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98-2925(IT)G, 98-2930(IT)G

98-3120(IT)G, 98-3452(IT)G

98-3517(IT)G, 98-3521(IT)G

98-3540(IT)G, 98-3573(IT)G

ENTRE :

RICHARD BLANCHETTE,

ANDRÉ CASTAGNER,

DENIS McNAMARA,

MICHEL ROYAL,

TIRUVENKAT DEVANATHAN,

GORDON FOREST,

CHRISTIAN LAVOIE,

VENKATACHALA MURTHY,

requérants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue le 24 juillet 2001 à Montréal (Québec) devant

l'honorable Alban Garon

Juge en chef

Comparutions

Avocats des requérants :                      Me Yves St-Cyr

                                                          Me James Bonhomme

Avocat de l'intimée :                            Me Pierre Cossette

ORDONNANCE

          Vu la requête présentée pour le compte des requérants visant notamment à la radiation de certaines allégations dans les Réponses aux avis d'appel dans les huit dossiers ci-dessus mentionnés;

          Et vu les observations des avocats des parties;

          La requête est rejetée. L'intimée a droit aux dépens, peu importe l'issue de ces appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'octobre 2001.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.


Date: 20011011

Dossier: 98-2925(IT)G, 98-2930(IT)G

98-3120(IT)G, 98-3452(IT)G

98-3517(IT)G, 98-3521(IT)G

98-3540(IT)G, 98-3573(IT)G

ENTRE :

RICHARD BLANCHETTE,

ANDRÉ CASTAGNER,

DENIS McNAMARA,

MICHEL ROYAL,

TIRUVENKAT DEVANATHAN,

GORDON FOREST,

CHRISTIAN LAVOIE,

VENKATACHALA MURTHY,

requérants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

GARON, J.C.C.C.I.

[1]      Il s'agit d'une requête présentée pour le compte des requérants visant notamment à la radiation de certaines allégations dans les Réponses aux avis d'appel dans les huit dossiers ci-dessus mentionnés. L'objet de l'Avis de requête produit dans ces dossiers est précisé ainsi qu'il suit :

LA REQUÊTE VISE À OBTENIR la radiation de certaines allégations ou énumérations de documents contenues aux procédures de l'Intimée, notamment à ses réponses aux avis d'appel ainsi qu'à ses listes amendées de documents.

[2]      Lors de l'audition de cette requête, les requérants ont abandonné le recours sollicité dans la partie de l'Avis de requête qui visait certains documents dont il est question dans les "listes amendées de documents" de l'intimée. Les requérants ont alors décidé de ne demander que la radiation de certaines allégations figurant aux Réponses aux avis d'appel.

[3]      Le jour même de l'audition de cette requête, dans une lettre en date du 24 juillet 2001 adressée à la Cour et dont copie fut expédiée à l'intimée, les requérants ont précisé dans les huit dossiers en question les paragraphes ou parties de paragraphes des Réponses aux avis d'appel dont ils voulaient obtenir la radiation. Les requérants s'expriment ainsi :

Ainsi, les Requérants-Appelants demandent à ce que les paragraphes suivants des réponses aux avis d'appel de l'Intimée soient radiés :

Michel Royal                             Les paragraphes 1 et 2 quant à la

Denis McNamara                      mention qu'il n'existait aucune

Christian Lavoie                         société et qu'aucune entreprise

Venkatachala Murthy                 véritable n'a été exploitée par la

Tiruvenkat Devanathan              prétendue société;

Gordon Forest

                                                les paragraphes 30 à 42;

les deux premières questions du paragraphe 43; et les paragraphes 45, 46 et 48.

Richard Blanchette                     Les paragraphes 1 et 2 quant à la

André Castagner                       mention qu'il n'existait aucune société et qu'aucune entreprise véritable n'a été exploitée par la prétendue société;

                                                les paragraphes 31 à 45;

les deux premières questions du paragraphe 46; et les paragraphes 48, 49 et 51.

[4]      Les paragraphes ou parties de paragraphes des Réponses aux avis d'appel visés par la requête en radiation dans les dossiers des requérants Michel Royal, Denis McNamara, Christian Lavoie, Venkatachala Murthy, Tiruvenkat Devanathan et Gordon Forest sont reproduits ci-après :

1.          Il nie les faits allégués au paragraphe 1 de l'avis d'appel et ajoute qu'il n'existait aucune société au cours de la période en litige.

2.          Il nie les faits allégués au paragraphe 2 de l'avis d'appel et ajoute qu'aucune entreprise véritable n'a été exploitée par la prétendue société.

...

30.        Lors de la vente des participations, le plan d'achat offert par la prétendue Société consistait à ce que les investisseurs québécois versent une somme d'argent au comptant, représentant 50% de leur participation et que les investisseurs ontariens versent une somme d'argent au comptant, représentant 46% de leur participation. La différence était « financée » par la corporation Diasware.

31.        L'appelant n'avait aucune obligation envers quiconque à l'égard du montant présenté comme étant « financé » .

32.        L'appelant savait que, selon le montage présenté lors de la sollicitation, sa participation ferait l'objet d'un rachat à court terme pour le montant présenté comme étant « financé » .

33.        Le paiement dans tous les cas s'est fait par quittance de dette pour un montant représentant le montant « financé » consenti par Diasware. Le montant en question dépassait la juste valeur marchande de la participation au moment de la disposition;

34.        L'utilisation du stratagème de rachat-financement décrit ci-haut représentait, pour les promoteurs et les membres de la prétendue Société, une caractéristique essentielle de « l'abri fiscal » dont ils étaient réciproquement vendeurs et acheteurs.

35.        L'appelant avait le droit de recevoir un montant qui lui était accordé en vue de supprimer ou réduire l'effet d'une perte du fait qu'il avait une participation dans la Société.

36.        L'appelant a bénéficié d'un mécanisme prévoyant la disposition de sa participation dans la prétendue Société et dont il est raisonnable de considérer qu'un des principaux objets consiste à tenter de le soustraire à l'application du paragraphe 96(2.4) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

37.        L'obtention d'une réduction de son impôt à payer en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est la seule raison pour laquelle l'appelant est devenu membre de la prétendue Société.

38.        La Société, Dias, Data Age, Zuniq Data, Inar, Diasware, Glenrock et Zuniq ( « les corporations du groupe Zuniq » ) ont toutes un lien de dépendance entre elles ainsi qu'avec Vohoang.

39.        Zuniq, Dias, Data Age, Zuniq Data et Inar ont toutes la même adresse postale.

40.        La prétendue Société n'avait aucune raison d'être sauf servir de véhicule qui génère des remboursements d'impôt et qui sert comme outil de financement aux corporations du groupe Zuniq.

41.        L'appelant n'avait aucune intention de former un contrat de société; l'appelant et les co-contractants n'avaient pas l'intention de travailler ensemble pour faire produire des bénéfices à la prétendue entreprise.

42.        Les activités de la prétendue Société ne comportent, dans les circonstances, aucun espoir raisonnable de profit, de sorte que la Société n'exploitait pas à cet égard une entreprise.

B.          QUESTIONS EN LITIGE

43.        Les questions en litige sont les suivantes :

-             Est-ce qu'il existe véritablement une société et si oui, exploite-t-elle une entreprise?

-             Est-ce que l'appelant est, le cas échéant, un associé qui est commanditaire de la prétendue société, au sens du paragraphe 96(2.4) de la Loi de l'impôt sur le revenu à un moment de l'année pertinente au présent appel?

-             Est-ce que l'appelant est, le cas échéant, un associé qui de façon régulière, continue et importante tout au long de l'année visée où la prétendue société représente exploiter habituellement son entreprise, ne prend pas une part active dans les activités de l'entreprise de la prétendue société et n'exploite pas une entreprise semblable à celle que la prétendue société représente exploiter au cours de l'année visée?

...

45.        Il soutient que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, il n'existe pas véritablement de société exploitant une entreprise, de sorte que les dépenses et la perte en découlant, si dépenses et perte il y a, ne sont pas déductibles.

46.        Il soutient que l'appelant est, le cas échéant, un associé commanditaire au sens de paragraphe 96(2.4) de la Loi de l'impôt sur le revenu : en conséquence l'appelant est un associé déterminé au sens de l'alinéa a) de la définition de cette expression prévue par le paragraphe 248(1) de ladite Loi.

...

48.        Au surplus, le Sous-procureur général soutient respectueusement que l'ensemble des faits relatés ci-dessus autorise cette Cour à conclure que :

1o          l' « abri fiscal » dont il est question est un trompe-l'oeil ne donnant ouverture à aucune des déductions réclamées;

2o          l'appelant n'était pas membre d'une société au 31 décembre 1989.

[5]      Dans les dossiers des requérants Richard Blanchette et André Castagner, les paragraphes ou parties de paragraphes dont on demande la radiation sont semblables mutatis mutandis à ceux ci-dessus énumérés dans les six autres dossiers figurant dans l'intitulé de ces motifs, à l'exception du paragraphe 34 dans les dossiers des requérants Richard Blanchette et André Castagner qui n'a pas d'équivalent dans les six autres dossiers. Il ne me parait donc pas utile de reproduire les paragraphes ou parties de paragraphes visés par la requête en radiation dans les dossiers des requérants Richard Blanchette et André Castagner.

[6]      L'un des avocats des requérants a aussi indiqué à l'audience que la requête des requérants s'appuyait sur l'article 58 et non sur l'article 53 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

Prétentions des requérants

[7]      On a fait valoir pour les requérants que la radiation des paragraphes ci-dessus mentionnés était nécessaire puisque autrement le fondement des cotisations en litige serait totalement modifié. L'un des avocats des requérants s'exprime ainsi[1] :

Me YVES ST-CYR : C'était ça. Le fondement qui a fait en sorte que le montant a été établi à l'avis de cotisation c'était qu'on permettait une déduction. Et là ce qu'on nous dit aujourd'hui, ce n'est pas ça du tout. On nous dit : « Il n'y en a plus là puis on n'a pas d'autres articles à vous donner, on ne se fonde pas sur un autre article de la loi pour vous dire qu'il y a une déduction possible ou pas possible. » Dans ce cas-ci on change le fondement, c'est comme si on faisait finalement une toute nouvelle cotisation. C'est l'équivalent de ce qu'on a aujourd'hui.

Il invoque à ce sujet un passage de la décision du juge Stone dans l'affaire Schultz et al. v. The Queen, 95 DTC 5657, citée dans la décision du juge Rip de cette Cour dans l'affaire General Motors Acceptance Corporation of Canada, Limited v. The Queen, 99 DTC 975. Ce passage se lit en partie comme suit :

   I do not understand that the law as developed in these cases prevented the Minister from pleading the alternative defence before the Tax Court of Canada. It is true that in pleading he is subject to certain constraints. For example, he cannot plead an alternative assumption when to do so would fundamentally alter the basis on which his assessment was based as to render it an entirely new assessment. In my view, in the present cases the Minister has not so changed the basis of the assessments. What he did was merely to assert a different legal result flowing from the self-same set of facts by alleging that those facts show the existence of a joint venture or partnership if they do not show an agency relationship. Even if it could be said that the Minister has alleged new "facts" by adopting the alternative posture, the law as developed allowed him to do so but imposed upon him the onus of proving those facts ...

[8]      Pour le compte des requérants, on a insisté sur le point que l'intimée dans les paragraphes des Réponses aux avis d'appel dont la radiation est demandée veut changer de façon fondamentale la base des cotisations. Selon lui, ces paragraphes ne supportent pas les cotisations en litige et il formule à cet égard les commentaires suivants[2] :

Il ne faut pas oublier, Monsieur le Juge, et ça ça va, ça vient faire la boucle avec ce que je vous ai dit tout à l'heure, c'est qu'on vient ici accepter des modifications qui ont pour but de supporter la cotisation. Mais toute modification qui aurait pour effet de faire une nouvelle cotisation, évidemment ça ne serait pas pour la supporter. Et quand on parlait d'inclusion-inclusion puis déduction-déduction, c'est qu'on en est arrivé à un montant, par exemple, dans le cas des déductions, suite à l'application des dispositions relatives pour les déductions, la même chose pour les inclusions. Alors le concept est le même, la seule chose c'est que le ministère dit : « Je n'ai pas procédé par le bon article de loi au niveau, quand j'ai inclus ce montant-là dans le revenu ou quand j'ai déduit ce montant-là dans le revenu.

   Et pour supporter la déduction que j'accordais au contribuable, supporter l'inclusion que j'accordais au contribuable, que j'accordais, que je faisais subir au contribuable, je me suis juste tromper d'article. Alors c'est sous cet article-là que ça aurait dû être inclus ou c'est sous cet article-là que ça aurait dû être déduit. » Mais ici ce n'est pas possible de faire un parallèle, on change la substance fondamentale de l'avis de cotisation. Et puis on ne peut pas dire que c'est une « basis for supporting the assessment » . Je ne vois pas comment on peut prétendre devant la Cour que ça supporte la cotisation.

[9]      Dans sa réplique à la plaidoirie de l'intimée, l'un des avocats des requérants, après s'être référé aux décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale (90 DTC 6076) et de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Riendeau v. The Queen (91 DTC 5416), a précisé davantage sa pensée au sujet de ce qui peut constituer un changement fondamental de la base d'une cotisation en ces termes[3] :

Et c'est fondamentalement ce qu'on disait au début de la réplique, quand le montant d'impôt ne change pas. Et ça ne veut pas nécessairement dire par ailleurs que les arguments du ministère sont valables, mais que si les arguments du ministère sont valables et que la cotisation le montant ne change pas, que l'amendement peut être accordé ou que le nouvel argument peut être accordé.

   Toutefois, même si le ministère ne veut pas que le montant change, parce que c'est sûr qu'il ne peut pas vouloir que le montant change, parce qu'il sait que de toute façon ça va être considéré comme en appeler d'une cotisation, bien à ce moment-là si c'est vraiment fondamental et on se retrouve avec comme des nouveaux avis de cotisation qui seraient complètement différents, bien ça ne veut pas dire que leurs amendements puissent être admis par la Cour, ou les allégués dans une réponse à l'avis d'appel qui sont contraires.

Prétentions de l'intimée

[10]     L'intimée a fait état notamment de la décision dans l'affaire The Queen v. The Consumer's Gas Company Ltd., 87 DTC 5008, où il a été permis au ministre d'adopter une position devant la Section de première instance de la Cour fédérale qui différait de celle qui avait été retenue lors de la cotisation.

[11]     L'intimée souligne que lors d'un appel d'une cotisation, le tribunal doit déterminer si le montant d'impôt en jeu est trop élevé. Il s'est appuyé à cet égard sur la décision du juge Thurlow de la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire Harris v. M.N.R., 64 DTC 5332, notamment sur certains passages à la page 5337.

[12]     L'intimée a invoqué la décision du juge Dussault dans l'affaire Sauvé et al. v. The Queen, 2000 DTC 1858, et s'est référée au passage suivant de cette décision à la page 1861 :

... Tel que mentionné précédemment, dans le cas de monsieur Gilles Sauvé, le Ministre a accordé une déduction pour gain en capital d'un montant équivalent à celui ajouté à son revenu. Cette façon de considérer l'intérêt reçu à l'égard de la mise de fonds, moins les frais d'avocat payés, comme un gain en capital, est manifestement erronée et l'avocat de l'intimée s'appuie sur le nouveau paragraphe 152(9) de la Loi pour soutenir qu'il s'agit là véritablement d'un montant reçu à titre d'intérêt et qui doit être inclus au revenu des appelants à ce titre et non comme un gain en capital imposable, tout en reconnaissant que le montant de la cotisation ne peut, par ailleurs, être augmenté de quelque façon que ce soit.

[13]     On a aussi soutenu de la part de l'intimée que le ministre du Revenu national non seulement peut invoquer de nouveaux moyens mais également de nouveaux faits. Sur ce point, l'avocat de l'intimée a fait mention de la décision dans l'affaire Smith Kline Beechman Animal Health Inc. v. R., [2000] 1 C.T.C. 2552, dont le jugement a été simplement confirmé par la Cour d'appel fédérale sans que des motifs soient formulés par cette dernière Cour.

[14]     L'intimée a en outre argumenté que l'existence d'une société est une question de droit et que le Ministre n'est pas lié par un aveu. La décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Backman v. Canada, 2001 R.C.S. 10, et celle de cette Cour dans l'espèce L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund v. The Queen, 92 DTC 2365, ont été mentionnées au soutien de cette proposition.

[15]     L'avocat de l'intimée a indiqué clairement que le ministre du Revenu national ne demande pas que le montant de l'impôt cotisé soit augmenté. L'intimée veut simplement établir que le montant d'impôt qui figure sur chacune des cotisations dont appel n'est pas trop élevé.

Analyse

[16]     Dans les cotisations qui sont l'objet des présents appels, le ministre du Revenu national avait pris pour acquis que les sociétés en question existaient et que leurs associés étaient des associés passifs.

[17]     L'intimée conteste maintenant dans chacune des Réponses aux avis d'appel l'existence de chacune des sociétés concernées et prétend en plus dans l'hypothèse où ces sociétés auraient réellement existé qu'elles étaient des sociétés en commandite.

[18]     Il s'agit donc de déterminer si l'intimée peut présenter des arguments et des éléments de preuve tendant à établir que les groupements en question ne constituaient pas de véritables sociétés et que, dans l'affirmative, les requérants étaient des associés commanditaires.

[19]     Comme il a été établi depuis longtemps par la jurisprudence, le ministre du Revenu national ne peut pas en appeler de ses propres cotisations. Il est également bien reconnu que, dans le cas d'un appel d'une cotisation, le tribunal doit trancher en dernière analyse la question de savoir si le montant d'impôt cotisé par le ministre du Revenu national est trop élevé. La jurisprudence, même avant l'ajout du paragraphe 152(9) par chapitre 22 des Lois du Canada 1999, avait établi que le Ministre peut invoquer à l'appui de sa cotisation d'autres motifs que ceux qu'il avait pris en compte lors de la cotisation. Voir à ce sujet la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire The Queen v.Consumer's Gas Company Ltd., précitée, à la page 5012. Cependant, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'espèce Banque Continentale c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 358, a jeté certains doutes sur cette question et c'est ce qui a amené l'édiction en 1999 par le Parlement du paragraphe 152(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[20]     À mon point de vue, le ministre du Revenu national dans le cas actuel a le droit d'avancer le moyen selon lequel les sociétés en question sont inexistantes et que dans l'hypothèse de leur existence il s'agit de sociétés en commandite. Cette preuve, si elle emporte l'adhésion du juge, établirait en effet que le montant cotisé n'est pas trop élevé. L'intimée ne demande pas que le ministre du Revenu national soit autorisé à modifier les cotisations ou, si je peux m'exprimer de façon plus technique, l'intimée ne demande pas que les appels soient rejetés et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations. Le paragraphe 171(1) de la Loi, en effet, ne permet pas qu'une cotisation soit déférée au ministre dans le cas où l'appel est admis; l'intimée ne demande que le rejet des appels des cotisations en litige.

[21]     Si je retenais la proposition des requérants, il en découlerait que l'intimée ne pourrait faire valoir un nouvel argument selon le paragraphe 152(9) de la Loi - de même que la preuve qui peut le sous-tendre - que dans les cas où cet argument aurait comme résultat de justifier le montant précis de la cotisation dont appel. Si cet argument aboutissait à l'établissement d'un montant d'impôt supérieur à celui qui a été cotisé, ne fût-ce que de quelques dollars, cet argument serait irrecevable. Accepter une telle proposition me paraît insérer dans le régime des appels de cotisations un élément arbitraire et artificiel. En outre, le paragraphe 152(9) de la Loi a une portée générale; il ne subordonne pas l'invocation d'un nouvel argument à l'appui d'une cotisation à la condition qu'il aboutisse précisément au montant de la cotisation dont appel.

[22]     C'est l'approche qu'a adoptée le juge Dussault de cette Cour dans l'affaire Sauvé et al, précitée,où une partie des intérêts reçus par le contribuable avait été considérée comme un gain en capital au moment de l'établissement de la cotisation. Le ministre du Revenu national avait ainsi inclus dans le revenu de ce contribuable seulement 75 pour cent du montant de ces intérêts. À la suite de l'appel du contribuable de la cotisation, le ministre du Revenu national a fait valoir à l'appui de la cotisation, moyen qui fut accepté par la Cour, que la totalité des intérêts aurait dû être incluse dans le revenu et non seulement 75 pour cent, mais sans demander toutefois que la cotisation d'impôt sur le revenu soit augmentée d'autant.

[23]     Se référant à cette question des intérêts, le juge Dussault s'exprime ainsi à la page 1861 dans l'affaire Sauvé et al., précitée :

   Sur cette question, en quelque sorte préliminaire, j'estime que l'intimé peut effectivement se prévaloir des dispositions du nouveau paragraphe 152(9) pour avancer un nouvel argument à l'appui de la cotisation, ce qui signifie, comme il a été maintes fois décidé, à l'appui du montant même d'impôt cotisé. On peut voir à cet égard la décision que j'ai rendue dans Consoltex Inc. vs. The Queen, 92 DTC 1567, à la page 1569, où je me réfère aux propos du juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire The Queen vs. Consumer's Gas Company Limited, 87 DTC 5008, à la page 5012.

Plus loin, il conclut ainsi sur la même question à la page 1862 :

   Les montants nets reçus à ce titre (c'est-à-dire à titre d'intérêts) par les appelants en 1993 auraient normalement dû être simplement inclus à ce titre et non à titre de revenu d'entreprise et, évidemment, encore moins à titre de gain en capital imposable. Les cotisations établies ne pouvant être modifiées par l'ajout de montants additionnels pour compenser le fait que seulement soixante-quinze pour cent (75%) de la somme nette reçue à titre d'intérêts sur le montant de la mise de fonds remboursée ont été inclus au revenu, je dois simplement conclure que le montant inclus au revenu et qui représente des intérêts doit effectivement être maintenu comme revenu. [Les mots entre parenthèses en caractère gras ont été ajoutés par moi]

[24]     La même attitude avait été adoptée auparavant par le juge Lamarre Proulx de cette Cour dans l'affaire La Compagnie Price Limitée v.The Queen, 97 DTC 800. Il y a lieu de noter ses commentaires à la page 802 :

   La position du Ministre qui acceptait dans l'établissement de sa plus récente cotisation pour les années d'imposition 1984 à 1987, que les pièces de rechange étaient de la nature du capital était favorable à l'appelante et celle-ci est normalement déçue du changement possible dans la manière future de cotiser. Mais en droit, l'intimée peut plaider comme moyens d'arriver au résultat de la cotisation, d'autres que ceux suivis pour l'établissement de la cotisation avec la seule contrainte que le montant de la cotisation ne peut pas être augmenté, tel que décidé dans Harris v. M.N.R., 64 DTC 5332 et repris dans une jurisprudence constante à cet égard.

[25]     La prétention des requérants selon laquelle le ministre du Revenu national ne peut faire valoir à l'appui d'une cotisation un nouvel argument qui constituerait un changement fondamental quant à la base d'une cotisation me paraît aller à l'encontre des décisions des juges Lamarre Proulx et Dussault dans les affaires susmentionnées Compagnie Price et Sauvé. Par exemple, dans l'espèce Sauvé, le nouvel argument - avancé par le Ministre et retenu par cette Cour - proposait l'inclusion dans le revenu du contribuable de la totalité des intérêts qu'il avait reçus alors que la cotisation en litige considérait les intérêts en question comme constituant un gain en capital et n'incluait dans le revenu du contribuable que 75 pour cent du montant en question. La Loi, en plus d'établir un taux spécial d'inclusion dans le revenu (75 pour cent à l'époque pertinente) par rapport au revenu provenant, par exemple, de chaque charge, emploi, entreprise et bien d'un contribuable, établit un traitement tout à fait spécial pour les gains en capital particulièrement dans la Sous-section c) de la Section B de la Partie I de la Loi par rapport au revenu provenant des sources que je viens de mentionner. Dans l'affaire Sauvé, le nouvel argument dont la validité a été reconnue par la Cour représentait, d'après moi, un changement radical par rapport au fondement de la cotisation, qui était l'objet de l'appel. L'un des avocats des requérants ne m'a pas paru accepter cette conclusion que je tire de l'arrêt Sauvé.

[26]     J'ajoute que, pour le compte des requérants, on ne m'a pas proposé une formule ou ligne de démarcation logique qui permettrait de déterminer la nature - fondamentale ou non - d'un nouvel argument, aux fins de l'application du paragraphe 152(9) de la Loi. Bien que je n'aie pas à décider de la question, je ne crois toutefois pas que le ministre du Revenu national pourrait soulever dans une Réponse à un avis d'appel concernant une cotisation donnée un moyen qui serait totalement étranger à l'élément de la cotisation qui est l'objet d'une dispute entre les parties.

[27]     Pour ces motifs, la requête est rejetée. L'intimée a droit aux dépens, peu importe l'issue de ces appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'octobre 2001.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.


Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 98-2925(IT)G, 98-2930(IT)G

98-3120(IT)G, 98-3452(IT)G

98-3517(IT)G, 98-3521(IT)G

98-3540(IT)G, 98-3573(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :      RICHARD BLANCHETTE,

ANDRÉ CASTAGN ER,

DENIS McNAMARA,

MICHEL ROYAL,

TIRUVENKAT DEVANATHAN,

GORDON FOREST,

CHRISTIAN LAVOIE,

VENKATACHALA MURTHY,

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :        24 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :        L'honorable Alban Garon

                                                                   Juge en chef

DATE DE L'ORDONNANCE :           11 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Pour les requérants :                   Me Yves St-Cyr

                                                Me James Bonhomme

Pour l'intimé(e) :                        Me Pierre Cossette

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Pour les requérants :

                   Nom :           Me Yves St-Cyr      Me James Bonhomme

                   Étude :                   Lavery De Billy       Bonhomme, Castonguay

Montréal (Qc)         et Associés

                             Ville St-Laurent (Qc)

Pour l'intimé(e) :                        Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada



[1] Notes sténographiques à la page 136, lignes 12 à 22.

[2] Notes sténographiques à la page 152, ligne 7 jusqu'à la page 153, ligne 8.

[3] Notes sténographiques à la page 149, lignes 8 à 24.

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