simulation, de sorte que la propriété des actions n'a pas été transférée à John Calce?

ii) S'il est conclu que le transfert est une simulation et que l'appelante a de fait disposé des actions en faveur d'un tiers, la vente conclue avec le tiers a-t-elle entraîné un rajustement du prix de ces actions pour l'appelante, par suite d'une entente de rajustement du prix que celle-ci aurait conclue avec John Calce au moment où elle avait acheté les actions?

La preuve

[6]    L'appelante a appelé trois témoins : Lorenzo Calce, John Calce et Harvey Sands, qui était le comptable de Lorenzo Calce depuis 1981 et qui a joué un rôle dans les opérations dont il est ici question.

[7]    Selon la preuve, 159506 était une société constituée par Lorenzo Calce, qui exploitait, à Montréal, une entreprise de transport par autobus appelée « Autocar Connaisseur » . Lorenzo et ses deux fils, Roberto et John, travaillaient pour l'entreprise. Lorenzo était l'unique actionnaire de 159506 jusqu'en 1987, lorsqu'il a vendu 10 p. 100 des actions à chacun de ses fils, en reconnaissance de leur contribution au succès de l'entreprise et en vue de les inciter à poursuivre le bon travail qu'ils faisaient.

[8]    En 1994, John Calce était séparé de sa femme; il éprouvait des difficultés financières. En effet, son ex-épouse avait demandé une augmentation de la pension alimentaire et menaçait de s'en prendre à sa participation dans 159506 ou à la société elle-même. Lorenzo s'inquiétait de ce que ces difficultés puissent causer des problèmes à 159506; ses conseillers lui ont recommandé de racheter les actions de John, de façon que John soit en mesure de rembourser ses dettes et que son ex-épouse ne puisse pas s'immiscer dans la société.

[9]    Au lieu de racheter les actions personnellement, Lorenzo a fait en sorte que l'appelante les achète. L'appelante et John Calce ont conclu une entente datée du 1er février 1994, intitulée [TRADUCTION] « Entente de rétrocession » . Selon l'entente, la contrepartie versée par l'appelante à l'égard des actions s'élevait à 238 000 $.

[10]Les parties ont admis que l'appelante avait versé une somme de 238 000 $ pour les actions à ce moment-là.

[11]Harvey Sands, qui était depuis longtemps le comptable de Lorenzo Calce, a donné des conseils à celui-ci au sujet de cette vente; il a aidé à organiser l'opération, mais l'entente de rétrocession elle-même a été rédigée par les avocats de Lorenzo.

[12]M. Sands a témoigné que John et Lorenzo avaient convenu du prix de vente de 238 000 $ pour les actions. Il a déclaré croire que ce montant représentait la juste valeur marchande des actions. Toutefois, il a également dit que lors des discussions qui avaient abouti à la conclusion de l'entente, John n'était pas [TRADUCTION] « à l'aise ou heureux pour ce qui est du montant qui était considéré comme représentant la juste valeur marchande des actions » . M. Sands a donc recommandé aux deux parties de conclure ce qu'il a appelé une [TRADUCTION] « entente anti-achat-revente » (anti-flip), qu'il a décrite comme une entente permettant aux parties de rajuster le prix d'achat des actions s'il était établi, dans une période donnée postérieure à la vente, que le prix de vente ne reflétait pas la valeur réelle des actions. M. Sands a dit qu'avant la signature de l'entente de rétrocession, il y avait eu entre Lorenzo et John une entente ferme : si, dans les cinq années suivantes, les actions étaient vendues à un prix supérieur à 238 000 $, John toucherait la somme excédentaire.

[13]Pendant le contre-interrogatoire, M. Sands a déclaré que l'entente anti-achat-revente n'avait pas été incorporée dans l'entente de rétrocession parce que le problème s'était uniquement posé au moment de la signature des documents et que l'on n'avait pas le temps de rédiger de nouveau l'entente. M. Sands a également déclaré qu'il n'aurait pas quitté la réunion au cours de laquelle l'entente de rétrocession avait été signée sans qu'une entente précise soit conclue au sujet de l'arrangement anti-rétrocession.

[14]Lorenzo Calce a témoigné que John Calce hésitait à vendre les actions à l'appelante en 1994, mais qu'il estimait être obligé de le faire à cause de ses problèmes personnels et des difficultés financières qu'il éprouvait. Lorenzo a affirmé qu'il voulait se montrer juste envers John et lui accorder la juste valeur de ses actions. Il a déclaré avoir promis à John qu'il serait encore traité de la même façon que son frère Roberto si les actions étaient vendues par la suite. Il a dit que, quant à lui, John continuait à posséder les actions après 1994 et que rien n'avait changé pour celui-ci. John a continué à travailler pour l'entreprise d'une façon aussi assidue qu'auparavant et il faisait [TRADUCTION] « toujours partie de l'entreprise » . Lorenzo a déclaré qu'il était obligé, en tant que père, de ne pas donner plus à un fils qu'à l'autre et il a affirmé qu'il était prêt à donner autant à John qu'à Roberto parce que John travaillait pour l'entreprise. Lorenzo a ajouté qu'il avait convenu de remettre à John la différence entre la contrepartie que l'appelante avait versée et celle qu'elle devait recevoir de Coach Canada à l'égard des actions, parce que John était son fils.

[15]Lorenzo a affirmé ne pas comprendre l'entente anti-rétrocession et s'en être remis aux experts en la matière. Il a admis que c'était peut-être après la conclusion de la vente qu'il a d'abord été question de l'arrangement concernant l'augmentation du prix de vente que l'appelante avait payé à John Calce pour les actions, et a dit ne pas se rappeler à quel moment les parties avaient décidé de la période de cinq ans mentionnée dans l'entente.

[16]John Calce a témoigné avoir vendu les actions à l'appelante en 1994, de façon que sa famille ne soit pas impliquée dans son divorce. Il a dit que son père avait convenu de le traiter comme son frère, et que si les actions valaient plus par la suite, il recevrait la même somme que son frère. Il a affirmé que, si l'entente anti-achat-revente n'avait été consignée par écrit qu'en 1996, ce n'était pas dans le but de la cacher à son ex-épouse. Il ne savait pas trop à quel moment on avait décidé de la période de cinq ans en ce qui concerne l'entente anti-achat-revente, mais il a déclaré qu'il en avait [TRADUCTION] « été question en 1994 » . Pendant le contre-interrogatoire, John Calce a affirmé que la seule chose qu'il se rappelait au sujet de l'entente, c'était que si les actions étaient vendues dans l'avenir, il obtiendrait la même somme que son frère.

[17]Le document constatant ce qu'on appelle l'arrangement anti-achat-revente n'a été rédigé qu'à la fin de l'année 1996.

[18]À ce moment-là, on négociait la vente de la totalité des actions de 159506 en faveur de 3329003 Canada Inc. ( « Coach Canada » ) moyennant une contrepartie de 4 millions de dollars. Il n'y avait aucun lien de dépendance entre Coach Canada et l'appelante. Selon M. Sands, lorsque les négociations achevaient, les avocats de Coach Canada ont remarqué que 159506 n'avait pas mis à jour les documents qu'elle devait présenter à la Commission des transports du Québec en ce qui concerne le transfert des actions de John Calce en faveur de l'appelante qui s'était fait en 1994. Étant donné que la vente devait être approuvée par la Commission, l'acheteur avait demandé que les documents nécessaires soient déposés. M. Sands a déclaré qu'il avait été décidé pour le compte de l'appelante qu'au lieu de mettre à jour les documents présentés à la Commission, l'appelante mettrait de nouveau ses actions au nom de John, celui-ci devant les livrer à l'acheteur pour son compte. Les documents de vente dans lesquels le nom de John figurait à titre de vendeur seraient ainsi conformes aux registres de la Commission. Le témoin a affirmé que John Calce avait accepté d'agir comme personne interposée, à condition que l'entente anti-achat-revente qui avait été conclue en 1994 soit consignée par écrit. Un protocole d'entente qu'on a daté « du 1er février 1994 » et qui constatait l'entente anti-achat-revente a été rédigé et signé par les parties à ce moment-là.

[19]Une autre entente [TRADUCTION] « entente relative au nouveau transfert » , par laquelle l'appelante transférait les actions à John Calce, a été signée le 19 décembre 1996. M. Sands a déclaré que la conclusion de l'entente relative au nouveau transfert était soumise à la condition que John Calce accepte simplement que l'appelante lui livre les actions, John Calce s'engageant de son côté à les livrer à l'acheteur pour le compte de cette dernière.

[20]L'entente relative au nouveau transfert contenait les clauses ci-après énoncées :

[TRADUCTION]

1.1            Par les présentes, HOLDINGS vend, transfère et cède à JOHN 100 actions de la catégorie A du capital-actions de la SOCIÉTÉ (les « ACTIONS TRANSFÉRÉES DE NOUVEAU » ).

1.2            Le prix d'achat (le « PRIX D'ACHAT » ) des ACTIONS TRANSFÉRÉES DE NOUVEAU est de DEUX CENT TRENTE-HUIT MILLE DOLLARS (238 000 $), JOHN devant payer cette somme à l'aide du produit de la vente à COACH CANADA des ACTIONS TRANSFÉRÉES DE NOUVEAU.

1.3            Dans le cas où HOLDINGS ou Lorenzo Calce ( « LORENZO » ) ferait l'objet d'une cotisation, de la part d'une administration fiscale ayant compétence, à l'égard de la vente des ACTIONS TRANSFÉRÉES DE NOUVEAU qu'il aura conclue avec COACH CANADA, à l'exclusion de la part qu'il doit payer à HOLDINGS, tel qu'il en est ci-dessus fait mention au sous-alinéa 1.2, JOHN indemnisera HOLDINGS et LORENZO des impôts, intérêts ou pénalités payables en conséquence.

[21]En ce qui concerne les opérations conclues en 1996, John Calce a affirmé avoir servi de prête-nom pour la vente des actions en faveur de Coach Canada parce que, dans les registres de la Commission des transports du Québec, son nom figurait encore comme actionnaire de 159506. Il a déclaré avoir été obligé de signer les documents pour que [TRADUCTION] « l'opération semble bien marcher » et avoir conclu l'entente relative au nouveau transfert avec l'appelante le 19 décembre 1996 de façon qu'il puisse signer les documents relatifs à la vente en faveur de Coach Canada.

[22]Sur le contrat de vente de la totalité des actions de 159506 en faveur de Coach Canada, le nom de John Calce figurait à titre de vendeur, avec ceux de Lorenzo et de Roberto Calce.

[23]John Calce a déclaré que lorsqu'on lui avait demandé de transférer les actions à Coach Canada pour le compte de l'appelante, il avait rappelé la promesse que son père lui avait faite en 1994 et il avait demandé qu'un document soit rédigé, de façon qu'il obtienne le même montant que son frère. Il ne se rappelait rien d'autre au sujet de la vente des actions de 159506 en faveur de Coach Canada.

[24]La preuve montrait également que juste avant que Coach Canada achète toutes ses actions, 159506 avait déclaré un dividende de 250 000 $. John Calce a reçu une somme de 25 000 $ au titre de ce dividende et il a fait l'objet d'une nouvelle cotisation par laquelle cette somme était ajoutée à son revenu.

[25]Dans l'avis d'opposition à la nouvelle cotisation que l'appelante a déposé, les remarques suivantes sont faites au sujet de ce dividende :

[TRADUCTION]

Exposé des faits pertinents

3.             En 1997, 159506 a été vendue à un tiers moyennant une contrepartie de 4 250 000 $ (y compris un montant de 250 000 $ payable au titre du dividende aux actionnaires vendeurs immédiatement avant le transfert des actions). Une fois versé ledit dividende la participation de 10 p. 100 qu'avait la contribuable dans la société valait donc 400 000 $.

Motifs sous-tendant l'opposition

12.     De plus, en tant que partie intégrante du produit de la vente, le dividende susmentionné a été versé par 159506 immédiatement avant la vente. L'Agence des douanes et du revenu du Canada a donc établi à l'égard de John Calce une cotisation correspondant à 10 p. 100 du montant du dividende, ce qui confirme encore une fois que, par suite de la disposition concernant le rajustement du prix contenue dans l'entente anti-rétrocession, tout le produit de la vente était payable à John Calce, qui était en fait l'actionnaire vendeur bénéficiaire.                                                             (Je souligne)

[26]Un extrait du registre des actions de 159506 indiquant un transfert des actions de l'appelante effectué en faveur de John Calce le 19 décembre 1996 a également été produit en preuve.

Position des parties

[27]L'appelante prend la position selon laquelle le transfert des actions qu'elle a effectué en faveur de John Calce le 19 décembre 1996 ne constituait pas une disposition pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle affirme que les actions ont été mises au nom de John Calce en vue de permettre à celui-ci d'agir comme prête-nom ou personne interposée, aux fins de la vente, pour elle, des actions en faveur de Coach Canada. L'appelante déclare qu'elle était donc le véritable vendeur des actions en faveur de Coach Canada et qu'elle a reçu de Coach Canada le produit de la vente, soit 400 000 $.

[28]L'appelante allègue également que lorsque John Calce a initialement disposé des actions en sa faveur en 1994, les parties ont convenu que si elle disposait des actions dans les cinq années suivantes à un prix supérieur à 238 000 $, le montant excédentaire serait versé à John Calce. L'appelante affirme qu'à la suite de la vente conclue avec Coach Canada, elle s'est vue obligée de verser à John Calce une contrepartie additionnelle de 162 000 $ à l'égard des actions qu'elle avait achetées à celui-ci en 1994, ce qui avait eu pour effet d'augmenter son prix de base rajusté, qui était passé de 238 000 $ à 400 000 $. L'appelante fait valoir qu'étant donné que ce prix de base rajusté plus élevé était égal au produit de la vente qu'elle avait reçu de Coach Canada, elle n'a pas tiré de gain en capital de cette vente.

[29]L'intimée prend la position selon laquelle le transfert des actions entre l'appelante et John Calce, le 19 décembre 1996, constituait une disposition pour l'application de la Loi, et selon laquelle cette disposition a été effectuée au prix de 238 000 $, et ce, même si la juste valeur marchande des actions à ce moment-là était de 400 000 $.

[30]L'intimée se fonde sur l'alinéa 69(1)b) de la Loi, dont les parties pertinentes sont ainsi rédigées :

69. (1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi :

[...]

b)       le contribuable qui a disposé d'un bien en faveur :

(i)       soit d'une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance sans contrepartie ou moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de la disposition,

[...]

est réputé avoir reçu par suite de la disposition une contrepartie égale à cette juste valeur marchande; [...]

[31]L'intimée affirme que l'appelante est donc réputée avoir reçu une contrepartie de 400 000 $ par suite de la disposition des actions en faveur de John Calce, le 19 décembre 1996.

[32]L'intimée nie que l'entente anti-achat-revente ait fait partie de la contrepartie afférente à la vente des actions et déclare que le prix de base rajusté des actions pour l'appelante était de 238 000 $.

Analyse

[33]Le gain en capital, s'il en est, tiré par l'appelante de la disposition des actions en 1996 est la différence entre la contrepartie que celle-ci a reçue par suite de la disposition et la somme de son prix de base rajusté et des dépenses liées à la disposition. Le mot « disposition » est défini à l'article 248 de la Loi comme comprenant tout événement donnant droit au contribuable à un « produit de disposition » , expression qui est définie à l'article 54 de la Loi comme comprenant le prix de vente d'un bien. On obtient le prix de base rajusté d'un bien (autre qu'un bien amortissable) en tenant compte du coût initial pour le contribuable (c'est-à-dire le prix que celui-ci a payé pour acquérir le bien) et de tout rajustement requis en vertu de l'article 53 de la Loi.

[34]Il s'agit de savoir si l'appelante a disposé des actions en faveur de John Calce ou bien de Coach Canada, et si le prix de base rajusté de ces actions pour l'appelante était de 238 000 $ ou de 400 000 $. (Il semble qu'il n'ait pas été nécessaire de rajuster le coût initial pour l'appelante en vertu de l'article 53 de la Loi et, par conséquent, ce coût et le prix de base rajusté étaient les mêmes.)

1. Disposition des actions

[35]En établissant la nouvelle cotisation de l'appelante, le ministre a supposé que John Calce n'était pas une personne interposée ou un mandataire de l'appelante lorsqu'il a acquis les actions en question en 1996 et qu'il les a revendues peu de temps après. Par conséquent, afin d'avoir gain de cause dans cet appel, il incombe à l'appelante de prouver que la vente apparente d'actions qu'elle a conclue avec John Calce le 19 décembre 1996 était une simulation et que l'entente prévoyait en fait qu'elle conserverait la propriété des actions et que John Calce agirait à titre de personne interposée pour son compte à l'égard de la vente des actions en faveur de Coach Canada.

[36]L'article 1451 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (C.c.Q.), qui est rédigé comme suit, traite des contrats simulés :

                Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.

                Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.

[37]Il a déjà été statué que le contrat secret mentionné à l'article 1451 du C.c.Q. n'a pas à être consigné par écrit (voir Gilbert v. Lefaivre (1927), 43 B.R. 557, à la page 559).

[38]Dans la décision Bolduc v. The Queen, 2003 DTC 221, le juge Archambault a parlé des deux éléments - l'élément matériel et l'élément intentionnel - qui doivent être présents pour qu'il soit possible de démontrer une simulation. Ces éléments ont été décrits comme suit par le professeur Royer dans l'ouvrage intitulé La preuve civile, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1995, au no 1568 :

                L'élément matériel consiste dans l'existence de deux actes distincts, soit l'acte apparent qui renferme ce que les parties veulent faire croire aux tiers et l'acte secret qui exprime l'accord véritable. Si ce dernier est écrit, on le désigne sous le nom de contre-lettre.

                L'élément intentionnel consiste dans la volonté de tromper les tiers sur l'existence ou le contenu d'une convention.

[39]L'existence de simulation dépend donc de l'intention commune des parties, de leur intention selon laquelle leurs droits et obligations sont différents de ceux qui sont stipulés dans l'entente écrite qu'elles ont conclue. Pour connaître l'intention véritable, il faut tenir compte des déclarations et des actions des parties ainsi que de l'ensemble des circonstances en tant que manifestations objectives de cette intention.

[40]En l'espèce, l'appelante allègue avoir conclu avec John Calce un contrat verbal secret en vertu duquel celui-ci devait agir comme personne interposée pour son compte aux fins de la vente des actions en faveur de Coach Canada, l'entente relative au nouveau transfert n'ayant aucun effet entre les parties à celle-ci.

[41]J'ai examiné l'ensemble de la preuve, et en particulier celle qui a trait aux actions des parties et aux circonstances, et je conclus que l'appelante n'a pas réussi à établir qu'elle avait l'intention de passer avec John Calce un contrat secret au sujet de la propriété des actions et de leur disposition en faveur de Coach Canada.

[42]Premièrement, la conduite de l'appelante et de John Calce était incompatible avec l'intention selon laquelle John Calce devait agir à titre de personne interposée pour le compte de l'appelante. Le fait que John Calce a reçu une somme de 25 000 $ au titre du dividende versé à l'égard des actions immédiatement avant que les actions aient été vendues à Coach Canada et qu'il n'a pas remis cette somme à l'appelante, comme il aurait été tenu de le faire si l'entente relative au nouveau transfert avait été une simulation, et le fait que cette somme a été incluse dans le revenu de John Calce à des fins fiscales indiquent que les parties voulaient que John Calce devienne propriétaire des actions en vertu de l'entente du 19 décembre 1996.

[43]Deuxièmement, il importe selon moi de noter que, dans l'avis d'opposition qu'elle a déposé dans la présente affaire, l'appelante a déclaré que John Calce était [TRADUCTION] « l'actionnaire vendeur bénéficiaire » des actions dans le cadre de la vente en faveur de Coach Canada; de plus, il n'était pas mentionné, dans ce document, que John Calce agissait à titre de personne interposée à l'égard de la vente des actions.

[44]Aucun des témoins de l'appelante n'a donné d'explications au sujet du dividende versé à John Calce, ni au sujet de la déclaration susmentionnée figurant dans l'avis d'opposition.

[45]En outre, la position prise par l'appelante, à savoir que l'entente relative au nouveau transfert était une simulation, n'a pas été corroborée par quelque document que ce soit établi durant la période qui a précédé la signature de cette entente. Même si les avocats et comptables de l'appelante travaillaient à la réalisation des opérations et même si ce sont les avocats de l'appelante qui ont rédigé les ententes, on n'a produit aucune lettre ou note ni aucun autre document faisant état de la prétendue stratégie que ces experts auraient élaborée afin de résoudre le problème que posaient les renseignements qui n'étaient plus exacts figurant dans les registres de la Commission des transports du Québec, ou indiquant que l'entente relative au nouveau transfert n'aurait aucun effet entre les parties à celle-ci ou que John Calce participait à titre de personne interposée à la vente des actions en faveur de Coach Canada.

[46]Je fais également remarquer qu'en vertu du paragraphe 1.3 de l'entente relative au nouveau transfert, John Calce était censément responsable envers l'appelante ou envers Lorenzo Calce dans le cas où ces derniers feraient l'objet d'une cotisation au titre de l'impôt, des intérêts ou des pénalités pouvant être exigés par suite de la vente d'actions qu'il avait conclue avec Coach Canada. Cette clause semble plutôt inappropriée dans un document censément créé uniquement en vue de transférer de nouveau les actions à John et n'étant censé avoir aucun effet juridique. Elle semble aller au-delà de ce qui aurait été nécessaire pour créer une apparence, aux yeux de Coach Canada et de la Commission des transports du Québec, que John Calce était propriétaire des actions.

[47]À la lumière de toutes ces circonstances, je conclus donc que les parties voulaient que l'entente relative au nouveau transfert opère la vente des actions à John Calce, pour la somme de 238 000 $.

2. Coût des actions pour l'appelante

[48]Le deuxième argument de l'appelante, à savoir qu'elle était tenue de verser une contrepartie additionnelle à John Calce pour les actions conformément à l'entente anti-achat-revente, dépendait d'une conclusion selon laquelle l'appelante avait vendu les actions à un prix plus élevé que la somme versée à John Calce au moment de leur achat par l'appelante, à savoir 238 000 $. Étant donné que j'ai conclu que les actions avaient en fait été vendues à John Calce pour la somme de 238 000 $, l'entente anti-achat-revente, si elle existait vraiment, était inopérante.

[49]Toutefois, s'il avait fallu trancher ce point, j'aurais été d'avis que la prétendue entente anti-achat-revente ne faisait pas partie de la contrepartie que l'appelante a donnée pour l'achat des actions de John Calce en 1994.

[50]La preuve soumise par les parties à l'opération est plutôt équivoque. En premier lieu, Lorenzo et John Calce ne se rappelaient pas grand-chose de la promesse que Lorenzo Calce avait faite lorsque les actions avaient été vendues à l'appelante. Pendant le contre-interrogatoire, John Calce a déclaré se rappeler uniquement que, si les actions étaient vendues dans l'avenir, il obtiendrait le même montant que son frère. John et Lorenzo Calce n'étaient pas certains qu'on avait en fait décidé, le 1er février 1994, de fixer la période de cinq ans mentionnée dans l'entente anti-achat-revente; de plus, Lorenzo Calce a affirmé qu'il avait peut-être été question que de l'entente anti-rétrocession soit conclue après l'entente de rétrocession.

[51]M. Sands a dit qu'il n'aurait pas quitté la réunion au cours de laquelle John Calce avait vendu les actions à l'appelante, au mois de février 1994, sans que l'on arrive à conclure une entente précise, mais il semble s'agir de ce qu'il croyait qu'il aurait fait à ce moment-là plutôt que de ce qu'il s'en souvenait.

[52]De plus, si l'appelante et John Calce ont conclu une entente en 1994 au sujet de l'augmentation du prix de vente des actions, pourquoi la prétendue entente a-t-elle été consignée par écrit au mois de décembre 1996 seulement? Si M. Sands avait cru aussi fermement qu'il l'affirme qu'il fallait arriver à une entente en bonne et due forme le 1er février 1994, il aurait été facile de faire état de la promesse dans l'entente écrite relative à la vente des actions, ou de modifier cette entente peu de temps après. La façon informelle dont les parties affirment avoir agi en ce qui concerne la promesse que l'appelante avait censément faite au sujet d'une contrepartie additionnelle est diamétralement opposée au soin dont elles ont fait preuve en mettant par écrit la vente d'actions de John Calce en faveur de l'appelante: rédigée par des avocats, l'entente de rétrocession comporte cinq pages. Compte tenu de l'absence de documentation contemporaine, il est difficile de retenir la prétention selon laquelle pareille promesse a été faite lors de la conclusion de l'entente ou qu'elle a été faite à titre de contrepartie additionnelle afférente au transfert.

[53]Les explications que M. Sands a données au sujet de la raison pour laquelle la promesse n'avait pas été consignée par écrit dans l'entente de rétrocession n'étaient pas convaincantes. M. Sands a d'abord affirmé que le problème s'était uniquement posé lors de la signature des documents et que l'on n'avait pas le temps de rédiger de nouveau l'entente. Toutefois, à un autre moment, il a affirmé que John Calce avait fait savoir, au cours des discussions qui avaient précédé l'entente, qu'il n'était pas satisfait du prix qu'il allait obtenir. Si c'était le cas, il aurait été facile d'ajouter une disposition anti-achat-revente à l'entente de rétrocession avant de signer celle-ci.

[54]En outre, même si je reconnaissais que Lorenzo Calce avait fait, au moment où l'appelante a acheté les actions, une promesse solennelle à John Calce, comportant les conditions alléguées par l'appelante, je ne pourrais pas conclure que la promesse a été faite pour le compte de l'appelante. Lorenzo Calce a répété à maintes reprises que c'était son désir de traiter ses fils également qui l'avait amené à faire cette promesse. La preuve étaye le point de vue selon lequel il s'agissait d'une promesse que Lorenzo Calce avait faite personnellement plutôt qu'une promesse faite pour le compte de l'appelante. Il me semble que cette promesse visait à rassurer le fils plutôt que de constituer une entente juridiquement valable obligeant l'appelante à verser dans des circonstances déterminées une contrepartie additionnelle pour les actions.

[55]À mon avis, l'appelante n'a pas démontré qu'une entente avait été conclue avec John Calce le 1er février 1994 ou vers cette date en vue du paiement d'une contrepartie en sus du montant prévu dans l'entente écrite.

Conclusion

[56]Ayant décidé que l'entente relative au nouveau transfert conclue entre l'appelante et John Calce le 19 décembre 1996 n'était pas une simulation, je conclus que le ministre n'a pas commis d'erreur en calculant le gain en capital que l'appelante a tiré de la disposition des actions dans son année d'imposition 1997.

[57]L'appel est donc rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juin 2005.

"B. Paris"

Juge Paris


RÉFÉRENCE :

2004CCI335

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1570(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Calce Holdings et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 9 et 10 septembre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 juin 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Louis-Frédérick Côté et

Josée Massicotte

Pour l'intimée :

Me Bernard Fontaine

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Louis-Frédérick Côté et

Josée Massicotte

Étude :

Mendelsohn Rosentzveig Shacter, Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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