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Dossier : 2002-1394(GST)I

ENTRE :

JEAN-MARIE PLAMONDON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu les 21 et 24 juillet et le 15 septembre 2003

à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Léonce-E. Roy

Avocat de l'intimée :

Me Louis Cliche

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 11 octobre 2000, portant le numéro PQ-2000-5314, relativement à la taxe sur les produits et services, pour la période du 1er juin 1996 au 31 janvier 1998, est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2003CCI779

Date : 20031114

Dossier : 2002-1394(GST)I

ENTRE :

JEAN-MARIE PLAMONDON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel initié à la suite d'un avis de cotisation émis en vertu de la Loi sur la taxe d'accises ( « Loi » ), portant le numéro PQ-2000-5314, relativement à la taxe sur les produits et services ( « TPS » ), pour la période allant du 1er juin 1996 au 31 janvier 1998.

[2]      Pour la période visée par la cotisation soit du 1er juin 1996 au 31 janvier 1998, l'appelant était administrateur de la compagnie Casse-Croute Bon Appétit inc. (ci-après appelée « la société » ).

[3]      La question en litige est de déterminer si l'appelant, en sa qualité d'administrateur de la société, au moment où cette dernière était tenue de verser une taxe nette, est solidairement tenu de payer la taxe que la société a fait défaut de verser ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

[4]      La compagnie a fait l'objet d'une cotisation pour une période s'échelonnant sur une plus longue que celle visée par le présent appel.

[5]      La cotisation, dont il est fait appel, couvre la période allant du 30 octobre 1996 au 28 septembre 1998. Lors de cette période, l'appelant était administrateur de la compagnie des suites de l'acquisition de toutes les actions de la société (pièce A-1).

[6]      La cotisation a été établie en vertu de l'article 323 aux paragraphes (1), (3) et (5) de la Loi qui se lisent comme suit :

(1) Responsabilité des administrateurs - Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(3) Diligence - L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances

(5) Prescription - L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur ne se prescrit pas par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

[7]      Plusieurs personnes ont témoigné au soutien de l'appel.

[8]      La fille de l'appelant et son conjoint avaient acquis une grande expertise en matière de restauration à la suite d'expériences à divers endroits. Croyant avoir en main un très bon projet, ils se sont totalement investis dans l'opération d'un restaurant situé à proximité du garage exploité par l'appelant.

[9]      Le restaurant opérait sous la raison sociale « Casse-Croute Bon Appétit inc. » . Rapidement, ils ont dû faire face à une réalité très décevante, à savoir que les revenus anticipés n'étaient pas au rendez-vous. Malgré tous leurs efforts, toutes sortes d'initiatives et leur implication, ils ont dû se rendre à l'évidence qu'ils n'avaient pas les ressources financières pour poursuivre les opérations.

[10]     Comme la fille de l'appelant et son conjoint y travaillaient, l'appelant a décidé de poursuivre les opérations pour permettre à sa fille de continuer à avoir un emploi. Il a alors fait l'acquisition de la totalité des actions de la compagnie qui avait comme seule activité commerciale l'exploitation du restaurant « Casse-Croute Bon Appétit inc. » .

[11]     Pour maintenir le restaurant en opération, l'appelant a dû investir des montants substantiels et ce, d'une manière continue. Sa fille a expliqué avoir été mal à l'aise et très inconfortable à l'idée d'être obligée régulièrement de rendre visite à son père aux fins de lui demander les fonds nécessaires à la poursuite des opérations.

[12]     Elle préparait les chèques, se présentait au bureau de son père à sa place d'affaires et ce dernier signait les effets bancaires pour faire face aux nombreuses obligations et comptes payables.

[13]     Durant tout ce temps, elle et son conjoint maximisaient les efforts pour augmenter les revenus. Pour ce faire, des spéciaux deux pour un, des brunchs, etc. furent organisés, mais rien n'a jamais bien réussi.

[14]     À un certain moment, l'appelant s'est présenté au restaurant lors d'une réunion avec les employés. Lorsqu'il a voulu intervenir pour exprimer sa façon de voir, l'ami de sa fille l'a rabroué et l'a invité à s'abstenir sous prétexte qu'il ne connaissait rien dans la restauration. Pour ne pas risquer d'envenimer la relation avec sa fille, l'appelant aurait décidé de se retirer de la discussion.

[15]     La preuve n'a pas fait état d'autres initiatives de la part de l'appelant quant à des gestes concrets exécutés pour prendre le contrôle des opérations ou pour y assumer un quelconque leadership.

[16]     Les choses ont continué à se détériorer et la fille de l'appelant a même dû s'en désintéresser, sa santé étant profondément affectée par la tournure des événements. Devant l'échec total et l'impossibilité de placer les opérations sur la voie de la rentabilité, l'appelant a décidé de cesser les opérations et de céder les actifs à une tierce personne.

[17]     Des suites de la décision, il a pris certains engagements à l'endroit de l'intimée pour le remboursements des montants alors dus et l'a avisée de mettre un terme à son obligation de mandataire pour la perception de la TPS, en résiliant l'enregistrement.

[18]     Le témoignage de la fille de l'appelant a été particulièrement sympathique au niveau de la relation avec son père manifestement préoccupé par son bien-être. Il n'y a aucun doute qu'elle a bénéficié de sa bienveillance. de sa générosité, de son empressement et de sa grande préoccupation face aux problèmes financiers du restaurant qui lui procurait un emploi.

[19]     L'appelant était un homme d'affaires avisé, ayant acquis, au fil des ans, une vaste expérience. Il avait été associé à d'autres entités corporatives.

[20]     Cette expertise s'est d'ailleurs manifestée par l'acquisition des actifs pour un montant minimal de 1 $. Il a ainsi démontré un réflexe, tout à fait légitime d'ailleurs, de protéger ses intérêts en mettant en place les éléments lui permettant de prendre le contrôle de l'activité économique générée par l'exploitation du restaurant.

[21]     La défense de diligence raisonnable prévue à l'alinéa 323(3), ne permet pas à un administrateur de se soustraire à ses obligations en faisant valoir des éléments de malchance, de naïveté, d'ignorance ou d'autres excuses du même genre.

[22]     « Agir avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances » , n'est pas une simple et banale formule. Déterminer si un administrateur a ainsi agi sous-entend que ses faits et gestes ou leurs absences doivent s'apprécier dans un contexte de comparaisons où les acteurs sont des personnes, qui, sans être spécialistes, sont généralement bien avisées et en mesure d'obtenir l'information dans les cas où ils ne l'ont pas.

[23]     Il ne s'agit pas d'un moyen de défense permettant de faire valoir des excuses essentiellement subjectives. Pour apprécier s'il y a matière à responsabilité ou non, il est fondamental de procéder à la comparaison du comportement dans un contexte où le modèle de référence est quelqu'un qui agit d'une manière objectivement prudente, dûment avisée et surtout en contrôle de la situation.

[24]     Les considérations d'ordre humanitaire, de générosité ou de compassion familiale ou de philanthropie ne doivent ni guider, ni façonner principalement une ou des décisions d'ordre économique; en d'autres termes, lorsqu'une personne décide d'investir dans une opération commerciale ou s'associer à des activités génératrices de revenus, elle doit respecter les lois et règlements applicables.

[25]     Si elle ne possède pas les qualifications ou n'a pas les connaissances requises, elle doit avoir recours à des ressources humaines qualifiées faute de quoi, elle doit assumer les conséquences de ses faits et gestes ou d'omissions de faire tels faits et gestes.

[26]     Si la réponse à la question en litige devait passer par la prise en considération d'éléments d'équité, l'appelant aurait effectivement marqué quelques points positifs. Les arguments d'équité ne sont pas recevables. Ce Tribunal doit disposer de l'appel à partir des seules dispositions prévues par la Loi. Cette obligation ressort clairement d'une décision de l'honorable juge McArthur de cette Cour, le 3 juin 2003 dans l'affaire Khullar au Gourmet International v. The Queen, [2003] T.C.J. no. 348 (Q.L.). Il s'exprimait ainsi au paragraphe 31 comme suit :

[TRADUCTION]

Invoquant non seulement l'ordre public, mais aussi la Charte canadienne des droits et libertés, l'avocat des appelantes s'est donné beaucoup de mal pour présenter comme un « travestissement de la justice » la cotisation établie par le ministre. Or, les tribunaux ont à maintes reprises statué que la justice et l'équité n'ont rien à voir avec le droit fiscal.

[27]     L'appelant a démontré que le ministère du Revenu du Québec ( « Ministère » ) avait fait une gestion fort discutable de son dossier en faisant ressortir qu'il avait obtenu des informations incomplètes ou déficientes en plus de constater l'absence de cohérence dans le suivi du dossier. Il a aussi décrié le pouvoir de l'intimé de se faire lui-même justice en retenant des montants ou en exigeant le paiement dans un dossier avant même que jugement n'intervienne.

[28]     Même si l'appelant avait de bonnes raisons d'être profondément mécontent, outragé, choqué, voire même révolté de la façon dont son dossier a été traité par l'intimée, même si l'appelant avait été très vulnérable devant les problèmes financiers de sa fille, je ne peux pas prendre en considération ni la frustration de l'appelant ni les considérations humanitaires que la preuve a fait ressortir; je dois essentiellement répondre à la question de savoir si l'appelant a été ou non raisonnablement prudent dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur unique de la compagnie quant à la perception et remise à l'intimée des montants de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ).

[29]     L'appréciation des faits pour décider si un administrateur a agi avec suffisamment de diligence dans l'exécution de son mandat sous-entend une approche tant objective que subjective.

[30]     Accepter d'agir comme administrateur constitue en soi une responsabilité bien réelle, nécessitant la prise en considération de plusieurs éléments. Souvent, il peut arriver que la personne n'ait pas les connaissances appropriées, elle doit alors s'entourer de personnes qualifiées pour la guider et la conseiller adéquatement.

[31]     L'ignorance de la Loi et de ses exigences ne peut constituer une excuse valable pour se soustraire à ses obligations. Lorsqu'une personne décide de s'investir dans une aventure commerciale, elle le fait généralement dans un but d'en tirer avantage, elle doit être consciente des risques inhérents à son choix.

[32]     En l'espèce, l'appelant était un homme d'affaires d'expérience et avisé. Oeuvrant dans le domaine de la vente d'automobiles depuis plusieurs années, il devait composer avec une multitude d'éléments dont notamment, plusieurs employés, la concurrence, les promotions, la publicité, la gestion, l'administration, etc., etc.

[33]     Pour ce faire, il devait sans doute avoir recours à des personnes professionnelles tel comptable, avocat, etc.

[34]     Un bon jour, pour venir en aide à sa fille, il décide d'intervenir en espérant consolider l'emploi de cette dernière et celui de son conjoint. Premier réflexe très avisé, il fait l'acquisition de toutes les actions pour lui permettre d'être en mesure de décider, contrôler, surveiller et éventuellement récolter des bénéfices.

[35]     La preuve a établi que le restaurant était situé près du garage qu'il exploitait. Il pouvait s'y rendre régulièrement. D'ailleurs, sa fille venait le voir régulièrement pour obtenir des mises de fonds qui ont totalisé des montants substantiels de l'ordre de plus de 150 000 $.

[36]     Certains employés du restaurant lui rendaient aussi visite pour qu'il intervienne.

[37]     Durant toute cette période, il n'a jamais rien fait de concret, de spécifique et de défini pour s'assurer que les taxes sur les produits et services soient perçues et remises.

[38]     Qu'a fait concrètement l'appelant pour tenter de prévenir que la compagnie n'omette de verser la TPS ? Strictement rien, si ce n'est qu'il a voulu offrir à sa fille quelques conseils lors d'une réunion ce qui n'avait d'ailleurs rien à voir avec la perception des taxes dues. Il n'a jamais mis à contribution son frère comptable et qui travaillait pour lui dans son propre commerce. Il faisait confiance à sa fille et injectait régulièrement des argents pour garder le restaurant en opération.

[39]     Certes, il a été un père soucieux du bien-être de sa fille; certes il a été très généreux, mais malheureusement ses nobles sentiments n'excusent ni n'effacent les obligations qui découlaient de sa charge d'administrateur.

[40]     La preuve dont l'appelant avait le fardeau a fait ressortir des éléments de sympathie, mais n'a aucunement démontré que l'appelant avait mis en place un quelconque système pour s'assurer que les taxes soient perçues et remises suivant les dispositions de la Loi.

[41]     L'appelant a investi des sommes colossales dans le commerce et n'en a retiré aucun bénéfice, si ce n'est les pertes à titre de placement d'entreprises réclamées et obtenues.

[42]     Il n'a cependant pas démontré avoir pris les dispositions requises pour éviter une éventuelle cotisation. Les faits et circonstances étaient tels qu'une personne raisonnablement avisée et prudente aurait dû savoir et comprendre qu'il existait, dans le contexte difficile qui prévalait, une possibilité plus forte d'irrégularités quant aux paiements des taxes payables.

[43]     Sans doute très préoccupé par la nécessité d'investir des sommes importantes dans un panier percé, il a manifesté une certaine indifférence quant aux obligations de mandataire que la compagnie qu'il dirigeait devait assumer.

[44]     Présumer que les montants de taxes étaient perçus et remis du fait qu'il faisait régulièrement des mises de fonds importantes, n'est certainement pas suffisant pour conclure à la diligence raisonnable ou à un comportement raisonnablement avisé.

[45]     Bien au contraire, cela aurait dû le rendre suspect puisqu'en situation semblable, le réflexe est souvent de financer les opérations à même les taxes. De plus, sa fille était inconfortable d'avoir à lui demander constamment des mises de fonds.

[46]     L'appelant n'a pas relevé le fardeau de preuve qui lui incombait en démontrant d'une manière prépondérante avoir agi avec diligence raisonnable, la preuve a plutôt établi qu'il avait été un père généreux, compatissant et profondément préoccupé par le bien-être de sa fille.

[47]     La question relative à sa responsabilité d'administrateur quant à la perception et remise de taxes n'a pas fait l'objet d'une attention et préoccupation digne de l'homme d'affaires avisé qu'il était à l'époque pertinente.

[48]     Pour toutes ces raisons, je conclus que l'appelant n'a pas relevé le fardeau de la preuve qui lui incombait, en démontrant d'une manière prépondérante qu'il avait agi avec prudence et diligence, eu égard à son expertise et compétence.

[49]     En outre, l'appelant a beaucoup insisté sur le fait que la cotisation devait être annulée, étant donné que la prescription avait fait son oeuvre. L'appelant a fait valoir énergiquement qu'il n'était plus administrateur de la compagnie à compter du moment où il a expressément avisé l'intimée de résilier l'enregistrement du numéro, en vertu duquel devait être perçue la TPS. De plus, le restaurant avait cessé ses opérations et les actifs ont fait l'objet d'une vente à un tiers qui a continué les opérations par le biais d'une autre société.

[50]     Bien que la compagnie, dont l'appelant était administrateur et actionnaire unique, ait cessé ses opérations de restauration, unique activité économique et bien que la compagnie ait fait le nécessaire pour abandonner son numéro de taxe, mettant ainsi fin à son mandat de percepteur de la TPS, sa personnalité juridique était toujours présente. L'abandon des affaires, l'inactivité ou l'absence totale d'activités ne met pas fin automatiquement à une personne morale que constitue une compagnie. De son côté, l'appelant n'a ni cédé, ni transféré ses actions, le tiers acquéreur ayant essentiellement pris possession des actifs.

[51]     Tout administrateur continue de l'être et ce, bien que les activités aient totalement cessé. Un administrateur de jure peut-il perdre sa qualité du fait de la cessation des activités courantes pour lesquelles la compagnie a pu être constituée ?

[52]     L'appelant a soumis qu'en toute justice et équité, il devait en être ainsi. Si l'appelant avait été administrateur de facto, il aurait pu en être ainsi puisque les faits et gestes ayant généré le statut d'administrateur de facto auraient cessé.

[53]     Il en est toutefois tout autrement pour un administrateur de jure dont le statut prend son origine dans les statuts même de la compagnie habilitante. Pour mettre un terme à la qualité d'administrateur de jure, il est impératif de respecter fidèlement et intégralement la forme et le fond prescrit, faute de quoi l'administrateur demeurera en fonction jusqu'à ce que les exigences légales, aient été complétées.

[54]     Il ne s'agit pas là d'une interprétation, il s'agit essentiellement de s'en remettre aux nombreuses décisions de la jurisprudence en cette matière, je fais notamment référence aux décisions suivantes :

·         L'honorable juge Rowe dans Birchard c. Canada, [2003], A.C.I. no 128 (Q.L.), affirmait ce qui suit :

[ Traduction ]

En l'espèce, les appelants ont livré à la résidence de Mark Johnson, également administrateur de Dortec, une lettre faisant part de leur démission de leurs fonctions d'administrateurs de Dortec. Malheureusement, ils n'ont pas demandé l'avis d'un avocat et n'ont pas pensé à déposer un avis de démission auprès du conservateur du registre des sociétés. La lettre de démission aurait pu être fixée sur la porte de l'établissement, maintenant inoccupé, de Dortec et, par la suite, on aurait pu en faire tenir une copie à l'une ou à l'autre société d'huissiers ou aux deux ainsi qu'à l'ADRC. Le bâtiment inoccupé était toujours désigné comme le siège social de Dortec et, à ce moment-là, Connie et Perry Birchard étaient les seuls actionnaires de cette société. Monsieur Johnson a fait faillite, faisant une cession de ses biens le 21 juin 1999, soit environ trois mois après que la prétendue démission lui eut été livrée. Or, j'ai du mal à comprendre quel but les appelants croyaient atteindre en agissant comme ils l'ont fait, puisque ce qui importait c'était de donner avis au grand public en déposant le document approprié auprès du conservateur du registre des sociétés. Il était d'ailleurs vital que chacun des appelants fournisse un avis en bonne et due forme de sa démission, en conformité avec la loi, de ses fonctions d'administrateur, car il était question de dettes précises de Dortec, qui, si elles restaient impayées, allaient présenter un risque de plus en plus grand de responsabilité personnelle.

À la lumière des points traités dans la jurisprudence pertinente, je conclus que ni l'un ni l'autre appelant n'avait cessé d'être administrateur de Dortec le 1er mars 1999, si bien que l'argument fondé sur la prescription de deux ans ne saurait être retenu.

·         Dans Ciriello c. Canada, [2000] A.C.I. no 829 (Q.L.), une cause relative au paragraphe 323(5) de la Loi, le Juge Rip réitère que la faillite n'a pas pour effet de mettre fin aux mandats des administrateurs de la compagnie.

42.       Une société continue d'exister lorsqu'elle fait cession de ses biens ou lorsqu'une requête de mise en faillite est présentée à son égard et qu'un syndic est nommé. Les administrateurs ne peuvent plus exploiter la société en faillite, mais ils en sont encore les administrateurs.

43.       Je suis lié par la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Kalef c Canada, [1996] A.C.F. no 269. M. Ciriello n'a pas cessé d'être un administrateur le 25 juin 1994 ou vers cette date.

·         Le Juge Dussault a également traité de la question et de la décision Kalefc. Canada, [1996] A.C.F. no 269 (Q.L.), dans l'affaire Martin c. Canada, [2003] A.C.I. no 362 (Q.L.). Voici les propos du Juge Dussault :

7.          La société a cessé ses opérations en avril ou mai 1997. Toutefois, elle n'a pas déclaré faillite et n'a pas été dissoute. Elle est toujours en existence même si cette existence est qualifiée d'artificielle par l'avocat de l'appelant puisque, selon lui, elle n'est destinée qu'à maintenir une poursuite en dommages pour responsabilité professionnelle contre la firme comptable Raymond, Chabot, Martin, Paré. Comme la société n'est plus en mesure de poursuivre les activités pour lesquelles elle a été créée, l'avocat de l'appelant soutient qu'il serait juste et équitable qu'elle soit dissoute et qu'elle l'aurait été n'eut été de cette poursuite contre la firme comptable, dont pourrait éventuellement bénéficier le ministère du Revenu du Québec ( « Ministère » ) suite à une entente avec les procureurs de la société. Selon lui, dans de telles circonstances, il "serait injuste et illogique de condamner l'appelant en prétextant le fait qu'il soit toujours administrateur de la compagnie, alors que celle-ci a perdu tout "substratum", c'est-à-dire qu'il est impossible pour elle de poursuivre ses objets pour lesquels elle opérait, ou sa raison d'être et qu'il serait juste et équitable qu'elle soit liquidée, n'eut été de la poursuite engagée contre Raymond Chabot pour le bénéfice exclusif du ministère du Revenu."

[...]

13.        La société est toujours en existence. Il n'y a aucune preuve que l'appelant ait démissionné, qu'il ait été révoqué ou qu'il soit inhabile à exercer son mandat. Au contraire, l'appelant a admis qu'il était et est toujours le seul administrateur de la société. Il a affirmé qu'il continue d'ailleurs de produire les déclarations fiscales et les rapports annuels. C'est uniquement compte tenu de cette réalité juridique que le paragraphe 323(5) doit être interprété. Dans les circonstances, il est clair qu'il ne peut y avoir prescription puisque l'appelant n'a jamais légalement cessé d'être administrateur de la société.

[55]     Dans l'affaire Bonch c. Canada, [2002] A.C.I. no 687 (Q.L.), la Cour d'appel fédérale a renversé une décision de première instance en affirmant une fois de plus qu'un administrateur de jure ne cessait d'être administrateur que le jour où il avait rempli les conditions pour ce faire, établies par la Loi régissant la constitution de la compagnie pour qui il est administrateur et que conséquemment, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du moment où le contribuable a cessé d'être administrateur de la compagnie.

[56]     En l'espèce, l'appelant était bel et bien administrateur de jure de la compagnie. Il n'avait pas légalement démissionné ni été démis de ses fonctions. Bien que la compagnie ait cessé ses activités commerciales (exploitation du restaurant) et requis que l'enregistrement du statut d'inscrit soit résilié, cela était sans effet sur la qualité du statut d'administrateur de l'appelant.

[57]     Durant toute la période couverte par la cotisation, l'appelant a été impliqué dans la gestion et administration courante et d'une manière toute particulière dans le financement et le soutien financier. Il a affirmé avoir été exclu d'une réunion de stratégie par l'ami de sa fille, sous prétexte qu'il n'avait aucune expertise dans la restauration. Bien que confirmé par l'auteur même de l'affront, l'appelant ne peut pas se replier derrière cet incident pour excuser ou justifier avoir perdu sa qualité d'administrateur.

[58]     Propriétaire de toutes les actions votantes, il était également seul bailleur de fonds. Il aurait pu et dû s'affirmer et prendre les décisions qui s'imposaient pour que les choses se déroulent suivant ses propres attentes et préoccupations.

[59]     L'appelant était l'administrateur de jure de la compagnie, et de ce fait, la seule personne habilitée à prendre toutes les décisions et d'une façon toute particulière, celles relatives aux affaires financières et celles pouvant avoir des conséquences sur sa responsabilité personnelle.

[60]     En l'espèce, les explications soumises découlant du contexte familial, particulier et difficile soulèvent une certaine sympathie, mais ce n'était ni suffisant ni recevable pour mettre un terme à la qualité d'administrateur de l'appelant qui au moment de la cotisation était encore légalement administrateur. Conséquemment, le délai de prescription n'avait pas commencé à courir d'où le principal argument de l'appelant au soutien de son appel n'est pas recevable, la prescription n'étant pas acquise.

[61]     Pour toutes ces raisons, l'appel est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2003CCI779

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-1394(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Marie Plamondon et Sa Majesté la Reine

LIEU DES AUDIENCES :

Québec (Québec)

DATES DES AUDIENCES

les 21 et 25 juillet 2003

et le 15 septembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 14 novembre 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Me Léonce-E. Roy

Pour l'intimée :

Me Louis Cliche

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Me Léonce-E. Roy, Avocat

Ville :

Ste-Foy (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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