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Dossier : 2004-4403(IT)I

ENTRE :

DON NUNN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Belleville (Ontario), le 19 septembre 2005.

Devant : L'honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoit

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est accueilli, sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il l'examine à nouveau et établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 21e jour de décembre 2005.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2005CCI806

Date : 20051221

Dossier : 2004-4403(IT)I

ENTRE :

DON NUNN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]      En 1999, l'appelant était malade, criblé de dettes et venait de perdre son emploi. Il avait placé une somme de 29 000,00 $ dans un régime enregistré d'épargne-retraite (le « REER » ) auprès de La Maritime, compagnie d'assurance-vie ( « La Maritime » ). C'est vers cette époque qu'il a vu une annonce dans un journal local qui, pour l'essentiel, disait ou l'a amené à croire qu'il pouvait contracter un emprunt en donnant son REER en garantie afin d'obtenir les fonds nécessaires. Ce stratagème s'est révélé être une opération frauduleuse dont non seulement l'appelant, mais de nombreux autres investisseurs, ont été victimes. L'appelant n'a jamais reçu d'argent à l'égard de ce prêt et tout l'argent placé dans son REER a disparu.

[2]      L'appelant a fait l'objet d'une nouvelle cotisation au motif que les fonds enregistrés d'épargne-retraite n'étaient pas placés dans un « placement admissible » au sens du paragraphe 146(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et la somme de 29 000,00 $ a donc été ajoutée au revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1999.

[3]      La question en litige est celle de savoir si la somme de 29 000,00 $ a été à juste titre incluse dans le calcul du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1999.

[4]      L'appelant a rendu témoignage, tandis que l'intimée s'est appuyée sur les témoignages de Jeffrey Zucker, chef de groupe à l'Agence du revenu du Canada (l' « ARC » ), et Gino Vita, ancien vérificateur de l'ARC.

[5]      Dans son témoignage, l'appelant affirme qu'il avait besoin d'argent en raison de sa situation financière et que, lorsqu'il a vu l'annonce publiée dans le Belleville Intelligencer Newspaper offrant la possibilité d'utiliser son REER comme garantie d'un prêt, il a décidé d'obtenir de plus amples renseignements. C'est dans un restaurant de sa localité qu'il a rencontré Pierre Parent. C'est ce dernier qui lui a expliqué comment il pouvait se procurer de l'argent grâce à un mécanisme qui lui permettrait de convertir, au moyen d'un prêt, une partie de l'argent placé dans son REER qu'il détenait à La Maritime. La preuve n'a jamais permis de savoir qui était exactement ce M. Parent ni quel rôle précis il jouait dans le cadre du stratagème. Selon l'appelant, M. Parent lui a expliqué comment il pouvait transférer les fonds placés dans son REER à une société dénommée Planification Plus, laquelle a par la suite été achetée par Les Services Financiers Teraxis Inc. L'argent du REER serait utilisé comme garantie pour l'emprunt contracté par l'appelant. Lorsque l'emprunt serait remboursé, l'argent du REER lui serait remis.

[6]      L'idée de transférer les fonds de son REER inquiétait l'appelant et il a décidé de se renseigner davantage. Lorsqu'il a initialement communiqué avec son propre établissement de placement, La Maritime, relativement au transfert projeté des fonds de son REER, il a dit à son interlocuteur de ne pas transférer les fonds s'il y avait le moindre doute quant à la légalité de cette opération. Dans son témoignage, il a déclaré que La Maritime l'avait informé que des vérifications seraient effectuées pour lui au sujet du transfert projeté. Il n'a pas eu d'autres communications avec La Maritime et il a supposé que les fonds de son régime avaient été confiés à Planification Plus ou que La Maritime avait refusé le transfert en raison d'une quelconque illégalité. Quelques mois plus tard, il a reçu un état de compte de Planification Plus selon lequel les fonds du REER avaient été transférés par La Maritime. Or, l'appelant avait déjà pris d'autres arrangements financiers à ce moment. Il n'a jamais reçu d'argent sous forme de prêt.

[7]      Même si la preuve ne permet pas de savoir précisément quand l'appelant a signé des documents relatifs au transfert, cela a probablement eu lieu lors de sa rencontre au restaurant avec M. Parent. La preuve ne révèle aucune autre rencontre, sauf les nombreux appels téléphoniques de M. Parent à l'appelant. Selon le témoignage de ce dernier, il aurait signé une série de documents en blanc qui demandaient à La Maritime de transférer les fonds de son REER à Planification Plus afin de faciliter l'achat d'actions d'une société dénommée Jovalguy Inc. ( « Jovalguy » ) au prix de 25,00 $ l'action. Le 16 juin 1999, 1 160 actions de Jovalguy ont été acquises pour la somme de 29 000,00 $ (pièces R-1 et R-2). Comme les documents ont été signés en blanc, l'appelant ne connaissait pas les noms des sociétés ni leur rôle dans le stratagème. Il a convenu que Jovalguy avait utilisé les fonds, en ce qui concerne l'achat d'actions de Jovalguy par l'appelant, pour acquérir les actions d'une deuxième société dénommée La Financière Telco Inc. ( « Telco » ). Lorsque l'appelant a reçu confirmation de l'achat d'actions de Jovalguy, un double d'une lettre de confort était joint à l'envoi (pièces R-5 et R-13). Cette lettre était signée par René Beauregard, comptable agréé, lequel certifiait à Planification Plus que l'achat d'actions de Jovalguy par l'appelant constituait un « placement admissible » au sens du paragraphe 146(1) de la Loi. L'appelant n'a plus prêté attention à ce transfert jusqu'à ce qu'il reçoive une lettre de l'ARC au sujet des fonds transférés. Lorsqu'il a demandé que les fonds de son REER soient transférés de Planification Plus à sa propre institution financière, il a découvert qu'il ne restait plus d'argent. On lui a conseillé de consulter un avocat et son nom a été ajouté à un recours collectif exercé contre les promoteurs de ce stratagème visant à détourner frauduleusement des fonds de retraite.

[8]      Le premier témoin de l'intimée, Jeffrey Zucker, était chef de groupe de la section de l'ARC chargée d'un projet national d'une durée de six ans qui consistait à examiner les annonces de journaux ayant pour objet d'inciter les particuliers à utiliser leur REER pour obtenir des emprunts. Contrairement aux faits du présent appel, où l'appelant n'a reçu aucune somme d'argent après le transfert des fonds de son REER, la plupart des particuliers avaient reçu entre 55 et 70 pour 100 de la valeur nominale de leur REER. Après avoir examiné ces différentes stratégies, l'ARC, en avril 2003, a publié un communiqué de presse recommandant au grand public de ne pas participer à ce genre de mécanismes touchant les REER.

[9]      Avant que la lettre de confort de René Beauregard soit envoyée à Planification Plus, un bulletin relatif à la pratique (pièce R-6) a été publié par l'Institut Canadien des Comptables Agréés ( « ICCA » ) pour informer les comptables agréés de ne pas signer ces certifications parce que la vérification ou l'examen d'états financiers ne permet nullement de garantir que les actions d'une entité constituent un « placement admissible » . M. Zucker a ajouté que Jovalguy n'exerçait aucune activité commerciale et que le seul élément d'actif que possédait cette société était le placement qu'elle avait effectué dans les actions de Telco. Chaque dollar versé à Jovalguy par des investisseurs était allé directement à Telco.

[10]     Gino Vita, ancien vérificateur de l'ARC à la section de l'évitement fiscal, est le fonctionnaire qui, à l'époque, était directement responsable du projet d'enquête visant ces stratagèmes relatifs aux REER. Il a fallu environ huit mois pour enquêter et terminer l'analyse des activités de toutes les sociétés qui ont eu un rôle à jouer en vue de permettre le prétendu retrait non imposable de fonds provenant de REER immobilisés dans le cadre d'opérations de prêts. Même si l'ensemble du stratagème comportait un certain nombre d'opérations de nature hybride, M. Vita a expliqué en détail comment l'appelant, comme bien d'autres personnes, avait été leurré par une série d'opérations habilement élaborées mais trompeuses, qui avaient pour objectif de prendre ces personnes au piège et de leur subtiliser une bonne partie et, dans certains cas, la totalité de leurs économies. Ce n'est qu'après plusieurs mois que M. Vita a réussi à démêler les modes de fonctionnement hermétiquement cachés sous le voile de la personnalité juridique auxquels Jean Tremblay, visiblement le promoteur et le cerveau de l'organisation, avait eu recours. Ce dernier a employé des stratagèmes fondés sur la ruse et la tromperie pour attirer dans ses filets, par le biais d'opérations en apparence légales, des personnes qui ne se doutaient de rien.

[11]     M. Vita a expliqué que les annonces placées dans les journaux offraient un moyen de faciliter les retraits non imposables de REER immobilisés. En général, une fois que l'éventuel investisseur répondait à l'annonce, il devait signer une série de documents en blanc qui, pour l'essentiel, demandaient de procéder au transfert des fonds de leur REER à une personne morale donnée (Planification Plus en l'espèce), laquelle, sur la foi de la lettre de confort signée par René Beauregard, était ensuite chargée d'acheter, à l'aide des fonds provenant du REER, des actions d'une autre société, laquelle était une coquille vide (Jovalguy en l'espèce). Bien qu'une dizaine de sociétés aient participé à l'ensemble du stratagème, l'appelant en l'espèce n'a principalement traité qu'avec deux d'entre elles, soit Jovalguy et Telco.

[12]     L'enquête a permis à M. Vita de conclure que les états financiers de Jovalguy n'avaient révélé aucune activité commerciale et que cette société servait uniquement d'intermédiaire pour l'achat d'actions d'autres personnes morales. Dans une lettre non datée (pièce R-10) reçue et estampillée par l'ARC en juin 2000, le promoteur, Jean Tremblay, confirme que les activités de Jovalguy se limitent à l'acquisition d'actions de la société Telco. M. Vita a présenté un organigramme (pièce R-11) pour préciser quelles étaient les diverses personnes morales participant à ces stratagèmes. M. Tremblay détenait soit 100 pour 100, soit 51 pour 100 des actions de chacune des dix sociétés énumérées dans cet organigramme. Il a également confirmé que la totalité des fonds des investisseurs réunis par le biais des différentes sociétés était acheminée vers Telco. De façon générale, les investisseurs victimes de ce stratagème recevaient des fonds escomptés au taux de 35 pour 100. En réalité, le retrait des fonds du REER, qui était par ailleurs assujetti à des restrictions, se faisait au moyen d'une convention de prêt selon laquelle le régime était escompté de manière à couvrir un paiement en faveur du promoteur s'élevant à 35 pour 100 de la valeur du REER. Cependant, dans le présent appel, l'appelant n'a jamais reçu de fonds parce que la Commission des valeurs mobilières du Québec a effectué une descente en août 2000. Après cette opération, les particuliers qui avaient acheté des actions, mais n'avaient pas encore reçu de chèque représentant 65 pour 100 des fonds, n'ont jamais obtenu d'argent. Si j'ai bien compris la preuve, n'eût été de cette descente, l'appelant aurait reçu une somme équivalant à environ 65 pour 100 de la valeur nominale de son REER. Il croyait que son REER servirait de garantie pour son prétendu emprunt. On lui avait en outre affirmé que, lorsqu'il rembourserait son emprunt, les fonds de son REER seraient de nouveau transférés à son compte et que cette opération n'aurait pour lui aucune répercussion sur le plan fiscal.

[13]     Dans son témoignage, M. Vita, lorsqu'il a renvoyé à la lettre du 16 juin 1999 adressée par René Beauregard à Planification Plus, la fiducie, a mentionné que le promoteur Jean Tremblay et ce comptable agréé, soit l'auteur de la lettre de confort relative au placement de l'appelant dans Jovalguy, partageaient les mêmes bureaux.

[14]     À l'aide de l'organigramme, M. Vita a expliqué comment il avait examiné les déclarations de revenus et les états financiers de Jovalguy et de Telco afin de déterminer si une entreprise était exploitée activement et donc s'il y avait un « placement admissible » . Il a conclu que ni Jovalguy ni Telco n'exerçaient des activités commerciales. Comme le seul revenu de Telco était lié au prêt d'argent, cette société ne pouvait être assimilée à une entreprise exploitée activement. Même si les écritures de journal étaient faites dans le dessein de tromper, l'analyse de M. Vita étayait sa conclusion voulant qu'il n'y ait eu, en réalité, aucune activité commerciale et que les actions de Jovalguy ne fussent pas des actions d'une société admissible. Plus précisément, lorsque M. Vita a analysé l'état des résultats de Jovalguy et de Telco, il a conclu qu'il n'y avait aucun revenu ni aucune dépense relativement à Jovalguy. Le bilan de cette dernière montrait uniquement les avances consenties à l'actionnaire et les placements dans Telco, et il a conclu que Jovalguy était fondamentalement une coquille vide. Les états financiers et les grands livres généraux de Telco pour l'année d'imposition 1999 montraient deux sortes de revenus, soit 679 000,00 $ au titre des revenus en intérêts et 1 213 000,00 $ au titre des revenus tirés de contrats. Il est arrivé à la conclusion que les revenus en intérêts constituaient des revenus hors exploitation. Il s'est ensuite penché sur les genres de contrats qui étaient supposés avoir produit des revenus. Il a découvert qu'une société affiliée, Les Immeubles Tremesco inc. ( « Immeubles » ), exploitait à Rigaud une maison de retraite dont elle était propriétaire. Jean Tremblay contrôlait également Immeubles. Selon le témoignage de M. Vita, le scénario était pour l'essentiel le suivant : Telco acheminait à Immeubles les fonds provenant de ces investisseurs qui ne se doutaient de rien, puis Immeubles a utilisé l'argent, soit la somme de 1 213 000,00 $, pour rénover son bâtiment. Les fonds de Telco ont servi à financer les frais de rénovation, mais au lieu de consigner cette somme à titre de créance et donc d'élément d'actif dans le bilan de Telco, cette dernière a procédé à une série complexe d'écritures comptables trompeuses de manière à ce qu'elles donnent l'impression que la somme constituait du revenu. De même, Telco s'est également approprié les dépenses de Immeubles, comme si ces sommes avaient été engagées par Telco. En fin de compte, Telco a faussement montré dans ses états financiers des revenus tirés de contrats s'élevant à 1 213 022,00 $, lesquels étaient compensés par les dépenses de 1 097 969,00 $. Jean Tremblay a mis le grappin sur la différence d'environ 115 000,00 $ à titre d'avance. M. Vita a déclaré ce qui suit :


[traduction]

[...] les sommes figurant dans l'état des résultats de Telco n'y ont pas leur place puisqu'il ne s'agit pas de dépenses ou de revenus de Telco. Tout d'abord, les revenus tirés de contrats ne sont rien de plus que le paiement des dépenses visant Immeubles Tremesco. Voici ce qu'ils ont fait : ils ont pris une somme de 1 213 000,00 $ qui ne leur appartenait pas et l'ont inscrite comme revenu, puis ils ont consigné comme dépense une somme de 1 097 000,00 $ qu'ils n'ont même pas engagée.

[15]     Toutes les écritures étaient des écritures fausses qui visaient à tromper les tiers et à les induire en erreur pour qu'ils croient que Telco exploitait activement une entreprise. Les registres de la société Telco ne reflétaient nullement la véritable nature de ses activités.

Analyse

[16]     Dans les observations présentées par écrit et de vive voix par l'avocat de l'intimée, l'unique question en litige est résumée de la façon suivante :

[traduction]

[...] le placement constitue-t-il ou non un placement non admissible au sens du paragraphe 146(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et, par conséquent, le ministre du Revenu national a-t-il à juste titre inclus, pour l'année d'imposition 1999, la somme de 29 000,00 $ dans le revenu de l'appelant en application de l'alinéa 146(10)a)? (Observations écrites, page 1.)

[17]     L'intimées'est efforcée d'établir, principalement à l'aide du témoignage de M. Vita, que le placement dans les actions de Jovalguy ne constituait pas, en réalité, un placement admissible. Il ressort sans équivoque des témoignages de vive voix et de la preuve documentaire que Jovalguy n'est qu'une coquille vide, sans aucune activité commerciale quelle qu'elle soit, si ce n'est de faciliter l'achat d'actions de Telco au moyen des fonds provenant des régimes enregistrés d'épargne-retraite des investisseurs. À la lumière de la preuve, Telco n'exploitait pas non plus une entreprise de manière active. Dans les faits, elle ne produisait aucun revenu tiré d'une entreprise exploitée activement, même si elle tentait de donner l'impression contraire par le biais d'écritures de journal trompeuses et inexactes. On nommait « revenu » des sommes qui n'en étaient pas et on a déduit des dépenses qui n'ont jamais été engagées. Tous ces éléments sont fictifs. Ils n'existent pas. Les registres de Telco font mention de deux sortes de revenus, mais les revenus en intérêts et les revenus tirés de contrats n'étaient en réalité que de fausses écritures puisqu'il n'y avait tout simplement aucun revenu tiré d'une entreprise exploitée activement. Je dois donc conclure que l'achat, par l'appelant, des actions de Jovalguy ne constitue pas un placement admissible au sens du paragraphe 146(1) de la Loi et des paragraphes 4900(12) et 5100(1) de son règlement d'application, puisque Jovalguy n'est pas une société exploitant une petite entreprise, ni une société admissible au sens de ce règlement. Cependant, je ne crois pas que cette conclusion permette à elle seule de trancher le présent appel.

[18]     Dans la décision Dubuc v. The Queen, 2005 DTC 461, le juge Tardif s'est penché sur le même stratagème de planification fiscale mis de l'avant par Jean Tremblay au moyen de diverses personnes morales. Sous réserve de quelques rares différences mineures touchant les dénominations sociales, la description que fait M. Vita du stratagème en l'espèce correspond à ce qui s'est produit dans l'affaire Dubuc. Le témoignage de M. Vita, quant aux mécanismes élaborés que M. Tremblay a employés, a été retenu par le juge Tardif et a servi à étayer le jugement de l'appel interjeté dans cette cause. Au paragraphe 66 de cette décision, le juge Tardif mentionne :

Dans les faits, il s'agissait essentiellement d'un montage financier artificiel dont le seul but était de rassurer les détenteurs de REER qui voulaient procéder à un retrait total ou partiel sans avoir à payer d'impôt. Pour justifier une commission exorbitante, monsieur Tremblay avait mis sur pied des entreprises qui s'échangeaient des données comptables, soit totalement fictives ou grossièrement exagérées.

[19]     Autrement dit, M. Tremblay faisait la promotion de placements artificiellement admissibles, lesquels, dans les faits, n'étaient pas et n'avaient jamais été destinés à être des « placements admissibles » suivant les dispositions de la Loi. Il s'agissait d'un leurre, rien de plus.

[20]     Dans l'arrêt The Queen v. Duha Printers (Western) Limited, 96 DTC 6323, aux pages 6327 et 6328, le juge Linden de la Cour d'appel fédérale reprend les propos formulés par le juge Estey de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. v. The Queen, 84 DTC 6305 :

[...] Pour qu'on puisse la considérer telle, il aurait fallu qu'elle soit faite « de manière à créer une illusion destinée à cacher au percepteur le contribuable ou la nature réelle de l'opération » .

[21]     René Beauregard a sans aucun doute joué un rôle déterminant dans le succès du stratagème. Non seulement partageait-il des locaux à bureaux avec M. Tremblay chez Telco (les pièces R-5 et R-17 montrent la même adresse), il a également signé la lettre de confort informant les investisseurs de l'admissibilité des placements, malgré les directives explicites à l'effet contraire publiées par l'ICCA. En outre, il était responsable des états financiers de Jovalguy et de Telco. Ces états ont été falsifiés pour donner l'impression qu'il s'agissait d'un placement admissible. On a superposé des écritures de journal manifestement erronées qui visaient à tromper quiconque examinait les registres. En fait, il a fallu à un spécialiste comme M. Vita de nombreux mois pour décortiquer ces écritures fort techniques et créatives touchant un grand nombre de personnes morales. Il s'agissait d'un simulacre élaboré, trompeur et intentionnel organisé par M. Tremblay, avec l'aide probable de M. Beauregard, et visant à escroquer les membres de la société qui avaient le plus grand besoin des sommes qu'ils avaient réussi à économiser en vue de leur retraite. À la lumière de la preuve, je n'éprouve aucune hésitation à conclure que la vente des actions de Jovalguy et le soi-disant prêt consenti par Telco faisaient partie de ce stratagème complexe. On n'a jamais voulu que le REER de l'appelant serve comme placement ou qu'un prêt soit consenti à l'appelant. Le stratagème visait tout simplement à transférer une partie des fonds du REER de l'appelant et à ne jamais les rembourser. Le véritable objectif consistait à mettre la main sur le REER de l'appelant, à déduire une « commission » ou des « frais » de 35 à 40 pour 100 et à lui remettre le solde, mais pas sous la forme d'un prêt. En réalité, dans le présent appel, il ne pouvait y avoir de prêt puisqu'aucune somme n'a jamais été mise en la possession de l'appelant. On avait promis de consentir un prêt, ce qui faisait partie du stratagème, mais le transfert d'une partie des fonds du régime enregistré d'épargne-retraite sous forme d'un prêt n'a jamais eu lieu en ce qui concerne l'appelant.

[22]     Il ressort de la preuve que l'appelant s'est informé auprès de son institution financière, La Maritime, et qu'il a expressément demandé à cette dernière de ne pas transférer les fonds de son REER si elle n'était pas convaincue de la légalité de cette opération projetée. Je crois qu'il a pris des mesures raisonnables pour s'assurer que le placement était légitime. La supercherie de M. Tremblay, conjuguée à la participation de M. Beauregard, a induit en erreur de nombreux particuliers ainsi que d'innombrables investisseurs et leurs institutions financières respectives. Compte tenu des faits en l'espèce, je suis convaincue que, peu importe le degré de diligence raisonnable dont ils auraient pu faire preuve, les investisseurs n'auraient jamais réussi à découvrir que les transferts d'actions ne constituaient pas un placement admissible suivant les dispositions applicables de la Loi. Les investisseurs n'ont pas la puissance et le pouvoir de l'État, ils ne peuvent assigner des experts-comptables à témoigner et leur poser des questions détaillées, ni examiner en personne les registres d'une société pendant des mois comme l'a fait M. Vita. L'ensemble du stratagème reposait sur l'incapacité des investisseurs à déjouer les « astuces et trompe-l'oeil » , comme le juge Tardif qualifie ces opérations dans la décision Dubuc, et à découvrir la véritable situation financière concernant Jovalguy et Telco. À cet égard, le stratagème a fonctionné. Comme ce stratagème bien orchestré constituait si manifestement un trompe-l'oeil, j'arrive à la conclusion que l'appelant n'a jamais acquis un placement non admissible dans Jovalguy au sens des dispositions pertinentes de la Loi. Par conséquent, le montant en litige ne sera donc pas inclus dans le revenu suivant l'alinéa 146(10)a).

[23]     Les particuliers qui tentent de retirer des fonds de REER immobilisés doivent bien sûr le faire dans le respect des dispositions de la Loi, ou subir les conséquences fiscales de leurs actes. Si l'appelant avait reçu de quelconques fonds dans le cadre de ce stratagème, j'aurais conclu sans hésitation que la somme reçue devait être assujettie à l'impôt en application du paragraphe 148(8) de la Loi. En fait, c'est l'approche qu'a suivie le juge Archambault dans la décision Thérèse St-Hilaire c. Sa Majesté La Reine, (numéro du dossier de la Cour : 2004-4430(IT)I, datée du 9 décembre 2005, non publiée). Saisi d'une variante du même stratagème impliquant Jean Tremblay et Telco, le juge Archambault a conclu qu'il n'y avait pas eu d'acquisition d'un placement non admissible suivant le paragraphe 146(10), mais il a décidé que les fonds réellement reçus dans le cadre de ce stratagème par le contribuable dans cette affaire étaient assujettis à l'impôt en application du paragraphe 148(8).

[24]     Comme aucune somme n'a été remise à l'appelant dans le cadre du stratagème en cause, il n'a reçu aucun avantage imposable au titre de son REER. Si le recours collectif est accueilli et que l'appelant reçoit personnellement une partie des fonds perdus, cette somme sera assujettie à l'impôt à moins qu'elle ne soit directement retournée dans son REER.

[25]     L'appel est accueilli, sans dépens.

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 21e jour de décembre 2005.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de février 2007.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2005CCI805

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-4403(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Don Nunn et

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Belleville (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 septembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Carole Benoit

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Cabinet :

Pour l'intimée :

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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