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Dossier : 1999-4937(IT)G

ENTRE :

CONSTANTIN DELLO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Audition sur des questions de droit préalables soumises en vertu de l'alinéa 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale)

tenue le 11 mars 2003 à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge P.R. Dussault

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Christopher Mostovac

 

Avocat de l'intimée :

Me Bernard Fontaine

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Question 1 :

 

La délivrance du certificat de reconstitution en février 1998 conférait-elle rétroactivement à la Société la capacité d'exploiter une entreprise et de gagner un revenu imposable pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994?

 

La réponse est non.

 

Question 2 :

 

Le ministre du Revenu national avait-il un droit acquis d'établir une cotisation d'impôt sur le revenu au nom de l'appelant en tant que propriétaire unique de l'entreprise, plutôt qu'au nom de la Société, pour les années d'imposition 1991 à 1994?

 

La réponse est oui.

 

          Le tout selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

          Les frais suivront l'issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2003.

 

 

 

 

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.


 

 

 

Référence : 2003CCI392

Date : 20030610

Dossier : 1999-4937(IT)G

ENTRE :

CONSTANTIN DELLO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(sur des questions de droit préalables soumises en vertu de l'alinéa 58(1)a)

des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale))

 

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

 

[1]     L'appelant a interjeté appel de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « Ministre ») en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994. La contestation porte sur plusieurs points. Toutefois, à la base, l'appelant soutient que le revenu imposé entre ses mains et provenant principalement d'une entreprise exploitée sous la raison sociale « Les Consultants Acad Enr. » (ci‑après « l'entreprise ») n'est pas le sien mais celui d'une société par actions du nom de Structures Condello Inc. – Condello Structures Inc. (ci‑après la « Société »). En établissant la cotisation à l'égard de l'appelant, le Ministre a tenu pour acquis que la Société n'avait aucune existence légale au cours des années en litige et, en conséquence, que c'est l'appelant lui‑même qui a exploité l'entreprise au cours de ces années.

 

[2]     Estimant qu'une décision sur ce point pouvait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou entraîner une économie substantielle de frais et se fondant sur l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), les parties ont convenu de demander à la Cour de se prononcer sur les questions suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

Question 1 :

 

La délivrance du certificat de reconstitution en février 1998 conférait-elle rétroactivement à la Société la capacité d'exploiter une entreprise et de gagner un revenu imposable pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994?

 

Question 2 :

 

Le ministre du Revenu national avait-il un droit acquis d'établir une cotisation d'impôt sur le revenu au nom de l'appelant en tant que propriétaire unique de l'entreprise, plutôt qu'au nom de la Société, pour les années d'imposition 1991 à 1994?

 

Dans ce contexte, les parties se sont entendues sur les faits suivants :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Condello Structures Inc., dont l'appelant était l'unique actionnaire et administrateur, a été constituée en société en 1979 sous le régime  de la L.S.A.

 

            Elle n'exploitait pas d'entreprise au moment de sa dissolution, le 10 août 1984, pour non-production des rapports annuels.

 

2.         Une demande de reconstitution a été préparée en novembre 1990. Elle était cependant incomplète, car il restait à produire certains documents additionnels, et le certificat de reconstitution n'a été délivré qu'en février 1998.

 

3.         En 1994 a été établie une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1991, qui attribuait à l'appelant des revenus tirés de l'entreprise. D'autres nouvelles cotisations, établies le 5 juin 1998 relativement aux années d'imposition 1991 à 1994 inclusivement, qui font l'objet de l'appel, allaient dans le même sens.

 

            Les parties conviennent que des éléments de preuve supplémentaires qui viendront s'ajouter aux faits sur lesquels elles se sont entendues pourront être présentés en vertu de l'alinéa 58(2)a) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

 

[3]     Tel qu'il est indiqué, les parties ont également convenu de présenter une preuve additionnelle, ce qui fut fait au moyen du témoignage de l'appelant, de celui de monsieur Stanley Schulman, comptable agréé, et de celui de monsieur Denis Poliquin, vérificateur à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi que par le dépôt d'un certain nombre de documents.

 

[4]     L'appelant a témoigné sur les circonstances ayant entouré la constitution de la Société en 1979, sur les raisons pour lesquelles elle est demeurée inactive durant plusieurs années, sur sa dissolution survenue en 1984 à la suite de la non‑production des rapports annuels, sur la volonté de reconstituer la Société et sur les démarches faites à cet égard en 1990 de même que sur celles faites auprès de Revenu Canada en 1991 relativement aux retenues à la source et à la perception de la taxe sur les produits et services (« TPS »). Son témoignage a aussi porté sur l'utilisation, à la même époque, de la raison sociale de l'entreprise tant par lui‑même que par la Société, sur les cotisations et, finalement, sur l'obtention du certificat de reconstitution en février 1998.

 

[5]     Monsieur Schulman a témoigné sur les démarches faites en 1990 aux fins d'obtenir la reconstitution de la Société, démarches qui n'ont pas, à ce moment, permis d'obtenir le résultat recherché. Il a affirmé avoir fait parvenir initialement certains documents à Consommation et Corporations Canada, accompagnés des droits exigibles (11 chèques de 30 $ chacun), puis avoir rempli et acheminé les documents manquants qui étaient exigés. Selon lui, lors d'une conversation subséquente avec un fonctionnaire, celui‑ci aurait affirmé qu'en l'absence d'un nouvel avis de défaut, il y aurait lieu de présumer que la Société était en règle. Je ferai simplement remarquer ici que monsieur Schulman aurait dû savoir que l'obtention d'un certificat de reconstitution, l'objet même de ses démarches, était essentielle. Bien que les chèques en paiement des droits aient été encaissés, aucun certificat ne fut délivré à l'époque puisqu'on n'avait toujours pas satisfait à certaines exigences.

 

[6]     Monsieur Poliquin a témoigné sur une première vérification faite par une autre personne quant à l'année d'imposition 1991 puis sur sa propre vérification quant à l'ensemble des années en litige, sur les déclarations produites par l'appelant en son propre nom puis au nom de la Société, de même que sur les cotisations établies à l'égard de l'appelant vu la non‑existence légale de la Société.

 

[7]     Les pièces produites l'ont évidemment été pour appuyer les témoignages fournis lors de l'interrogatoire principal et du contre‑interrogatoire des témoins.

 

[8]     Si les éléments additionnels de preuve ont été utiles pour tenter d'expliquer les causes de l'imbroglio, ils n'en changent pas pour autant la réalité juridique. Ainsi, ni la croyance que la Société avait été reconstituée en 1990 ni l'attribution par Revenue Canada en 1991 d'un numéro d'employeur et d'un numéro aux fins de la perception de la TPS n'ont eu pour effet de faire revivre la Société qui était dissoute depuis 1984. Seule l'obtention du certificat de reconstitution en février 1998 a pu produire cet effet. D'ailleurs, la première question posée se rapporte strictement à l'obtention de ce certificat en février 1998.

 

[9]     Les effets juridiques de l'obtention d'un certificat de reconstitution sont prévus au paragraphe 209(4) de la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44. Cette disposition a été modifiée par L.C. 2001, ch. 14, art. 102, et prévoit maintenant que la reconstitution a un effet rétroactif. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le certificat de reconstitution a été obtenu en février 1998, de sorte que c'est le libellé existant à ce moment-là qui est applicable. Le paragraphe 209(4) se lisait alors ainsi :

 

(4) [Maintien des droits] La personne morale est reconstituée en société régie par la présente loi à la date figurant sur le certificat et recouvre dès lors, sous réserve des modalités raisonnables imposées par le directeur et des droits acquis après sa dissolution par toute personne, ses droits, privilèges et obligations antérieurs.

 

(4) [Rights preserved] A body corporate is revived as a corporation under this Act on the date shown on the certificate of revival, and thereafter the corporation, subject to such reasonable terms as may be imposed by the Director and to the rights acquired by any person after its dissolution, has all the rights and privileges and is liable for the obligations that it would have had if it had not been dissolved.

 

 

[10]    L'avocat de l'appelant se fonde principalement sur la décision dans l'affaire Helcor Enterprises Ltd. v. Moore & James Food Services Ltd., [1990] 5 W.W.R. 596, pour soutenir que le paragraphe 209(4) de la Loi sur les sociétés par actions doit être interprété comme ayant un effet rétroactif. Dans cette affaire, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que l'utilisation du mot « thereafter » dans la version anglaise du paragraphe 202(2) de la Loi sur les corporations, L.R.M. 1987, ch. C225, une disposition semblable au paragraphe 209(4), n'empêchait pas la rétroactivité, et ce, à cause de la portée très large du libellé de la dernière partie de la disposition. La Cour a donc maintenu le droit d'action de Helcor contre Moore & James Food Services Ltd. pour rupture de contrat alors même que ce droit avait pris naissance après que Helcor eut été dissoute et avant qu'elle ne soit reconstituée. La Cour a donc conclu que Helcor pouvait exercer ce droit à compter de la date de sa reconstitution. Il est à noter que Helcor exploitait une entreprise au moment de sa dissolution pour défaut de déposer ses rapports annuels et qu'elle a continué cette exploitation malgré sa dissolution, à la suite de ce qui a été considéré comme une violation relativement mineure de la Loi sur les corporations. À la page 603 de la décision, le juge Hanssen s'exprime dans les termes suivants :

 

[TRADUCTION]

 

Je suis convaincu que l'article 202 a eu pour effet non seulement de rétablir l'existence de Helcor en tant que société, mais aussi de rétablir les activités de celle-ci pour la période durant laquelle elle était dissoute. Du fait de sa reconstitution, Helcor « recouvre [...] ses droits, ses privilèges et ses obligations antérieurs. (Je souligne.) Si elle n'avait pas été dissoute, elle aurait eu le droit d'actionner Moore & James en rupture de contrat. Par conséquent, Helcor est maintenant en droit de poursuivre son action en rupture de contrat contre Moore & James, même si la rupture s'est produite après sa dissolution et avant sa reconstitution.

 

 

[11]    Par ailleurs, au niveau fédéral, la majorité des auteurs et la jurisprudence dominante n'attribuent aucun effet rétroactif au paragraphe 209(4) de la Loi sur les sociétés par actions. À cet égard, on peut notamment se référer à l'article de Henri‑Louis Fortin intitulé « Liquidation volontaire et recours en matière d'impôt », (1993) Revue de planification fiscale et successorale, vol. 15, page 711. À la page 734, l'auteur affirme :

 

La jurisprudence et la doctrine largement prépondérantes82 soutiennent que la reconstitution en vertu de la L.S.A. n'a pas d'effet rétroactif, compte tenu de l'emploi de l'expression  « dès lors » au paragraphe 209(4). Elle ne saurait donc valider après coup une procédure prise par la corporation entre la date de sa dissolution et celle de sa reconstitution.

                                                       

82         Maurice et Paul MARTEL, La compagnie au Québec : les aspects juridiques, vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur/Martel, 1993, p. 950.1 et jurisprudence citée; FRASER & STEWART, Company Law of Canada, 6e éd. par Harry Sutherland, Toronto, Carswell, 1993, pp. 639 et suiv. Contra : Michel PERREAULT, « Problèmes courants en droit corporatif et correctifs », (1991), vol. 2, Cours de perfectionnement du Notariat 469, par. 109, à la page 504; André MORISSET et Jean TURGEON, Droit corporatif canadien et québecois, Farnham, Publications CCH/FM, feuilles mobiles, par. 37-620, aux pages 3,167 et suiv.

 

 

[12]    Dans leur ouvrage La compagnie au Québec, vol. 1, Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, Martel Ltée, à la page 34‑61, les auteurs Maurice et Paul Martel écrivent :

 

[...] Avant la réforme de 2001, la Loi prévoyait que la société recouvre « dès lors » ses droits, privilèges et obligations antérieurs, ce qui excluait un effet pleinement rétroactif 287 [...]

                                                        

287       Comparer à l'article 241(5) du Business Corporations Act d'Ontario, dont l'effet rétroactif a été d'abord affirmé (Re Time Square Cinema Ltd., (1977) 25 C.B.R. n.s. 189 (Ont. S.C.); Re Zangelo Investments Ltd., (1987) 57 O.R. (2d) 510 (H.C.), (1988) 63 O.R. (2d) 542 (C.A.)), puis nié (Swale Investments Ltd. c. National Bank of Greece (Canada), (1997) 37 B.L.R. (2d) 324 (Ont. Gen. Div.), [1998] O.J. No 5383 (C.A.)). Comparer aussi aux articles 262 et 263 du Company Act de Colombie-Britannique, en vertu desquels l'effet rétroactif est possible, selon les termes utilisés dans l'ordonnance de reconstitution : Natural Nectar Products Canada Ltd. c. Theodor, (1991) 49 B.L.R. 56 (B.C. C.A.); Pacific Produce Co. c. Lonsdale Farm Market Ltd., (1992) 11 C.B.R. (3d) 240 (B.C. S.C.); Canadian Sports Specialists Inc. c. Philippon, (1990) 66 D.L.R. (4th) 188 (B.C. S.C.).

 

 

[13]    Quant à la jurisprudence, la décision dans l'affaire Computerized Meetings & Hotel Systems Ltd. v. Moore (1982), 141 D.L.R. (3d) 306, sur laquelle s'appuie principalement l'avocat de l'intimée, semble faire autorité et a été appliquée à plusieurs reprises tant au Québec qu'ailleurs. Dans cette décision, la cour a conclu que le paragraphe 209(4) (qui était alors le paragraphe 202(4), S.C. 1974‑75‑76, ch. 33, modifié par S.C. 1978‑79, ch. 9, paragraphe 64(2)) ne comportait pas d'effet rétroactif, de sorte qu'une action en justice commencée alors que la société demanderesse était dissoute était entachée de nullité puisque la société n'était pas une entité ayant alors la capacité d'ester en justice et que les effets du paragraphe 209(4), n'étant pas rétroactifs, ne pouvaient valider ni le bref d'assignation délivré ni l'action de la société demanderesse intentée alors qu'elle était dissoute.

 

[14]    Une décision dans le même sens a été confirmée par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Les Entreprises Jacques Lebeau Inc. c. Compagnie d'assurance Victoria du Canada et al., [1996] A.Q. no 2570 (Q.L.). L'avocat de l'intimée s'appuie aussi sur les décisions dans les affaires Pierre M. Lépine Construction Exquise inc. c. 2750‑6245 Québec inc., [1998] A.Q. no 3451 (Q.L.) et Wolf Offshore Transport Ltd. v. Sulzer Canada Inc., [1992] N.J. No. 82 (Q.L.), pour affirmer que l'utilisation des mots « thereafter » en anglais et « dès lors » en français peut permettre à une société de recouvrer les droits qu'elle avait antérieurement à sa dissolution, tout en reconnaissant qu'elle ne peut validement agir pour préserver ces droits pendant la période au cours de laquelle elle est dissoute. Dans ces deux décisions, on se réfère à d'autres décisions également rendues dans le même sens.

 

[15]    Dans l'affaire Wolf Offshore Transport Ltd., précitée, on trouve les commentaires suivants à la page 2 du jugement :

[TRADUCTION]

 

Cela veut dire que, si cette société avait conclu un contrat quelconque ou intenté des poursuites ou si elle avait été défenderesse dans une action antérieurement à sa dissolution, elle pourrait, dès sa reconstitution, poursuivre ses activités y reliées. Cela n'habilite toutefois pas la société à valider les initiatives qui ont pu être prises pendant qu'elle était dissoute. La société ne pouvait conclure de contrat lorsqu'elle était dissoute, ni entreprendre une action en justice. Une société dissoute est assimilable à un défunt. Elle n'a la capacité de rien faire. Elle n'est rien. On ne saurait guère dire d'une personne inexistante qu'elle fait quoi que ce soit. Si elle avait une droit d'action avant sa dissolution, la société jouirait, une fois reconstituée, de ce même droit, sous réserve de la prescription. L'action pourrait être introduite dès la reconstitution de la société.

                             (Le souligné est de moi.)

 

 

[16]    La décision dans l'affaire Swale Investments Ltd. v. National Bank of Greece (Canada), [1997] O.J. No. 4997 (Q.L.), présente également une analyse sur les similitudes entre la loi ontarienne et la loi fédérale pour en arriver à la même conclusion.

 

[17]    Le principe selon lequel un certificat de reconstitution n'a pas d'effet rétroactif et donc ne donne pas à une société par actions la capacité d'agir légalement alors qu'elle est dissoute, donc non existante, signifie qu'on ne peut artificiellement lui conférer la capacité d'agir légalement et lui attribuer une activité, dont celle d'exploiter une entreprise, avec les conséquences légales et plus particulièrement fiscales que cela comporte, pendant une période au cours de laquelle elle n'avait précisément aucune existence légale. On ne peut tout simplement pas attribuer artificiellement une activité à une personne morale inexistante.

 

[18]    Cette conclusion apparaît encore plus évidente lorsqu'une telle société n'a jamais eu d'activité ni exploité une entreprise quelconque avant sa dissolution, comme c'est le cas ici. Il est alors bien peu de droits, privilèges et obligations antérieurs que le certificat de reconstitution puisse permettre de recouvrer à compter de son obtention.

 

[19]    L'avocat de l'appelant a signalé à plusieurs reprises la bonne foi de l'appelant mais s'est référé également aux actions des représentants de Revenu Canada, qui ont, en 1991, notamment attribué à la Société un numéro d'employeur aux fins des retenues à la source et un numéro d'enregistrement pour la TPS. L'avocat de l'intimée estime que les faits relevés par l'avocat de l'appelant sont de nature à ce que soit sous‑entendu un argument basé sur la doctrine de l'« estoppel » ou des « fins de non-recevoir », bien que l'argument ne soit pas avancé directement. Je dirai simplement que, s'il y a effectivement une question à cet égard, elle n'a rien à voir avec la question formulée par les avocats des parties.

 

[20]    Dans ses arguments écrits, l'avocat de l'appelant soulève certains points additionnels basés sur l'existence d'une contre‑lettre ou d'un contrat apparent qui aurait pu exister entre l'appelant et la Société, ou encore sur le fait que l'appelant aurait pu agir ni plus ni moins comme le mandataire de la Société au cours de la période durant laquelle elle était dissoute. L'avocat de l'appelant se réfère également à certaines décisions prônant l'examen de la réalité économique. D'une part, ici encore, il s'agit de questions qui n'ont rien à voir avec la question posée, laquelle ne se rapporte qu'au certificat de reconstitution obtenu. D'autre part, il est clairement établi que la réalité économique ne saurait supplanter la réalité juridique (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 39, juge McLachlin, et Singleton c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1046, par. 27, juge Major).

 

[21]    Compte tenu de ce qui précède, je dois donc répondre à la question 1 par la négative.

 

[22]    Quant à la question 2, sa formulation même m'apparaît ambiguë. D'abord, elle est rédigée en des termes qui font manifestement référence au libellé du paragraphe 209(4) de la Loi sur les sociétés par actions puisque les avocats des parties ont choisi de parler de droits acquis. À première vue, les droits qui ont été acquis par les tiers pendant qu'une société par actions était dissoute et que le paragraphe 209(4) vise à protéger sont les droits qu'ils ont pu acquérir à l'encontre de la société dissoute pendant la période au cours de laquelle elle était dissoute. Toutefois, l'avocat de l'intimée interprète cette disposition comme protégeant les droits acquis par des tiers non seulement à l'encontre de la société reconstituée mais également à l'encontre de n'importe quelle autre personne. Cette interprétation le porte à conclure que le ministre du Revenu national avait toujours le droit de cotiser l'appelant comme propriétaire de l'entreprise au cours des années d'imposition 1991 à 1994. Je ne crois pas que l'on puisse attribuer une portée aussi large au paragraphe 209(4), précisément parce que cette disposition oppose les droits qu'ont pu acquérir les tiers à ceux que la société dissoute peut recouvrer à compter de sa reconstitution.

 

[23]    Par ailleurs, si je comprends bien l'argument de l'avocat de l'appelant, le Ministre aurait perdu le droit de cotiser l'appelant à compter du moment où celui‑ci aurait informé les fonctionnaires de l'existence de la Société en 1991, où ces derniers auraient attribué à celle‑ci un numéro d'employeur et un numéro d'enregistrement pour la TPS et où ils auraient même initialement aidé l'appelant à remplir certains formulaires pour les retenues à la source à effectuer par la Société. Pour reprendre l'argument en d'autres termes, j'utiliserai le libellé de l'avocat de l'appelant lui‑même, selon lequel « les autorités fiscales ne [pouvaient] invoquer une forme " d'ignorance " vis à vis leur connaissance ou [sic] de l'identification de l'entité opérant l'entreprise en question ». L'avocat de l'appelant poursuit en affirmant que « même si les autorités fiscales avaient été tenues complètement à l'écart de toute connaissance des opérations de la société Structures Condello Inc., que l'attribution des revenus générés dans les circonstances demeure une question de fait empêchant les autorités fiscales de cotiser l'entité qui apparaît comme étant la plus avantageuse pour le ministère dans les circonstances ».

 

[24]    Je dois avouer avoir certaines difficultés à saisir la portée véritable des arguments avancés par l'avocat de l'appelant. Je ne ferai que deux commentaires. Le premier est que, en 1991, c'est l'appelant lui‑même qui a, à tort, informé les autorités fiscales que la Société existait. Le deuxième est que l'attribution d'un revenu à une personne, qu'elle soit physique ou morale, n'est pas uniquement une question de fait mais c'est une question qui relève également du droit.

 

[25]    Je crois que la réponse à la deuxième question réside, en partie du moins, dans la réponse donnée à la première question. L'obtention du certificat de reconstitution en février 1998 n'a pas eu pour effet de redonner vie à la Société au cours des années en litige. De 1991 à 1994, la Société était tout simplement inexistante. Elle n'avait donc pas la capacité d'agir et donc d'exploiter une entreprise ou d'en être propriétaire. Le revenu gagné appartient donc à la personne qui a généré le revenu par son activité, c'est-à-dire à la personne qui a exploité l'entreprise, même si cette personne prétend l'avoir fait au nom et pour le compte de la Société, qui était alors dissoute et qui, en février 1998, n'avait pas été reconstituée avec effet rétroactif. Dans les circonstances, il ne peut s'agir que de l'appelant lui‑même.

 

[26]    Comme le souligne avec justesse l'avocat de l'intimée, la responsabilité fiscale d'un contribuable résulte de l'application de la Loi et non de la cotisation elle‑même, laquelle ne fait que confirmer l'existence de cette responsabilité (La Reine c. Simard-Beaudry Inc. et al., [1971] C.F. 396 (71 DTC 5511 anglais) (C.F. 1re inst.) et The Queen v. The Sands Motor Hotel Ltd., [1984] C.T.C. 612 (B.R. Sask.)). D'ailleurs, le paragraphe 152(3) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

Le fait qu'une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu'aucune cotisation n'a été faite n'a pas d'effet sur les responsabilités du contribuable à l'égard de l'impôt prévu par la présente partie.

 

[27]    Le fait que les cotisations pour les années 1991 à 1994, qui font l'objet du présent litige, aient été établies en juin 1998, soit quelques mois après l'obtention du certificat de reconstitution de la Société, ne modifie en rien la responsabilité fiscale de l'appelant à l'égard du revenu généré par l'exploitation de l'entreprise au cours des années en cause. Par voie de conséquence, le Ministre a conservé son droit de cotiser l'appelant à l'égard de ce revenu. Toutefois, j'estime qu'il ne s'agit pas là, à proprement parler, d'un « droit acquis » qui serait en quelque sorte protégé par le paragraphe 209(4) de la Loi sur les sociétés par actions. Le droit du Ministre de cotiser un contribuable est un droit tout court, conféré par l'article 152 de la Loi et pouvant être exercé selon les conditions et dans les limites fixées par cette disposition.

 

[28]    En terminant sur ce point, il m'apparaît important de rappeler le paragraphe 152(7) de la Loi qui se lit comme suit :

 

            Le ministre n'est pas lié par les déclarations ou renseignements fournis par un contribuable ou de sa part et, lors de l'établissement d'une cotisation, il peut, indépendamment de la déclaration ou des renseignements ainsi fournis ou de l'absence de déclaration, fixer l'impôt à payer en vertu de la présente partie.

 

[29]    À mon avis, le Ministre peut toujours cotiser le contribuable qui a, selon lui, gagné le revenu. En cas de contestation il y a lieu d'établir, comme ici, si la cotisation est fondée à cet égard.

 

[30]    La réponse à la question 2 est donc positive bien que j'estime, comme je viens de le souligner, qu'il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un « droit acquis ». Dans les circonstances, le Ministre avait donc le droit de cotiser l'appelant plutôt que la Société comme seul propriétaire de l'entreprise durant les années d'imposition 1991 à 1994.

 

[31]    Il y aura donc poursuite de l'audition de ces appels des cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1991 à 1994, en tenant compte des réponses données aux deux questions préalables soumises à la Cour.

 

[32]    Les frais suivront l'issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2003.

 

 

 

 

 

 « P. R. Dussault » 

J.C.C.I.


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI392

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

1999-4937(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Constantin Dello c. La Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 11 mars 2003

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge P.R. Dussault

 

DATE DU JUGEMENT :

le 10 juin 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

Me Christopher Mostovac

 

Pour l'intimée :

Me Bernard Fontaine

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

Me Christopher Mostovac

 

Étude :

Ravinsky Ryan

 

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 

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