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Dossier : 1999‑4430(CPP)

ENTRE :

CENTRAL REGISTRY OF GRADUATE NURSES,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CASSANDRA YORK, STACEY KWIECIEN, LEE ANNE RAPER, MARIAN BODNARUK, GORDON READ, SONNY SEAH ET HAZEL NEMBHARD,

intervenants.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Central Registry of Graduate Nurses (1999‑4431(EI)), de Maija Kuze (1999‑4442(EI) et 1999‑4443(CPP)), de Kathleen Riley (1999‑4447(EI) et 1999‑4449(CPP)), de Gordon Read (1999‑4477(EI) et 1999‑4778(CPP)), de Sonny Seah (1999‑4828(EI) et 1999‑4829(CPP)), de Marian Bodnaruk (1999‑4584(EI) et 1999‑4585(CPP)), de Ruth Lafleur (1999‑4962(EI) et 1999‑4963(CPP)) et de Evelyn A. Agosto (1999‑4782(EI) et 1999‑4786(CPP)) le 22 août 2003, à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge W.E. MacLatchy, juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Paul Neil Feldman

 

Avocat de l’intimé :

Me Bobby Sood

 

 

Pour les intervenants : Marian Bodnaruk

Pour les autres intervenants :

 

L’intervenante elle‑même

Personne n’a comparu

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision rendue par le ministre ainsi que les cotisations qu’il a établies sont confirmées selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Toronto (Ontario) ce 27e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« W.E. MacLatchy »

Juge suppléant MacLatchy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mars 2009.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur


 

 

 

Référence : 2003CCI822

Date : 20031127

Dossiers : 1999‑4430(CPP)

1999‑4431(EI)

ENTRE :

CENTRAL REGISTRY OF GRADUATE NURSES,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CASSANDRA YORK, STACEY KWIECIEN, LEE ANNE RAPER, MARIAN BODNARUK, GORDON READ, SONNY SEAH ET HAZEL NEMBHARD,

intervenants,

ET

Dossiers : 1999‑4442(EI)

1999‑4443(CPP)

MAIJA KUZE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers : 1999‑4447(EI)

1999‑4449(CPP)

KATHLEEN RILEY,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers : 1999‑4477(EI)

1999‑4478(CPP)

GORDON READ,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

CENTRAL REGISTRY OF GRADUATE NURSES,

intervenant,

ET

Dossiers : 1999‑4828(EI)

1999‑4829(CPP)

SONNY SEAH,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers : 1999‑4584(EI)

1999‑4585(CPP)

MARIAN BODNARUK,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers : 1999‑4962(EI)

1999‑4963(CPP)

RUTH LAFLEUR,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers : 1999‑4782(EI)

1999‑4786(CPP)

EVELYN A. AGOSTO,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant MacLatchy

 

[1]     Les présents appels ont tous étés entendus sur preuve commune à Toronto (Ontario) le 22 août 2003.

 

[2]     L’appelant Central Registry of Graduate Nurses (connu sous le sigle CRGN) était représenté par un avocat, Me Paul Feldman, tandis que les appelantes Marian Bodnaruk et Maija Kuze ont comparu et n’étaient pas représentées. Les autres appelants n’ont pas comparu ni n’étaient représentés par avocat.

 

[3]     Par un avis de cotisation daté du 13 janvier 1998, l’appelant CRGN, le payeur, a fait l’objet d’une cotisation pour omission de verser des primes d’assurance‑emploi, soit des montants de 70 412,52 $ pour 1996, de 72 334,01 $ pour 1997, de 29 522,69 $ pour 1998, et des pénalités et intérêts connexes à l’égard des personnes (les travailleurs) énumérées à l’annexe A jointe à la réponse à l’avis d’appel et a fait l’objet d’une autre cotisation pour omission de verser des contributions au Régime de pensions du Canada, soit des montants de 37 182,28 $ pour 1996, de 43 542,25 $ pour 1997, de 14 647,34 $ pour 1998, et des pénalités et intérêts connexes à l’égard des mêmes travailleurs, tel qu’il est mentionné ci‑dessus.

 

[4]     L’appelant CRGN a interjeté appel au ministre du Revenu national (le ministre) pour le réexamen des cotisations et celui‑ci les a confirmées par lettre datée du 30 juillet 1989.

 

[5]     Les personnes suivantes ont interjeté appel en leur propre nom :

 

Maija Kuze, Kathleen Riley, Gordon Read, Sonny Seah, Marian Bodnaruk, Ruth Lafleur et Evelyn A. Agosto.

 

[6]     L’appelant CRGN a présenté une preuve par l’intermédiaire de Marian Bodnaruk qui était, aux époques pertinentes, trésorière et membre du conseil d’administration de CRGN. Dans le cadre du processus décisionnel de CRGN, sa fonction était d’en surveiller les affaires financières. Elle était tout à fait compétente pour le poste puisqu’elle avait 30 ans d’expérience à titre d’infirmière et avait été membre de CRGN pendant plus de 14 ans. Elle a témoigné avec soin et honnêteté, ce qui a été très utile pour la Cour.

 

[7]     Le ministre s’est appuyé sur certaines hypothèses pour prendre sa décision, et la plupart de ces hypothèses ont été reconnues comme exactes par le témoin.

 

[8]     L’appelant CRGN est un organisme sans but lucratif, sans actionnaire ou action avec droit de vote. Il a toutefois un président, un trésorier et un secrétaire, ainsi qu’un conseil d’administration formé de membres mis en candidature et élus par leurs collègues de travail. Le conseil d’administration et le directeur du bureau contrôlent les activités courantes et prennent les décisions d’affaires importantes pour CRGN. L’appelant CRGN fournit des infirmiers et des professionnels de soins de santé temporaires aux hôpitaux et à d’autres établissements privés (les clients), en s’occupant de faire correspondre les demandes des clients aux demandes de travail des travailleurs. Le personnel administratif de CRGN travaillait de concert avec les travailleurs pour établir des quarts de travail dans divers hôpitaux, jour et nuit, 365 jours par année.

 

[9]     Le ministre a estimé que les clients établissaient les tâches des travailleurs. Le témoin a expliqué en détail le processus d’affectation d’un travailleur à un client qui était disposé à accepter ce genre d’affectation. Les travailleurs étaient des professionnels d’expérience et étaient assujettis aux ordres directs des médecins ou de l’infirmier responsable et ils savaient ce en quoi consistaient leurs tâches. Les travailleurs exécutaient les tâches habituelles des hôpitaux, de même que les directives particulières du médecin et de l’infirmier en chef responsable d’un patient donné.

 

[10]    Les clients fixaient les heures de travail des travailleurs et ces derniers étaient tenus de signer un registre au début et à la fin de chaque quart de travail, de même qu’ils devaient signer un registre à l’entrée et à la sortie de chaque unité à laquelle ils étaient affectés.

 

[11]    Les travailleurs étaient tenus de remplir une feuille de temps qui contenait la date, le quart de travail effectué, le nombre d’heures travaillées, le nom de l’hôpital, de même que la section de l’hôpital dans laquelle ils avaient travaillé. Cette feuille de temps devait être signée par un représentant autorisé du client. Une fois que le travailleur était appelé pour travailler, il n’y avait aucune souplesse concernant les heures travaillées.

 

[12]    La question de la surveillance et du contrôle des travailleurs était un important point litigieux. Le ministre estimait et présumait que le client exerçait le contrôle. Le témoin a déclaré qu’il n’y avait aucune surveillance ni aucun contrôle de la sorte. Chaque travailleur d’expérience adoptait et respectait les activités courantes mises en place par le client dans chaque section de l’hôpital. Le travailleur respectait les activités courantes telles qu’établies par l’hôpital puisque les patients en sont la responsabilité. Le témoin ne pouvait pas envisager qu’un travailleur ne respecte pas les activités courantes de l’hôpital. Le témoin a avoué avec réticence que le non‑respect des activités courantes par un travailleur entraînerait une situation grave.

 

[13]    Les travailleurs étaient engagés pour remplacer des employés réguliers qui étaient malades ou pour s’ajouter au personnel régulier dans les cas de surcharge de travail. Le témoin a déclaré que le travailleur engagé assumait les fonctions d’un infirmier habituellement embauché par l’hôpital. CRGN assurait les travailleurs pour l’indemnisation des accidents du travail.

 

[14]    Le témoin a contesté la question du droit de CRGN de mettre fin aux services des travailleurs. Le témoin n’était pas en mesure d’envisager la nécessité de mettre fin aux services d’un travailleur, mais a avoué que, dans des [traduction] « circonstances exceptionnelles », CRGN pourrait mettre fin aux services d’un travailleur.

 

[15]    Les travailleurs dispensaient leurs services dans les établissements des clients et, même s’ils fournissaient quelques petits outils, les clients fournissaient la plus grande partie de l’équipement.

 

[16]    CRGN imposait aux clients un tarif standard, selon une grille préétablie, en fonction du type de services demandé par eux.

 

[17]    CRGN payait les travailleurs en fonction des montants imposés aux clients, moins 11 % que conservait CRGN pour couvrir les coûts des salaires du bureau, de téléphone, des fournitures de bureau et les honoraires professionnels. CRGN payait cette rémunération aux travailleurs à toutes les deux semaines ou par dépôt direct dans le compte bancaire des travailleurs.

 

[18]    Les travailleurs étaient engagés par CRGN pour exécuter des services sous la surveillance des clients. Le témoin ne pouvait pas convenir que les clients contrôlaient les travailleurs une fois qu’ils étaient engagés pour travailler.

 

[19]    Les travailleurs étaient rémunérés par CRGN.

 

[20]    Le témoin a pris soin de déclarer que les travailleurs n’étaient pas [traduction] « employés » par CRGN et que le tarif standard imposé à un client était fixé par une résolution du conseil d’administration, tout comme la directive de retenir 11 % de l’argent versé par les clients pour les services fournis par les travailleurs. Selon le principal argument mis de l’avant par CRGN, les sommes d’argent reçues du client étaient déposées dans un compte bancaire déclaré être un compte [traduction] « en fiducie ». CRGN a soutenu que les sommes d’argent appartenaient véritablement à chaque travailleur dans la mesure des heures de service exécutées par cette personne moins les frais retenus de 11 % pour couvrir les coûts d’exploitation de CRGN. CRGN était une société à but non lucratif dirigée par ses membres, pour ses membres.

 

[21]    La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les infirmiers membres occupaient des emplois assurables et ouvrant droit à pension.

 

[22]    L’avocat de l’appelant CRGN a présenté à la Cour des observations écrites bien rédigées et bien documentées, qui ont été très utiles.

 

[23]    Le règlement pris en vertu du Régime de pensions du Canada et de l’assurance‑emploi exige que CRGN ait payé les travailleurs, utilisant les mots [traduction] « entité qui paie ou rémunère ». Selon l’argument présenté, CRGN ne « paie » pas ou ne « rémunère » pas, mais il est un simple intermédiaire ou agent pour ses infirmiers membres. Les hôpitaux envoient les sommes d’argent à CRGN pour des services infirmiers et ces sommes sont déposées dans le compte bancaire surveillé par CRGN, en fiducie. L’ajout des mots « en fiducie » visait à indiquer que ces fonds appartenaient aux infirmiers membres qui ont dispensé les services sous réserve d’une retenue convenue de 11 % pour payer les dépenses de CRGN. Comme la preuve l’a révélé, toutes les sommes d’argent reçues allaient dans ce compte, qu’il ait été déclaré en fiducie ou autrement. Aucune convention de fiducie n’a été mentionnée lors du témoignage, pas plus que les modalités de la fiducie ont été précisées. Il s’agissait d’une entité floue dont les modalités étaient interprétées par le témoin. Les seules sommes d’argent transférées au compte général étaient celles qui équivalaient au total de la retenue de 11 % pour les dépenses à un moment donné. Toutefois, il a été présenté en preuve que, même si, dans certaines circonstances, un travailleur pouvait être payé à même le compte en fiducie avant que l’hôpital n’envoie l’argent pour de tels services, cela ne correspondrait pas à la véritable signification d’un compte en fiducie.

 

[24]    Certes, les membres de CRGN ont approuvé les tarifs des services et fixé le taux de retenue de 11 % mais, une fois fixés, les membres ne pouvaient plus négocier et CRGN agissait par la suite comme une agence de placement.

 

[25]    L’avocat de l’appelant CRGN et celui de l’intimé ont tous deux signalé à la Cour l’arrêt Sheridan c. Canada (Ministre du revenu national – M.R.N.) (C.A.F.), [1985] A.C.F. no 230. Dans cette affaire, l’exploitante d’une agence de placement d’infirmières qui recevait la rémunération des hôpitaux et qui payait alors les infirmières inscrites dans son registre, moins des honoraires de 10 %, a soutenu qu’elle était un simple intermédiaire pour la rémunération versée par les hôpitaux. Cet argument a été rejeté pour deux motifs : premièrement, l'exploitante, et non les infirmières ou les hôpitaux eux-mêmes, fixait les honoraires des services infirmiers; deuxièmement, l’exploitante retenait des honoraires de 10 %. Le juge Heald de la Cour d’appel fédérale s’est exprimé comme suit au nom de la Cour :

 

                      Le seul autre argument du requérant sur lequel il faut se pencher porte que le paragraphe 12g) du Règlement ne s'applique pas en l'espèce car les infirmières placées par la requérante n'étaient pas « rémunérées » par l'agence comme l'exige le règlement. L'avocat a prétendu, à la lumière de ces faits, que la requérante ne faisait qu'acheminer la rémunération versée par les hôpitaux. Je ne suis pas d'accord avec cette opinion. Comme on l'a souligné plus tôt, la requérante recevait la totalité des gains réalisés par les infirmières dans les hôpitaux. Par la suite, elle remettait à chaque infirmière le montant exact gagné par chacune d'entre elles après avoir déduit de ce montant, dans la plupart des cas, ses honoraires de 10 %. Le Shorter Oxford Dictionary (3e édition) définit les termes « remunerate » et « remuneration » de la façon suivante :

 

      [TRADUCTION]

1. Opération visant à rembourser, récompenser, payer de retour (des services etc.)

 

2.       récompenser (une personne); payer (une personne) pour des services rendus ou un travail accompli

 

D'où rémunération, récompense, dédommagement, remboursement, paiement, salaire.

Au volume 4 du Stroud's Judicial Dictionary (4th Ed.) on énonce entre autres que « rémunération » signifie contrepartie [À la page 2324 ‑ cette définition s'appuierait sur le jugement du juge Blackburn dans R. v. Postmaster General 1 Q.B.D. 663, à la page 664.].

               En me fondant sur les définitions susmentionnées et en donnant au verbe « rémunérer » son sens le plus courant, j'en viens à la conclusion que la présente requérante a « rémunéré » les infirmières. Elle n'était pas un simple intermédiaire. La requérante remettait aux infirmières le montant qu'elles avaient gagné pour leurs services, montant qui dépendait de leur échelle de traitement fixée non pas par les hôpitaux mais par elle‑même. Cependant, dans 90 % des cas, ce ne fut pas le montant total des gains qui fut remboursé puisque la requérante déduisait 10 % de ce montant au titre de ses honoraires. Dans les autres cas, les 10 % qui restent, le plein montant gagné était remis à chacune des infirmières qui s'engageaient toutefois verbalement à verser à la requérante des honoraires de 10 %. Quoi qu'il en soit, on ne pouvait dire que la requérante était un simple intermédiaire, que ses honoraires de 10 % aient été déduits avant la remise ou qu'ils soient devenus pour elle une créance exigible auprès des infirmières en question. Si elle n'avait eu pour rôle que celui d'un simple intermédiaire, elle n'aurait fait que transmettre la rémunération dans son entier. J'estime également qu'un simple intermédiaire ne se serait pas occupé de fixer le montant de la rémunération. Je rejette donc cet argument de l'avocat de la requérante.

 

               Pour tous les motifs qui précèdent, j'en arrive à la conclusion que le juge‑arbitre n'a pas fait erreur en confirmant la décision de l'intimé de cotiser à nouveau la requérante pour les cotisations d'assurance‑chômage. Il s'ensuit, à mon avis, que la présente demande fondée sur l'article 28 devrait être rejetée.

 

[26]    La Cour assimile CRGN à l’exploitant d’une agence de placement en ce qu’il recevait les demandes de placement de personnes pour des services infirmiers précis et ensuite consultait ses membres inscrits et de là, plaçait un membre qui consentait à un tel placement. Le taux de rémunération était fixé tous les ans à l’occasion d’une assemblée générale des membres, tout comme les honoraires à déduire de la rémunération des membres qui ont fourni des services. Une fois fixés, ces taux et honoraires continuaient d’être en vigueur jusqu’à leur modification par les membres et ils ne pouvaient être négociés ni par le travailleur ni par l’hôpital concerné. De toute évidence, CRGN ne fixait pas un taux qui l’aurait éliminé du marché. Il exploitait une entreprise dans le contexte concurrentiel habituel auquel on s’attend sur le marché.

 

[27]    Dans la décision Edmonton Nursing Services Assn. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1991] A.C.I. no 145, une décision du juge Hamlyn de la Cour a statué qu’une organisation sans but lucratif créée par un groupe d’infirmières offrant des services privés et qui tient un répertoire d'infirmières et d'infirmières auxiliaires pouvant offrir des services privés pouvait être une agence de placement.

 

[28]    Dans son analyse de la question dont il était saisi, le juge Hamlyn a déclaré ce qui suit :

 

            Il est donc nécessaire que nous tentons [sic] de définir, si possible, ce qu'est une « agence de placement ». Il ressort clairement du mémoire que l'appelante, en tant qu'organisation sans but lucratif, n'exploite pas une entreprise en tant qu'agence de placement aux termes de la Imployment [sic] Agencies Act de l'Alberta mais la loi que la Cour doit interpréter est une loi fédérale, et le règlement adopté sous son autorité. Afin de préciser cette définition, j'ai donc consulté le Shorter Oxford English Dictionary.

 

            Dans ce dictionnaire, le mot « Agency » « agent » (agent), dont la définition semble être [TRADUCTION] « celui qui agit ou ce qui agit ». Et « employment » (emploi) renvoie au verbe « employ » (employer) dont une rubrique énonce [TRADUCTION] « fournir du travail ou un poste ».

 

            En l'absence d'autre référence, j'en suis arrivé à la conclusion que, d'après le sens ordinaire des mots utilisés, un agent est une personne qui agit au nom d'une autre, que le placement consiste à fournir un emploi, que la Edmonton Nursing Services Association est une association qui trouve du travail à ses membres et qu'elle constitue donc une agence de placement au sens du paragraphe 12g). Je ne peux conclure que le sens large que la loi albertaine semble attribuer à l'expression exploiter une entreprise s'applique à l'article en cause. Il s'agit d'une association sans but lucratif mais je conclus néanmoins qu'aux fins de l'article en cause, elle dispense les services d'une agence de placement.

 

            Ceci nous amène à l'affaire Jean Sheridan, Accent Nurses Registry v. The Minister of National Revenue qui nous a été citée; on a soutenu que cette affaire ne pouvait s'appliquer ici parce que l'appelante était d'avis qu'elle ne constituait pas une agence de placement. J'en suis maintenant arrivé à la conclusion que l'appelante est une agence de placement. Il faut donc se demander si cette affaire s'applique toujours, étant donné les faits. Je constate que la plupart des faits pertinents de cette affaire sont identiques à ceux de la présente affaire. A la page l3 de la décision, le juge Heald conclut ce qui suit

 

                          [TRADUCTION]

« ...la requérante a 'rémunéré' les infirmières. Elle n'était pas un simple intermédiaire. La requérante versait aux infirmières le montant qu'elles avaient gagné pour leurs services, montant qui dépendait de leur taux de salaire fixé non pas par les hôpitaux mais par la requérante. Cependant, dans 90 % des cas, ce ne fut pas le montant total des gains qui fut remboursé puisque la requérante déduisait 10 % de ce montant au titre de ses honoraires. Dans les autres cas, les 10 % qui restent, le plein montant gagné était versé A [sic] chacune des infirmières qui s'engageaient toutefois verbalement à verser à la requérante des honoraires de 10 %. Quoi qu'il en soit, on ne pouvait dire que la requérante était un simple intermédiaire, que ces honoraires de 10 % aient été déduits avant le versement ou qu'ils soient devenus pour elle une créance exigible auprès des infirmières en question. Si elle n'avait eu pour rôle que celui d'un simple intermédiaire, elle n'aurait fait que transmettre la rémunération dans son entier. J'estime également qu'un simple intermédiaire ne se serait pas occupé de fixer le montant de la rémunération...

 

            En l'espèce, le salaire était fixe (c'est‑à‑dire que l'association établissait un salaire fixe, de même que les taux. Sous cet aspect la présente affaire est identique à l'affaire Jean Sheridan).

 

Je souscris à l’interprétation du juge Hamlyn et je conclus que CRGN était une agence de placement.

 

[29]    L’alinéa 12g) du règlement pris en vertu de la Loi sur l’assurance‑chômage et l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance‑emploi sont, à toutes fins utiles, identiques. L’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance‑emploi prévoit ce qui suit :

 

            6. Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

 

[...]

 

g)         l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

 

[30]    Le ministre a soutenu que la disposition contenait quatre éléments : il doit y avoir l’emploi d’une personne; cette personne doit avoir été placée dans cet emploi par une agence de placement; cette personne a fourni des services sous la direction et le contrôle d’un client de l’agence et cette personne a été rétribuée par l’agence pour la prestation de ses services.

 

[31]    Je souscris à la décision du juge Weisman de la Cour dans Isomeric Inc. (System Search Group) c. Canada (Ministre du Revenu national ‑ M.R.N.), [2000] A.C.I. no 843, telle qu’énoncée aux paragraphes 10 et 11 concernant la signification du mot « emploi » :

 

Il restait à déterminer quelle interprétation doit recevoir le mot « emploi » qui figure à l'alinéa 6g) du Règlement. Selon l'appelante, le terme « emploi » exigeait que la personne placée soit un employé assujetti à un contrat de louage de services, et que, selon les faits et l'entente conclue entre les parties, M. Liverance était un entrepreneur indépendant, et que, par conséquent, l'alinéa 6g) n'était pas applicable à l'affaire dont je suis saisi.

 

            En ce qui concerne l'entente entre les parties dans laquelle M. Liverance est décrit comme un entrepreneur indépendant, le droit indique assez clairement que ce genre d'entente ne tranche pas la question en litige. Il en a ainsi été établi dans l'arrêt Wiebe Door lui‑même ([1986] 3 C.F. 553), ainsi que dans l'affaire Ready‑Mix Concrete v. The Minister of Pensions, 1968 1 All England Reports 433 de la Division du Banc de la reine. J'attire l'attention des avocats sur l'affaire Canada (P.G.) c. Skyline Cabs (1982) Ltd., C.A.F., no A‑498‑85, 26 mai 1986 ([1986] F.C.J. No. 335), dans laquelle il a été reconnu qu'il ne faut pas donner au terme « emploi » de l'alinéa 12e) du Règlement sur l'assurance‑chômage, qui est le même qu'à l'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance‑emploi, l'interprétation restreinte de contrat de louage de services, mais ce terme doit être interprété dans le sens le plus large d'activité ou d'occupation. La question qui est donc soulevée consiste à se demander que s'il s'agit de l'interprétation de l'alinéa 6e), pourquoi devrait‑il en être autrement en ce qui concerne l'alinéa 6g), l'alinéa que je dois interpréter?

 

[32]    Plus loin dans la même décision, le juge Weisman a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 :

 

            En ce qui concerne le paragraphe 34(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, sa portée est plus grande que celle de l'alinéa 6g). Il exige que l'agence de placement place la personne dans un emploi comportant la prestation de services ou visant la prestation de services, et les modalités selon lesquelles les services sont fournis constituent un contrat de louage de services ou sont semblables à un contrat de louage de services.

 

[33]    Le libellé de l’alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance‑emploi n’exige pas l’existence d’un contrat de louage de services bien qu’il semble être exigé en vertu de l’article 34 du Règlement sur le régime de pensions du Canada : « … la fourniture de services ou […] un emploi auprès d’un client de l’agence, et […] les modalités régissant la fourniture des services ... constituent un contrat de louage de services ou y correspondent... ». En l’espèce, il y a lieu de décider s’il existe entre le travailleur et l’hôpital un contrat de louage de services ou une relation analogue à un contrat de louage de services.

 

[34]    En appliquant le critère à quatre volets, il semblerait que la question de la propriété des outils indiquerait que les infirmiers sont des employés et, de la même manière, le seul bénéfice serait les heures travaillées. Il n’y aurait pas de partage dans l’entreprise elle‑même. De plus, les travailleurs ne subiraient aucune perte puisque, comme il a été admis, ils seraient payés, que l’agence reçoive ou non de l’hôpital les sommes d’argent.

 

[35]    La question du contrôle penche du côté d’une relation d’employé également. L’hôpital a la responsabilité du bien‑être du patient et crée un environnement pour lui prodiguer des soins et le protéger. Un infirmier qui entre dans le système doit en respecter les exigences à l’avantage du patient. À titre de professionnel, le travailleur comprendrait cela et reconnaîtrait le besoin d’activités habituelles pour protéger le patient et la nécessité de suivre les directives du médecin du patient et (ou) les ordres de l’infirmier en chef responsable du quart de travail. Il était clair que l’hôpital pouvait se passer des services d’un travailleur s’il ne suivait pas ces ordres et activités nécessaires. La question de savoir si le travailleur faisait partie intégrante des activités de l’hôpital ou non ne devrait pas être un point en litige. L’exploitation d’un hôpital est en cause. Le travailleur ne prodiguait pas des soins de son propre chef, mais il faisait partie des activités de l’hôpital lorsqu’il était embauché pour un emploi.

 

[36]    Lorsque les éléments de preuve sont appliqués aux critères recommandés et que le poids convenable est accordé à chacun des critères, et en ce qui a trait à la relation globale qui existe entre le travailleur et les clients de l’agence, il semblerait que l’entente était analogue à un contrat de louage de services. Pour en arriver à cette décision, j’ai examiné les divers arguments présentés par l’appelant CRGN et ils ne me convainquent pas que les travailleurs étaient indépendants.

 

[37]    Les parties peuvent qualifier l’entente de travail d’indépendante mais cela ne constitue pas un élément déterminant de la relation. Les travailleurs peuvent avoir cru être des entrepreneurs indépendants, mais c’est en examinant la relation globale de l’entente de travail à la lumière des éléments de preuve que la relation peut être décrite et définie. Je conclus que les travailleurs étaient employés selon une interprétation large de ce mot. Ils étaient placés par une « agence de placement », telle que définie par le juge Bonner, de la Cour, dans Computer Action Inc. c. M.R.N., [1990] A.C.I. no 101. Je souscris à sa définition à cet égard, de même qu’à son interprétation de la signification du contrôle dans des circonstances assez semblables à l’affaire dont je suis saisi. Il est difficile d’appliquer plusieurs des critères recommandés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025, plus particulièrement la question du contrôle. Les infirmiers sont des personnes hautement qualifiées qui possèdent des aptitudes qui vont bien au‑delà de la capacité de l’employeur de les contrôler, mais j’estime que le contrôle ultime était exercé par l’hôpital client, même s’il ne l’était pas de façon régulière et continue.

 

[38]    Pour les motifs qui précèdent, je rejette les appels de CRGN et de chacun des appelants individuels et je confirme les décisions rendues par le ministre.

 

[39]    L’appelant CRGN a également soutenu que les pénalités qui lui ont été imposées devraient être annulées parce qu’il a fait preuve de diligence raisonnable relativement à son obligation de verser les retenues à la source. Depuis la confirmation des cotisations, l’appelant CRGN a, au mieux de sa capacité, respecté ces décisions et a tenté et tente de payer les montants faisant l’objet des cotisations. L’appelant devrait‑il faire l’objet d’une cotisation pour avoir pris la décision de ne pas faire de retenues à la source pour les primes d’assurance‑emploi et les cotisations au Régime de pensions du Canada parce qu’il croyait honnêtement qu’il n’était pas tenu de le faire? Il ne semble pas y avoir de plan ou de projet de sa part pour éviter ses responsabilités à cet égard. Il a pris une décision en croyant honnêtement que les exigences de la loi ne s’appliquaient pas dans les circonstances. Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable en ce qui a trait aux pénalités liées aux cotisations est controversé et devrait être pleinement débattu. Le ministre n’a pas été avisé que l’appelant soulèverait et débattrait ce moyen de défense et, pour cette raison, il était mal préparé pour répondre à cet argument. Si la diligence raisonnable doit être débattue entre les parties, elle devrait l’être moyennant un avis approprié à l’intimé. Il s’agit d’un sujet qui se prête aux indications d’une cour supérieure. Je ne ferai aucun commentaire sur le sujet à ce moment‑ci. Soit dit en passant, cependant, il me paraît injuste d’imposer une pénalité dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où il ne semble pas y avoir de méfait ou un non‑respect volontaire des lois. Encore une fois, le ministre devrait examiner à nouveau sa décision concernant les pénalités et déterminer si les circonstances justifient leur imposition.

 

Signé à Toronto (Ontario) ce 27e jour de novembre 2003.

 

 

 

 

« W.E. MacLatchy »

Juge suppléant MacLatchy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mars 2009.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur

 

 


 

RÉFÉRENCE :

2003CCI822

 

No DES DOSSIERS DE LA COUR :

1999‑4430(CPP), 1999‑4431(EI), 1999‑4442(EI), 1999‑4443(CPP), 1999‑4447(EI), 1999‑4449(CPP), 1999‑4477(EI), 1999‑4778(CPP), 1999‑4828(EI), 1999‑4829(CPP), 1999‑4584(EI), 1999‑4585(CPP), 1999‑4962(EI), 1999‑4963(CPP), 1999‑4782(EI) 1999‑4786(CPP)

 

INTITULÉ :

Central Registry of Graduate Nurses

et M.R.N. et Cassandra York, Stacey Kwiecien, Lee Anne Raper, Marian Bodnaruk, Gordon Read, Sonny Seah et Hazel Nembhard

Maija Kuze et M.R.N. Kathleen Riley et M.R.N. Gordon Read et M.R.N.

et Central Registry of Gradute Nurses

Sonny Seah et M.R.N. Marian Bodnaruk et M.R.N. Ruth Lafleur et M.R.N.

Evelyn A. Agosto et M.R.N.

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :

Le 22 août 2003

 

Motifs du jugement :

L’honorable juge W.E. MacLatchy, juge suppléant

 

DATE du jugement :

Le 27 novembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant et de l’intervenant Central Registry of Graduate Nurses :

 

Me Paul Neil Feldman

Pour l’appelante Maija Kuze :

L’appelante elle‑même

Pour l’appelante Marian Bodnarum :

 

L’appelante elle‑même

Pour les autres appelantes :

Personne n’a comparu

 

Avocat des intervenants :

 

Marian Bodnaruk

L’intervenante elle‑même

Pour les autres intervenants :

Personne n’a comparu

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Bobby Sood

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant Central Registry of Graduate Nurses :

 

Nom :

Me Paul Neil Feldman

 

Cabinet :

Me Paul Neil Feldman

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé :

Morris Rosenberg

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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