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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020211

Dossier: 2001-2232(IT)I

ENTRE :

MICHAEL MELNYCHUK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentante de l'appelant :                          Stella Melnychuk

Avocate de l'intimée :                                    Me Brooke Sittler

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Edmonton (Alberta), le 10 janvier 2002.)

Le juge McArthur, C.C.I.

[1]      La question en litige en l'espèce est celle de savoir si l'appelant a le droit de réclamer le coût de vitamines, d'herbes médicinales et de suppléments de minéraux à titre de frais médicaux au vertu de l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans le calcul de son crédit d'impôt pour frais médicaux, aux fins du calcul de ses crédits d'impôt non remboursables pour l'année d'imposition 1999, l'appelant avait réclamé 1 073 $. Il avait par la suite ramené ce montant à 973 $, l'intimée ayant accepté la déduction d'un montant de 100 $ aux termes de l'alinéa 118.2(2)o) de la Loi.

[2]      La femme de l'appelant, Stella, a habilement représenté ce dernier. Bien que l'appelant ait été présent à l'audience, sa santé ne lui permettait pas de témoigner. Le Dr Kenneth Wiancko, le médecin hautement qualifié de l'appelant, a témoigné; par ailleurs, plus de quinze supporteurs de l'appelant étaient également présents à l'audience.

[3]      La position de l'appelant est clairement énoncée dans une lettre rédigée par le Dr Wiancko le 5 décembre 2001. Je reproduis ci-après cette lettre en entier :

[TRADUCTION]

M. Melnychuk est mon patient, à la Phoenix Chelation Clinic, depuis septembre 1999. Il avait auparavant subi un pontage. Lorsque je l'ai vu pour la première fois, trois des artères visées par le pontage étaient occluses à 70 p. 100, et une artère non visée était complètement occluse. M. Melnychuk lui-même et ses conseillers craignaient que de nouvelles opérations puissent être fatales et estimaient qu'elles n'amélioreraient probablement pas l'état du patient.

Le traitement par chélation, qui est un traitement autorisé par le Collège des médecins et chirurgiens, permet d'éliminer du corps du patient les métaux lourds. Ces métaux déclenchent des maladies liées aux radicaux libres, causant notamment l'artériosclérose. L'élimination de ces métaux améliore l'état du patient.

Un élément important de la thérapie par chélation est la prise de suppléments composés de vitamines et de minéraux en doses équilibrées. Toutes les personnes qui suivent un régime « civilisé » en viennent à souffrir de plus en plus de carences de minéraux, de vitamines, d'acides gras essentiels et d'autres éléments nutritifs. Avec le processus de vieillissement, et avec les maladies, cette carence devient de plus en plus prononcée. Il y a 50 ans, en Ontario, le Dr Schute a démontré de façon concluante que la prise de vitamine E réduisait le risque de cardiopathie. Le Dr Linus Pauling, qui a reçu le prix Nobel à deux reprises pour ses travaux sur la vitamine C, a prouvé que la prise régulière de cette puissante vitamine antioxydante / anti-radicalaire réduisait considérablement le nombre de cancers et de cardiopathies et de plusieurs autres maladies qui affligent les êtres humains. Les minéraux sont des activateurs des vitamines. Une vitamine ou un minéral est nettement moins efficace s'il est employé seul que s'il est associé à un régime prescrit équilibré. La documentation relative à la médicine orthodoxe et à la médicine holistique fait état de bon nombre d'études semblables démontrant que les suppléments réduisent la prévalence des maladies et contribuent à la guérison.

Ces suppléments équilibrés sont recommandés par le American College for the Advancement of Medicine ( « Collège américain pour le progrès médical » ), soit le corps dirigeant et le responsable de la formation dans le domaine de la chélation. Le traitement par chélation est refusé à tout patient qui ne prend pas les suppléments. La Phoenix Chelation Clinic fournit elle-même ces suppléments, étant donné que ceux vendus dans certaines pharmacies ne sont pas équilibrés, même si ceux vendus dans tous les magasins d'aliments naturels le sont.

Je dois réitérer que les vitamines et les suppléments sont prescrits précisément aux fins prévues à l'alinéa 118.2(2)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les vitamines ne sont pas régies par la loi intitulée Pharmacy Act ( « Loi sur la pharmacie » )et elles n'exigent pas une ordonnance. Si elles font l'objet d'une ordonnance, le patient doit supporter un coût additionnel, soit les frais d'ordonnance.

Il est inacceptable que le patient soit pénalisé parce qu'il se procure les suppléments qui lui sont nécessaires à l'extérieur du « système » : les vitamines peuvent être de meilleure qualité et sont souvent moins chères lorsqu'elles sont achetées ailleurs qu'en pharmacie. En ma qualité de médecin prescripteur, je sais ce dont le patient a besoin, et je sais qu'il obtiendra les suppléments qui conviennent s'il se les procure à la clinique ou dans un magasin d'aliments naturels. J'ai souvent vu des patients qui s'étaient procuré de la niacine ordinaire (qui cause de graves bouffées vasomotrices) ou de la niacine à libération prolongée (qui peut causer des dommages au foie) dans une pharmacie. Ce ne sont là que quelques exemples de cas où les pharmacies n'agissent pas dans le meilleur intérêt des patients. Il ne m'est jamais arrivé de constater qu'un patient avait reçu le mauvais supplément à ma clinique ou dans un magasin d'aliments naturels.

La prise régulière de suppléments réduit la prévalence de maladies dégénératives. Parmi des centaines d'aliments naturels qui ont des effets bénéfiques, j'en mentionnerai deux à titre d'exemple : les études conventionnelles ont démontré que la glucosamine et la chondroïtine amenuisaient l'arthrite sans causer les effets secondaires causés par les anti-inflammatoires, tandis que l'échinacée renforce le système immunitaire. Il a été démontré que de nombreux autres produits alimentaires naturels amélioraient l'état des patients et réduisaient leur dépendance envers le système de soins de santé.

L'un des objectifs principaux des gouvernements fédéral et provinciaux est la réduction des coûts liés aux soins de santé. Si des patients sont disposés à assumer la responsabilité de leur santé et achètent leurs vitamines et suppléments de santé ailleurs qu'à la pharmacie, n'est-ce pas contradictoire et aller à l'encontre du but recherché que de les obliger à avoir recours au régime de soins de santé?

En faisant droit à la demande de ce patient, vous aideriez tous les patients et contribueriez à la réduction des coûts liés aux soins de santé.

[4] Dans l'avis d'appel, qui a de toute évidence été rédigé par la conjointe de l'appelant, on peut lire ceci :

            [TRADUCTION]

Dans le cas de mon mari, on devrait lui permettre de déduire les frais médicaux engagés au titre de la médicine douce, étant donné qu'une deuxième opération à coeur ouvert - laquelle serait par ailleurs très risquée - coûterait des milliers de dollars au régime d'assurance-maladie et n'offrirait aucune garantie pour ce qui est de la qualité de vie. Ces vitamines ont été prescrites par le Dr Ken Wiancko, spécialiste de la chélation à la Phoenix Chelation Clinic, à Edmonton.

En ce qui concerne les années d'imposition 1999 et suivantes, nous demandons à la Cour canadienne de l'impôt de permettre à mon mari de déduire les montants figurant sur ses reçus d'achat de vitamines et d'herbes médicinales à titre de frais médicaux valables, que ces produits aient été achetés à la Phoenix Chelation Clinic (qui offre la « concentration » exacte de vitamines requises par les patients subissant un traitement par chélation) ou dans un magasin d'aliments naturels. Après avoir fait enquête auprès de nombreuses pharmacies de notre région, nous avons constaté qu'il nous était impossible d'obtenir la « concentration » de vitamines qui convenait et qu'avait prescrite le Dr Ken Wiancko, même si les vitamines qui conviennent sont offertes dans la plupart des magasins d'aliments naturels de la région.

[5]      Les faits énoncés dans la lettre du Dr Wiancko et dans l'avis d'appel ne sont pas contestés.

[6]      L'alinéa 118.2(2)n) de la Loi se lit comme suit :

118.2(2)            Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

                       

                        [...]

n)          pour les médicaments, les produits pharmaceutiques et les autres préparations ou substances [...] qui sont, d'une part, fabriqués, vendus ou offerts pour servir au diagnostic, au traitement ou à la prévention d'une maladie, d'une affection, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes ou en vue de rétablir, de corriger ou de modifier une fonction organique et, d'autre part, achetés afin d'être utilisés par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l'alinéa a), sur ordonnance d'un médecin ou d'un dentiste, et enregistrés par un pharmacien;

L'intimée soutient que l'appelant a satisfait à tous les critères énoncés à l'alinéa n), sauf pour les termes « enregistrés par un pharmacien » . L'appelant reconnaît que les vitamines ne satisfont pas à cette condition, mais demande à la Cour de faire preuve d'équité et de ne pas en tenir compte.

[7]      L'appelant a renvoyé la Cour à la décision rendue dans l'affaire Frank c. La Reine, C.C.I., no 2000-3586(IT)I, 30 avril 2001, [2001] 3 C.T.C. 2596, dans laquelle l'appelante avait acheté des vitamines et des suppléments dans une pharmacie ou dans un magasin d'aliments naturels. Le juge Teskey, de cette cour, déclarait ce qui suit aux paragraphes 11 et 12 de ses motifs :

Le terme « enregistrés » a peut-être trait aux bordereaux d'achat ou aux factures de vente du pharmacien. Dans les deux cas, ce sont des enregistrements faits par le pharmacien.

Dans une affaire portant sur l'indemnité de grève, le défunt juge Sopinka, de la Cour suprême du Canada, a déclaré que, lorsque la Loi est telle qu'il y a un doute sur le sens des termes, ce doute doit jouer en faveur du contribuable. Je suis convaincu que le législateur n'entendait pas « médicaments délivrés sur ordonnance » lorsqu'il a adopté l'ensemble de cette disposition, aussi ne suis-je pas certain de ce qu'il voulait dire par ce dernier passage. De ce fait, puisque ces vitamines et suppléments sont nécessaires à la santé, au bien-être et au maintien en vie de l'appelante et qu'ils ont été utilisés sur ordonnance d'un médecin, j'admets les différents articles visés au point A, pour un montant de 702,73 $.

Dans l'affaire Frank, on a retenu une interprétation libérale des mots « enregistrés par un pharmacien » . En l'espèce, la preuve démontre que les vitamines en cause n'avaient pas été enregistrées par un pharmacien ni achetées dans une pharmacie. Il n'y avait pas eu d'achats effectués par un pharmacien, ni de reçus de caisse d'un pharmacien, alors que cela avait été le cas dans l'affaire Frank.

[8]      Dans une autre affaire où notre cour s'est reportée à l'affaire Frank, Pagnotta c. La Reine, C.C.I., no 2000-4291(IT)I, 27 août 2001, [2001] 4 C.T.C. 2613, le juge Miller concluait en ces termes au paragraphe 30 de ses motifs :

Affirmer que seulement certains des produits de ce traitement obtenus d'un pharmacien peuvent être considérés comme donnant lieu à des frais médicaux admissibles représente une interprétation trop stricte de cet alinéa. Il reste toutefois que les substances doivent avoir été obtenues d'un pharmacien. Il n'y a simplement rien qui permet de contourner cette exigence. [...] En attendant, je ne peux que conclure que seules les substances obtenues d'un pharmacien peuvent être considérées comme correspondant au sens de l'alinéa 118.2(2)n).

[9]      En l'espèce, l'appelant reconnaît que les vitamines n'ont pas été achetées dans une pharmacie ni enregistrées par un pharmacien. Il s'agit d'une exigence dont je ne peux faire abstraction. L'avocate de l'intimée a affirmé qu'en raison du contrôle exercé par l'État sur certaines substances pouvant uniquement être achetées d'un pharmacien, ces substances sont souvent beaucoup plus dispendieuses que les vitamines achetées ailleurs, notamment dans des magasins d'aliments naturels. Elle a indiqué que c'était peut-être la raison pour laquelle certaines substances ne sont pas frappées de TPS tandis que les autres le sont.

[10]     En l'espèce, les vitamines ont été prescrites par un distingué médecin qui est hautement compétent dans le domaine du traitement par chélation. À ce jour, le traitement appliqué à l'appelant a été bénéfique, évitant à ce dernier de subir un second pontage. L'appelant a acheté les substances ou vitamines précises prescrites à la clinique du Dr Wiancko. La clinique est reconnue et approuvée par les pairs de ce dernier, la Medical Association of Alberta ( « Association médicale de l'Alberta » ).

[11]     Le sens commun dicterait qu'on permette à l'appelant de déduire les montants qu'il réclame, et je comprends la frustration de ce dernier. Il est admis que les vitamines n'avaient pas été enregistrées par un pharmacien. J'en déduis que l'appelant ne s'était pas présenté chez un pharmacien avec une ordonnance du médecin en main, et qu'aucun pharmacien ne lui avait remis de médicaments. Pour ce qui est de l'idée que je devrais conclure que d'autres produits vendus par un pharmacien sont visés à la disposition en cause, j'ai un certain doute. Où doit-on fixer les limites? Doit-on inclure les produits amaigrissants et les produits de toilette et de beauté? Je ne crois pas.

[12]     Ce que je ressens en l'espèce correspond plutôt à ce qu'a dit le juge Bowman dans l'affaire Banman c. La Reine, C.C.I., no 2000-4039(IT)I, 20 février 2002, [2001] 2 C.T.C. 2111. Dans cette affaire, où les faits sont quelque peu semblables à l'affaire qui nous occupe, le juge Bowman déclarait ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 :

J'ajouterais un autre point : je sais, grâce au témoignage de l'appelante et de façon générale, que les médecines douces, notamment l'homéopathie, font beaucoup de progrès à l'heure actuelle. Je peux très bien comprendre que, si le gouvernement exige à l'alinéa n) que certains médicaments soient obtenus sur ordonnance d'un médecin, c'est parce qu'il y a pour l'instant peu de contrôle sur l'étiquetage et la vente de médicaments de relais. Cela doit être fait.

Je crois toutefois que le gouvernement devra tôt ou tard se rendre compte du fait que les médicaments homéopatiques, les formes de traitement de relais, les herbes, la guérison naturelle et ce genre de médecine sont à ce point présents qu'il lui faudra songer à modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de façon à accorder un crédit d'impôt relativement à ces médicaments. [...]

[13]     L'appelant constitue un excellent exemple d'une personne qui a employé des médicaments alternatifs avec succès. Je suis désolé de ne pouvoir lui accorder un redressement; cependant, je le loue pour le courage dont il a fait preuve en se présentant devant la Cour. Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de février 2002.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d'octobre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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