Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

2001‑4028(IT)I

ENTRE :

SHARON L. KETCHEN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 23 août 2002 à Kelowna (Colombie‑Britannique) par

 

l’honorable juge L. M. Little

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :                      L’appelante elle‑même

 

Avocate de l’intimée :                Me Nadine Taylor

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 22e jour de janvier 2003.

 

 

 

« L. M. Little »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

Date : 20030122

Dossier : 2001‑4028(IT)I

 

ENTRE :

SHARON L. KETCHEN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Little

 

A.      FAITS

 

[1]     L’appelante est une infirmière autorisée qui a été contrainte à prendre sa retraite en raison de sa mauvaise santé.

 

[2]     À la suite de nombreuses difficultés personnelles, notamment après avoir été victime d’un accident de la route et en raison d’une réaction négative à une injection pour le traitement de l’hépatite B, l’appelante est atteinte d’une incapacité permanente. La pièce A‑1 consiste en une lettre datée du 6 octobre 1997 qu’a rédigée le Dr Bruce Carruthers, M.D. Dans sa lettre, le Dr Carruthers a déclaré ceci :

 

[traduction]

 

Selon mon diagnostic, la patiente souffre de connectivité mixte ou essentiellement de fibromyosite ainsi que du syndrome de fatigue chronique. [...] Elle n’a pas été en mesure de suivre un programme de réadaptation en raison de symptômes aggravés. Par conséquent, la patiente est dans l’incapacité absolue de reprendre son travail en raison de la fibromyosite et du syndrome de fatigue chronique dont elle souffre.

 

[3]     Pour tenter de soulager ses problèmes de santé, l’appelante a participé à un colloque tenu dans le cadre d’un programme intitulé Onsite Workshops Living Centre Program (le programme « Onsite ») à Charlotte, au Tennessee. En vue de participer à cet atelier, l’appelante a engagé des dépenses s’élevant à 1 795 $US (ou 2 667 $CAN). L’appelante a déclaré que c’est le Dr Douglas S. Coleman, M.D., qui l’avait renvoyé à cet atelier portant sur le traitement du stress et les différents moyens de composer avec des difficultés relationnelles. 

 

[4]     L’appelante a versé la somme de 1 826,50 $ à Paulette Tomasson. Paulette Tomasson est une infirmière ainsi qu’une conseillère clinicienne agréée qui fournit des soins thérapeutiques et des services de consultation à des patients à partir de son domicile.

 

[5]     L’appelante a acheté des médicaments homéopathiques et a bénéficié de services de mise à l’essai de produits homéopathiques offerts par Avie Medical Inc. (« Avie »). Avie est une société dont les actions sont détenues par le Dr Gary B. Ryder. Ce dernier est médecin, naturopathe et pharmacien.

 

[6]     Dans sa déclaration de revenus que l’appelante a produite pour l’année d’imposition 1999, elle a réclamé les dépenses suivantes à titre de frais médicaux :

 

          Ateliers Onsite (Living

            Centered Program)                                       2 667,00 $

 

          P. Tomasson, infirmière autorisée                   1 826,50 $

 

          Avie Medical Inc. – médicaments                      628,00 $

 

          Avie Medical Inc. – essais                                 235,00 $

                                                                               5 356,50 $

 

          (écart non rapproché)                                          (3,50)

 

          Total des frais médicaux                               5 353,00 $

 

[7]     Le 4jour de décembre 2000, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante et a refusé les frais médicaux s’élevant à 5 353 $ qu’avait demandés l’appelante.

 

B.      QUESTION EN LITIGE

 

[8]     L’appelante avait‑elle le droit de déduire les frais médicaux de 5 353 $ dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1999?

 

 

C.      ANALYSE

 

[9]     Le terme « frais médicaux » est défini au paragraphe 118.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») de la façon suivante :

 

(2)  Frais médicaux – Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés :

 

a)         à un médecin, à un dentiste, à une infirmière ou un infirmier, à un hôpital public ou à un hôpital privé agréé, pour les services médicaux ou dentaires fournis au particulier, à son conjoint ou à une personne à la charge du particulier (au sens du paragraphe 118(6)) au cours de l'année d'imposition où les frais ont été engagés;

 

 

[10]    Je traiterai maintenant des montants précis qu’a demandés l’appelante :

 

1.       Ateliers Onsite (Living Centered Program) – 2 667 $

 

De cette somme de 2 667 $ qu’a payée l’appelante pour participer aux ateliers Onsite, 15 p. 100 était destiné à couvrir les frais d’hébergement et de repas et 85 p. 100 était destiné à payer les coûts liés à un atelier de thérapie de groupe. Ces montants n’ont pas été versés à un médecin, à un hôpital public ou à un hôpital privé autorisé. Pendant l’audience, l’appelante a témoigné que ce n’était pas un médecin qui animait les ateliers Onsite. Cependant, elle a indiqué qu’avant qu’elle s’inscrive à ces ateliers, on l’avait assuré que ces ateliers étaient offerts par un médecin. Étant donné qu’aucun médecin n’était associé aux ateliers Onsite, les montants versés pour y participer ne peuvent être considérés comme des frais médicaux et, par conséquent, ils ne sont pas déductibles. 

 

2.       P. Tomasson – 1 826,50 $

 

          La somme de 1 826,50 $ qu’a versée l’appelante à P. Tomasson, une infirmière autorisée, a été payée pour qu’elle puisse bénéficier de services de consultation et participer à une thérapie de groupe. Cette somme ne peut être admise à titre de frais médicaux.  

 

 

3.       Avie Medical Inc. – médicaments – 628 $

          Avie Medical Inc. – essais – 235 $

 

          L’appelante a témoigné que sur les conseils du médecin Gary Ryder, elle a acheté de la société Avie des herbes et d’autres médicaments pour un coût total de 628 $. Le Dr Ryder est médecin, naturopathe et pharmacien. L’appelante a également payé la somme de 235 $ à la société Avie pour que l’on procède à des mises à l’essai. 

 

          Pour être en mesure de déterminer si ces dépenses sont déductibles, il est nécessaire d’examiner le sens de l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi :

         

118.2(2)  Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés

 

[...]

 

n)         pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances – sauf s’ils sont déjà visés à l’alinéa k) – qui sont, d’une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affection, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d’autre part, achetés afin d’être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l’alinéa a), sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste, et enregistrés par un pharmacien;

 

[11]    Il est à noter que de nombreux critères doivent être satisfaits pour pouvoir invoquer les dispositions de l’alinéa 118.2(2)n). D’abord, les herbes et substances qu’a achetées l’appelante sont‑elles des « médicaments, des produits pharmaceutiques, d’autres préparations ou substances »? Il importe de noter que ce critère ne se limite pas aux médicaments, mais qu’il est d’une portée beaucoup plus large. Par exemple, cet alinéa ne se limite pas aux « médicaments sur ordonnance » puisque le préambule de l’alinéa fait mention d’une catégorie de substances beaucoup plus générale. Je conclus donc que les herbes et autres substances que l’appelante a achetées correspondent au sens des termes « autres préparations ou substances ».

 

[12]    Le deuxième critère dont il faut tenir compte est que la substance doit être fabriquée, vendue ou offerte pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d’une maladie, d’une affection, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique. L’intimée a soutenu que la preuve n’appuie pas une conclusion selon laquelle les herbes et autres substances qu’a achetées l’appelante répondent à ce critère. Je ne suis pas d’accord. Ces substances sont en vente sur le marché pour prévenir une maladie, traiter les symptômes de maladie ou modifier une fonction organique. À mon avis, les herbes et autres substances relèvent de la catégorie des produits thérapeutiques.

 

[13]    Le troisième critère dont il faut tenir compte est que les herbes et autres médicaments ont été achetés afin d’être utilisés par l’appelante, critère qui est rempli.  

 

[14]    En ce qui concerne le quatrième critère, les herbes et autres médicaments ont été prescrits par un médecin praticien. Ce critère est également rempli.

 

[15]    Enfin, le cinquième critère exige que les substances prescrites sur ordonnance soit « enregistrées par un pharmacien ». À cet égard, l’appelante a témoigné que le Dr Ryder est un pharmacien.

 

[16]    Je conclus donc que la somme de 628 $ est admissible à titre de frais médicaux et que l’appelante peut déduire ce montant. 

 

[17]    En ce qui concerne la somme de 235 $, je conclus qu’elle n’est pas déductible.

 

[18]    Avant de terminer mon analyse, je tiens à renvoyer la Cour aux propos du juge en chef adjoint Bowman dans l’affaire Lundrigan c. Canada, C.C.I., n2001‑1948(IT)I, 24 janvier 2002 ([2002] 2 C.T.C. 2928) qui a déclaré ceci (C.T.C., aux pages 2929 et 2930) :

 

M. Lundrigan se trouve dans une situation à peu près identique à celle d’une autre contribuable qui a comparu devant moi, Mme Banman, dans l’affaire Banman c. La Reine, C.C.I., n2000‑4039(IT)I, 20 février 2001, [2001] 2 C.T.C. 2111, où j’ai déclaré – je ne vais que lire les paragraphes 4, 5 et 6 – « J’éprouve beaucoup de sympathie pour l’appelante. Je crois qu’elle a fait preuve d’une grande intelligence en se tournant vers une autre méthode de traitement qui a réussi à traiter les maladies de son époux et de sa fille ainsi que la sienne. Néanmoins, les préparations à base d’herbes médicinales, les vitamines et les autres articles qu’elle prend et qu’elle a achetés à Natural Lifestyle ne sont ni obtenus sur ordonnance d’un médecin ou d’un dentiste ni enregistrés par un pharmacien. Il s’agit d’une condition essentielle, et elle n’est malheureusement pas respectée. Je dois appliquer le droit tel qu’il est. J’aimerais pouvoir les aider, mais je ne peux qu’interpréter la loi. » Je cite un certain nombre d’affaires, puis je poursuis en ces termes : « J’ajouterais un autre point : je sais, grâce au témoignage de l’appelante et de façon générale, que les médecines douces, notamment l’homéopathie, font beaucoup de progrès à l’heure actuelle. Je peux très bien comprendre que, si le gouvernement exige à l’alinéa n) que certains médicaments soient obtenus sur ordonnance d’un médecin, c’est parce qu’il y a pour l’instant peu de contrôle sur l’étiquetage et la vente de médicaments de relais. Cela doit être fait. Je crois toutefois que le gouvernement devra tôt ou tard se rendre compte du fait que les médicaments homéopathiques, les formes de traitement de relais, les herbes, la guérison naturelle et ce genre de médecine sont à ce point présents qu’il lui faudra songer à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu de façon à accorder un crédit d’impôt relativement à ces médicaments. Le cas de l’appelante constitue un très bon exemple d’une personne qui a utilisé ces méthodes de relais avec succès. Je suis désolé de ne pouvoir accorder de mesure de redressement à l’appelante, mais je loue le courage dont elle a fait preuve en se présentant en cour. »

 

Selon moi, M. Lundrigan se trouve dans une situation identique à celle de la contribuable dont il est question dans cette affaire. J’aimerais pouvoir lui accorder une mesure de redressement, mais la loi ne me permet malheureusement pas de le faire. Si le Dr Raman, un médecin praticien, lui prescrivait les produits mentionnés dans la lettre et si M. Lundrigan était capable de les acheter dans une pharmacie, je serais enclin à croire que les conditions énoncées dans la loi s’en trouveraient remplies, mais je ne crois pas que ce soit le cas pour l’instant.

 

[19]    Je citerai également avec approbation les propos de mon collègue, le juge Miller, dans l’affaire Bissonnette c. Canada, [2002] A.C.I. no 94 dans laquelle il a fait mention des frais médicaux et a indiqué au paragraphe 12 ce qui suit :

 

À ce stade‑ci dans l’évolution de la pratique de la médecine au Canada, les traitements relevant de la médecine parallèle commencent tout juste à jouir d’une certaine reconnaissance en tant que traitements médicaux justifiés et bien documentés. Je crois que la jurisprudence qui sera établie au cours des prochaines années élargira notre compréhension de ce qui peut légitimement être considéré comme des services médicaux.

 

[20]    L’appelante a témoigné que la thérapie de groupe offerte dans le cadre des ateliers Onsite a eu un effet bénéfique sur sa santé. L’appelante a également témoigné que les consultations et thérapies de groupe qu’offrait P. Tomasson l’ont aussi aidée. Je me range à l’avis du juge en chef adjoint Bowman qui affirme que le ministre des Finances devrait songer à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu de manière à ce que la médecine alternative, la guérison naturelle et les traitements homéopathiques soient considérés et admis à titre de frais médicaux. 

 

[21]    Par conséquent, l’appel est accueilli de manière à permettre à l’appelante de déduire la somme de 628 $ à titre de frais médicaux.

 

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 22e jour de janvier 2003.

 

 

 

« L. M. Little »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

ce 2jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice


 

 

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