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Dossier : 2002-4947(EI)

ENTRE :

WIFFEN FINANCIAL SERVICES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 juin 2003.

 

Devant : L’honorable juge Michael J. Bonner

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Jordan Gagner

 

Avocat de l’intimé :

Me Michael Taylor

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision faisant l’objet de l’appel est annulée.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de novembre 2003.

 

 

 

« Michael J. Bonner »

Juge Bonner

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2009.

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


 

 

Référence : 2003CCI780

Date : 20031116

Dossier : 2002-4947(EI)

ENTRE :

WIFFEN FINANCIAL SERVICES INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bonner

 

[1]     Il s’agit de l’appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre »), en date du 23 septembre 2002, rendue en appel d’une autre décision prononcée en application de l’article 91 de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Selon la décision rendue, Jay Brecknell travaillait chez l’appelante dans un emploi assurable durant la période s’étant écoulée du 1er janvier au 14 juin 2002.

 

[2]     La principale conclusion ou hypothèse sur laquelle se fondait la décision était que, au moment pertinent, M. Brecknell n’avait aucun lien de dépendance avec l’appelante. La question s’est posée car, selon l’alinéa 5(2)i) de la Loi, n’est pas un emploi assurable « l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance ».

 

[3]     Le paragraphe 5(3) de la Loi précise :

 

(3)   pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

b)         l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[4]     Il n’a pas été contesté que M. Brecknell et l’appelante n’étaient pas des personnes liées aux termes du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[5]     Le point en litige dans le présent appel consiste à déterminer si, durant la période, M. Brecknell et l’appelante avaient entre eux un lien de dépendance dans les faits. L’appelante a soutenu qu’en raison du lien qui existait entre elle, d’une part, et ses actionnaires, d’autre part, et du lien qui existait entre ses actionnaires, dont M. Brecknell faisait partie, il existait un lien de dépendance.

 

[6]     Pendant toute la période pertinente, l’appelante exploitait une entreprise de planification financière. Elle vendait des assurances et des fonds communs de placement à ses clients et leur prodiguait des conseils financiers.

 

[7]     Avant le 1er janvier 2002, Jordan Gagner et Vince McKay possédaient chacun 50 % des actions de l’appelante. M. Brecknell, un ami de MM. Gagner et McKay, exploitait, en tant que propriétaire unique, une entreprise de planification financière. Au cours de l’exploitation de cette entreprise, M. Brecknell avait effectué quelques transactions financières par l’intermédiaire de l’appelante.

 

[8]     À la fin de 2001, MM. Gagner et McKay ont contacté M. Brecknell et lui ont suggéré d’envisager de devenir le [traduction] « troisième associé » de l’appelante. Il accepta et l’entente est entrée en vigueur, à l’exception du transfert d’actions, le 1er janvier 2002. M. Brecknell est alors devenu directeur des ventes de l’appelante tout en assumant la responsabilité de former d’autres agents qui faisaient affaire avec l’appelante. Le 12 février 2002, M. Brecknell a acheté le tiers des actions en circulation de l’appelante.

 

[9]     MM. Gagner et Brecknell ont témoigné lors de l’audition de l’appel et leur témoignage fut crédible.

 

[10]    Selon l’entente proposée par M. Gagner et acceptée par M. Brecknell, ce dernier devait transférer sa clientèle à l’appelante et verser 34 000 $ à MM. Gagner et McKay pour leurs actions. Une entente de rémunération a été négociée; elle prévoyait la répartition entre chaque actionnaire et l’appelante des revenus gagnés par les actionnaires. M. Gagner a décrit comme suit le processus qui a conduit à l’entente de rémunération :

 

[traduction]

[…] L’entente de rémunération de Jays était – en fait, nous trois, les propriétaires, nous sommes réunis et avons discuté de ce qui pouvait être le mieux pour l’entreprise. Jay n’a pas une entente de rémunération différente de celle de Vince ou de la mienne. Nous, les gestionnaires, nous sommes réunis et avons dit, d’accord - comment – comment pouvons-nous nous payer, tout en nous assurant que l’électricité, le loyer et le reste soient payés d’abord. […]

 

[11]    Quand il a rejoint le personnel de l’appelante, M. Brecknell est devenu directeur des ventes et a assumé la responsabilité de former des agents de vente qui faisaient affaire avec l’appelante.

 

[12]    Pour parvenir à sa décision, le ministre a tiré, entre autres, les conclusions de faits suivantes :

 

(i)         M. Brecknell devait faire rapport à l’appelante de façon quotidienne et hebdomadaire;

 

(j)         M. Brecknell était soumis à la direction et au contrôle de l’appelante;

 

(k)        la rémunération de M. Brecknell était fixée par l’appelante;

 

Bien qu’il soit incontestable que M. Brecknell travaillait pour l’appelante, le témoignage relatif à ces trois hypothèses a révélé que le ministre n’avait pas pleinement saisi les faits. M. Brecknell n’était pas obligé de faire rapport de façon régulière ou autrement. En pratique, il n’était soumis ni à un contrôle ni à une supervision. Sa rémunération avait été fixée par entente entre lui-même, M. McKay et M. Gagner, et les résultats de cette entente avaient été imposés à l’appelante. Pour évaluer la nature du lien qui existait entre M. Brecknell et l’appelante, l’esprit de collaboration qui a prévalu dans les décisions qu’ont prises les trois personnes est important. Il est clair qu’ils se considéraient comme des associés et qu’ils se conduisaient conformément à une entente verbale selon laquelle les décisions se prenaient par consensus, et non à la majorité.

 

[13]    Trois critères sont communément utilisés pour déterminer si les parties à une transaction ont entre elles un lien de dépendance[1]. Il s’agit des critères suivants :

 

a)       l’existence d’une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b)      les parties à une transaction agissent de concert et n’ont pas d’intérêts distincts,

c)       le contrôle de facto (réel).

 

[14]    Le critère de la même personne ressort de deux affaires. La Cour suprême du Canada traite pour la première fois de la question dans M.N.R v. Sheldon’s Engineering Ltd[2]. Aux pages 1113 et 1114, le juge Locke, s’exprimant au nom de la Cour, déclarait ceci :

 

[traduction]

Lorsqu’une même personne contrôle des compagnies directement ou indirectement, que cette personne soit un particulier ou une compagnie, des compagnies contrôlées sont, aux termes de cet article, censées ne pas traiter entre elles à distance. Les dispositions de cet article mises à part, dans le cas d’une vente d’éléments d’actif amortissables par un contribuable à une entité qu’il contrôle ou par une compagnie contrôlée par le contribuable à une autre compagnie également contrôlée par lui, le contribuable dictant à titre d’actionnaire majoritaire les conditions de la transaction, on ne peut à mon avis prétendre sérieusement que les parties traitaient entre elles à distance et que l’article 20(2) ne s’appliquait pas.

 

[15]    La décision du juge Cattanach rendue dans l’affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate[3] est également utile. Aux pages 5165 et 5166, il déclarait :

 

[traduction]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau », on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d’autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

 

[16]    Le critère qui porte sur le fait d’agir de concert illustre l’importance de la négociation entre des parties distinctes, chacune cherchant à protéger ses intérêts propres. Il est décrit dans la décision qu’a rendue la Cour de l’Échiquier dans Swiss Bank Corporation v. M.N.R.[4]. À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) déclarait :

 

[traduction]

J’ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu’elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d’une autre, le « cerveau » directeur peut à mon avis être celui de l’ensemble des parties agissant de concert ou celui d’une seule d’entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu’il faut accomplir pour atteindre l’objectif commun. De plus, à mon sens, il n’y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d’autres et celles qui, quelque nombreuses qu’elles soient, se font représenter par une autre. D’autre part, si l’une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d’une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l’affaire Sheldon’s Engineering [précitée] en est un exemple.

 

[17]    Enfin, on peut noter que l’existence d’une relation à distance est exclue lorsque l’une des parties à la transaction examinée exerce un contrôle réel sur l’autre. À ce sujet, on peut se référer à la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans l’affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

 

[18]    L’avocat de l’intimé a fait observer qu’il était essentiel, aux fins de l’alinéa 5(2)i) de la Loi, de déterminer s’il existait un lien de dépendance dans les transactions entre M. Brecknell, en tant qu’employé, et l’appelante. Il faut faire une distinction entre ces transactions et celles dans lesquelles il agissait à un titre différent, soit à titre d’administrateur, soit à titre d’actionnaire. L’avocat a fait valoir que M. Brecknell n’avait pas dicté les modalités de son emploi, au nom des deux parties, lors de ses transactions avec l’appelante. Il a déclaré que M. Brecknell, en tant qu’employé, décidait évidemment de ce qui était satisfaisant pour lui mais que, en tant qu’actionnaire ou administrateur de l’appelante, il ne représentait qu’une voix sur trois et qu’il ne pouvait dicter quoi que ce soit aux deux autres administrateurs et actionnaires.

 

[19]    Le libellé du paragraphe 5(2) est clair. Il porte sur le lien qui existe entre un employeur et un employé. S’ils ont un lien de dépendance, l’emploi n’est pas assurable. La disposition s’applique pour exclure l’emploi du statut d’emploi assurable, que le lien de dépendance ait ou non influé sur les modalités du contrat d’emploi. En l’espèce, deux personnes qui possédaient une petite entreprise ont décidé d’associer une troisième personne à une structure qu’ils considéraient comme une « association ». La structure a pris la forme d’une société qui les employait tous les trois et qui était gérée et contrôlée par eux sur une base consensuelle. À mon avis, il est impossible de dire que M. Brecknell transigeait avec l’appelante sans lien de dépendance.

 

[20]    L’argument soutenu par l’avocat de l’intimé ne tient pas car les personnes en cause agissaient de concert, conformément à l’entente qu’ils avaient conclue. Ce faisant, ils ne s’attardaient pas à savoir s’ils avaient pris une décision en tant qu’actionnaires, en tant qu’administrateurs ou en tant qu’employés. Ils se considéraient comme des associés et ne se préoccupaient pas des subtilités juridiques quant à savoir en quelle capacité juridique ils agissaient. Ils décidaient simplement de ce qu’il y avait à faire et, quand l’intervention de l’appelante était requise, ils veillaient à ce qu’elle donne suite à leur décision. Il ne semble pas qu’une attention particulière ait été portée aux « intérêts indépendants » de l’appelante. Il semblerait irréaliste de suggérer que les modalités de la relation d’emploi entre M. Brecknell et l’appelante aient résulté d’une négociation dans laquelle les deux cherchaient à protéger leurs intérêts respectifs. L’appel sera accueilli et la décision en appel sera annulée.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 16e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« Michael J. Bonner »

Le juge Bonner

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2009.

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI780

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-4947(EI)

 

INTITULÉ :

Wiffen Financial Services Inc. et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2003

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge

Michael J. Bonner

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 novembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Jordan Gagner

 

Avocat de l’intimé :

Me Michael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           Peter Cundill and Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197 (C.F. 1re inst.); conf. par [1991] 2 C.T.C. 221 (C.A.F.).

[2]           [1955] C.T.C. 174, 55 DTC 1110

[3]           [1969] C.T.C. 207, 69 DTC 5159

[4]           [1971] C.T.C. 427, 71 DTC 5235; conf. par [1972] C.T.C. 614, 72 DTC 6470

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