Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20020430

Dossier: 1999-1464-GST-G

ENTRE :

COMMISSION SCOLAIRE DE VICTORIAVILLE,                                                          1999-1464(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE LA RIVIÈRE-DU-NORD,                                              1999-4451(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE ROUYN-NORANDA,                                                    1999-4488(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTS-BOIS-DE-L'OUTAOUAIS,                         1999-4489(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE L'OR-ET-DES-BOIS,                                                      1999-4490(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES CHÊNES,                                                                       1999-4516(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,                                               1999-5092(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,                                               1999-5093(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,                                               1999-5094(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE L'AMIANTE,                                                                  1999-5095(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE AU COEUR-DES-VALLÉES,                                              2000-211(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES LAURENTIDES,                                                          2000-315(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES SOMMETS,                                                                  2000-916(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTES-RIVIÈRES,                                                   2000-1468(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE COATICOOK,                                                                                2000-1471(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTS-CANTONS,                                                   2000-1467(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS,                                                           2000-3482GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES AFFLUENTS,                                                               2000-3483(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DE SOREL-TRACY,                                                             2000-3613(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE SIR WILFRID-LAURIER,                                                   2000-3623(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH MONTRÉAL SCHOOL BOARD      2000-4551(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DU LAC SAINT-JEAN,                                                      2000-4842(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE PIERRE-NEVEU,                                                                   2001-1096(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DU VAL-DES-CERFS,                                                         2001-1152(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,                                                                    2001-1181(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,                                                                    2001-1182(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,                                                                    2001-1185(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE CHOMEDEY DE LAVAL,                                                   2001-1184(GST)G

COMMISSION SCOLAIRE DES PATRIOTES,                                                                                2001-1196(GST)G

requérantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs des ordonnances

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Chacune des requérantes a présenté une requête visant à obtenir la radiation de la réponse de l'intimée à son avis d'appel au motif qu'elle ne révèle aucun moyen raisonnable de contestation de l'appel au sens de l'alinéa 58(1)b)[1] des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (Règles) et que continuer les procédures devant cette Cour constituerait un recours abusif au sens de l'alinéa 53c)[2] des Règles. Les requérantes demandent en conséquence que jugement soit rendu accueillant leur appel.

[2]            De façon subsidiaire, certaines des requérantes (douze requérantes[3]), soit celles dont l'appel devant cette Cour porte un des numéros 2001-1184(GST)G, 2000-1471(GST)G, 1999-4516(GST)G, 2001-1181(GST)G, 2001-1185(GST)G, 2001-1182(GST)G, 2000-4842(GST)G, 1999-4488(GST)G, 2001-1096(GST)G, 1999-5092(GST)G, 1999-5093(GST)G et 1999-5094(GST)G, demandent aussi que jugement soit rendu accueillant leur appel en vertu de l'alinéa 58(1)a) des Règles en raison de la présomption absolue de l'autorité de la chose jugée.

[3]            Au début de l'audience, le procureur des requérantes a informé la Cour qu'il consentait à ce qu'une ordonnance soit rendue autorisant l'intimée à produire à l'égard de certaines requérantes (huit requérantes) une réponse à l'avis d'appel modifiée, et cela dans un délai de trois semaines. Ces requérantes sont celles dont le numéro de l'appel est un des suivants : 2000-3613(GST)G, 2000-3483(GST)G, 2000-1468(GST)G, 2000-315(GST)G, 2001-1196(GST)G, 2001-1152(GST)G, 2000-4551(GST)G et 2000-3623(GST)G. Par conséquent, la requête en radiation de la Réponse à l'avis d'appel présentée par chacun de ces huit requérantes a été retirée.

Analyse

[4]            Compte tenu de l'ampleur de ces motifs, il est utile d'indiquer les rubriques sous lesquelles j'exposerai mon analyse et le numéro du paragraphe où elles se trouvent :

A)       FIN DE NON-RECEVOIR FONDÉE SUR L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE [5]

1) Doit-on appliquer les règles de la preuve du Québec ou de la common law dans un appel fiscal exercé au Québec?

                a) En matières fédérales [9]

b) En matières provinciales

i) En droit privé et en droit pénal [10]                               

ii) En droit public (autre que le droit pénal) [12]              

(1) Devant les tribunaux administratifs [22]

(2) Devant les cours de justice [34]                   

c) Devant la Cour canadienne de l'impôt dans des procédures exercées au Québec [46]        

i) En procédure informelle [47]

ii) En procédure générale [48]

2) Peut-on appliquer les principes de common law en matière de res judicata pour interpréter la règle de la chose jugée au Québec? [54]

3) Conditions d'application de la chose jugée au Québec

a)       Notions générales [74]

i) Identité d'objet [75]

                ii) Identité de cause [86]

b) Application des conditions relatives à l'identité en matière fiscale

i) En matière d'impôt sur le revenu [93]

ii) En matière de TPS [123]

iii) Aux faits des appels des requérantes         

(1) Contexte procédural [126]

(2) Décision 2001 [130]

(3) Identité d'objet [135]

(4) Identité de cause [142]

B)       FIN DE NON-RECEVOIR AU MOTIF QUE LES RÉPONSES À L'AVIS D'APPEL NE RÉVÈLENT AUCUN MOYEN RAISONNABLE DE CONTESTATION DES APPELS [146]

A)            FIN DE NON-RECEVOIR FONDÉE SUR L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE

[5]            Je vais aborder les fins de non-recevoir soulevées par le procureur des requérantes dans l'ordre dans lequel il les a présentées lors de l'audience. Tout d'abord, il y a celle fondée sur l'autorité de la chose jugée. Les douze requérantes font partie d'un groupe de vingt-neuf requérantes qui ont obtenu chacune un jugement favorable de la Cour d'appel fédérale (décision 2001). Ce jugement confirmait conditionnellement leur droit à des crédits de taxe sur les intrants (CTI) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (LTA) à l'égard de taxes payables relativement à des services de transport d'élèves fournis par des transporteurs indépendants. Plus loin, j'exposerai plus en détail les faits et les enjeux pertinents de la décision 2001 et ceux des présents appels. Il suffit de mentionner ici que le procureur des requérantes soutient que dans l'appel de chacune des douze requérantes les parties, l'objet et la cause sont les mêmes que ceux dont il s'agit dans la décision 2001, et qu'en raison de l'autorité de la chose jugée tous ces appels devraient être accueillis.

[6]            À l'appui de sa position, le procureur des douze requérantes s'est fondé principalement sur deux décisions : Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, et Leduc c. Sa Majesté la Reine, [2001] A.C.I. no 852 (Q.L.). La première est une décision de la Cour suprême du Canada dont les motifs ont été rédigés par la juge L'Heureux-Dubé. Celle-ci, se livrant à une étude complète de la règle de la chose jugée, y traite de la nature et des conditions d'application de cette règle. Comme il s'agissait d'un litige provenant de la province de Québec, elle a étudié la notion de chose jugée du droit civil que l'on trouve à l'article 1241 du Code civil du Bas Canada (C.c.B.C.). Cet article ressemble à l'article 2848 du Code civil du Québec (C.c.Q.), en vigueur depuis 1994.

[7]            L'autre décision, Leduc, a été rendue tout récemment, le 20 décembre 2001, par ma collègue la juge Lamarre (ci-après la juge). Le procureur des requérantes a accordé une grande importance à cette décision parce que, non seulement a-t-elle le mérite d'appliquer en matière fiscale une fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de la chose jugée, mais elle appuie entièrement sa position. La juge a appliqué à un appel qu'elle devait entendre pour une année d'imposition subséquente l'autorité de la chose jugée d'une décision qu'elle avait elle-même rendue. L'appel concernait les mêmes parties et soulevait une question similaire. Pour en arriver à sa conclusion à l'applicabilité de l'autorité de la chose jugée, la juge s'est fondée à la fois sur les règles du droit civil et sur celles de la common law, plus particulièrement sur la règle de la chose jugée en droit civil et sur celle de la res judicata de la common law[4].

[8]            Comme le procureur des requérantes désire que j'adopte la même conclustion[5] que celle dans Leduc, il devient impérieux de déterminer s'il est justifié que l'on applique concomitamment ces deux règles juridiques. Pour résoudre cette question, il faut d'abord qualifier ces règles, déterminer lequel des régimes juridiques - celui du droit civil ou celui de la common law - s'applique ici, et décider s'il est approprié de les utiliser de façon concomitante. Je reviendrai plus loin sur la nature de chacune de ces deux règles juridiques, mais il suffit à ce stade-ci de constater qu'elles sont toutes les deux des règles de preuve[6]. L'article 2848 C.c.Q., qui énonce la règle de la chose jugée, se trouve au Livre septième (traitant de la preuve), Titre deuxième (traitant des moyens de preuve), Chapitre troisième (traitant de la présomption). Quant à la res judicata, les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant affirment, dans The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto et Vancouver, Butterworths, 1999, à la page 1069, no 19.51: « Although the principle of res judicata is sometimes referred to as a rule of substantive law, the better view is that it is a rule of evidence » [7].

1)             Doit-on appliquer les règles de la preuve du Québec ou de la common law dans un appel fiscal exercé au Québec?

                a)              En matières fédérales

[9]            La prochaine étape est de déterminer quelles règles sur la preuve s'appliquent ici : celles que l'on trouve au Code civil du Québec et au Code de procédure civile du Québec (règles de preuve du Québec) ou celles de la common law. Le professeur Ducharme, dans Précis de la preuve, 5e édition, Montréal, Wilson et Lafleur, 1996, aux pages 13, 14 et 16, fournit une bonne partie de la réponse à cette question :

b)              En matières fédérales

50.            Le Code civil du Québec ne peut régir que les matières qui relèvent de la compétence des législatures provinciales. Ses dispositions ne peuvent s'appliquer comme telles dans les matières relevant de la compétence du Parlement fédéral. En ces matières, les règles de preuve applicables sont énoncées à la Loi sur la preuve au Canada.

51.            Le domaine d'application de cette loi est défini par l'article 2 qui s'énonce comme suit :

2.              La présente partie s'applique à toutes les procédures pénales et civiles ainsi qu'à toutes les autres matières de compétence fédérale.

[...]

53.            L'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada fait toutefois une certaine place au droit des provinces. Cet article s'énonce ainsi

40.            Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exercées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois fédérales.

54.            Comme la Loi sur la preuve au Canada ne traite que de certains problèmes particuliers qui relèvent surtout de l'administration de la preuve et plus spécialement de l'administration des témoignages (articles 3 à 16), de l'administration de la preuve littérale (articles 19 à 36) et de l'immunité d'intérêt public (articles 37 à 39), c'est dire que, en vertu de l'article précité, les règles du droit québécois, lesquelles recouvrent un domaine beaucoup plus vaste, vont trouver à s'appliquer dans les matières qui sont du ressort du Parlement fédéral et auxquelles normalement elles ne devraient pas s'appliquer.

[...]

61.            Aux termes de l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, c'est le droit en vigueur dans la province où les procédures sont exercées qui sert de droit supplétif. Le paragraphe 2 de l'article 53 de la Loi sur la Cour fédérale contient toutefois une dérogation à cette règle. En effet, aux termes de ce paragraphe, la Cour fédérale peut appliquer, à titre supplétif, non pas le régime de preuve de la province où les procédures ont été exercées, mais tout régime plus libéral de toute autre province. Ce paragraphe s'énonce ainsi :

(2).           Par dérogation à l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada mais sous réserve de toute règle applicable en la matière, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d'admettre une preuve qui ne serait pas autrement admissible si, selon le droit en vigueur dans une province, elle l'était devant une cour supérieure de cette province.[8]

                                                                                                                                [Je souligne.[9]]

                b)              En matières provinciales

i)              En droit privé et en droit pénal

[10]          Il ressort clairement de l'article 40 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC) que c'est la loi sur la preuve du Québec qui s'applique dans la mesure où les procédures sont exercées au Québec (sauf si une règle existe déjà dans une loi fédérale). Reste à déterminer quelles sont les règles québécoises pertinentes lorsqu'il s'agit d'un appel d'une cotisation fiscale. Quand il s'agit d'un litige en matière purement civile, en droit criminel ou en droit pénal provincial, la solution est claire : en matière purement civile (donc en droit privé), ce sont les règles de preuve du Québec et, en matière criminelle et pénale, ce sont les règles de preuve de common law. Voici ce que dit le professeur Ducharme dans Précis de la preuve, à la page 12 :

a)              En matières provinciales

45.            Les règles de preuve énoncées au Code civil du Québec ont une portée générale et s'appliquent dans tous les litiges de nature civile dont la solution dépend d'une loi provinciale. C'est dire que leur domaine d'application s'étend en principe à l'ensemble de la législation québécoise et n'est pas restreint aux seules matières réglementées par ce code. Cette vocation du Code civil du Québec à s'appliquer à l'ensemble de la législation québécoise est maintenant expressément affirmée en ces termes par la disposition préliminaire du nouveau code :

Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.

Le code est constitué d'un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l'esprit ou l'objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.

46.            Par la volonté même du législateur québécois, les règles de preuve du Code civil du Québec n'ont pas, comme telles, la vocation de s'appliquer dans les matières pénales provinciales. C'est ce qui résulte de l'article 61 du Code de procédure pénale. Cet article s'énonce ainsi :

61.            Les règles de preuve en matière criminelle, dont la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. 1985, ch. C-5), s'appliquent en matière pénale, compte tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi à l'égard des infractions visées par cette loi et de l'article 308 du Code de procédure civile.

47.            Cette disposition a pour effet notamment de rendre applicable, dans les matières pénales provinciales, l'article 7[10] du Code criminel, article qui fait de la common law le droit supplétif en matière de preuve. Avant l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale, les auteurs et la jurisprudence, même en l'absence d'un texte aussi explicite, considéraient que les règles de preuve de la common law avaient préséance sur les dispositions du Code civil du Bas Canada. On invoquait à ce propos que le droit pénal provincial n'est qu'un reliquat du droit criminel, dont l'ensemble des règles, y compris les règles de preuve, nous viennent du droit anglais.

[11]          Le professeur Royer, dans La preuve civile, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1995, à la page 36, partage le point de vue du professeur Ducharme, à savoir que les règles de preuve du Code civil du Québec établissent le droit commun, mais y apporte certaines nuances :

73 - Code civil du Québec - Le Code civil du Québec ne contient aucune règle similaire à celles qui sont énoncées aux articles 1206 et 2712 du Code civil du Bas Canada. Un auteur a prétendu que cette omission fait perdre à l'ancien droit français, ainsi qu'au droit anglais, leur fonction de droits supplétifs. Cette affirmation est valable pour les règles de fond, ainsi que pour les règles d'administration de la preuve, qui sont contenues dans le Code civil du Québec. En effet, ce dernier comprend « une réglementation complète et exhaustive du droit de la preuve dans les matières civiles. Par ailleurs, les règles contenues dans le Code civil du Québec ont leur source dans le droit français et la common law. Aussi, le droit français et la common law peuvent continuer d'être utilisés pour interpréter ces règles.

74 - Code de procédure civile - Le Code de procédure civile contient plusieurs dispositions concernant l'enquête et l'administration de la preuve testimoniale. La plupart de ces règles originent [sic] de la common law. Aussi, il faut généralement recourir au droit anglais pour les interpréter. Par ailleurs, le législateur n'a pas adopté un code de procédure civile comprenant une réglementation complète et exhaustive de toutes les règles relatives à la procédure et à l'administration de la preuve. Cela pourrait justifier le maintien de certains privilèges de la common law, qui sont liés au caractère accusatoire et contradictoire du procès et ce, même s'ils ne sont pas formellement reconnus dans des articles du Code de procédure civile.

                ii)             En droit public (autre que le droit pénal)

[12]          Quant à la matière fiscale qui fait partie du droit administratif (donc du droit public), la solution n'est pas aussi évidente : il se pose en effet au Québec tout un problème des sources du droit public qui ne se présente pas dans les autres provinces canadiennes. Il faut rappeler qu'en matière purement civile, le droit a son origine dans le droit civil français, alors que le droit public vient du Royaume-Uni et que ce sont généralement les principes de common law qui s'appliquent dans ce domaine[11]. Les professeurs Pépin et Ouellette, dans Principes de contentieux administratif, 2e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc, 1982, aux pages 37 et 38, font un bel exposé sur la question des sources du droit public; ils précisent que la common law en constitue le fondement et expliquent le rôle qu'elle joue en droit public au Québec :

[...] les principes fondamentaux du droit administratif prennent leur origine dans le droit anglais, dans la common law fabriquée par les juges. C'est là une des conséquences de la conquête qui a introduit au Canada le droit public anglais. Ainsi que l'a écrit Me Louis-Philippe Pigeon, plus tard membre de la Cour suprême du Canada :

"On est porté à ne pas prêter suffisamment attention au fait que la province de Québec n'est pas une province de droit civil purement et simplement; elle est un pays de droit civil en droit privé mais pas en droit public. C'est pourquoi, par exemple, lorsqu'il s'agit de droit municipal ou de droit scolaire, le fond du droit c'est le droit anglais tout comme en droit administratif généralement."

La common law pourra donc trouver application en droit administratif canadien et québécois, à moins évidemment qu'elle n'ait été abrogée ou modifiée par le Parlement compétent. Reste à savoir cependant, d'une part, quel est au Québec le champ d'action précis de la common law, compte tenu du fait que les textes constitutionnels ont excepté du droit anglais le domaine des "property and civil rights" et, d'autre part, de quelle façon précise l'Assemblée nationale doit s'y prendre pour déroger à la common law; à cet égard, l'honorable juge Beetz notait, dans une affaire Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, relative à un outrage au tribunal commis devant un organisme québécois :

"La source de ce droit est la common law dont les principes ne sont pas écartés par des lois qui n'en parlent pas [...] Lorsque le législateur veut modifier la common law, il le fait par des dispositions explicites."

La common law étant en principe une source de droit administratif québécois, il est donc possible d'étudier simultanément le droit québécois et le droit fédéral qui puise lui aussi à la même source encore que, bien entendu, des textes législatifs puissent établir des règles propres à chacun des ordres juridiques. Le droit québécois étant d'inspiration anglaise, l'on ne doit donc avoir aucun scrupule, lorsque les circonstances le permettent, à utiliser au Québec la jurisprudence des autres provinces canadiennes, elles aussi soumises en principe à la common law, ainsi d'ailleurs que celle du Royaume-uni et même d'autres pays de même tradition.

[13]          Comme on peut le constater, la common law est une des sources principales du droit public au Québec et, plus particulièrement, du droit administratif. Toutefois, le législateur québécois peut modifier la common law applicable en droit public en adoptant législativement un régime juridique correspondant ou non aux principes élaborés par la jurisprudence de common law. Contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier abord, le Code civil du Québec et le Code de procédure civile du Québec édictent des règles qui trouvent application non seulement en droit privé mais aussi en droit public. C'est le cas notamment de l'article 300 C.c.Q. qui prévoit que les personnes morales de droit public sont d'abord régies par les lois particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables. Ensuite, ce sont les règles du Code civil qui s'appliquent. L'article 1376 C.c.Q dispose que les règles de son Livre cinquième sur les obligations s'appliquent à l'État, ainsi qu'à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables. Dans le Code de procédure civile, il y a l'article 33 qui accorde à la Cour supérieure un pouvoir de surveillance et de contrôle sur les tribunaux inférieurs relevant de la compétence québécoise « ainsi que [sur] les corps politiques, les personnes morales de droit public [...] » .

[14]          Ainsi, se pose la question de savoir si le législateur québécois a adopté un régime sur la preuve applicable tout autant en matière purement civile qu'en droit public. Dans le chapitre intitulé « Le nouveau droit de la preuve en matières civiles selon le Code civil du Québec » dans la collection La réforme du Code civil, vol. 3, Ste-Foy (Québec), Les Presses de l'Université Laval, 1993, le professeur Ducharme semble répondre par la négative en écrivant à la page 443 : « Le Code, en consacrant un livre spécial aux règles de preuve, manifeste que ces règles ont vocation à s'appliquer dans toutes les instances à caractère civil, par opposition aux instances à caractère pénal ou administratif » .

[15]          Il y a ici source potentielle de confusion selon que l'on limite la portée de cette affirmation au caractère juridictionnel des tribunaux devant lesquels on utilisera les règles de preuve ou aux champs de compétence de ces tribunaux. Par champs de compétence, j'entends les différents domaines du droit sur lesquels les tribunaux doivent se pencher : par exemple, le droit privé (le droit purement civil) et le droit public (qui comprend le droit administratif, le droit judiciaire et le droit criminel). À mon avis, l'affirmation du professeur Ducharme ne vise pas la question des champs de compétence; elle vise plutôt le type de tribunal (l'instance) devant lequel les recours sont exercés. Qu'entend-il lorsqu'il parle d'instances à caractère administratif? Pour répondre à cette question, il faut constater que notre système juridique reconnaît deux types de tribunaux : les cours de justice relevant de l'ordre judiciaire et les tribunaux administratifs relevant de l'ordre administratif.

[16]          Pour bien saisir la portée de cette distinction, il faut rappeler un des principes constitutionnels fondamentaux du Canada, celui de la séparation des pouvoirs : le pouvoir législatif (le Parlement), le pouvoir exécutif (l'Administration) et le pouvoir judiciaire (les cours de justice). Les tribunaux administratifs ne font pas partie du pouvoir judiciaire. Lorsqu'il utilise l'expression « instances à caractère [...] administratif » , c'est aux tribunaux administratifs que le professeur Ducharme se réfère.

[17]          La question de savoir ce que constitue un tribunal administratif a été étudiée récemment par la Cour supérieure du Québec dans la décision Barreau de Montréal c. Québec (Procureur général), [2000] R.J.Q. 125, qui a été en grande partie confirmée par la Cour d'appel du Québec, [2001] J.Q. no 3882. La Cour supérieure était saisie d'une requête en jugement déclaratoire : le requérant cherchait à faire déclarer inopérants treize articles de la Loi sur la justice administrative[12], au motif que les membres du TAQ ne jouissaient pas des garanties d'indépendance énoncées à l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. ch. C-12). Pour trancher la question susmentionnée, le juge Rochon (maintenant de la Cour d'appel) a dû analyser la nature d'un tribunal administratif (aux pages 144 et 145) :

[...] Pépin et Ouellette proposent une définition large du concept :

Ainsi dans une conception moderne élargie, l'expression tribunal administratif recouvre toutes les autorités publiques autres que les cours de justice qui prennent des décisions touchant les droits des citoyens, peu importe que la nature de la décision soit judiciaire ou administrative, ce qui peut inclure aussi bien un ministre qu'une « commission » , un « office » , un tribunal ou une « régie » .

Ces tribunaux se distinguaient des « courts » à maints égards : membres spécialisés, souvent non-juristes, procédure simplifiée, non-assujettissement aux règles de preuve, investis généralement de pouvoirs de la Loi sur les commissions d'enquête. Les tribunaux administratifs, nous soulignent les auteurs Pépin et Ouellette, n'ont pas de juridiction inhérente et ne sont pas susceptibles d'être outragés.

[...]

Le professeur Patrice Garant [...] souligne que la jurisprudence a accolé l'étiquette de « tribunal administratif » tant à des organismes dont la fonction unique est d'entendre des litiges qu'à d'autres organismes « appelés communément régies ou commissions investis d'une fonction de régulation économique et technique » . Il ajoute que ces deux catégories ont comme fonction commune, l'une à titre principal et l'autre à titre accessoire, de statuer sur les droits des administrés suivant un processus qu'il qualifie de quasi judiciaire

[18]          De plus, le juge René Dussault, qui a écrit les motifs de la Cour d'appel du Québec, ajoute ceci pour conclure que le TAQ est un tribunal administratif (au paragraphe 104) :

104 [...] ce qui distingue fondamentalement les tribunaux administratifs du pouvoir judiciaire de l'État, c'est l'incapacité des premiers à déclencher eux-mêmes, à l'égard de leurs décisions, les procédures d'exécution de droit commun : l'action pénale et l'action civile, accompagnée ou non d'une injonction. En effet, dans notre système de justice qui participe, à cet égard, à la tradition britannique, les tribunaux administratifs, du fait de leur détachement des tribunaux judiciaires, ne peuvent mettre leurs décisions à exécution forcée.

[19]          Après avoir défini ce que sont les « instances à caractère administratif » , il faut considérer les notions d' « instances à caractère civil » et d' « instances à caractère pénal » employées par le professeur Ducharme. L'utilisation de ces expressions correspond à celle que l'on retrouve dans la législation définissant les compétences des « cours de justice » . De façon générale, on reconnaît à ces cours deux catégories de compétence : la compétence civile et la compétence pénale (ou criminelle). Par exemple, l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, accorde à la Cour fédérale compétence en « matière civile et pénale » . Il n'y est pas fait mention de compétence en matière administrative ou en matière de droit public. Or, en vertu des pouvoirs conférés par les articles 18 et 28 de cette loi, la Cour fédérale exerce des pouvoirs de contrôle sur les tribunaux administratifs et autres offices fédéraux. Nous voilà donc dans le domaine du droit administratif.

[20]          L'article 1 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q. 1977, ch. T-16, liste les tribunaux du Québec « en matières civiles, criminelles ou mixtes » . Que l'on se trouve devant la Cour supérieure du Québec ou la Cour du Québec, les recours ne sont pas exercés qu'en matières purement civiles ou criminelles; il peut aussi s'agir de recours en droit public. C'est le cas, par exemple, dans les situations où la Cour supérieure exerce son pouvoir de contrôle et de surveillance sur les tribunaux administratifs et autres corps publics, notamment pour annuler une résolution d'un conseil municipal, ou dans celles où la Cour du Québec entend un appel d'une cotisation fiscale établie par le sous-ministre du Revenu du Québec. Force est de conclure que l'on doit entendre par « matières civiles » dans un tel contexte tout ce qui n'est pas matière criminelle et que cette expression comprend le droit administratif et les autres domaines de droit public (autre que le droit criminel).

[21]          Si on fait maintenant le point sur l'affirmation du professeur Ducharme reproduite au paragraphe [14] de ces motifs, je crois qu'il faut en conclure que les règles de preuve du Québec s'appliquent devant les cours de justice qui entendent des recours autres qu'en droit criminel et qu'elles ne s'appliquent pas devant les tribunaux administratifs (les instances à caractère administratif). Voyons dans quelle mesure cette affirmation décrit bien l'état du droit devant les tribunaux administratifs et les cours de justice.

(1)            Devant les tribunaux administratifs

[22]          Relativement à l'application des règles de preuve du Québec devant les tribunaux administratifs, le professeur Ducharme semble lui-même remettre en question sa propre opinion lorsqu'il traite, dans son ouvrage Précis de la preuve (précité), à la page 13, paragraphes 48 et 49, du domaine de l'application des règles de la preuve du Code civil du Québec en matières provinciales :

48.            Pour ce qui est du régime de la preuve applicable devant les tribunaux administratifs, la doctrine et la jurisprudence, antérieurement à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, considéraient qu'il s'agissait d'un régime autonome et distinct de celui des matières civiles. En vertu de cette théorie, c'est seulement par l'effet d'une disposition expresse d'une loi créant un tribunal administratif ou d'un règlement adopté sous son empire que les règles de preuve du droit civil pouvaient s'appliquer devant un tel tribunal. On reconnaissait cependant que certaines de ces règles, dans la mesure où elles étaient l'expression des règles de justice naturelle, trouvaient à s'appliquer même en l'absence de toute disposition législative en ce sens. Il arrivait également, dans certains cas, qu'un tribunal administratif fit appel aux règles de preuve du droit civil pour juger du bien-fondé d'une demande, même si, en vertu de sa loi habilitante, il avait pleine liberté d'accepter tout mode de preuve qu'il croyait susceptible de mieux servir les fins de la justice.

49. Cette autonomie du régime des preuves en matières administratives subsiste-t-elle encore depuis l'entrée en vigueur du nouveau code? Cette autonomie nous paraît compromise par l'effet de la disposition préliminaire du Code civil du Québec, disposition qui entend faire de ce code le fondement des autres lois.

[23]          Le professeur Garant, dans Droit administratif, 4e édition, volume 2, « Le Contentieux » , Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1996, à la page 278, va plus loin en affirmant que les règles de la preuve du Code civil du Québec s'appliquent devant les tribunaux administratifs :

Le Code civil étant le droit commun du Québec, le Livre septième de ce Code intitulé « de la preuve » s'applique à tous les tribunaux administratifs et quasi judiciaires sauf dérogation dans les lois particulières. Ce Livre énonce donc un régime général de la preuve qui peut être, à certains égards, contraignant.

[24]            Le professeur Ouellette ne partage pas ce point de vue. Il défend avec beaucoup de vigueur le principe de l'autonomie du régime de la procédure dans Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997. Selon lui, si on a institué les tribunaux administratifs, c'était pour les libérer du formalisme des règles sur la preuve : il serait dès lors inapproprié de les assujettir aux règles générales de la preuve. Les tribunaux administratifs doivent être libres d'adopter leurs propres règles de preuve. Voici ce qu'il écrit à la page 256 :

L'apparition au début du siècle des tribunaux administratifs, créés pour être différents des cours et plus performants, composés de spécialistes et chargés, après audience, d'aider à administrer quelques normes législatives contemporaines, posait un nouveau défi en matière de droit de la preuve. Manifestement, la transposition servile des règles techniques issues du système de procès par jury était contre-indiquée. La jurisprudence a lentement développé une théorie de la preuve quasi judiciaire marquée de flexibilité et de pragmatisme et inspirée des règles de la justice naturelle.

[25]          Le même auteur, dans « Aspects de la procédure et de la preuve devant les tribunaux administratifs » (1986), 16 R.D.U.S. 819, explique ainsi (aux pages 846 et 847) le fondement du principe de l'autonomie de la preuve administrative au Canada :

Les problèmes de procédure et de preuve sont, en pratique, étroitement liés, si bien que le droit de la preuve administrative, de construction jurisprudentielle, s'inspire de la même philosophie judiciaire marquée de pragmatisme et de souplesse que le droit de la procédure administrative. [...]

[...] En matière de preuve, comme en matière de procédure, les cours d'appel se sont souciées de reconnaître le particularisme des tribunaux administratifs et se sont gardées de leur imposer leurs propres règles de preuve, préférant s'en tenir à quelques principes fondamentaux en en précisant, au besoin, les modalités d'application.

[26]          Voici l'explication (aux pages 827 et 828) de l'autonomie de la procédure administrative reconnue dans la jurisprudence au Québec :

Le principe de l'autonomie de la procédure administrative découle, à vrai dire, de la distinction fondamentale, de la summa divisio, que fait la jurisprudence entre les cours de justice qui incarnent le pouvoir judiciaire dans l'État et les tribunaux et organismes administratifs; il résulte des conséquences tirées par les hautes juridictions des choix politiques du législateur de constituer, à côté des cours traditionnelles, des organismes administratifs et de leur confier des pouvoirs judiciaires. En pareil cas, il faut en conclure, en l'absence d'indication contraire, que le législateur a voulu écarter le modèle judiciaire et laisser l'organisme agir suivant les méthodes ou la procédure qui lui sont propres et qu'il juge appropriées pour exécuter son mandat. Pratiquement, cela signifie que la procédure peut varier d'un organisme à l'autre. Au surplus, l'hypothèse selon laquelle en l'absence d'indication législative, l'organisme devrait se laisser guider par analogie par la procédure des tribunaux judiciaires, est rejetée. Tel est le message livré par la House of Lords en 1915 dans le célèbre arrêt Local Government Board c. Arlidge.

Le principe fut repris par des juges de la Cour suprême du Canada à maintes reprises et par la Cour d'appel du Québec : en cas de silence des textes, le tribunal administratif est maître de sa procédure, et la méthode des cours de justice ne constitue pas nécessairement un modèle à imiter.

[27]       Pourtant, on retrouve dans la jurisprudence des décisions où on a conclu que les tribunaux administratifs sont tenus d'appliquer certaines règles sur la preuve énoncées dans le Code civil du Québec. Dans Thibodeau c. Commission municipale du Québec, [1996] R.J.Q. 1217, à la page 1233, le juge Corriveau de la Cour supérieure a décidé qu'un tribunal administratif devait respecter l'article 2858 C.c.Q., qui traite de la recevabilité d'une preuve qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il s'agissait-là d'un enregistrement d'une conversation avec un conseiller municipal qu'avait fait la requérante à l'insu du conseiller.

[28]            Dans Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S, 60, le juge Beetz, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a tenu pour acquis que l'article 308 C.p.c. pouvait s'appliquer à une « commission d'enquête » provinciale. Cet article traite du pouvoir d'un tribunal de contraindre un témoin à divulguer ce qui lui a été révélé dans l'exercice de ses fonctions. Dans ce cas particulier, la Cour suprême a décidé que l'article 308 ne visait pas le cas de la divulgation, par un agent de la paix, de l'identité d'un indicateur de police et que c'était alors la règle de preuve de common law qu'il fallait appliquer. La Cour est même allée plus loin en affirmant que le législateur québécois n'aurait pas pu modifier cette règle de common law parce qu'il s'agissait d'un principe de droit criminel et qu'une telle modification serait ultra vires.

[29]          Dans Lapointe c. Commission de police du Québec, 1974 C.A. 121, la Cour d'appel du Québec s'est penchée sur la question de l'application de l'autorité de la chose jugée dans une enquête menée par la Commission de police du Québec sur les actions de certains policiers. Les faits pertinents devant la Commission avaient été considérés par la Cour des Sessions de la paix, qui avait acquitté les policiers relativement à toutes les accusations portées contre eux. La Cour d'appel a conclu qu'étant donné que le jugement de la Cour des Sessions de la paix était un jugement d'un tribunal siégeant en matière criminelle, ce jugement n'avait pas l'autorité de la chose jugée dans l'enquête devant la Commission qui, elle, est une instance de nature civile.[13]

[30]          Les professeurs Pépin et Ouellette op. cit., à la page 19, semblent adopter la même position sur l'application de la règle de la chose jugée devant les tribunaux administratifs :

On sait donc que le régime juridique des tribunaux administratifs diffère sous bien des aspects de celui des cours de justice et commande en conséquence un style d'"advocacy" également différent, ce que bien des plaideurs ne semblent pas encore accepter. Il demeure que les ordonnances ou décisions des tribunaux administratifs qui terminent une affaire, tout comme les jugements des cours, ont force de loi et bénéficient de la présomption de validité.

[31]          La même année que Ducharme et Garant rééditaient leur ouvrage, soit en 1996, le Parlement du Québec adoptait le projet de loi 130, Loi sur la justice administrative (précitée), qui affirme la spécificité de la justice administrative au Québec. Voici ce qu'édicte l'article 1 de cette loi :

1. La présente loi a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits fondamentaux des administrés.

Elle établit les règles générales de procédure applicables aux décisions individuelles prises à l'égard d'un administré. Ces règles de procédure diffèrent selon que les décisions sont prises dans l'exercice d'une fonction administrative ou d'une fonction juridictionnelle. Elles sont, s'il y a lieu, complétées par des règles particulières établies par la loi ou sous l'autorité de celle-ci.

La présente loi institue également le Tribunal administratif du Québec et le Conseil de la justice administrative.

[32]          Pour mieux saisir la portée de cette nouvelle loi, il est utile de reproduire aussi ses articles 9 et 11 :

9. Les procédures menant à une décision prise par le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l'ordre administratif chargé de trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée sont conduites, de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d'agir de façon impartiale.

11. L'organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l'audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.

Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'utilisation d'une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l'administration de la justice.

[33]          Comme on peut le noter, l'autonomie du régime de la preuve est maintenant codifiée dans cette loi et elle permet plus de souplesse dans l'administration de la preuve. Cette autonomie s'explique certainement en partie par le fait que certains des membres du TAQ ne sont pas des juristes. Il faut de plus souligner que ce régime autonome de la preuve devant les tribunaux administratifs ne prévoit pas l'application des règles de preuve de common law, comme le font le Code criminel du Canada et le Code de procédure pénale du Québec. Au contraire, la Loi sur la justice administrative parle des « règles ordinaires de la preuve en matière civile » . Dès lors, le droit supplétif en matière de preuve devant les tribunaux administratifs devrait être tiré du Code civil du Québec et du Code de procédure civile du Québec, qui constituent le droit commun du Québec. Il faut finalement souligner que le régime autonome ne s'applique qu'aux tribunaux administratifs, en matière administrative (soit dans les « litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée » )et non aux cours de justice.

(2)            Devant les cours de justice

[34]          Si le régime autonome en matière de preuve ne trouve application que devant les tribunaux administratifs, en matière administrative, qu'en est-il devant les cours de justice dans des procédures soulevant des litiges de droit public? Peu a été dit sur cette question. Dans la doctrine consultée, comme le démontrent les passages cités plus haut, chaque fois que l'on traite du régime de la preuve en droit administratif, on ne parle que des recours exercés devant les tribunaux administratifs[14].

[35]          Pourtant, ces tribunaux ne sont pas les seuls à entendre des litiges soulevant des questions de droit administratif. Comme il a été dit plus haut, la Cour du Québec entend les appels des cotisations fiscales établies par le sous-ministre du Revenu du Québec. Avant que le Parlement canadien n'attribue à la Cour canadienne de l'impôt la compétence exclusive pour entendre les appels des cotisations fiscales établies par le ministre du Revenu national (ministre), les contribuables canadiens pouvaient exercer leurs recours devant la Section de première instance de la Cour fédérale, une autre cour de justice. Finalement, la Cour supérieure du Québec, en exerçant son pouvoir de surveillance des tribunaux administratifs, fait aussi du droit administratif. Il est donc plutôt étrange que l'on ne s'intéresse pas au régime de la preuve appliqué par les cours de justice qui ont à juger en matière administrative au même titre que les tribunaux administratifs.

[36]          De façon générale, il semble être tenu pour acquis que ce sont les règles générales sur la preuve en matière civile énoncées dans le Code civil qui s'appliquent. Quant à l'application du Code de procédure civile, Garant, op. cit., volume 2, à la page 9, reconnaît explicitement que ce Code a supplanté la common law en droit public :

                Au Québec nous croyons que la jurisprudence et la doctrine ont minimisé l'importance du Code, qui, comme texte de droit codifié, aurait dû supplanter la common law et s'imposer comme loi fondamentale en matière de droit judiciaire privé comme public.

[37]          Je dois souligner qu'on appliquait les règles de preuve du droit privé en droit public bien avant l'adoption du nouveau Code civil du Québec. On trouve plusieurs exemples où les cours de justice ont appliqué les règles de preuve du Code civil du Bas Canada. Notamment, la Cour suprême du Canada, dans Corporation du Village de Deschênes v. Loveys, [1936] R.C.S. 351, à la page 360, a appliqué l'article 1241 C.c.B.C. (portant sur l'autorité de la chose jugée) dans un appel soulevant la question de la nullité d'une résolution adoptée par un conseil municipal. De plus, il faut le souligner, la Cour suprême n'a pas appliqué la res judicata de la common law, mais bien la chose jugée du Code civil dans ce domaine, soit celui du droit municipal, qui fait partie du droit public québécois. De façon similaire, dans Buchanan c. La Commission des accidents du travail, [1981] C.A. 325, la Cour d'appel du Québec a aussi appliqué le principe de la chose jugée dans une cause où l'on soulevait la nullité d'un règlement de la Commission des accidents du travail. En droit fiscal provincial[15], il y a la décision de la Cour du Québec[16] dans Larouche c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 1989 CarswellQue 506, où le juge Tremblay affirme :

16 Pour conclure sur l'étude interprétative de l'article 82 [de la Loi sur le Ministère du Revenu, Lois refondues du Québec, 1977, Ch. N-31.], je ne crois donc pas que cet article constitue une exception à la règle défendant une preuve par ouï-dire. D'aucune façon je ne peux me convaincre que toutes les règles de preuve prévues au code de procédure civile et au code civil doivent être mises de côté par l'effet de cet article.

[38]          Après cette analyse des sources du droit public au Québec et du champ d'application des règles québécoises sur la preuve, une conclusion s'impose : les règles de preuve du Québec constituent le droit commun au Québec, tant en matière de droit privé qu'en matière de droit public (sauf en droit criminel et en droit pénal provincial). Ainsi, elles doivent recevoir application tout autant en matière de droit public - qu'il s'agisse de droit municipal, comme dans Loveys, ou de droit fiscal - qu'en matière de droit privé. À l'occasion, notamment pour interpréter une règle de preuve provenant de la common law, il sera utile et parfois nécessaire d'avoir recours aux principes de common law - citons à cet égard l'exemple de la règle du ouï-dire. Dans certaines circonstances exceptionnelles, c'est la règle de common law qui peut prévaloir, notamment s'il s'agit d'une règle d'ordre public relevant du domaine du droit criminel, comme cela était le cas dans l'affaire Bisaillon (précitée) relativement à la règle de la non-divulgation de l'identité d'indicateurs de police. Les règles de preuve du Québec doivent être appliquées par les cours de justice avec la rigueur habituelle. Lorsque les recours en matière administrative sont exercés devant des tribunaux administratifs régis par la Loi sur la justice administrative, ces tribunaux jouissent d'une bonne part de discrétion dans l'application des règles de preuve du Québec : le tribunal « est maître [...] de la conduite de l'audience » et « il peut [...] suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile » .

[39]          Je suis d'autant plus conforté dans cette conclusion selon laquelle les règles de preuve du Québec s'appliquent non seulement en matière purement civile, mais aussi en matière administrative de droit public, qu'elle correspond à l'approche suivie par la common law. Voici ce que le professeur Royer affirme dans son ouvrage précité :

31 - Unicité du droit de la preuve - Contrairement à la France et aux autres pays du continent, l'Angleterre n'a ni codifié ses règles, ni distingué le droit de la preuve dans les matières pénales, administratives, commerciales et civiles. Le régime de preuve est unique, bien qu'il existe des dérogations spécifiques à certains secteurs du droit et que l'application des règles soit parfois différente selon qu'il s'agit d'un procès civil ou criminel.

[40]          Selon la common law, toute personne, y compris Sa Majesté et ses représentants, est assujettie au droit commun du pays tel qu'il est exposé par les tribunaux ordinaires du pays. Voici l'exposé que font les professeurs Pépin et Ouellette op. cit. sur les sources du droit administratif, à la page 40 :

Il n'est pas nécessaire de faire une distinction, lorsque l'on traite brièvement des sources du droit administratif, entre les règles qui sont propres à l'administration publique et celles qui s'appliquent aussi aux rapports juridiques que les particuliers peuvent avoir entre eux. Il faut savoir, en effet, que l'Administration est dans certaines circonstances assujettie aux règles du "droit ordinaire", du "droit privé" i.e. de celui applicable aux individus. Cet état de choses se manifeste tout spécialement dans le domaine du contentieux administratif: nous verrons par exemple que la responsabilité civile contractuelle, délictuelle et quasi-délictuelle de l'administration publique et de ses agents est essentiellement régie par les règles du droit ordinaire; nous constaterons aussi que le contrôle judiciaire des décisions de l'Administration s'exerce fondamentalement selon les règles établies pour permettre aux cours supérieures de justice de maintenir dans les limites de leur juridiction les cours inférieures qui possèdent une juridiction d'attribution, délimitée par des textes de loi. En somme, le droit administratif possède un caractère dualiste; il est fait à la fois de droit ordinaire et de droit spécial, c'est-à-dire exorbitant du droit commun; dans un cas comme dans l'autre, ces règles ont force de loi à l'égard de l'administration publique et sont sanctionnées par les cours de justice. Il arrive même que le droit ordinaire, en l'occurrence la common law, reconnaisse des privilèges spéciaux à l'Administration, telles les prérogatives de la couronne.

[41]          Un peu plus loin, ces auteurs ajoutent (aux pages 40 et 41) :

Au Canada, comme au Royaume-Uni, il est de tradition d'affirmer, au contraire, que l'administration publique est soumise en principe au droit et aux tribunaux ordinaires. L'honorable juge Beetz tenait récemment, pour la Cour suprême, les propos suivants dans une affaire relative au statut juridique d'un fonctionnaire occasionnel du gouvernement du Québec :

"Par ailleurs, il importe de ne pas perdre de vue les principes et l'esprit du droit public anglo-canadien. Il y va du droit positif. Dans ce droit anglo-canadien, faut-il le rappeler, le droit administratif ne constitue pas un système complet et autonome, distinct du droit commun et administré par des tribunaux spécialisés. C'est au contraire le droit commun administré par les tribunaux judiciaires qui est reçu en droit public et dont les dispositions régissent la puissance publique, à moins qu'elles ne soient remplacées par des dispositions législatives incompatibles, ou supplantées par les règles particulières à la prérogative royale, cet ensemble de pouvoirs et privilèges qui n'appartient qu'à la couronne. Il s'ensuit qu'ayant à qualifier et à réglementer un rapport juridique donné en droit public, le juriste de tradition anglo-canadienne doit presque nécessairement accomplir cette fonction avec les concepts et les règles du droit commun à moins que la loi ou la prérogative n'imposent le contraire."

[42]          Le professeur Pierre Foucher, dans Droit administratif, collection « Common law en poche » , Les éditions Yvon Blais, 1997, tient des propos similaires, à la page 1 :

A.             Champ d'étude et caractères du droit administratif de common law

                Fidèle à sa tradition unitaire, la common law ne connaît pas, à proprement parler, de droit administratif. Tout comme le droit constitutionnel, le droit administratif de common law est une construction doctrinale, un regroupement des règles spécifiques du droit commun qui visent l'administration. Mais ces règles ne sont pas établies par des tribunaux spécialisés à partir d'un code administratif quelconque. Elles sont développées par les tribunaux ordinaires à titre de règles intégrées au droit commun. En effet, selon un des postulats constitutionnels les plus fondamentaux de la common law, toute personne, y compris Sa Majesté et ses représentants, est assujettie au droit ordinaire du pays tel qu'il est exposé, de temps à autre, par les tribunaux ordinaires du pays. Il n'y a pas de dichotomie de principe entre le droit public et le droit privé. Aucun Conseil d'État, aucun organe spécialisé doté d'une compétence exclusive sur le contrôle de l'administration ne vient développer une branche autonome du droit applicable uniquement aux représentants de l'État. Cette unité conceptuelle du droit et ce refus d'envisager un régime juridique distinct pour l'administration cèdent aujourd'hui le pas à une tout autre réalité : nombreuses en effet sont les règles spéciales et exceptionnelles que la jurisprudence a dû développer pour tenir compte des impératifs du gouvernement moderne.

[43]          Lorsque l'on consulte un traité de common law sur les règles de la preuve - comme The Law of Evidence in Canada (précité) -, il n'est donc pas surprenant de constater que la common law n'établit pas pour les cours de justice un régime de preuve distinct pour le domaine du droit administratif. On voit plutôt un ensemble de règles également applicables en matières civile et criminelle, avec souvent des règles plus spécifiques pour chacun de ces deux domaines de droit.

[44]          Finalement, comme la LPC s'applique non seulement à toutes les procédures civiles et pénales mais aussi à tous les autres domaines de compétence fédérale, il m'apparaît tout à fait juste de conclure que les règles de preuve du Québec s'appliquent aussi en matière de droit public fédéral, c'est-à-dire, par exemple, sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi)et de la LTA. S'il avait désiré limiter les règles de preuve du Québec au seul domaine du droit privé, le législateur fédéral l'aurait certainement spécifié, surtout quand on pense que sa compétence en matière de droit privé est plus limitée que celle des provinces. Lorsqu'il a voulu établir une exception à la règle générale énoncée à l'article 40 de la LPC, il l'a fait; comme cela a été fait notamment à l'article 8 du Code criminel pour s'assurer que les règles de preuve de common law s'appliquent en droit criminel, et au paragraphe 18.15(4) LCCI, qui dispose que cette Cour n'est liée par aucune règle de preuve lors de l'audition d'un appel régi par la procédure informelle[17].

[45]          Comme il n'existe pas - sous réserve de dispositions législatives qui en prévoient autrement - dans les cours de justice des provinces de common law un régime de preuve différent selon qu'on est en droit public ou en droit privé, il faut reconnaître que, de façon générale, ce sont les règles de la preuve en matières civiles (par opposition à celles en matières criminelles) qui s'appliquent dans ces cours lorsqu'elles traitent d'une question de droit public.

c)              Devant la Cour canadienne de l'impôt dans des procédures exercées au Québec

[46]          Comme on l'a vu plus haut, l'article 40 LPC nous renvoie aux lois sur la preuve de la province où sont exercées les procédures relevant de l'autorité fédérale, sous réserve des dispositions de cette loi et de toute autre loi fédérale pertinente. La LCCI ne prévoit aucune dérogation qui permettrait aux juges de cette Cour d'appliquer les lois sur la preuve d'une autre province, comme cela est le cas pour la Cour fédérale (paragraphe 53(2) de la Loi sur la Cour fédérale).

                i)              En procédure informelle

[47]          Si un contribuable choisit pour son appel le régime de la procédure informelle, il existe au paragraphe 18.15(4) LCCI une dérogation selon laquelle la Cour n'est pas liée par les règles de la preuve[18]. En adoptant cette disposition, le législateur a en quelque sorte adopté le principe de l'autonomie de la preuve pour les appels régis par la procédure informelle, comme il est appliqué par les tribunaux administratifs. Par contre, quand un contribuable fait un tel choix, il ne peut recouvrer plus de 12 000 $ (18.1 LCCI)[19]. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que la LCCI décrète de plus que les décisions rendues sous le régime de la procédure informelle n'ont aucune valeur de précédent jurisprudentiel (18.28 LCCI).

                ii)             En procédure générale

[48]          Quand un contribuable interjette appel contre une cotisation établie en vertu de la Loi ou de la LTA, ce sont les règles de la procédure générale qui s'appliquent. (La procédure informelle est une procédure d'exception : elle ne s'applique que lorsqu'un contribuable en fait le choix.) Il n'existe aucune disposition dans la LCCI qui prévoit quel régime de preuve doit être appliqué dans un tel appel. Il faut donc donner effet à l'article 40 LPC. Lorsqu'un appel devant cette Cour est interjeté au Québec, ce sont les règles de preuve du Québec qui doivent être appliquées avec la rigueur habituelle des cours de justice du Québec.

[49]          Il faut par contre donner la primauté aux règles de preuve contenues dans la LPC, dans les Règles et, le cas échéant, dans les autres règles adoptées en vertu de la LCCI[20]. Dans ces cas, ce sont les principes de common law qui devraient constituer le droit supplétif[21]. Si on tient compte des règles sur l'administration de la preuve énoncées dans la LPC et du paragraphe 4(2) des Règles, qui dit qu'en cas de silence des Règles, la pratique applicable doit être déterminée par la Cour sur requête, les dispositions du Code de procédure civile ne seront pas généralement applicables ou seront rarement applicables devant cette Cour.

[50]          Le principe de l'autonomie de la preuve habituellement suivi par les tribunaux administratifs n'est pas applicable dans les appels régis par la procédure générale, et cela pour deux raisons. La première est fondée sur le principe général de la cohérence de la LCCI. Si le Parlement a pris soin d'édicter une disposition selon laquelle la Cour n'est pas liée par les règles de preuve pour les appels régis par la procédure informelle et qu'il est demeuré silencieux quant aux appels régis par la procédure générale, c'est qu'il a tenu pour acquis que les règles ordinaires sur la preuve applicables devant les cours de justice seraient appliquées devant cette Cour.

[51]          Voilà qui m'amène à la deuxième raison : le principe de l'autonomie de la preuve ne s'applique que devant les tribunaux administratifs et non pas devant les cours de justice. Or, contrairement à ce que croient certains[22], cette Cour est une cour de justice et non pas un tribunal administratif. Tout d'abord, la Cour a été établie par le Parlement du Canada en vertu du pouvoir que lui confère l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 d' « établir des tribunaux [ « Courts » dans le texte anglais original] additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada » , tout comme la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada l'ont été[23]. La nomination de ses juges se fait par commission du gouverneur en conseil revêtue du grand sceau du Canada (paragraphe 4(2) LCCI). Seulement les avocats ayant dix ans d'ancienneté au barreau d'une province peuvent être nommés juges, tout comme cela est le cas pour les juges des cours supérieures du Canada (paragraphe 4(3) LCCI). Les juges de la Cour occupent leur poste à titre inamovible, sous réserve de révocation par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes (paragraphe 7(1) LCCI). La sécurité financière des juges nécessaire pour l'indépendance judiciaire est assurée par la Loi sur les juges. La Cour est constituée en cour d'archives[24]. Dans l'exercice de sa compétence, la Cour a tous les pouvoirs, droits et privilèges conférés à une cour supérieure d'archives[25]. En vertu de l'article 172.1(2) des Règles, la Cour peut délivrer, sous certaines conditions, un bref de saisie-exécution ou un avis de saisie-arrêt. La Cour peut aussi rendre une ordonnance d'interrogatoire du débiteur après jugement. De façon générale, ses règles de procédure ressemblent à celles de la Section de première instance de la Cour fédérale et à celles des cours supérieures des provinces. Les décisions rendues par la Cour sous le régime de la procédure générale peuvent faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel fédérale. Seulement le jugement sur un appel régi par la procédure informelle est définitif et sans appel, sous réserve d'une révision judiciaire par la Cour d'appel fédérale (article 18.24 LCCI). Il ressort clairement de tous ces attributs que la Cour canadienne de l'impôt fait partie du pouvoir judiciaire de l'État canadien.

[52]          Le fait que cette Cour ait une compétence restreinte qui lui permet de se spécialiser dans le domaine de la fiscalité n'est pas incompatible avec son statut de cour de justice. Le Parlement canadien avait le choix de créer un tribunal administratif ou une cour de justice pour entendre des recours en matière fiscale. Pour que les contribuables canadiens puissent contester leurs cotisations fiscales établies par le ministre devant un organisme qui n'a absolument aucun lien de dépendance avec l'Administration, le Parlement a choisi, dans sa grande sagesse, de créer une cour de justice relevant de l'ordre judiciaire.

[53]          En ce qui concerne la Commission scolaire des Chênes (Commission scolaire), elle se trouve au Québec et sa cotisation a été établie par le sous-ministre du Revenu du Québec pour le compte du ministre (du Revenu national). La Commission scolaire a déposé son avis d'appel au greffe de la Cour à Montréal, tout comme elle l'avait fait dans le cas de l'appel qui a abouti à la décision 2001. Son appel est régi par la procédure générale en vertu d'une ordonnance du juge en chef en date du 15 février 2002 et cette requête a été entendue à Montréal. Dans ces circonstances, il ne peut y avoir de doute qu'il s'agit d'une procédure exercée au Québec[26]. Je n'ai pas de raison de croire que la situation soit différente pour le reste des douze requérantes. Dès lors, ce sont les règles de preuve du Québec qui s'appliquent ici. De façon plus particulière, c'est la règle de la chose jugée énoncée à l'article 2848 C.c.Q. qui doit s'appliquer[27].

2)             Peut-on appliquer les principes de common law en matière de res judicata pour interpréter la règle de la chose jugée au Québec?

[54]          Dans l'affaire Leduc (précitée), la juge traite de la position défendue par le procureur de l'intimée, à savoir que la doctrine de l'issue estoppel ne s'applique pas dans la province de Québec. Voici comment elle décrit la position du procureur :

Fin de non-recevoir alléguée sur la question de la capacité de la conjointe de l'appelant d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne

[13]         Selon l'avocat de l'intimée, la doctrine de l' « issue estoppel » ne s'applique pas dans la province de Québec. Il se réfère à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Banque Nationale c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339, où le juge Beetz distingue la doctrine de l'estoppel tirée de la common law de la doctrine de la fin de non-recevoir qui existe en droit civil québécois. À ce sujet, le juge Beetz se référait à l'opinion du juge Mignault dans l'arrêt Grace and Company c. Perras (1921), 62 R.C.S. 166, où ce dernier faisait remarquer ce qui suit à la page 172 :

[TRADUCTION] la théorie de l'estoppel qui existe en Angleterre et dans les provinces de common law au Canada n'existe pas dans le droit de la province de Québec. Cela ne signifie pas cependant que dans bien des cas où, en Angleterre, une personne peut se voir opposer une fin de non-recevoir, elle ne serait pas tenue responsable dans la province de Québec.

[14]          L'avocat de l'intimée cite certaines décisions où, selon lui, les tribunaux canadiens auraient refusé d'appliquer la doctrine de l' « issue estoppel » dans la province de Québec (Lafarge Canada Inc. c. Canada, [2001] A.C.F. no 372 (C.F. 1re instance); Dufresne Engineering Company Limited c. Le Sous-ministre du revenu du Québec, [1984] R.D.F. 164 (C.A.Q.); Alameda Holdings Inc. c. Canada, [1999] A.C.I. no 839 (C.C.I.)).

[15]          Il en conclut donc que le concept d'estoppel tel qu'appliqué en common law est inconnu en droit civil québécois.

[55]          La juge décrit la position défendue par monsieur Leduc de la façon suivante :

[20]          Quant à l'appelant, il soutient simplement que la doctrine de l' « issue estoppel » s'applique à toute loi fédérale et plus particulièrement à la Loi. Selon lui, il ne fait aucun doute que cette doctrine fait maintenant partie du droit canadien (voir l'affaire Angle, précitée) et le fait pour la Cour suprême du Canada d'avaliser la présence de cette règle en droit canadien permet de conclure que toute loi fédérale est soumise à l'application de la doctrine de l' « issue estoppel » . Selon lui, cette doctrine est une règle de justice naturelle et rien dans le droit québécois n'empêche son application.

[56]          Pour trancher cette question, la juge a reconnu que l'estoppel by representation n'existe pas dans le droit du Québec et a affirmé, avec raison, qu'il y a une distinction entre l'estoppel by representation et l'issue estoppel : il s'agit de deux fins de non-recevoir très différentes (voir son analyse aux paragraphes 23 à 28). Par contre, comme les conditions d'application de la chose jugée et de l'issue estoppel sont, selon elle, similaires et même « interchangeables » [28], il est justifié que l'on utilise les principes jurisprudentiels de la common law relatifs à l' « issue estoppel » pour appliquer la fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée dans une procédure exercée au Québec devant cette Cour.

[57]          Avec égards pour les tenants de l'opinion contraire, je crois que cette interprétation est erronée. Je crois plutôt que la règle de l'issue estoppel, tout comme celle de l' « estoppel by representation » , ne s'applique pas au Québec. Il est vrai qu'il existe une certaine similitude entre la chose jugée et l'issue estoppel - ce dernier représentant l'une des deux formes que revêt la notion de la res judicata -, comme le révèle la définition de chacune de ces règles. La définition de la chose jugée se trouve à l'article 2848 C.c.Q. :

ART.2848 L'autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.

                Cependant, le jugement qui dispose d'un recours collectif a l'autorité de la chose jugée à l'égard des parties et des membres du groupe qui ne s'en sont pas exclus.

[58]          Mentionnons tout d'abord que cette règle de la chose jugée a son origine dans le Code Napoléon : voir l'arrêt Roberge, précité, à la page 401. Il est important de souligner de plus que la juge l'Heureux-Dubé dans cet arrêt ne se fonde que sur la doctrine et la jurisprudence québécoises et françaises pour définir la nature, le fondement et les conditions d'application de la chose jugée : à aucun moment elle ne se réfère à la notion de res judicata de la common law.

[59]          Dans l'affaire Pesant v. Langevin et al. (1926), 41 B.R. 412, à la page 419, le juge Rivard cite le passage suivant du juge Mignault pour décrire l'effet et le fondement de la règle de la chose jugée :

Dans la cause de Laferrière[29], M. le juge Mignault s'exprimait ainsi :

« La doctrine de la chose jugée repose sur une présomption juris et de jure et même d'ordre public que le fait constaté par le juge est vrai : res judicata pro veritate habetur. Elle a pour fondement non pas l'acquiescement de la partie, acquiescement qui découlerait de la circonstance qu'il [sic] n'a pas appelé du jugement qui l'a condamnée, mais la vérité irrécusable du fait que constate ce jugement, lequel, quand il est devenu définitif ne peut plus être mis en question, et cette présomption de vérité a été admise pour empêcher de nouveau procès entre les mêmes parties sur la même question et pour rendre impossible que les parties puissent obtenir des arrêts contradictoires.

[60]          Quant à la res judicata, on trouve la définition suivante dans Lange, op. cit., à la page 9 :

[...] In C.U.P.E. Local 1394 v. Extendicare Health Services Inc., Doherty J.A. stated the principle:

Res judicata is a rule of evidence. Assuming the requirements of the doctrine are met, the party against whom the issue was decided in the earlier litigation cannot proffer evidence to challenge that result. Looked at from the vantage point of the successful litigant in the earlier proceedings, the doctrine operates to admit into evidence at the second proceeding the judicial determination of the relevant issue at the earlier proceedings. Not only is that earlier determination rendered admissible, it is also declared to be conclusive with respect to that issue: Spencer-Bower and Turner, The Doctrine of Res Judicata, 2nd ed (1969) at 9; Sopinka, Lederman and Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992) at 989-90.

[61]          Dans Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 253, 1974 CarswellNat 375F, le juge Dickson fait l'exposé suivant sur cette notion de common law et sur ses deux formes :

Anciennement, la chose jugée en tant que fin de non-recevoir (estoppel) était appelée estoppel by record, c'est-à-dire, une fin de non-recevoir de par l'effet des registres et procès-verbaux d'une cour d'archives, mais maintenant on emploie le plus souvent l'expression générique estoppel per rem judicatam. Cette forme de fin de non-recevoir, comme le Lord Juge Diplock l'a dit dans l'arrêt Thoday v. Thoday [[1964] P. 181], est de deux sortes. Le premier, soit le « cause of action estoppel » , empêche une personne d'intenter une action contre une autre lorsque la même cause d'action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent. En l'espèce, nous n'avons pas à nous préoccuper du cause of action estoppel puisque l'allégation du Ministre selon laquelle Mme Angle doit la somme de $34,612.33 à Transworld, n'est évidemment pas la cause d'action dont la Cour de l'Échiquier a été saisie dans les procédures relatives à l'al. c) du par. (1) de l'art. 8. La deuxième sorte d'estoppel per rem judicatam est connue sous le nom d'issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge Higgins de la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation [(1921), 29 C.L.R. 537], à la p. 561:

[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l' « issue-estoppel » ).

Lord Guest, dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2) [[1967] 1 A.C. 853], à la p. 935, définit les conditions de l' « issue estoppel » comme exigeant :

[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit...

[62]          Le fait que la chose jugée et la res judicata semblent avoir le même fondement peut expliquer la similitude entre les deux. Pour des considérations d'ordre public, les décisions des tribunaux doivent avoir un caractère définitif : on ne permet pas que la même question fasse l'objet de procès à répétition. Il serait injuste qu'une partie soit continuellement obligée de se défendre devant les tribunaux sur une même question.

[63]          Toutefois, lorsqu'on y regarde de plus près, on ne peut s'empêcher de constater des différences importantes entre ces deux règles de preuve. Tout d'abord, il est important de noter que la règle de la chose jugée est une règle codifiée, d'abord à l'article 1241 C.c.B.C. et, depuis 1994, à l'article 2848 C.c.Q. Il ne s'agit pas d'une doctrine jurisprudentielle élaborée par les tribunaux. Il existe aussi une différence importante entre ces deux règles quant à leur effet. Selon le Code civil, l'autorité de la chose jugée constitue une présomption absolue; un fait ayant l'autorité de la chose jugée est réputé être un fait établi de façon irréfragable[30]. Dans la common law, il semble exister deux courants de pensée : l'un selon lequel, s'il y a res judicata, les juges n'ont d'autre choix que de l'appliquer, l'autre, selon lequel les juges ont la discrétion de l'appliquer ou non[31].

[64]          De plus, et c'est là la raison la plus importante, il semble exister des différences notables dans les conditions d'application de ces deux règles. Par exemple, pour qu'il y ait chose jugée, il est essentiel qu'il existe entre les deux litiges une triple identité : d'objet, de cause et de parties. Par contre, en common law, la res judicata se subdivise en deux règles distinctes : l'issue estoppel » et le « cause of action estoppel » . Or, comme on l'a vu plus haut, l'issue estoppel s'applique lorsqu'il s'agit de causes distinctes[32]. Voici ce que dit D. Lange, op. cit., à la page 29 : « The Supreme Court of Canada has clearly established the principle that issue estoppel applies to separate and distinct causes of action. » Pour qu'il y ait « issue estoppel » , donc res judicata, il ne doit exister qu'une double identité : de question (issue) et de parties. Il y a une autre distinction importante : tel que je comprends cette règle de common law, « issue » n'est pas synonyme d'objet. En droit civil, objet signifie un droit - ce à quoi je reviendrai plus loin -, alors qu'en common law « issue » ne serait pas limité à un droit. Il s'étend[33] à toute conclusion de fait, à toute conclusion de droit et à toute conclusion mixte de droit et de fait[34]. Dès lors, il n'est pas nécessairement question de la même chose que l' « objet » . La notion d' « issue » est beaucoup plus large que celle d'objet. L' « issue estoppel » et la chose jugée représentent donc deux règles qui ne s'appliquent pas dans les mêmes conditions. Elles ne sont pas des règles « interchangeables » .

[65]          Il ressort de cette brève analyse qu'il existe des différences importantes non seulement dans les conditions requises pour l'application de la chose jugée et de la res judicata mais aussi dans les effets de ces deux règles. À mon avis, ces différences sont telles que les deux règles sont incompatibles. En effet, en common law, les juges ont la discrétion d'appliquer ou non la res judicata alors qu'en droit civil, l'autorité de la chose jugée crée une présomption absolue et les juges sont tenus de lui donner effet. À mon avis, seule une disposition législative peut relever un juge de son obligation de donner effet à cette présomption. On trouve un exemple d'une telle disposition au paragraphe 18.15(4) LCCI, comme on l'a vu plus haut.

[66]          Je crois que ces différences d'application existant entre la res judicata et la chose jugée illustrent de façon convaincante le bien-fondé des propos du juge Mignault, cités dans l'arrêt Soucisse (précité), tirés de l'article « The Authority of Decided Cases » (1925), 3 R. du B. can. 1, pages 22 et 23 :

[...] Remember however that the civil law is a distinct and entirely self sufficing system, that its legal literature is extremely rich and abundant, that monumental works of reference like Fuzier-Herman, the repertories of Dalloz and Sirey and the Pandectes Françaises are on the shelves of our libraries, and that, even where the common law and the civil law have a similar rule, as in many cases of mandate, suretyship and torts, to mention these only as typical of many others, it can only lead to confusion to go outside of our system to seek authorities in other systems of law where the rule in question may well be a deduction from another rule which does not exist in our code. I feel very strongly on this subject and I have lost no opportunity in my humble way since I have had the honour of a seat on the bench of our highest appellate court, to insist that each system of law be administered according to its own rules and in conformity with its own precedents.

[67]          Ces propos du juge Mignault sont conformes à ceux qu'il tenait dans l'arrêt Curley v. Latreille (1920), 60 R.C.S. 131, à la page 177 :

Il est quelquefois dangereux de sortir d'un système juridique pour chercher des précédents dans un autre système, pour le motif que les deux systèmes contiennent des règles semblables, sauf bien entendu le cas où un système emprunte à l'autre une règle qui lui était auparavant étrangère. Alors même que la règle est semblable dans les deux, il est possible qu'elle n'ait pas été entendue ou interprétée de la même manière dans chacun d'eux [...]

[68]          Il n'est donc pas surprenant que le juge Mignault ait décidé dans l'affaire Grace & Co. (précitée), à la page 172[35] que la fin de non-recevoir de common law, c'est-à-dire l'estoppel by representation, ne soit pas applicable au Québec[36]. Au passage déjà cité plus haut, j'ajouterai celui-ci :

[TRADUCTION]

[...] Avec égards, j'ajouterais simplement que l'emploi du mot « estoppel » , qui vient d'un autre système de droit, devrait être évité dans les affaires qui viennent du Québec puisqu'il pourrait signifier la reconnaissance d'une doctrine qui, comme elle existe aujourd'hui, ne fait pas partie du droit applicable dans la province de Québec.

[69]          Cette décision a été suivie dans l'affaire Alameda Holdings Inc. (précitée), par le juge Dussault de cette Cour, qui, face à des arguments concernant l'applicabilité de la doctrine de l'estoppel by representation au Québec, a fait les remarques suivantes :

70             L'avocat de l'appelante a invoqué la doctrine de l'estoppel et celle des fins de non-recevoir. Selon lui, les caractéristiques et les conditions d'application de ces deux institutions sont semblables tout comme devraient l'être leurs effets. Selon moi, il s'agit d'une simplification abusive. J'estime que la doctrine de l'estoppel ne peut être invoquée dans la présente affaire et que c'est le Code civil du Québec qui s'applique. Dans l'affaire Soucisse (précitée), le juge Beetz de la Cour suprême du Canada distingue les deux concepts tout en reconnaissant qu'il y a souvent eu confusion entre les deux et l'utilisation des deux vocables. Il se réfère notamment à l'opinion du J. Mignault dans l'affaire Grace and Company (précitée) selon laquelle le concept d'estoppel tel qu'il est appliqué dans le système anglais est inconnu en droit civil.

[70]          Le juge Nadon, dans la décision Lafarge Canada Inc. (précitée), s'est fondé non seulement sur ces propos qu'a tenus le juge Dussault dans Alameda mais aussi sur la décision de la Cour d'appel du Québec dans Dufresne Engineering Co. Ltd. c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1984] R.D.F.Q. 164, pour conclure que la règle de l'estoppel by representation n'était pas applicable dans cette instance. Le passage de la décision du juge Dubé dans Dufresne qui concerne l'applicabilité de la doctrine de l'estoppel dans la province de Québec est le suivant (à la page 168)[37] :

Je crois donc qu'il n'y a aucunement lieu pour les appelantes, dans le présent cas, d'invoquer l'estoppel; d'ailleurs, je ne crois pas que cette théorie de l'estoppel pourrait s'appliquer dans le droit de la province de Québec à l'encontre d'une loi clairement définie: il appartient aux tribunaux et non aux fonctionnaires du gouvernement de définir les articles de loi; le juge Mignault, dans la cause de Grace and G.[sic] c. Perras [(1921), 62 R.C.S. 166, 172], s'est prononcé clairement sur cette question et je crois que son opinion est encore valable:

I have no doubt whatever that Mr. Justice Greenshields will fully agree with me when I venture to observe that the doctrine of estoppel as it exists in England and the common law provinces of the Dominion is no part of the law of the Province of Quebec.

Évidemment, je considère ici la théorie de l'estoppel comme n'étant qu'une règle de preuve empêchant une personne ayant admis un état de fait de le nier par la suite: une telle théorie peut certainement avoir des effets quant à la décision à rendre sur les faits, mais je ne puis lui reconnaître le pouvoir de modifier la loi.

[71]          Dans ces décisions, j'en conviens, il était question d'estoppel by representation et cette fin de non-recevoir est différente des autres fins de non-recevoir que sont l'issue estoppel et le cause of action estoppel. Toutefois, si on a considéré que la doctrine de l'estoppel by representation ne fait pas partie du droit de la province de Québec parce qu'il s'agit d'une règle de preuve de la common law, il faut nécessairement en venir à la même conclusion à l'égard de ces deux autres formes d'estoppel, qui sont aussi des règles de preuve de la common law. Cette conclusion s'impose à plus forte raison lorsqu'il existe déjà une règle similaire[38] dans la loi (le Code civil) et qu'il existe une incompatibilité dans l'application concomitante des deux règles, tant à l'égard de leurs conditions d'application qu'à l'égard de leur effet. Notamment, il serait tout à fait inapproprié d'appliquer la règle jurisprudentielle de l'issue estoppel (qui joue lorsqu'il n'y a pas une même « cause of action » ) alors que le paragraphe 2848 C.c.Q. exige l'identité de cause et d'objet. Comme l'a si bien dit le juge Dubé dans la décision Dufresne (précitée), on ne peut reconnaître à une règle jurisprudentielle le pouvoir de modifier la loi.

[72]          Par ailleurs, il est intéressant de noter que la doctrine québécoise prend à l'égard de l'estoppel per rem judicatam lamême position que celle adoptée relativement à l'estoppel by representation: elle ne s'applique pas au Québec. Notamment, Claude Nadeau, dans « L'estoppel dans le contexte du droit civil québécois » (1986), 46 R. du B. 599 affirme aux pages 603 et 604 :

Puisque le Code civil et le Code de procédure civile ont spécifiquement prévu des règles à cet effet, il semble évident que la règle de common law concernant l'estoppel "by record" ne s'applique pas au-delà de ce que nos codificateurs y ont prévu. Nos tribunaux se sont d'ailleurs montrés plus restrictifs quant à la partie du jugement qui sera visée par la chose jugée.

[73]          À la lumière de tous ces enseignements, une seule conclusion s'impose : la règle de res judicata n'est d'aucune application dans une procédure exercée au Québec, tout comme sont inapplicables les interprétations élaborées par les cours de common law relativement à cette règle de preuve. Il faut plutôt appliquer la règle de la chose jugée de l'article 2848 C.c.Q., telle qu'elle a été interprétée selon les principes de droit civil québécois et français.

3)             Conditions d'application de la chose jugée au Québec

                a)              Notions générales

[74]          Reste maintenant à déterminer comment la règle de la chose jugée devrait s'appliquer dans une procédure exercée au Québec devant cette Cour. Dans un premier temps, il faut examiner quelles sont les conditions d'application de cette règle énoncée à l'article 2848 C.c.Q. Tel qu'il a été mentionné plus haut, la juge L'Heureux-Dubé fait dans Roberge un exposé complet sur ces conditions. Elle examine les abondantes analyses doctrinales et jurisprudentielles sur les conditions relatives au jugement et celles relatives à l'identité. Comme les conditions relatives au jugement ne posent pas de problème ici, je ne ferai que les énumérer brièvement : i) le tribunal doit avoir compétence, ii) le jugement doit être définitif[39] et iii) il doit avoir été rendu en matière contentieuse. Quant aux conditions relatives à l'identité, il s'agit de l'identité des parties, de l'objet et de la cause. Comme seulement l'identité d'objet et l'identité de cause font problème ici, je me limiterai à ces seuls éléments. Je traiterai d'abord de l'identité d'objet.

i)              Identité d'objet

[75]          Dans son analyse, la juge L'Heureux-Dubé cite Mignault pour illustrer l'étendue de cette notion (à la page 413) :

Mignault, op. cit., à la p. 105, en donne l'illustration suivante :

Mais qu'est-ce que l'objet d'une demande en justice? C'est évidemment le bénéfice juridique immédiat[40]qu'on recherche en la formant, soit le droit dont on poursuit l'exécution. Ainsi A revendique contre B la maison C. L'objet de la demande, c'est que A soit déclaré propriétaire de cette maison. Si cette demande est repoussée, A ne pourra plus revendiquer la maison C contre B, mais ce jugement ne l'empêchera pas de revendiquer, contre le défendeur, la maison D. De même, A pourra réclamer contre B l'usufruit de cette maison C, malgré le rejet de sa demande en revendiquant la propriété, car l'objet des deux actions n'est pas le même.

[76]          La juge L'Heureux-Dubé précise toutefois que le redressement recherché ou le but poursuivi n'a pas à être identique : il suffit que l'objet de la seconde action se trouve implicitement compris dans l'objet de la première. Parmi les autorités citées par elle à l'appui de cette proposition, il y a la décision Pesant (précitée). La juge écrit (aux pages 414 et 415) :

[...] L'arrêt de principe sur la question de l'identité d'objet est Pesant v. Langevin (1926), 41 B.R. 412, où le juge Rivard dit, à la p. 421:

L'objet d'une demande, c'est le bénéfice que l'on se propose d'obtenir en la formulant. L'identité matérielle, c'est-à-dire l'identité d'une même chose corporelle, n'est pas nécessairement exigée. Peut-être force-t-on un peu le sens du mot « objet » , mais on admet comme suffisante une identité abstraite de droit. « Cette identité de droit existe non seulement lorsque c'est exactement le même droit qui est réclamé sur la même chose ou sur quelqu'une de ses parties, mais encore lorsque le droit qui fait le sujet de la nouvelle demande ou de la nouvelle exception, sans être absolument identique à celui qui a fait l'objet du premier jugement, en forme néanmoins une partie nécessaire, y est virtuellement compris, comme en étant un démembrement, une suite ou une conséquence essentielle[41] » . En d'autres termes, si deux objets sont tellement connexes que les deux débats qui se font à leur sujet soulèvent la même question concernant l'accomplissement de la même obligation, entre les mêmes parties, il y a chose jugée.

[77]          La juge L'Heureux-Dubé précise dans ses propres mots (à la page 415) :

Par extension logique, si l'objet de la seconde action est semblable à celui de la première action ou en est la conséquence nécessaire, il y a alors identité d'objet. Pothier, op. cit., au no 892, p. 471, offre l'exemple suivant :

... si j'ai succombé dans la demande d'une somme principale, je ne dois pas être recevable à demander les intérêts de cette somme ; car ces intérêts ne peuvent m'être dus, si la somme principale ne m'est pas due.

[78]          L'exemple de Pothier illustre clairement la notion de l'objet inhérent. Il faut constater qu'il s'agit d'abord d'un droit, tout comme cela est le cas pour l'objet immédiat. Donc, dans l'exemple, il y a le droit au capital (l'objet immédiat) et le droit accessoire aux intérêts (l'objet inhérent). Dans un cas comme dans l'autre, l' « objet d'une action en justice est le bénéfice qu'un plaideur recherche ou le droit qu'il désire faire sanctionner, réduire ou annuler[42] » . Si on a recours à un tribunal, c'est pour faire reconnaître un droit et non pas pour faire reconnaître un fait comme la couleur de ses yeux ou sa déficience physique. Il est important de bien saisir cette notion d'objet pour ne pas la confondre avec celle de la cause, que l'on examinera plus loin, qui est le fait juridique générateur de ce droit (par exemple, l'existence d'une déficience physique lorsqu'elle est qualifiée à la lumière d'une règle de droit).

[79]          Au passage tiré de Pesant reproduit ci-dessus et cité par la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Roberge, il est intéressant d'ajouter cet autre que l'on trouve aux pages 421 et 422 de l'arrêt Pesant :

[...] L'identité de question peut donc suppléer au défaut d'identité corporelle de l'objet, lorsque l'intime liaison qui unit entre elles les deux instances est telle que le juge a pu prévoir, en décidant la question une première fois, la conséquence à propos de laquelle elle est soulevée une seconde fois.

[80]          Comme l'objet d'une décision est la reconnaissance d'un droit, il est normal que l'on puisse déterminer l'étendue de la « chose jugée » en consultant le jugement lui-même. Ducharme, dans Précis de la preuve, précité, souligne à la page 178, no 585 :

[...] alors que, aux fins de l'exception de chose jugée, la comparaison doit se faire entre le dispositif du jugement et les conclusions de la nouvelle demande en justice. Or, les conclusions d'une demande en justice ont une portée plus restreinte que le jugement qui en dispose. L'objet d'un jugement s'étend non seulement à ce qui a été spécialement demandé, mais également à tout ce qui s'y rattache nécessairement.

[81]          Cette affirmation s'appuie sur des propos comme ceux du juge Rivard, qui précise dans Pesant que l'objet d'une poursuite pourra se découvrir non seulement dans le dispositif du jugement, mais aussi dans ses motifs. Voici comment il s'exprime sur cette question à la page 423 :

Il est vrai qu'en principe ce n'est pas aux motifs d'un jugement qu'il faut attribuer l'autorité de la chose jugée. Cependant, on doit tenir compte des motifs, lorsqu'ils sont essentiels à la décision du point contesté, et qu'ils ont amené la décision. [...]

[82]          Pour mieux saisir la portée des principes relatifs à la notion d'objet énoncés par le juge Rivard, et surtout de ceux relatifs à la notion d'objet inhérent, voyons comment il les a appliqués dans l'affaire Pesant[43](aux pages 422 et 423) :

Appliquant ces règles aux demandes en garantie faites dans l'affaire Lion et dans l'affaire Raymond, il apparaît d'abord que c'est exactement la même question, se rapportant au même droit réclamé et touchant l'interprétation du même titre invoqué, qui a été soumise, dans l'une et dans l'autre, au tribunal et que celui-ci a décidée. Par conséquent, il y a identité d'objet.

Sauf le nom du créancier dans la demande principale et le chiffre de sa réclamation, les actes de procédure sont semblables, les pièces et la preuve sont les mêmes; aussi, les jugements sont-ils pareils et la question, l'objet abstrait de la demande, est identique. Même si l'on considère ce droit comme appliqué à l'objet corporel, c'est-à-dire à la somme réclamée, il faut encore conclure que le droit qui fait le sujet de la nouvelle demande était véritablement compris[44] dans la première et en est une suite ou une conséquence nécessaire.

[83]          En d'autres mots, l'objet matériel était le droit au montant précis d'argent demandé[45] par Langevin à Pesant et l'objet abstrait était le droit d'être indemnisé en vertu de l'engagement de Pesant. Même si on considère le droit au montant précis du remboursement comme l'objet (le droit) immédiat, était compris dans cet objet immédiat l'objet inhérent (le droit d'être remboursé en vertu de l'engagement de Pesant) : ce droit était « virtuellement compris, comme en étant un démembrement, une suite ou une conséquence essentielle » , dans le droit au montant précis. Dès lors, l'objet inhérent, tel qu'il a été formulé par le juge Rivard, est aussi un droit. Il faut prendre garde, en démembrant le droit « virtuellement compris » , de ne pas aller jusqu'à la « cause » de ce droit, car il n'existerait plus alors de distinction entre objet et cause.

[84]          Finalement, le juge Rivard conclut son analyse en énonçant une règle simple pour déterminer dans quelle mesure il y a identité d'objet (aux pages 423 et 424) :

En somme, " l'idée qui doit servir de guide pour savoir s'il y a ou non identité d'objet est la suivante : en statuant sur l'objet de la demande, le juge est-il exposé à contredire une décision antérieure, en affirmant un droit nié ou en niant un droit affirmé par cette précédente décision? S'il ne peut statuer qu'en s'exposant à cette contradiction, il y a identité d'objet et chose jugée [...]

Le jugement sur l'action en garantie dans l'affaire de la Cie Lion a décidé que Pesant devait indemniser Langevin [...] du jugement rendu contre [lui] sur l'action principale, parce que [...] celui-ci [Pesant] s'était engagé à payer les dettes du commerce de Langevin [...] et à [l']indemniser des jugements qui pourraient être rendus contre [lui], et parce que Pesant avait assumé vis-à-vis Langevin [...] les obligations [...] que [le prête-nom de Pesant] avait prises [au nom de Pesant]. Telle est l'interprétation que la Cour supérieure a faite, dans la cause de la Cie Lion, des actes passés entre les parties; cette interprétation, faite expressément dans les motifs, est implicitement et nécessairement comprise dans le dispositif; elle est essentielle à la décision.

[85]          Voyons maintenant comment, dans l'affaire Roberge[46], la juge L'Heureux-Dubé a appliqué la condition de l'identité d'objet aux faits et a décrit le « droit » en litige (aux pages 424 et 425) :

[...] Même si, comme le prétend l'appelant, le débat portait ici uniquement sur le défaut du débiteur et l'application de la clause de dation en paiement incluse dans l'acte de prêt, le bénéfice juridique recherché était la propriété de l'immeuble.

                                [...]

[...] Le jugement rendu en faveur de la Caisse devait présumer que ces sûretés avaient été validement consenties. Comme je l'ai indiqué précédemment, même si c'était là une erreur, celle-ci n'empêche pas le jugement d'acquérir l'autorité de la chose jugée vu les faits de l'espèce, étant donné l'objet de la poursuite, soit la propriété de l'immeuble, et l'effet de ce jugement sur les charges grevant cet immeuble, pourvu, naturellement, que toutes les autres conditions de l'art. 1241 C.c.B.-C. soient respectées.

ii)             identité de cause

[86]          Examinons maintenant la notion de l'identité de cause, telle qu'elle est analysée par la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Roberge (précité). À cet égard, elle se fonde sur la décision rendue par son collègue le juge Gonthier dans Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440. Voici ce qu'elle écrit à la page 416 :

Dans notre contexte, l'analyse à laquelle mon collègue procède de la notion de « cause » dans l'arrêt Rocois, précité, s'avère fort utile aux fins du présent examen et je vais la citer au long. Après avoir exposé les différentes approches, le juge Gonthier propose le critère suivant, aux pp. 454 à 456 :

Les définitions de la cause proposées par la doctrine s'inscrivent dans un spectre dont les faisceaux vont de l'ensemble factuel brut d'une part, à la règle de droit abstraite potentiellement applicable d'autre part. Les expressions « fait principal qui constitue le fondement direct » du droit, « fait juridique qui a donné naissance au droit réclamé » , « origine ou (...) principe générateur du droit réclamé » ou « source juridique de l'obligation » , sont des tentatives visant à capturer par le langage la notion fuyante de cause sur le pont reliant l'ensemble factuel à la règle de droit dans le raisonnement juridique.

D'une part, il est clair qu'un ensemble de faits[47] ne saurait en soi constituer une cause d'action. C'est la qualification juridique qu'on lui donne qui le transforme, le cas échéant, en un fait générateur d'obligations. Le fait détaché du domaine des obligations juridiques n'est pas significatif en soi et ne saurait constituer une cause; il ne devient fait juridique qu'en vertu d'une qualification qu'on lui attribue à la lumière d'une règle de droit.[48] Le même ensemble de faits peut très bien se voir attribuer plusieurs qualifications donnant lieu à des causes parfaitement distinctes. Par exemple, le même geste peut être qualifié de meurtre dans une affaire et de faute civile dans une autre. [...]

[...]

Il est également clair d'autre part qu'une règle de droit abstraite de la réalité factuelle ne saurait en elle-même constituer une cause d'action. La règle de droit engendre la cause d'action lorsqu'on l'applique à un ensemble factuel donné; c'est par l'exercice intellectuel de la qualification, de la liaison entre le fait et le droit que la cause se révèle.[49] Il serait certainement erroné d'assimiler la cause à une règle de droit sans égard à son application aux faits considérés. En conséquence, l'existence de deux règles de droit applicables comme fondement des droits du demandeur ne mène pas directement à la conclusion qu'il existe deux causes.

Bien entendu, l'existence de deux règles de droit applicables à un ensemble de faits engendre en pratique une dualité de causes dans la vaste majorité des situations parce que des règles distinctes commandent généralement des qualifications juridiques différentes. Mais ce n'est pas le fait qu'il y ait deux règles applicables qui est en soi déterminant; c'est la dualité des qualifications juridiques qui peuvent en découler. Lorsque l'essence de la qualification juridique des faits allégués est identique sous l'empire de l'une et l'autre des règles, on doit conclure à l'identité de cause.

[87]          Royer, op. cit., aux pages 495 et 496, résume bien cet exposé ainsi :

[...] La cause d'une action consiste dans les faits allégués dans une procédure qui ont des effets de droit. Elle comprend un élément matériel et concret, soit les faits matériels et les actes juridiques[50] allégués dans les procédures écrites, et un élément formel et abstrait, soit la qualification juridique de ces faits. L'identité de cause suppose une identité de ces deux éléments.

[88]          Par la suite, la juge L'Heureux-Dubé reconnaît que la qualification de la cause dépendra du choix que l'on fait entre sa conception plus large et sa conception plus restreinte. Elle cite deux auteurs français pour fournir des exemples de cette qualification (à la page 418) :

Cornu et Foyer, op. cit., fournissent des exemples de cette qualification, à la p. 410 :

Conceptiondite concrète[51]ou spéciale de la cause. - La cause sera: dans l'action en nullité d'un contrat, le dol, la violence, l'erreur, ou encore, la minorité, l'interdiction; dans l'action en divorce: l'injure grave, l'adultère, etc.; dans l'action en recherche de paternité naturelle: le concubinage notoire, la séduction dolosive, l'aveu non équivoque, etc. À moins de sombrer dans les faits, on peut difficilement, concevoir une cause plus concrète.

Conceptiondite abstraite[52]ou générale de la cause (clausula generalis). - La cause devient, dans l'action en nullité du contrat, le vice de consentement, ou l'incapacité; dans l'action en divorce, le caractère intolérable de la vie conjugale; dans l'action en recherche de paternité naturelle, la paternité naturelle elle-même.

[...]

Mon collègue le juge Gonthier semble avoir adopté, dans Rocois, précité, la conception étroite de la « cause » que privilégient Cornu et Foyer, position à laquelle je me suis d'ailleurs ralliée dans cet arrêt.

[89]          On doit réaliser que le fait d'adopter la notion étroite de cause a pour conséquence de restreindre l'application de l'autorité de la chose jugée et a « l'avantage de ne pas priver un justiciable du droit d'exercer un recours valable » .[53]

[90]          Voyons maintenant comment a été appliquée la notion d'identité de cause aux faits dans l'arrêt Roberge (aux pages 425 et 426) :

Le critère de l'identité de cause, comme je l'ai indiqué précédemment, est énoncé ainsi par le juge Gonthier dans l'arrêt Rocois, précité, à la p. 456 :

Lorsque l'essence de la qualification juridique des faits allégués est identique sous l'empire de l'une et l'autre des règles, on doit conclure à l'identité de cause.

Les deux parties affirment que c'est le contrat de prêt qui est la « cause » de l'action intentée par la Caisse. S'il en est ainsi, la « cause » n'est ni la dette de Paul Leclerc envers la Caisse, ni les sûretés énumérées dans la convention de prêt. Il ne s'agit là que d' « un ensemble de faits » , pour reprendre les mots du juge Gonthier dans l'arrêt Rocois, précité, à la p. 455. C'est la qualification juridique de ces faits qui est cruciale, et ces faits ne sont pertinents que dans le contexte juridique d'un contrat de prêt, garanti tant par une hypothèque que par une clause de dation en paiement. L'inexécution de l'obligation assumée dans le contrat de prêt sera donc la cause « concrète[54] » de l'action.

[91]          La juge finit son analyse des faits de la façon suivante (à la page 426) :

[...] La qualification juridique des faits allégués demeure donc un contrat de prêt et, en conséquence, c'est l'inexécution des obligations assumées dans ce contrat qui constitue la « cause » et qui serait l'unique cause d'action. Compte tenu de cette qualification, il en résulte inévitablement qu'on a satisfait à l'exigence de l'identité de cause.

[92]          Il est intéressant de noter aussi que, dans l'affaire Pesant, le juge Rivard a décrit la cause de la façon suivante (aux pages 420 et 421) :

La cause, c'est le fait juridique qui constitue le fondement légal du bénéfice, objet de la demande, le principe générateur du droit réclamé, [...]. Il y a donc identité de cause permettant d'opposer l'autorité de la chose jugée, quand le même fait juridique est invoqué comme fondement du droit.

Dans l'espèce, la cause de l'une et de l'autre demandes en garantie, c'est-à-dire des actions en garantie dans l'affaire de la Cie Lion et dans l'affaire de Raymond, c'est l'engagement[55] que Pesant aurait pris et en vertu duquel il se serait engagé à payer les dettes de commerce de Langevin [...], par quoi il serait tenu d'indemniser [Langevin] des paiements [qu'il serait obligé] de faire à [ses] créanciers [...]. Ce qui donne lieu au droit réclamé par Langevin [...] dans [son action] en garantie, c'est l'obligation que le défendeur en garantie aurait contractée envers [lui] de payer [ses] dettes et c'est là la cause de [son action], identique dans l'affaire de la Cie Lion et dans celle-ci.

Il y a donc identité de cause.

b)              Application des conditions relatives à l'identité en matière fiscale

i)              En matière d'impôt sur le revenu

[93]          Avant d'appliquer aux faits pertinents dans les appels des requérantes les conditions de l'existence de la chose jugée, examinons d'abord la façon dont pourrait généralement être appliquée l'autorité de la chose jugée en matière fiscale. À part Leduc[56], on n'a porté à ma connaissance aucune décision en matière fiscale d'un tribunal canadien dans laquelle a été appliquée la règle de la chose jugée à l'égard d'une année d'imposition subséquente. J'aimerais d'abord traiter du cas de litiges découlant de l'application de la Loi, qui est le texte législatif pertinent dans Leduc. De plus, en testant dans le contexte d'une loi fiscale en vigueur depuis beaucoup plus longtemps que la partie IX de la LTA les conditions relatives à l'identité, je crois qu'il sera plus facile de trouver la façon appropriée de les appliquer dans le contexte de cette dernière loi.

[94]          Premièrement, il est important de souligner qu'en matière d'impôt sur le revenu, les cotisations établies par le ministre visent presque toujours une seule année d'imposition[57]. Les contribuables canadiens doivent produire annuellement leur déclaration de revenu contenant le calcul du montant d'impôt dû au ministre. Cette obligation se répète à chaque année pour tous les contribuables qui doivent de l'impôt au ministre. Il est donc de la nature de la Loi qu'elle est récurrente dans son application.

[95]          De façon générale, l'impôt est déterminé en fonction d'un revenu imposable calculé selon les dispositions de la Loi. À cet impôt de base peut s'ajouter une surtaxe et de cet impôt peuvent être déduits certains crédits d'impôt, notamment celui pour la déficience physique prévue aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi. Le ministre, sur réception de la déclaration de revenu, doit établir un avis de cotisation fixant le montant d'impôt dû par le contribuable. Si le contribuable a omis de déclarer des revenus ou a déduit dans le calcul de son revenu imposable ou de son impôt un montant auquel il n'a pas droit, le ministre peut, en établissant sa cotisation, ajouter ce revenu omis ou refuser la déduction faite par le contribuable.

[96]          Si le contribuable est en désaccord quant à l'impôt fixé par le ministre, il peut produire un avis d'opposition dans les délais prévus par la Loi et demander au ministre de reconsidérer sa position. Si le ministre refuse de corriger le montant de la cotisation, le contribuable peut interjeter appel devant cette Cour et demander qu'elle rende un jugement ordonnant au ministre d'établir une nouvelle cotisation, qui diminuera ou éliminera l'impôt exigé, en tenant compte du fait que le contribuable n'était pas tenu d'inclure le revenu additionnel ou qu'il avait droit à la déduction refusée. De plus, ce qui fait l'objet de l'appel, c'est la cotisation du ministre et non les motifs de la cotisation. Le juge Christie a fait le tour de la question dans Hagedorn c. Canada, [1993] A.C.I. no 727 :

6 Lorsque l'appelant a interjeté appel devant cette Cour de la nouvelle cotisation du 16 octobre 1989 concernant son année d'imposition 1988, ce qui faisait l'objet de l'appel a été décrit par les tribunaux en différents termes, mais, à mon avis, l'essentiel du langage employé est le même. À l'occasion d'un appel devant cette Cour, ce qui est évident est le résultat d'une cotisation, et non le processus ni le raisonnement permettant d'y parvenir. Dans l'affaire Vineland Quarries and Crushed Stone Limited v. M.N.R., 70 D.T.C. 6043, le juge Cattanach a fait cette remarque à la page 6045 :

[TRADUCTION]

"Si je comprends bien le fondement de l'appel d'une cotisation du Ministre, c'est qu'il s'agit d'un appel du montant cotisé."

7. Dans l'affaire Harris c. M.R.N., [1965] 2 R.C.É. 653 [64 DTC 5332], mon collègue le juge Thurlow s'est prononcé en ces termes à la page 662:

[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE]

"[...] Lors de l'appel que forme le contribuable, la Cour doit d'abord et avant tout juger si la cotisation est trop élevée. Cela peut être fonction des déductions que l'on peut ou non [sic] faire lors du calcul du revenu mais à mes yeux on ne décide de ces questions que dans le but de répondre à la question première [...]"

Dans l'affaire Midwest Oil Production Ltd. v. The Queen, 82 D.T.C. 6092 (C.F.1re inst.), le juge Mahoney a tenu les propos suivants aux pages 6094 et 6095 : [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] "Il faut souligner que c'est la cotisation du ministre, et non les motifs de celle-ci, qui fait l'objet de l'appel." Lors de l'appel devant la Cour d'appel fédérale, le juge Ryan a déclaré au nom de la Cour : [TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] "Je souscris aux motifs du jugement du savant juge de première instance et, en conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens." L'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 24 novembre 1983 : [1983] 2 R.C.S.x.

[97]          Si l'application de la Loi est récurrente, cela ne signifie pas qu'elle se fera de la même façon, année après année : des changements dans la Loi ou dans les circonstances d'un contribuable peuvent entraîner des conséquences différentes d'une année à l'autre. Prenons un cas hypothétique pour illustrer l'application de la règle de la chose jugée en matière fiscale. Un contribuable exploitant une entreprise achète en 1997 un camion pour faire la livraison de ses marchandises. Cette acquisition se fait en vertu d'un contrat de crédit-bail[58]. Selon l'interprétation qu'en fait le ministre, le contribuable n'est pas le propriétaire du camion (ce serait plutôt le bailleur) et le ministre refuse la déduction pour amortissement[59] (DPA) que le contribuable a indiquée dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise pour 1997. L'appel, régi par la procédure générale, est entendu par cette Cour, qui donne raison au contribuable; elle confirme que le contrat de crédit-bail confère au contribuable un titre de propriété valide sur le camion[60].

[98]          Pour l'année 1999, le ministre établit une cotisation et refuse à nouveau la DPA pour deux motifs : le premier étant que le contribuable n'a jamais acquis la propriété du camion en 1997 en vertu du contrat de crédit-bail, et le deuxième, subsidiaire celui-là, étant que le contribuable n'était plus propriétaire du camion à la fin de 1999 parce qu'il avait promis de le vendre à un tiers à qui il en avait remis la possession. Le contribuable interjette à nouveau appel (sous le régime de la procédure générale[61]) devant la Cour. À mon avis, le contribuable aurait le droit d'invoquer comme fin de non-recevoir l'autorité de la chose jugée quant au premier motif avancé par le ministre parce qu'il répond aux conditions relatives à l'identité. L'identité des parties est évidente : il s'agit du même contribuable et du même ministre représenté par Sa Majesté.

[99]          Quant à l'objet, on peut en distinguer plusieurs pour l'année 1999. Il y a l'objet immédiat et l'objet inhérent. L'objet immédiat peut comporter une identité matérielle (le même montant d'impôt contesté[62]) ou une identité abstraite (le droit de diminuer l'impôt à payer en raison de la DPA). L'objet peut être inhérent (consistant en un droit « virtuellement compris » ). Pour avoir droit à la diminution son impôt, il faut que le contribuable ait droit à la DPA, et pour avoir droit à la DPA, il faut notamment qu'il soit propriétaire du camion à la fin de l'année pertinente, soit 1999. Pour satisfaire à cette condition, il doit démontrer de quelle façon il est devenu propriétaire. Une façon[63] consiste à montrer qu'il a acquis le titre de propriété en vertu du contrat de crédit-bail en 1997. Ce droit de propriété ainsi acquis devient l'un des objets inhérents (le droit ou le bénéfice que l'on veut faire reconnaître) sur lequel un juge doit se prononcer. Dans l'appel concernant 1999, cet objet inhérent relatif au droit (ou au titre) de propriété acquis sur le camion est le même que celui qui a été traité dans l'appel concernant 1997[64]. Pour avoir pu conclure que le contribuable n'avait pas à payer l'impôt exigé par le ministre pour 1997, le juge de cette Cour devait avoir décidé que ce contribuable avait droit à la DPA dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise. Et pour avoir pu conclure qu'il avait droit à la DPA, il fallait obligatoirement avoir conclu que le contribuable avait acquis le camion. Dès lors, le droit (le titre de propriété) découlant du crédit-bail avait été reconnu. Il y a donc identité d'objet.

[100]        Quant à l'identité de cause, il faut identifier le « fait à qualifier juridiquement » , à savoir, celui qui constitue « le fait générateur du droit réclamé » ou encore celui qu'il faut « qualifier à la lumière d'une règle de droit » . En ce qui concerne l'objet inhérent en litige pour 1999 (le droit de propriété acquis sur le camion, dont l'absence a été invoquée comme premier motif de refus par le ministre), le fait générateur du droit est l'acquisition du camion en 1997 en vertu du contrat de crédit-bail. Or, le « fait générateur du droit réclamé » pour l'année 1997 (soit le droit de propriété sur le camion) est le même, soit l'acquisition en 1997 du camion en vertu du contrat crédit-bail : il y donc identité de cause.

[101]        Comme les trois identités sont réunies, la décision définitive pour 1997 sur cette question a l'autorité de la chose jugée pour 1999, et ce, même si le juge a pu se tromper en droit. Le ministre n'a pas le droit de soulever à nouveau la question. Cette « chose » a été « jugée » . En vertu de l'article 2848 C.c.Q, le droit de propriété acquis sur le camion en vertu du contrat de crédit-bail est réputé de façon irréfragable appartenir au contribuable et le ministre ne peut présenter aucune preuve contraire. Le but poursuivi par cet article est atteint : on ne permettra pas que cette question puisse faire l'objet d'un débat judiciaire année après année entre le ministre et le contribuable. Le « droit acquis » par la suite du jugement est protégé[65]. On ne permettra pas qu'un autre juge puisse arriver à une autre conclusion sur cette question[66]. Si le ministre n'était pas satisfait de la décision relative à 1997, il n'avait qu'à exercer son droit d'appel.

[102]        Bien que le contribuable ait eu droit à une DPA pour l'année d'imposition 1997, cela ne signifie pas nécessairement qu'il a droit à une telle déduction pour 1999. Les conditions énoncées dans la Loi et dans le Règlement doivent être réunies à nouveau pour l'année 1999. Notamment, la question de la propriété du camion peut être soulevée encore une fois pour 1999 parce qu'il s'agit là d'une des conditions applicables pour le calcul de la DPA pour cette année. Toutefois, comme on l'a vu plus haut, elle ne peut être soulevée relativement au droit de propriété réputée, de façon absolue, avoir été acquise en 1997 en vertu du contrat de crédit-bail. Mais, l'autorité de la chose jugée de la décision concernant 1997 n'a aucun effet sur la question de savoir si le contribuable était toujours propriétaire du camion à la fin de 1999. Comme l'édicte l'article 2848 C.c.Q., l'autorité de la chose jugée « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement » .

[103]        Dans notre exemple, le ministre soutient que le contribuable a disposé de la propriété du camion en vertu de sa promesse de vente faite avant la fin de 1999. S'il était établi que la promesse a été accompagnée de la délivrance et la possession du camion - ce qui équivaut à vente selon l'article 1710 C.c.Q. -, le contribuable, n'étant plus propriétaire du camion à la fin de l'année, ne pourrait plus réclamer une DPA à l'égard de ce camion. Le juge, dans l'appel pour 1997, n'avait aucune compétence pour trancher la question du droit de propriété à la fin de 1999. Il n'y avait aucun appel devant lui pour 1999.

[104]        On peut reprendre cette explication en utilisant les termes plus techniques de l'article 2848 C.c.Q. et de la décision Roberge. L'objet inhérent ultime (le droit pertinent qu'il faut faire reconnaître) en litige pour 1999 serait le suivant : établir que le contribuable détenait toujours un droit de propriété sur le camion à la fin de l'année 1999. Cet objet est donc différent de celui pour 1997, qui consistait à établir un droit de propriété existant à la fin de 1997. Les faits à qualifier juridiquement (soit la cause pertinente relativement à l'objet pour 1999), sont les faits bruts (l'entente et la livraison) auxquels il faut appliquer la règle de droit fiscal[67] : il y a disposition s'il y a vente du camion. Selon la règle de droit civil - à savoir l'article 1710 C.c.Q., appliqué à l'entente source de droits et d'obligations - la promesse de vente accompagnée de la livraison du camion équivaut à vente. Si la vente est intervenue avant la fin de 1999, on ne peut pas avoir droit à la DPA; sinon, on y a droit si les autres conditions sont réunies. Dans l'appel pour 1997, l'objet n'a pas porté sur la perte du droit de propriété en raison d'une disposition. Il n'y a pas eu de « vente » en 1997; cette cause n'existe pas en 1997. Comme l'objet et la cause du litige pour 1999 ne sont pas les mêmes que ceux pour l'année 1997, il ne peut y avoir de « chose jugée » en ce qui concerne cette question-là. Dès lors, aucune fin de non-recevoir ne peut être admise à l'égard du deuxième motif. Le ministre peut obliger le contribuable, si ce dernier en a la charge, de faire la preuve qu'il avait toujours la propriété du camion avant la fin de 1999.

[105]        De façon similaire, le fait qu'on a jugé qu'un contribuable a droit à un crédit d'impôt pour déficience physique pour 1997 ne signifie pas nécessairement qu'il y a droit en 1999. Prenons un exemple semblable aux faits de Leduc[68] mais en remplaçant monsieur Leduc par un monsieur Lévesque dont l'épouse souffrirait de cataracte l'ayant rendue aveugle. De plus, supposons qu'en 1997 on n'a pas encore découvert que l'on peut opérer les yeux pour remplacer le cristallin opacifié par une petite lentille qu'on appelle un implant. L'état de la science médicale était tel qu'un médecin a même diagnostiqué une déficience physique « permanente » puisqu'on ne connaissait aucune opération chirurgicale pour redonner la vision. De plus, aucun médicament, aucunes lunettes ni aucune lentille cornéenne ne pouvait permettre à madame Lévesque de voir. Une décision définitive d'un juge de cette Cour confirme en 1998 le droit de monsieur Lévesque au crédit d'impôt pour 1997 parce que madame Lévesque avait, selon le juge, une « déficience physique grave et prolongée dont les effets étaient tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne était limitée de façon marquée, c'est-à-dire que, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, elle était toujours ou presque toujours aveugle » (déficience requise).

[106]        Si on appliquait la conception large des notions d'objet et de cause sans tenir compte des années d'imposition différentes, il faudrait conclure que le ministre ne pourrait pas refuser à monsieur Lévesque son crédit d'impôt pour 1999, bien que, en raison d'un développement spectaculaire de la science, on ait découvert l'opération pour éliminer la cataracte au moyen d'un implant. Monsieur Lévesque aurait le droit de dire qu'en raison de la décision pour 1997, sa conjointe est réputée souffrir de la déficience requise. Or, il est évident que, ayant subi l'opération en 1999, madame Lévesque a retrouvé la vision et ne souffre plus de la déficience requise.

[107]        La raison plus technique pour conclure que la décision pour 1997 n'a pas d'autorité de la chose jugée est que ni l'objet ni la cause ne sont les mêmes. Pour 1997, l'objet abstrait[69] (le droit ou le bénéfice recherché) était d'obtenir un crédit d'impôt pour déficience physique pour 1997. Pour faire reconnaître ce droit, il fallait établir la cause (le fait à qualifier juridiquement à la lumière d'une règle de droit), à savoir que madame Lévesque souffrait de la « déficience requise » en 1997[70] (le fait juridique) selon les critères des articles 118.3 et 118.4 de la Loi en vigueur en 1997 (la règle pertinente de droit fiscal). L'objet et la cause pour 1997 sont semblables à ceux pour 1999, mais ils ne sont pas les mêmes. Pour faire reconnaître le droit au crédit d'impôt pour 1999 (l'objet), il faut établir selon les critères des articles 118.3 et 118.4 de la Loi en vigueur en 1999 (la règle pertinente de droit fiscal) le fait juridique de la déficience requise existant en 1999 (la cause). L'identité d'objet et de cause n'existant pas, la décision pour 1997 ne peut avoir l'autorité de la chose jugée pour 1999.

[108]        De plus, ajoutons que le juge qui a rendu la décision en 1997 n'avait aucune compétence pour déterminer le droit de monsieur Lévesque à un crédit d'impôt pour déficience physique pour l'année 1999, puisque l'appel ne portait que sur l'impôt payable en 1997 et que sur la situation en 1997 relativement à la déficience requise. Il n'a jamais constaté que madame Lévesque souffrait de la déficience requise en 1999. L'autorité de la chose jugée « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement » . Bien évidemment, si le ministre s'avisait d'établir une nouvelle cotisation en 2000 pour refuser le crédit d'impôt pour déficience physique pour l'année 1997, monsieur Lévesque bénéficierait de l'application de l'autorité de la chose jugée et pourrait obtenir la radiation de la Réponse à l'avis d'appel en vertu de l'article 58 des Règles. Dans ce cas, il y aurait réunion des trois identités.

[109]        À mon avis, il faut rejeter la conception large selon laquelle l'objet abstrait recherché est le crédit d'impôt pour déficience, sans tenir compte de l'année pour laquelle on le demande, et selon laquelle la cause est la déficience requise, sans tenir compte ni de l'état de cette déficience ni de la règle de droit fiscal existant pour l'année pour laquelle on demande le crédit. Comme le dit le juge Gonthier dans Rocois (précité), un fait n'est pas juridique s'il n'a pas été qualifié à la lumière d'une règle de droit et une règle de droit n'est pas une cause si elle n'a pas été appliquée à des faits précis. Même si, contrairement à ce que je pense, il était possible de définir l'objet sans le rattacher à une année d'imposition donnée, je ne crois pas qu'il soit possible de déterminer sans tenir compte de l'année d'imposition la règle de droit pertinente applicable aux faits bruts.

[110]        Pour qualifier ces faits, il faut d'abord faire la preuve de ces faits tels qu'ils existaient dans l'année à l'égard de laquelle on demande le crédit d'impôt et déterminer la règle de droit appropriée en vigueur pour cette année. On ne peut pas utiliser n'importe quelle édition (commerciale) annuelle de la Loi. Un contribuable (ou son fiscaliste) doit déterminer d'abord quelle est l'année d'imposition pertinente et, par la suite, quelles étaient les dispositions législatives en vigueur pour l'année d'imposition pertinente. Une fois qu'il a repéré ces dispositions, il ne peut pas les appliquer à n'importe quels faits bruts. Il doit les appliquer aux faits existant dans l'année pertinente. Par exemple, il ne peut appliquer les dispositions de la Loi en vigueur en 2002 aux faits constituant la description de l'état de santé d'une personne en 1997 pour déterminer le fait juridique pertinent (la déficience requise) pour 1999. Je crois que cela est incontournable.

[111]        Si la Loi permettait qu'un contribuable ait droit au crédit pour déficience dans une année donnée s'il avait eu droit à ce crédit pour une année antérieure, alors la « chose jugée » pour 1997 permettrait d'établir le droit au crédit pour les années subséquentes. En pareil cas, on aurait réuni l'identité d'objet et de cause. Dans ces circonstances, le contribuable pourrait jouir d'une « rente » annuelle tant que la Loi ne serait pas modifiée. Or, la Loi n'a pas cet effet. Il faut constater l'état de santé d'une personne chaque année et déterminer si cette personne souffre de la « déficience requise » . Par conséquent, la décision qui a reconnu le droit au crédit (l'objet) pour 1997 n'a aucunement l'autorité de la chose jugée pour ce qui est de la détermination du droit au crédit (objet) dans l'appel pour 1999. Il faut alors faire la preuve de la déficience requise (la cause) pour 1999. Comme madame Lévesque a été opérée pour sa cataracte en 1999 et qu'elle a retrouvé la vision et qu'elle n'a plus la déficience requise, son mari n'a pas droit pour 1999 au transfert de son crédit d'impôt pour déficience physique.

[112]        Par ailleurs, le fait que la disposition pertinente (la règle de droit fiscal) pour 1999 soit exactement la même que celle pour 1997 et que l'état de santé en 1999 soit exactement le même qu'en 1997, comme cela était le cas dans Leduc, ne nous permettrait pas de conclure qu'il y a chose jugée. Tout au plus pourrait-on parler d'une simple présomption (par opposition à la présomption absolue de la chose jugée). La décision relative à 1997 constituerait peut-être un précédent persuasif; c'est-à-dire que si on applique aux mêmes faits les mêmes dispositions de la Loi, on devrait s'attendre à obtenir le même résultat.

[113]        Je suis convaincu que la Cour suprême du Canada dans Roberge n'aurait pas conclu à l'autorité de la chose jugée si, par un concours extraordinaire de circonstances, le même immeuble avait été acquis par P.L. Inc. un an après la décision de la Cour supérieure, que la caisse populaire avait consenti un autre prêt hypothécaire à P.L. pour le même montant et selon les mêmes modalités et qu'elle avait de nouveau fait enregistrer l'hypothèque sur l'immeuble de P.L. Inc., plutôt que sur celui qui appartenait à P.L. Lors d'une nouvelle action en dation en paiement entreprise par la caisse contre P.L. Inc., cette dernière pourrait faire valoir l'irrégularité de l'hypothèque et s'opposer à la fin de non-recevoir présentée par la caisse populaire et fondée sur l'autorité de la chose jugée de la décision rendue précédemment. Même si la caisse alléguait qu'il s'agissait des mêmes parties, du même objet matériel (se faire attribuer le droit de propriété sur le même immeuble), d'un contrat de prêt ayant les mêmes modalités (même montant, même clause de dation en paiement) et d'un enregistrement d'hypothèque sur le même mauvais immeuble, et même si les mêmes dispositions pertinentes du Code civil étaient en vigueur, il n'y aurait pas la même cause, à savoir l'inexécution de la « même » obligation. Il y aurait une cause différente, soit l'inexécution d'une obligation résultant du « deuxième » contrat de prêt. Il ne s'agirait pas du même fait juridique générateur de droit. Il s'agirait plutôt d'une « inexécution de l'obligation assumée dans [un autre] contrat de prêt » . Dès lors, il ne pourrait y avoir chose jugée.

[114]        Contrairement à ce qui a été le cas dans l'affaire Leduc, même si les faits et la règle de droit étaient pratiquement identiques, il n'y aurait pas de précédent persuasif dans cet exemple puisque, dans Roberge, la caisse populaire n'avait eu gain de cause qu'en raison de la négligence de P.L. Inc. et peut-être de l'ignorance du syndic au sujet du vice de l'hypothèque. En tout état de cause, je suis persuadé que la Cour suprême du Canada permettrait à P.L. Inc., dans la deuxième action en dation en paiement, de faire valoir son moyen de défense et rejetterait à la fois l'autorité de la chose jugée de la première décision et cette deuxième action.

[115]        Comme il s'agit d'une présomption absolue, il est important de ne pas trop étendre la portée de la présomption irréfragable de la chose jugée, et cela est encore plus vrai en ce qui concerne son application dans les appels de cotisations fiscales. Il est impérieux d'adopter la conception étroite non seulement de cause, comme l'a fait la juge L'Heureux-Dubé dans Roberge, mais aussi de la notion d'objet. Pour illustrer ce point, reprenons le cas de l'affaire Leduc. Supposons que la juge avait plutôt décidé en faveur de l'intimée parce qu'elle avait considéré que pour 1997 madame Leduc ne souffrait pas de la déficience requise au motif qu'elle ne consacrait pas un temps excessif à faire son marché pour ses substituts de produits céréaliers.

[116]        Si on appliquait l'interprétation adoptée dans Leduc, il faudrait conclure qu'il y aurait dorénavant « chose jugée » et monsieur Leduc ne pourrait plus avoir droit à un crédit dans les années subséquentes[71], même s'il est en mesure de produire une meilleure preuve sur le temps consacré par sa femme à faire son marché[72]. Je ne crois pas que monsieur Leduc soutiendrait alors, comme il semble l'avoir fait dans son appel relatif à 1999, que ne pas appliquer pour 1999 l'autorité de la chose jugée de la décision pour 1997 constituerait une violation de la règle de justice naturelle. Il serait, au contraire, heureux qu'on lui dise que la décision pour 1997 concernant son crédit d'impôt pour déficience n'a pas l'autorité de la chose jugée et qu'il peut mettre en preuve tous les faits pertinents pour 1999 relativement aux efforts excessifs consacrés par sa femme à faire son marché.

[117]        Ces observations sur Leduc illustrent bien le problème que pourrait présenter une conception large de la notion de cause dans l'application de la chose jugée en matière fiscale, problème qui tient à la récurrence annuelle du paiement de l'impôt, dont il a été question plus haut. L'obligation qu'a un contribuable de payer son impôt sur le revenu revient chaque année et cette dette fiscale doit se calculer en fonction du régime fiscal en vigueur durant l'année d'imposition pertinente.

[118]        Si l'on considère la question du point de vue de l'ordre public, l'interprétation restreinte des notions d'objet et de cause permet à un contribuable qui a perdu un appel relativement à une année d'imposition d'avoir une deuxième chance en pouvant demander à un tribunal de lui accorder ce à quoi il a droit pour une autre année d'imposition, et ce, sans avoir à se défendre s'il a été négligent dans l'appel précédent. Il faut tenir compte de cette réalité : un bon nombre de contribuables se représentent eux-mêmes devant la Cour[73] dans les appels régis par la procédure générale[74] et ils n'ont pas toutes les connaissances et toute l'expérience nécessaires pour bien préparer leur appel.

[119]        On ne risque pas trop de se tromper en affirmant que la grande majorité des contribuables n'aiment pas payer des impôts. S'il fallait qu'en raison d'un oubli ou d'une négligence ou même par ignorance, un contribuable n'ait pas fait la preuve nécessaire pour établir son droit à un crédit d'impôt ou à la déduction d'un montant dans le calcul de son revenu ou pour contester l'inclusion d'un montant dans son revenu pour une année donnée et qu'il ne puisse plus, relativement à une année d'imposition subséquente, soulever les mêmes questions en raison de l'autorité de la chose jugée, on aurait un contribuable fort malheureux qui pourrait être tenté de s'y prendre autrement pour diminuer ses impôts. Comme le régime fiscal canadien repose sur un système d'autocotisation, il est essentiel que les contribuables canadiens aient au moins la conviction que l'impôt qu'ils doivent payer est conforme aux dispositions de la Loi, et qu'ils ne soient pas liés par une interprétation fautive relativement à une année d'imposition antérieure.

[120]        L'interprétation que j'adopte pourrait, à première vue, permettre au ministre de revenir à la charge année après année et de refuser à des contribuables le crédit d'impôt auquel cette Cour ou une cour d'appel ont déjà reconnu qu'ils ont droit. Ce refus récurrent du ministre les obligerait à s'adresser à répétition à cette Cour et à refaire le même débat. Pareille conduite du ministre pourrait constituer un abus administratif inacceptable. En effet, pourquoi un contribuable à qui la Cour a reconnu qu'il souffrait de la déficience requise devrait-il avoir à retourner devant la Cour alors qu'il n'y a eu aucun changement dans son état et dans l'état de la science médicale et qu'il n'y a eu aucune modification des dispositions pertinentes de la Loi? C'était là vraiment le noeud du problème soulevé dans Leduc et la question n'était pas facile à trancher. Il n'est pas impossible qu'il y ait eu abus administratif dans cette affaire; mais il serait inapproprié de me prononcer sur ce cas en particulier.

[121]        Toutefois, de façon générale, il est difficile de comprendre pourquoi le ministre ne demande pas à la Cour d'appel fédérale d'exercer un contrôle judiciaire relativement à une décision rendue dans une affaire régie par la procédure informelle ou n'en appelle pas d'une décision rendue sous le régime de la procédure générale lorsqu'il est en désaccord quant à une interprétation de droit adoptée dans une telle décision. Par exemple, pourquoi obliger de nombreux contribuables à interjeter appel devant cette Cour sur la question de l'étendue de la notion de s'alimenter (Est-ce qu'elle comprend le fait de faire son marché?) quand un seul appel devant la Cour d'appel fédérale (ou un seul contrôle judiciaire par la même cour) pourrait trancher la question? Cette conduite du ministre constitue certainement une source de frustration pour beaucoup de contribuables : quelle perte inutile de temps et d'argent, non seulement pour les contribuables, mais aussi pour le ministre et la Cour!

[122]        Pour contrer un abus administratif commis par le ministre, la Cour a à sa disposition d'autres outils que la règle de la chose jugée. Avant l'audition de son appel, le contribuable pourrait demander à la Cour de radier la Réponse à l'avis d'appel de l'intimée parce qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable de contestation de l'appel.[75] Après l'audition de la preuve, le contribuable pourrait demander à la Cour de condamner l'intimée à des dépens, y compris des dépens sur la base procureur-client, s'il s'agit essentiellement des mêmes faits et que les dispositions législatives sont les mêmes. Comme les contribuables ont à leur disposition ces moyens pour décourager de telles pratiques abusives, il est préférable d'adopter une conception restreinte des notions d'objet et de cause. Selon moi, l'argument fondé sur les principes de justice naturelle avancée pour défendre une conception large de la notion de cause est tout à fait mal fondé.

                ii) En matière de TPS

[123]        À mon avis, l'approche décrite pour l'application de la chose jugée en matière d'impôt sur le revenu devrait être suivie également en matière de taxe sur les produits et les services (TPS) en raison de la nature récurrente de la production des déclarations de TPS et du versement de la taxe nette payable par un inscrit en vertu de la LTA. De plus, les règles applicables à la cotisation et à la contestation d'une cotisation sont essentiellement similaires.

[124]        Un inscrit qui effectue une fourniture (extrant) taxable est tenu de percevoir la TPS payable par l'acquéreur de cet extrant et il doit remettre le montant percevable au ministre pour le compte de cet acquéreur. Un inscrit, tout comme les autres acquéreurs, doit verser une TPS lorsqu'il fait l'acquisition d'une fourniture (intrant) taxable. Toutefois, lorsque l'intrant est acquis par lui dans le cadre de ses activités commerciales, cet inscrit a le droit de réclamer au ministre un crédit de taxe sur les intrants (CTI).

[125]        Un inscrit doit remettre au ministre la taxe nette (la TPS percevable sur les extrants moins les CTI demandés relativement aux intrants) lors de la production de sa déclaration de TPS pour une période donnée[76]. Cette période varie selon la situation de l'inscrit. Certains doivent effectuer une déclaration annuelle, d'autres une déclaration trimestrielle alors qu'un bon nombre d'inscrits doivent faire leur déclaration sur une base mensuelle. Si le montant de la taxe nette est positif (la TPS percevable dépasse le montant des CTI demandés), l'inscrit doit alors le remettre au ministre. Par contre, si le montant est négatif (les CTI demandés dépassent la TPS percevable), c'est le ministre qui doit le rembourser à l'inscrit. Dans l'un et l'autre cas, le ministre établit un avis de cotisation. Là aussi, s'il existe un désaccord sur le montant fixé dans la cotisation établie par le ministre, l'inscrit peut exercer un recours semblable à celui prévu dans la Loi.

iii)            Aux faits des appels des requérantes

                                (1)            Contexte procédural

[126]        Chacune des douze requérantes demande par sa requête que la Cour reconnaisse l'autorité de la chose jugée de la décision 2001. Elles soutiennent que cette décision est définitive puisque l'intimée n'en a pas appelé, et que, en raison de l'autorité de la chose jugée, cette Cour peut rendre immédiatement un jugement favorable sur leur appel parce que les conditions relatives à l'identité, soit l'identité des parties, de l'objet et de la cause, sont réunies ici.

[127]        Comme la décision 2001 a été rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'appel de la Commission scolaire et que cette décision a été déposée dans le dossier de chacune des autres requérantes faisant partie des douze, je vais limiter mes observations à la requête de la Commission scolaire et m'en tenir aux faits pertinents que révèle la lecture de son dossier[77]. La décision 2001 a été rendue dans le dossier 97-3347(GST)G relativement à l'appel (appel pour 1996) du 12 novembre 1997 à l'égard de la période de déclaration du 1er mai 1996 au 31 mai 1996 (période de mai 1996). Dans le dossier considéré ici, soit le 1999-4516(GST)G, l'appel du 26 octobre 1999 (appel pour 1998) se rapporte à la période de déclaration du 1er novembre 1998 au 30 novembre 1998 (période de novembre 1998).

[128]        À l'égard de la période de novembre 1998, la Commission scolaire a réclamé des CTI de 257 532,78 $[78]. Ni dans l'Avis d'appel, ni dans la Réponse à l'avis d'appel n'est-il indiqué si ces CTI ont trait uniquement à de la TPS devenue payable au cours de la période de novembre 1998 ou s'ils se rapportent plutôt à une période qui aurait débuté antérieurement. Au paragraphe 12 de la Réponse à l'avis d'appel de l'intimée produite relativement à l'appel pour 1996, on peut lire que la Commission scolaire avait réclamé dans sa déclaration pour la période de déclaration de mai 1996 des CTI de 505 273 $[79] « quant à la TPS qu'elle a supposément payée aux transporteurs indépendants depuis le 1er juillet 1992[80] [(période de CTI 1992-1996)] relativement à la fourniture de service de transport d'écoliers acquise de ces derniers » . Comme les CTI de 257 533 $ représentent environ la moitié des CTI visés par la décision 2001, il est donc fort probable qu'ils se rapportent aussi à une période de déclaration antérieure (période pertinente de CTI) à celle de novembre 1998.

[129]        Quand le ministre a refusé les CTI de 505 273 $, la Commission scolaire a interjeté appel. Ma collègue la juge Lamarre Proulx a rendu le 10 février 2000 sa décision rejetant cet appel pour 1996 ainsi que celui du reste des douze requérantes. Cette décision a été infirmée par la décision 2001 de la Cour d'appel fédérale le 17 octobre 2001. La décision 2001 est répertoriée ainsi : Commission scolaire des Chênes c. La Reine, 2001 CAF 264[81].

                (2)            Décision 2001

[130]        Pour déterminer dans quelle mesure les conditions relatives à l'identité ont été réunies ici, analysons brièvement la décision 2001. Comme on l'a vu plus haut, le ministre a refusé à la Commission scolaire les CTI à l'égard de la TPS devenue payable sur ses intrants pour la période de CTI 1992-1996, soit le service de transport des élèves fourni par un ou plusieurs transporteurs indépendants (le transporteur). Le ministre a soutenu que la Commission scolaire n'avait pas réuni toutes les conditions énoncées au paragraphe 169(1) LTA, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas acquis le service de transport (son intrant) pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales. Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

169(1) Règle générale - Sous réserve de la présente partie, le crédit de taxe sur les intrants d'une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu'elle importe ou qui lui est fourni, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à l'importation ou à la fourniture devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable :

A x B

169(1) General rule for [input tax] credits - Subject to this Part, where property or a service is supplied to or imported by a person and, during a reporting period of the person during which the person is a registrant, tax in respect of the supply or importation becomes payable by the person or is paid by the person without having become payable, the input tax credit of the person in respect of the property or service for the period is the amount determined by the formula

A x B

où :

A représente la taxe relative à l'importation ou à la fourniture qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable;

B représente :

[. . .]

where

A is the total of all tax in respect of the supply or importation that becomes payable by the person during the reporting period or that is paid by the person during the period without having become payable; and

B is

[. . .]

c)       dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

(c)     in any other case, the extent (expressed as a percentage) to which the person acquired or imported the property or service for consumption, use or supply in the course of commercial activities of the person.

123(1) « activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

[. . .]

123(1) "commercial activity" of a person means

(a) a business carried on by the person (other than a business carried on without a reasonable expectation of profit by an individual, a personal trust or a partnership, all of the members of which are individuals), except to the extent to which the business involves the making of exempt supplies by the person,

[. . .]

123(1) « acquéreur »

a) Personne qui est tenue, aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b) personne qui est tenue, autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

c) si nulle contrepartie n'est payable pour une fourniture :

(i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou mis à sa disposition,

(ii) personne à qui la possession ou l'utilisation d'un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

(iii) personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d'une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l'acquéreur de la fourniture.

123(1) "recipient" of a supply of property or a service means

(a) where consideration for the supply is payable under an agreement for the supply, the person who is liable under the agreement to pay that consideration,

(b) where paragraph (a) does not apply and consideration is payable for the supply, the person who is liable to pay that consideration, and

(c) where no consideration is payable for the supply,

(i) in the case of a supply of property by way of sale, the person to whom the property is delivered or made available,

(ii) in the case of a supply of property otherwise than by way of sale, the person to whom possession or use of the property is given or made available, and

(iii) in the case of a supply of a service, the person to whom the service is rendered,

and any reference to a person to whom a supply is made shall be read as a reference to the recipient of the supply;


123(1) « contrepartie » Est assimilé à une contrepartie tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture.

123(1) "consideration" includes any amount that is payable for a supply by operation of law;

123(1) « fourniture exonérée » Fourniture figurant à l'annexe V.

123(1) "exempt supply" means a supply included in Schedule V;

Annexe V

Schedule V

Partie III

Part III

5. Service consistant à assurer le transport d'un élève - La fourniture, effectuée par une administration scolaire au profit d'un élève du primaire ou du secondaire, d'un service consistant à assurer le transport de l'élève entre un point donné et une école administrée par une administration scolaire.

5. [School busing] - A supply made by a school authority to elementary or secondary school students of a service of transporting the students to or from a school that is operated by a school authority.

[131]        Comme le ministre soutenait que la Commission scolaire effectuait sa fourniture de transport au profit d'élèves, cet extrant représentait une fourniture exonérée et, dès lors, l'activité de transport n'était pas considérée comme une « activité commerciale » . Par conséquent, selon le ministre, la Commission scolaire n'avait droit à aucun CTI à l'égard de la TPS remise au transporteur.

[132]        Pour financer son service de transport, la Commission scolaire obtenait une subvention du ministre des Transports du Québec selon des « Règles budgétaires » adoptées annuellement. Cette subvention était destinée à couvrir les coûts de la Commission scolaire pour le transport des élèves. Se fondant sur la définition des termes « acquéreur » et « contrepartie » au paragraphe 123(1) LTA, la Commission scolaire a soutenu que le ministre des Transports - et non les élèves - devait être considéré comme l'acquéreur de son service de transport et que, par conséquent, cet extrant ne constituait pas une fourniture exonérée. Dès lors, elle exerçait des activités commerciales et avait droit aux CTI.

[133]        Dans des motifs écrits par le juge Marc Noël, la Cour d'appel fédérale a donné raison à la Commission scolaire. Pour en arriver à la conclusion que la subvention versée par le ministre des Transports constituait la contrepartie pour le service de transport, la Cour d'appel a d'abord conclu que le ministre des Transports avait l'obligation de payer la subvention, que le but de cette subvention n'était que d'assurer le transport des élèves de la Commission scolaire et qu'il existait un lien direct entre le paiement de la subvention et la fourniture du service. Par conséquent, le ministre des Transports avait versé la contrepartie de la fourniture « autrement qu'aux termes d'une convention portant sur une fourniture[82] » et c'est lui qui était réputé être l'acquéreur aux fins de la LTA (et ce, même si c'était les élèves qui devaient recevoir le service).

[134]        Avant de terminer cette analyse de la décision 2001, notons qu'il semble que le procureur de l'intimée a admis devant la Cour d'appel fédérale que la Commission scolaire avait droit aux CTI si la subvention représentait une contrepartie versée par le ministre des Transports à la Commission scolaire : dans ces circonstances, le service de transport (extrant) ne constituerait pas une fourniture exonérée. (Voir les paragraphes 11 et 12 de la décision 2001.)

                (3)            Identité d'objet

[135]        Déterminons si les conditions relatives à l'identité sont réunies en ce qui concerne l'appel pour 1998. Sans aucun doute, les parties, soit la Commission scolaire et l'intimée, sont les mêmes que celles dans l'appel pour 1996. Mais qu'en est-il de l'identité relative à l'objet? Il faut se rappeler que l'objet est le bénéfice ou le droit que l'on recherche. Ici, il est facile à déterminer. Dans son appel pour 1996, la Commission scolaire demandait le remboursement du montant négatif de sa taxe nette (l'objet immédiat matériel) pour la période de mai 1996. Vu le refus du ministre, la Commission scolaire a exercé un recours devant cette Cour pour faire reconnaître son droit à ce montant. Pour avoir droit à ce montant négatif, il fallait également avoir droit aux CTI pour la période de CTI 1992-1996 (l'objet inhérent).

[136]        L'objet inhérent matériel[83] (le montant des CTI) dans les deux appels est manifestement différent : l'un est un montant de 505 273 $ et l'autre un montant de 257 533 $. De plus, soulignons-le, la décision 2001 n'a pas tranché cette question. Voici ce que révèle le dispositif du jugement :

L'appel est accueilli avec dépens ici et devant la Cour canadienne de l'impôt, la décision sous appel est annulée et la cotisation est déférée au Ministre du Revenu pour qu'il émette une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la subvention payée par le Ministre des Transports à l'appelante constitue la contrepartie de la fourniture du service de transport scolaire, sujet au droit de vérification que s'est réservé l'intimée en vertu de l'article 18[84] de l'entente conjointe sur les faits déposée devant la Cour canadienne de l'impôt.

[137]        Comme on peut le constater, la décision 2001 reconnaissait à la Commission scolaire tout au plus un droit conditionnel aux CTI demandés en ordonnant au ministre de refaire le calcul en tenant pour acquis que la subvention constituait une contrepartie « sujet au droit » du ministre de s'assurer que le montant des CTI représentait bien le total de tous les montants de TPS devenus payables sur les intrants fournis à la Commission scolaire par le transporteur durant la période de CTI 1992-1996. Tout ce que la décision confirme, c'est qu'une des nombreuses conditions nécessaires à l'existence du droit aux CTI (ces conditions constituant ensemble les faits juridiques générateurs du droit aux CTI) a été remplie. En d'autres mots, la décision 2001 confirme l'existence d'un des éléments constitutifs d'une cause et non pas l'existence d'un droit. Elle ne pouvait confirmer un tel droit puisqu'une ou plusieurs autres conditions n'avaient pas été traitées, soit, notamment, celle relative à l'existence de montants de TPS devenus payables sur les intrants durant la période de CTI 1992-1996 ou celle selon laquelle la demande de CTI doit avoir été faite dans les délais prescrits.[85]

[138]        L'objet inhérent abstrait (qui ne tient pas compte du montant lui-même), à savoir le droit aux CTI, serait le même dans les deux appels si on ne tenait pas compte de la période de CTI pour laquelle on les a demandés. Pour les raisons déjà énoncées plus haut, je crois qu'il faut définir l'objet par rapport à la période pour laquelle on réclame les CTI. Dans sa décision 2001, la Cour d'appel fédérale ne pouvait rendre jugement qu'à l'égard de la période de CTI visée par l'appel pour 1996, soit la période de CTI 1992-1996. Il n'y aurait donc pas d'identité d'objet.

[139]        Le seul autre objet inhérent qui est pertinent aux fins du litige et sur lequel la Cour d'appel fédérale s'est prononcée, c'est le droit que possédait la Commission scolaire relativement à la subvention. Il s'agit-là d'un objet qu'on pourrait décrire comme inhérent et ultime, de l'objet qui est en quelque sorte le plus inhérent. Pour déterminer si la subvention constituait une « contrepartie » au sens de la règle de droit fiscal (règle que constitue la définition du terme « contrepartie » aux fins de la définition « d'acquéreur » , lesquelles définitions figurent au paragraphe 123(1) LTA), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question du droit que pouvait posséder la Commission scolaire relativement à la subvention et a conclu à l'existence d'un tel droit : « selon moi, l'obligation du Ministre des Transports de payer la subvention ne fait aucun doute » (paragraphe 24 de la décision 2001).

[140]        Comme le révèle l'analyse faite par la Cour d'appel fédérale, c'est à la lumière de la règle de droit administratif que la détermination de l'existence du droit a été faite (voir les paragraphes 24 et 25 de la décision 2001). À cette fin, la Cour d'appel fédérale a analysé les dispositions législatives pertinentes, soit l'article 4 de la Loi sur les transports, L.R.Q. 1977, ch. T-12, et, en particulier, l'article 300 de la Loi sur l'instruction publique, L.R.Q. 1977, ch. I-14[86], qui autorise le ministre des Transports à établir « annuellement » des règles budgétaires. De plus, la Cour d'appel fédérale note que « le procureur de l'intimée a d'ailleurs concédé l'existence de cette obligation au cours de l'instance » (paragraphe 25 de la décision 2001).

[141]        Comme les subventions sont payables en vertu de règles budgétaires établies annuellement, la reconnaissance d'un droit à l'égard d'un versement d'une partie de la subvention en application d'une règle budgétaire donnée pourrait valoir aussi pour le versement du reste de la subvention en vertu de la même règle budgétaire. Toutefois, comme on n'a pas déposé ces règles budgétaires et qu'il manque beaucoup d'éléments factuels, il n'est pas possible de se prononcer sur cette question. J'ajouterai d'ailleurs que, même si cette preuve avait été faite et que l'on pouvait conclure à la chose jugée en ce qui concerne l'existence d'un droit de la Commission scolaire (c'est-à-dire, si l'on pouvait conclure qu'une subvention était exigible à la lumière de la règle de droit administratif), cela ne serait pas suffisant pour pouvoir conclure que les subventions versées étaient des « contreparties » à la lumière de la règle de droit fiscal applicable pour la période pertinente de CTI, qui est différente aux fins de l'appel pour 1998.

                (4)            Identité de cause

[142]        Tel qu'il appert de la décision 2001, la Cour d'appel fédérale s'est limitée à qualifier la subvention de contrepartie donnée pour un extrant fourni par la Commission scolaire au ministre des Transports. L'importance de cette qualification peut être résumée de façon schématique de la façon suivante. Le fait que la subvention était une contrepartie versée par le ministre pour l'extrant faisait du ministre l'acquéreur de cet extrant. Cela éliminait les élèves comme acquéreurs de l'extrant, écartant ainsi la possibilité que l'extrant devienne une fourniture exonérée. L'extrant pouvait donc être considéré comme une fourniture faisant partie des activités commerciales de la Commission scolaire, ce qui lui donnait droit aux CTI.

[143]        En quelque sorte, le droit de la Commission scolaire aux CTI dépend ici d'un fait juridique crucial : la subvention constitue-t-elle une contrepartie versée par le ministre des Transports? Le bénéfice recherché (l'objet) est le droit aux CTI pour une période de déclaration donnée, et le droit aux CTI doit être établi à la lumière de la règle de droit fiscal pertinente, soit celle applicable à la période pertinente de CTI - celle au cours de laquelle la TPS sur l'intrant est devenu payable. Le fait juridique à qualifier (qui devient le fait juridique générateur de droit) pertinent pour les fins de cet objet, c'est la subvention (fait brut) qualifiée à la lumière de la règle de droit fiscal pertinente, cette règle étant la définition du mot « contrepartie » aux fins de la définition du mot « acquéreur » (définitions qui se trouvent toutes les deux au paragraphe 123(1) LTA). Si, au moment pertinent, le versement de la subvention constitue le versement de la « contrepartie de la fourniture[87] » , alors le ministre des Transports est l'acquéreur, ce qui provoque la réaction en chaîne aboutissant au droit au CTI.

[144]        Comme la qualification des faits bruts dépend de la règle de droit fiscal applicable au cours de la période pertinente et que cette règle doit être appliquée aux faits bruts existant au cours de cette période pertinente, la cause dans l'appel pour 1996 ne serait pas la même que celle dans l'appel pour 1998 puisque cet appel ne se rapporte pas à la même période pertinente. Je n'ai aucun élément de preuve me permettant de croire qu'il y a ici chevauchement de périodes pertinentes de CTI.

[145]        Les conditions relatives à l'identité - celle de l'objet et de la cause - ne sont pas réunies ici. Quelle que soit pour la Commission scolaire la valeur de l'autorité de la chose jugée de la décision 2001 dans son appel pour 1996, cette autorité de la chose jugée n'est d'aucune utilité pour elle aux fins de son appel pour 1998. Pour établir son droit aux CTI demandés, elle devra démontrer que sont réunies toutes les conditions prévues à la LTA pour la période pertinente de CTI visée par son appel pour 1998. Doit notamment être remplie la condition selon laquelle elle devait exercer des activités commerciales au moment pertinent. Dès lors, la première fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de la chose jugée ne peut réussir et elle doit être rejetée tant pour la Commission scolaire que pour le reste des douze requérantes.

B)             FIN DE NON-RECEVOIR AU MOTIF QUE LES RÉPONSES À L'AVIS D'APPEL NE RÉVÈLENT AUCUN MOYEN RAISONNABLE DE CONTESTATION DES APPELS

[146]        Reste à déterminer le bien-fondé de la deuxième fin de non-recevoir invoquée par toutes les requérantes (à l'exception de celles qui ont retiré leur requête au cours de l'audition). Le procureur des requérantes soutient que les réponses à l'avis d'appel de l'intimée ne révèlent aucun moyen raisonnable de contestation de leur appel. Voici les motifs qu'il expose à l'appui de ses allégations dans sa requête :

10. Quant aux autres dossiers d'appel, les Requérantes soutiennent que la Cour est en mesure d'appliquer l'alinéa 53(c) et, plus particulièrement, l'alinéa 58(1)(b) des règles de la Cour canadienne de l'impôt, procédure générale, afin que soient radiées les réponses aux avis d'appel de l'intimée, puisqu'elles ne révèlent aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation des appels, suite aux jugements rendus par la Cour d'appel fédérale en la même matière et parce que de permettre que les recours soient poursuivis devant cette Cour entraverait le processus judiciaire inutilement ce qui aurait pour effet de constituer un recours abusif auprès de cette honorable Cour;

11. Le fait par le ministre des Finances du Canada d'annoncer des modifications législatives à la disposition contestée de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, après que des jugements finaux et exécutoires aient été rendus par la Cour d'appel fédérale à l'égard de cette disposition, constitue une entrave au processus judiciaire. Permettre à l'intimée d'attendre que ces modifications proposées soient entrées en vigueur avant que cette honorable Cour n'ait à se prononcer sur les recours des Requérantes quant à leurs dossiers d'appel actuellement pendants devant cette Cour aurait pour effet de déconsidérer l'administration de la justice;

12. Puisque ces modifications législatives proposées n'ont pas encore été adoptées par la Chambre des communes et n'ont donc pas force de loi, cette honorable Cour a le pouvoir d'accorder les conclusions recherchées par la présente requête en vertu des alinéas 53(c), 58(1)(a) et 58(1)(b) des règles de la Cour canadienne de l'impôt, procédure générale.

[147]        Une première remarque préliminaire s'impose. Une fin de non-recevoir fondée sur l'alinéa 58(1)b) des Règles doit faire l'objet d'une décision basée sur l'examen des actes de procédure seulement, puisque aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande présentée en vertu de cet alinéa (voir le paragraphe 58(2) des Règles).

[148]        Le procureur de l'intimée a cité la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hunt (précitée), où le litige portait sur une requête en radiation fondée sur la règle 19(24) des Rules of Court (Colombie-Britannique), qui est une règle analogue à l'alinéa 58(1)b) des Règles. Comme l'alinéa 58(1)b) est une règle de procédure adoptée sous l'empire de la LCCI, je suis d'avis qu'elle a préséance sur les règles de preuve du Québec. Et comme le Code de procédure civile du Québec ne s'applique pas ici[88] et que l'alinéa 58(1)b) des Règles tire son origine de la common law, il est tout à fait approprié d'adopter l'interprétation de la Cour suprême du Canada dans Hunt, laquelle s'inspire de la jurisprudence de common law.

[149]        Après avoir fait une revue de la jurisprudence de l'Angleterre, de ses propres arrêts et de ceux de la Cour d'appel de l'Ontario et de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a décidé que le critère à appliquer pour radier un acte de procédure est de savoir si l'issue de l'affaire est « évidente et manifeste » ou « au-delà de tout doute raisonnable » . Voici comment la juge Wilson, parlant au nom de la Cour, décrit cette règle à la page 980 :

Ainsi, au Canada, le critère régissant l'application de dispositions comme la règle 19(24)a) des Rules of Court de la Colombie-Britannique est le même que celui régissant une requête présentée en vertu de la règle 19 de l'ordonnance 18 des R.S.C.: dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable? Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement » . La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie-Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).

[150]        Parmi les décisions citées par la juge Wilson, il y a celle de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Minnes v. Minnes (1962), 39 W.W.R. 112. Elle cite à la page 978 les propos du juge Tysoe :

[TRADUCTION] À mon avis, ce n'est que dans les cas évidents et manifestes que l'on devrait recourir à la procédure sommaire de la règle 4 de l'ordonnance 25 et le pouvoir conféré par la règle ne devrait être exercé que si le cas est absolument au-delà de tout doute. Dans la mesure où la déclaration, telle qu'elle existe ou telle qu'elle peut être modifiée, révèle l'existence d'une question susceptible d'instruction par un juge ou un jury, le simple fait que la cause soit faible ou ait peu de chance de réussir ne justifie pas de la radier. Si l'action comporte l'examen de questions de droit sérieuses ou de questions d'importance générale, ou si les faits doivent être connus avant de se prononcer définitivement sur les droits, la règle ne doit pas être appliquée.

[151]        Une autre décision citée, à la page 976, est celle de la Cour d'appel de l'Ontario dans Ross v. Scottish Union and National Insurance Co. (1920), 47 O.L.R. 308 (C.A.), qui concerne une règle analogue à celle de l'alinéa 58(1)b) des Règles. Dans cette décision, le juge Magee a dit ce qui suit : [TRADUCTION] « La règle n'a été utilisée que dans les cas évidents et manifestes, et il ne devrait en être ainsi que lorsque la cour est convaincue qu'il s'agit d'un cas qui ne soulève aucun doute et qu'il n'y a aucune cause d'action ou défense raisonnable. »

[152]        Le procureur de l'intimée a aussi cité la décision de ma collègue la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Glenmaroon Holdings (1986) Ltd. c. Canada, [1996] A.C.I. no 1558 (Q.L.); appel rejeté : [1999] A.C.F. no 443 (Q.L.) (C.A.F.). Dans sa décision, la juge Lamarre Proulx a déclaré ce qui suit :

10             Selon mon analyse des questions ici en litige, bien que la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Husky Oil, précitée, au sujet de l'interprétation de l'alinéa 245(2)(a) de la Loi puisse sembler difficile à distinguer des faits de l'espèce, il reste que la question du caractère artificiel d'une opération est complexe et que les arguments n'ont peut-être pas tous été présentés aux tribunaux. En outre, il semble que ladite décision soit la première qui a été rendue sur ce point. Étant donné qu'il s'agit d'une question complexe et d'une décision récente, je ne crois pas qu'il soit prudent pour la Cour de radier le moyen de contestation de l'appel pour le motif qu'il est superflu et constitue un recours abusif à un tribunal.

[153]        Voici certains des motifs de contestation de la deuxième fin de non-recevoir exposés par le procureur de l'intimée aux paragraphes 15 à 18 de ses observations écrites :

15. Les requérantes soulèvent que les actes de procédures dans les dossiers ayant fait l'objet d'un jugement sont identiques [...] aux actes de procédures dans les dossiers des requérantes. Il s'agit en fait du principal motif mis de l'avant par les requérantes. Cependant, l'intimée soutient que la Cour ne peut présumer qu'il y aura identité des preuves et l'intimée ne devrait pas être privée de la chance d'utiliser le processus des interrogatoires préalables de tenter de présenter de la nouvelle preuve.

16. En outre, l'intimée sera en mesure de présenter des arguments qui n'ont pas été présentés à la Cour d'appel. L'intimée pourra présenter des arguments à l'effet que le versement de la subvention par le Ministre des transports ne constituait pas une obligation de sa part. À l'appui de cette prétention, l'intimée pourra faire valoir une récente décision de la Cour d'appel du Québec, Ruel c. Pauline Marois, (rendue après la décision Commission scolaire Des Chênes) une décision établissant qu'une subvention constitue un acte discrétionnaire.

                                Paul Ruel et al. c. Pauline Marois et al.

C.A.Q. 500-09-006303-986, 30 octobre 2001, par. 64 (C.A.Q.)

17.            L'intimée peut déjà indiquer à la Cour qu'elle sera en mesure de présenter une preuve à l'effet qu'un certain nombres [sic] des requérantes constituaient des organismes de bienfaisance enregistrées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.

18.            Ainsi, ces organismes sont des « institutions publiques » au sens de l'article 123 de la Loi et leur fourniture de transport scolaire est exonérée aux termes de l'article 2, partie VI de l'annexe V de celle-ci. Or, dans Commission scolaire Des Chênes, la Cour n'avait qu'à déterminer si la fourniture en question était exonérée en vertu de l'article 5, partie III de l'annexe V de la Loi.

[154]        Deux des douze requérantes, soit la Commission scolaire Chomedey de Laval et la Commission scolaire de Rouyn-Noranda, étaient peut-être des organismes de bienfaisance enregistrés durant la période en litige pertinente. Selon le procureur de l'intimée, de tels organismes constituent des « institution[s] publique[s] » au sens de l'article 123 de la Loi et la fourniture par eux de transport scolaire est exonérée selon l'annexe V, partie VI, article 2 de la LTA. Or, si tel était le cas, ces commissions scolaires n'auraient pas droit aux CTI puisque leurs intrants (le service de transport fourni par les transporteurs) n'auraient pas été obtenus pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de leurs activités commerciales. Comme on l'a vu, les activités d'une entreprise qui comportent la réalisation de fournitures exonérées ne constituent pas des activités commerciales[89].

[155]        La seule raison, telle qu'il l'a expliquée, pour laquelle leur procureur n'a pas accepté de retirer sa requête en radiation pour ces deux requérantes, c'est qu'elles bénéficiaient, selon lui, de l'autorité de la chose jugée de leur décision 2001. Comme ce moyen a été rejeté, je suis persuadé que leur procureur aurait également accepté de retirer la requête de ces requérantes. Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il n'y a pas lieu de radier la réponse de l'intimée à l'avis d'appel des deux requérantes en question, compte tenu du nouveau moyen de défense évoqué au paragraphe précédent. Une modification de ces réponses pourrait certainement révéler un motif valable de contestation.

[156]        Quant aux requêtes de toutes les requérantes, je suis d'accord avec le procureur de l'intimée que la décision de la Cour d'appel du Québec dans Marois, rendue le 30 octobre 2001, soit quelques jours après la décision 2001 de la Cour d'appel fédérale du 17 octobre 2001, soulève des questions de droit sérieuses qui méritent d'être considérées dans les appels des requérantes.

[157]        En particulier, l'intimée pourrait se fonder sur l'analyse approfondie, faite dans la décision Marois, du fondement, de la nature et des conditions d'application des règles budgétaires adoptées au Québec par le gouvernement du Québec. Dans cette analyse, la Cour d'appel du Québec se réfère à des textes de doctrine et à des décisions jurisprudentielles qui ne semblent pas avoir été considérés par la Cour d'appel fédéral; en tout cas, celle-ci n'y fait pas référence. Voici un passage tiré de la décision Marois qui mérite un examen sérieux :

64. Ces règles budgétaires établissent un rapport juridique, État-université de nature contractuelle par lequel l'État donne les sommes d'argent aux universités. Celles-ci ont préalablement accepté les conditions fixées par la ministre avant le versement de la subvention. La relation juridique repose avant tout sur ce rapport juridique particulier et non sur une disposition législative octroyant au ministre ou à l'État un pouvoir de gérance quelconque. Les auteurs Andrée Lajoie et Michelle Gamache ont particulièrement bien cerné la nature de cette relation juridique :

"On peut donc qualifier les subventions d'acte administratif bilatéral discrétionnaire, c'est-à-dire de contrat administratif de donation, par lequel le ministre s'engage à verser une somme que les universités acceptent, expressément ou en posant des actes impliquant cette acceptation. Il y a donc, entre des parties expressément habilitées par la loi, un véritable accord de volontés, portant sur un objet légal, soit letransfert d'une somme et cela pour une considération conforme à l'ordre public. S'agissant d'une donation, régie ici par le droit civil sauf dérogation statutaire, la considération réside tout simplement dans l'intention de libéralité.

( )

Ce n'est pas dire que les universités récipiendaires des subventions ne se voient imposer aucune obligation. Mais celles auxquelles elles sont soumises, notamment quant à la limitation des frais de scolarité et à l'obligation de gérer conformément à certaines normes et de rendre compte, ne portent pas sur un objet à prester, ne sont pas stipulées dans l'intérêt du ministre contractant et se présentent non pas comme des obligations de réciprocité mais comme des conditions préalables à la formation du lien constitutif de la donation.

( )

Les conséquences de cette qualification des subventions de fonctionnement comme des contrats de donations sont de rendre le ministre débiteur de la somme attribuée dès que l'université l'a acceptée. Ainsi, le ministre ne pourrait plus, en cours d'exercice financier, modifier unilatéralement les règles budgétaires applicables à cet exercice et refuser ou diminuer les versements annoncés.

65. La sanction d'une dérogation par l'université aux conditions d'octroi qu'elle a acceptées trouve sa source dans ce même rapport « contractuel » .

[158]        Bien évidemment, je n'ai pas à décider si une telle analyse est bien fondée ou si elle serait accueillie favorablement par cette Cour ou la Cour d'appel fédérale. Tout ce que j'ai à décider est si les réponses de l'intimée aux avis d'appel ne révèlent aucun moyen raisonnable de contestation. Or, une telle conclusion n'est pas possible ici. Pour reprendre la formule de ma collègue la juge Lamarre Proulx dans Glenmaroon Holdings (précitée), « je ne crois pas qu'il soit prudent pour la Cour » de radier la réponse de l'intimée à l'avis d'appel dans chacun des dossiers des requérantes, et ce, même si les requérantes se trouvent dans une course contre la montre du fait que le ministre des Finances désire que le Parlement canadien modifie rétroactivement la LTA.

[159]        Pour tous ces motifs, la requête de chacune des requérantes est rejetée. La Cour confirme par les présentes l'ordonnance rendue oralement qui accordait à l'intimée trois semaines pour produire des réponses modifiées à l'avis d'appel dans les dossiers des huit requérantes. L'intimée a droit à ses dépens, calculés comme s'il n'y avait eu qu'une seule requête.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'avril 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :                       1999-1464(GST)G; 1999-4451(GST)G;

                                                                                                                1999-4488(GST)G; 1999-4489(GST)G;

                                                                                                                1999-4490(GST)G; 1999-4516(GST)G;

                                                                                                                1999-5092(GST)G; 1999-5093(GST)G;

                                                                                                                1999-5094(GST)G; 1999-5095(GST)G;

                                                                                                                2000-211(GST)G; 2000-315(GST)G;

                                                                                                                2000-916(GST)G; 2000-1468(GST)G;

                                                                                                                2000-1471(GST)G; 2000-1467(GST)G;

                                                                                                                2000-3482(GST)G; 2000-3483(GST)G;

                                                                                                                2000-3613(GST)G; 2000-3623(GST)G;

                                                                                                                2000-4551(GST)G; 2000-4842(GST)G;

                                                                                                                2001-1096(GST)G; 2001-1152(GST)G;

                                                                                                                2001-1181(GST)G; 2001-1182(GST)G;

                                                                                                                2001-1185(GST)G; 2001-1184(GST)G;

                                                                                                                2001-1196(GST)G.

INTITULÉS DES CAUSES :                               

COMMISSION SCOLAIRE DE VICTORIAVILLE,

COMMISSION SCOLAIRE DE LA RIVIÈRE-DU-NORD,

COMMISSION SCOLAIRE DE ROUYN-NORANDA,

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTS-BOIS-DE-L'OUTAOUAIS,

COMMISSION SCOLAIRE DE L'OR-ET-DES-BOIS,

COMMISSION SCOLAIRE DES CHÊNES,

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,

COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU,

COMMISSION SCOLAIRE DE L'AMIANTE,

COMMISSION SCOLAIRE AU COEUR-DES-VALLÉES,

COMMISSION SCOLAIRE DES LAURENTIDES,

COMMISSION SCOLAIRE DES SOMMETS,

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTES-RIVIÈRES,

COMMISSION SCOLAIRE DE COATICOOK,

COMMISSION SCOLAIRE DES HAUTS-CANTONS,

COMMISSION SCOLAIRE DES BOIS-FRANCS,          

COMMISSION SCOLAIRE DES AFFLUENTS,

COMMISSION SCOLAIRE DE SOREL-TRACY,

COMMISSION SCOLAIRE SIR WILFRID-LAURIER,

COMMISSION SCOLAIRE ENGLISH MONTRÉAL SCHOOL BOARD,

COMMISSION SCOLAIRE DU LAC SAINT-JEAN,

COMMISSION SCOLAIRE PIERRE-NEVEU,

COMMISSION SCOLAIRE DU VAL-DES-CERFS,

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,

COMMISSION SCOLAIRE DU GOÉLAND,

COMMISSION SCOLAIRE CHOMEDEY DE LAVAL,

COMMISSION SCOLAIRE DES PATRIOTES,

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    18 janvier 2002

MOTIFS DES ORDONNANCES PAR :             L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DES ORDONNANCES :                           1er mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour les requérantes :                                           Me Yves St-Cyr

                                                                                                Me Pierre Daviault

Pour l'intimée :                                                       Me Daniel Bourgeois

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les requérantes :

                                Noms :                                     Me Yves St-Cyr

                                                                                                Ogilvy Renaud

                                                                                                Montréal (Québec)

Me Pierre Daviault

                                                                                                Lavery, de Billy

                                                                                                Montréal (Québec)

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada



1      Les paragraphes 58(1) et (2) des Règles disposent comme suit :

58.(1) Une partie peut demander à la Cour,

a) soit de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b) soit de radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation de l'appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande,

a) présentée en vertu de l'alinéa (1)a), sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b) présentée en vertu de l'alinéa (1)b).

[2]      L'article 53 des Règles dispose ainsi :

53. La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l'acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l'instruction équitable de l'appel;

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) constitue un recours abusif à la Cour.

[3]      Lors du dépôt de leur avis d'appel, il y avait douze commissions scolaires. Par la suite, certaines d'entre elles ont été fusionnées, de sorte que ces douze requérantes ne sont en fait que huit.

[4]     Dans ces motifs, j'utiliserai l'expression « chose jugée » en français pour désigner la notion de droit civil que l'on trouve à l'article 1241 du C.c.B.C. ou à l'article 2848 du C.c.Q. et l'expression latine « res judicata » lorsque je ferai référence à la notion de common law. La notion de res judicata regroupe la règle de l'issue estoppel et celle du cause of action estoppel.

[5]     Même si cette décision a été rendue sous le régime de la procédure informelle et qu'elle ne constitue pas un précédent jurisprudentiel (voir l'article 18.28 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2 (LCCI), cela ne signifie pas qu'on ne peut pas s'inspirer d'un raisonnement persuasif qui s'y trouve exposé.

[6]     Léo Ducharme, dans L'administration de la preuve, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2001, donne cette définition de la preuve à la page 1 :

1. - De façon générale, on peut définir la preuve comme l'ensemble des règles qui régissent la démonstration de l'existence d'un fait devant un tribunal. Dans la conception civiliste du droit de la preuve, on distingue deux sortes de règles de preuve : les règles de fond et les règles d'administration. Font partie de la première catégorie les règles relatives à l'objet et à la charge de la preuve, à la nature, à la force probante et à la recevabilité des procédés de preuve. Il s'agit, en d'autres termes, des règles qui conditionnent de façon plus immédiate la reconnaissance judiciaire des droits. Comme un droit n'existe pleinement que dans la mesure où, advenant qu'il soit contesté, son auteur peut en faire la démonstration en justice, il est normal que ces règles prennent place au sein du Code civil à côté des règles qui conditionnent l'existence des droits.

2. - Par opposition aux règles de fond, les règles d'administration régissent la mise en oeuvre, dans une action en justice, des différents procédés de preuve. Comme ces règles sont intimement liées au déroulement de l'instance même, elles trouvent tout naturellement leur place au Code de procédure civile. Notre droit reflète cette conception civiliste du droit de la preuve puisque c'est au Code civil qu'on retrouve principalement les règles de fond et au Code de procédure civile, les règles d'administration de la preuve. L'article 2811 C.c.Q. illustre bien la relation entre ces deux groupes de règles en énonçant que « [l]a preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile » .

                                                                        [Je souligne.]

Certaines des règles qu'on trouve dans le Code de procédure civile (C.p.c.) relèvent davantage du droit substantiel que de celui de la procédure. C'est le cas notamment de celles traitant de l'immunité de la Couronne et du secret professionnel. (Voir Ducharme, op. cit.,page 2.)

[7]     Donald J. Lange exprime la même opinion dans The Doctrine of Res Judicata in Canada, Markham (Ont.), Butterworths, 2000, à la page 9.

[8]     Notons de plus qu'au paragraphe 63 de son ouvrage, le professeur Ducharme rappelle que la Commission de réforme du droit du Canada avait préparé un projet de code fédéral de la preuve qui semble avoir soulevé beaucoup de débats en 1975. Un projet de loi a été présenté au Sénat le 18 novembre 1982. N'ayant pas été adopté avant la dissolution des chambres, ce projet de loi est devenu caduc et aucun nouveau projet n'a été soumis depuis.

[9]     Dans ces motifs, c'est toujours moi qui souligne, à moins d'indication contraire. De plus, toutes les annotations dans les passages cités ont été omises, sauf indication contraire.

[10]    Article 8 depuis la révision de 1985 des lois du Canada : L.R.C. (1985), ch. C-46.

[11]    Voir le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 où il est écrit que le Canada désirait une « constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni » .

[12]    L.Q. 1996, ch. 54; L.R.Q. ch. J-3. Cette loi crée le Tribunal administratif du Québec (TAQ).

[13]    Cependant, selon deux décisions de la Cour supérieure du Québec, il semble que l'autorité de la chose jugée appliquée en droit administratif ne serait pas absolue. Voir De Repentigny c. CALP, [1997] C.A.L.P. 1843 et Whitehead c. CALP, [1998] C.A.L.P. 465. Dans la première décision, le juge Lesage adoptait le même principe que celui suivi par le juge Lesyk dans Whitehead. Il écrit, à la page 1846 :

[...] Il ne peut y avoir chose jugée, ne serait-ce que parce que l'objet de la réclamation est différent. Au surplus, la chose jugée en droit administratif n'est pas une présomption irréfutable*.

* Douglas C. Stanley. « Res Judicata in Administrative Law » , (1983) 32 R.D.U.N.-B. 221, 223.

On peut considérer que ces affirmations constituent des obiter dans ces deux décisions puisqu'il n'y avait pas chose jugée : dans De Repentigny, parce qu'il n'y avait pas identité d'objet, et dans Whitehead, parce qu'il ne s'agissait pas d'un jugement définitif. De plus, le juge Lesage invoque une décision de common law pour appliquer la règle de la chose jugée du Code civil du Québec. En common law, comme on le verra, la res judicata n'est pas une règle codifiée et il n'y a pas de règle législative créant une présomption absolue comme celle de l'article 2848 C.c.Q.

Finalement, il pourrait être opportun de nuancer cette position selon laquelle la règle de la chose jugée s'applique devant les tribunaux administratifs. De façon particulière, s'il s'agit d'un tribunal administratif qui n'est pas lié par les règles ordinaires de la preuve, on pourrait conclure qu'il n'est pas tenu de recevoir la preuve par présomption qu'est la présomption de la chose jugée énoncée à l'article 2848 C.c.Q. En d'autres mots, si un tribunal n'est pas lié par les règles de preuve en vertu d'une disposition législative spécifique, pourquoi ce tribunal devrait-il appliquer la règle de preuve de l'article 2848 C.c.Q.? Par contre, l'autorité de la chose jugée de façon définitive par un tribunal administratif pourrait être reconnue par une cour de justice qui, elle, est tenue d'appliquer les règles ordinaires de la preuve. Aux fins de comparaison, voir l'arrêt Ainsley c. Canada, [1997] A.C.F. no 701 (Q.L.), numéro du greffe A-610-96, discuté plus bas à la note 18.

[14]    Voir Ducharme, Précis de la preuve, précité, p. 13, no 48 et Royer, op. cit., pages 41 et 42, no 81.

[15]    Pour une décision récente, rendue après l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec, voir Gurberg (Succession de) c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2001 CarswellQue 1106, 2001 R.J.Q. 1393, 2001 DTC 5606. En droit fiscal fédéral, voir notamment la décision du juge Dussault de cette Cour dans Alameda Holdings Inc. c. Canada, [1999] A.C.I. no 839 (Q.L.), 2000 DTC 1544. Le passage pertinent est reproduit au paragraphe [69] de ces motifs. Voir aussi la décision du juge Nadon, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, qui a adopté la même interprétation dans Lafarge Canada Inc. c. Canada, [2001] A.C.F. no 372 (Q.L.). Finalement, il y a aussi la décision du juge Babin de la Cour supérieure du Québec dans Canada (Procureure générale) c. Têtu, 2001 CarswellQue 444, 2001 R.J.Q. 469.

[16]    Il faut noter que les appels en matière fiscale provinciale sont entendus par la Cour du Québec, qui est une cour de justice, et non pas par le TAQ.

[17]    Quant au législateur québécois, il l'a fait en adoptant les règles de preuve de la common law en droit pénal à l'article 61 du Code de procédure pénale.

[18] Ce paragraphe est ainsi conçu :

18.15(4) Par dérogation à la loi habilitante, la Cour n'est pas liée par les règles de preuve lors de l'audition d'un appel interjeté en vertu de cette loi et visé à l'article 18; ces appels sont entendus d'une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent.

Comme la règle de la chose jugée constitue une règle de preuve, cette Cour ne serait donc pas tenue d'appliquer la règle de la chose jugée. Dans l'affaire Ainsley (précitée), la Cour d'appel fédérale entendait un appel d'une décision rendue par un juge suppléant de cette Cour, qui avait décrété qu'une lettre ne pouvait être admise en preuve sans que son auteur soit présent comme témoin. De toute évidence, ce juge suppléant appliquait la règle habituelle du ouï-dire. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a conclu ce qui suit, au paragraphe 6 : « À notre avis, étant donné que la procédure menée en première instance a eu lieu de manière informelle, il n'était pas nécessaire de faire comparaître l'auteur de la lettre pour que cette dernière soit admise en preuve. » Il pourrait donc être inapproprié d'appliquer la présomption irréfragable de la chose jugée dans les appels entendus sous le régime de la procédure informelle.

[19]    Il n'existe toutefois pas une telle limite pour un appel interjeté en vertu de la LTA.

[20]    Voir The Queen v. Farmer Construction Ltd., 83 DTC 5272 (C.A.F.), pour une illustration de ce principe.

[21]    Les règles de preuve que l'on retrouve dans la LPC et les Règles sont généralement des règles relatives à l'administration de la preuve et elles sont semblables à celles du Code de procédure civile du Québec qui, selon le professeur Royer op. cit., ont pour origine la common law.

[22]    Voir notamment Garant op. cit., vol. 1, p. 176.

[23]    À cet égard, voir la décision du juge en chef Christie dans l'affaire Andrew Paving & Engineering v. M.N.R., 84 DTC 1157. Dans la codification administrative du ministère de la Justice, on trouve comme annotation à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, (il s'agit d'une note établie à l'origine par le regretté E.A. Driedger, c.r.) la liste suivante des lois ayant constitué des tribunaux : Loi sur la Cour suprême du Canada, Loi sur la Cour fédérale et Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

[24]    Article 3 LCCI. Bientôt elle sera constituée en cour supérieure d'archives en vertu de l'article 60 de la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, (LSATJ) L.C. 2002, ch. 8 (sanction royale le 27 mars 2002).

[25]    Article 13 LCCI. Comme les juges de la Cour seront des juges d'une cour supérieure, cette disposition est remplacée dans la LSATJ, article 67, par une autre qui donne compétence à la Cour pour connaître de tout outrage commis au cours de ses audiences ou en dehors de celles-ci.

[26]    Cela ne signifie toutefois pas que toutes ces conditions doivent être réunies pour que l'on puisse conclure qu'une procédure est exercée au Québec. Voilà une question que je n'ai pas à trancher ici. Je ne fais que constater qu'il est certain que l'appel de la Commission scolaire est exercé au Québec.

[27]    J'ai fait ce long exposé sur cette question pour plusieurs raisons. D'abord, il était nécessaire pour déterminer laquelle de la chose jugée ou de la res judicata devait s'appliquer. De plus, peu d'attention a été accordée à cette question, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence fiscale. Comme on l'a vu, beaucoup a été écrit sur l'autonomie de la preuve devant les tribunaux administratifs, mais presque rien sur le régime de la preuve devant les cours de justice qui entendent des recours en matière de droit administratif.

En outre, une certaine ambivalence règne en cette Cour quant au choix du régime général de la preuve dans les appels entendus au Québec. Les avocats et les juges sont portés à utiliser dans ces appels des règles de preuve et l'interprétation de celles-ci qui ont été élaborées par la common law. Pour une illustration, voir la décision que j'ai rendue dans Mercille v. The Queen, 2000 DTC 1915 (version française : 2000 CarswellNat 3621, [1999] A.C.I. no 941 (Q.L.)), paragraphes 13 à 18. Cette situation s'explique facilement : la jurisprudence fiscale en matière de preuve de cette Cour et des autres cours fédérales est plus facilement disponible dans les recueils de jurisprudence fiscale que la jurisprudence fiscale des tribunaux du Québec.

En outre, il y a une tendance à vouloir adopter une interprétation dite « nationale » de manière à ce que la Loi soit appliquée de la même façon partout au Canada. À mon avis, cette approche ne convient pas lorsqu'il s'agit d'interpréter des notions ou des règles spécifiques du droit civil du Québec. Il faut respecter la spécificité du régime juridique québécois et cela, encore plus, lorsque c'est l'article 40 LPC qui nous y engage.

[28]    À l'appui de cette conclusion, elle cite, au paragraphe 36 de sa décision, Lange, op. cit., qui affirme à la page 34 que les règles de l' « issue estoppel » et de la chose jugée sont « interchangeables » .

[29]    Laferrière v. Gariépy (1920), 62 R.C.S. 557.

[30]    Dans Ruel c. Thomas, [1982] C.A. 357, le juge Mayrand affirme qu'il peut y avoir dérogation lorsqu'il y a incompatibilité entre deux règles d'ordre public : soit dans cette affaire-là, celle du droit à une pension alimentaire et l'autorité de la chose jugée. On ne devrait pas accorder l'autorité de la chose jugée à une décision allant à l'encontre de l'ordre public qui donnait effet à une renonciation à une pension alimentaire en contrepartie d'une somme forfaitaire. On pourrait soutenir que ces propos du juge Mayrand constituent un obiter puisqu'il a aussi souligné que la cause n'était pas la même dans les deux procédures, l'une étant régie par les dispositions du Code civil en matière de séparation de corps et l'autre par la Loi sur le divorce. De plus, il a indiqué que le jugement de séparation comportait une restriction implicite, à savoir que la renonciation n'était valide que pour autant qu'il n'y aurait pas de changement important dans la situation de la bénéficiaire des aliments. Autrement dit, il ne peut y avoir autorité de la chose jugée lorsqu'il est de l'essence d'un jugement qu'il n'a d'effet que pour un temps. Voir aussi la note 13 plus haut.

[31]    Pour illustrer le premier point de vue, il y a ces propos du juge Laskin de la Cour suprême du Canada dans Angle (précité), à la page 268, cités en anglais par D. Lange, op. cit., à la page 31 : « Je ne vois aucune raison d'introduire des anomalies ou des exceptions à son application générale si les faits permettent de l'invoquer. » Et Lange d'affirmer : « In other words, if the three criteria or requirements of issue estoppel are met, issue estoppel should apply to the facts of the case. » Pour illustrer le deuxième courant de pensée, Lange écrit, à la page 32 :

In Minott v. O'Shanter Development Co., the Ontario Court of Appeal also held that, even if the requirements of issue estoppel are met, the court may exercise its discretion and refuse to apply it "when to do so would cause unfairness or work an injustice." Emphasis was placed on the exception of special circumstances as illustrative of this exercise of discretion. Laskin J.A., for the court, stated:

Issue estoppel is a rule of public policy and, as a rule of public policy, it seeks to balance the public interest in the finality of litigation with the private interest in achieving justice between litigants. Sometimes these two interests will be in conflict, or at least there will be tension between them. Judicial discretion is required to achieve practical justice without undermining the principles on which issue estoppel is founded. Issue estoppel should be applied flexibly where an unyielding application of it would be unfair to a party who is precluded from relitigating an issue.

[32]    Voir en particulier le passage tiré d'Angle cité au paragraphe [61].

[33]    Voir Minott v. O'Shanter Development Co., 42 O.R. (3d) 321, [1999] O.J. No. 5 (à la p. 8 de la copie imprimée de Quick Law). Voir aussi la citation tirée de Hoysted reproduite plus haut au paragraphe [61].

[34]    Ce fait pourrait constituer, il me semble, le « fait juridique » synonyme de « cause » dans l'application de la règle de la chose jugée. Voir la discussion plus loin sur la notion de cause.

[35]    Cité par le juge Beetz dans l'arrêt Soucisse (précité), à la page 361.

[36]    Il a adopté la même approche dans l'arrêt Rawleigh Co. v. Alex. Dumoulin, [1926] R.C.S. 551.

[37]    Les juges Tellier et Frappier de la Cour supérieure du Québec adoptent une approche similaire dans les décisions Québec (Procureur général) c. Tribunal d'arbitrage de la fonction publique, [1998] R.J.Q. 2771 - voir notamment les paragraphes 8 et 9 - et Gaz Métropolitain inc. c. Bacon America inc., [2001] J.Q. no 6154 (Q.L.)

[38]    Il était beaucoup plus difficile de rejeter l'estoppel by representation puisqu'il semble qu'en droit civil cette fin de non-recevoir n'avait pas la même ampleur. Il s'agissait d'appliquer cette fin de non-recevoir dans un cas où le droit civil n'offrait pas de règle spécifique.

[39]    Il n'est pas tout à fait vrai qu'il n'y a pas de problème quant à cette condition. Voir mes commentaires au paragraphe [137] ci-dessous.

[40]    J'utiliserai l'expression « objet immédiat » pour désigner cet objet. Comme on le verra dans le paragraphe qui suit, cet objet peut être « matériel » ou « abstrait » .

[41]    J'utiliserai l'expression « objet inhérent » pour désigner cette notion.

[42]    Royer, op. cit., p. 502, no 835.

[43]    Voici un court résumé des faits pertinents. Ils sont relativement complexes, mais essentiellement, Langevin avait vendu son épicerie à Pesant et ce dernier s'était engagé à prendre en charge certaines dettes de Langevin. N'ayant pas été payés par Langevin, trois des créanciers de ce dernier, Lion, Bastien et Raymond, ont obtenu jugement pour le paiement de leurs créances. Face à ces trois demandes, Langevin avait appelé Pesant en garantie. Les trois causes avaient été réunies pour les fins de l'audition. La Cour supérieure donna raison aux trois créanciers contre Langevin et à Langevin dans ses recours en garantie contre Pesant. Pesant porta en appel deux des décisions sur les actions en garantie, soit les décisions concernant la dette envers Bastien et celle envers Raymond. Langevin invoqua alors comme fin de non-recevoir l'autorité de la chose jugée. En effet, puisque Pesant n'était pas allé en appel dans l'action relative à la créance de Lion, il y avait un jugement définitif dans cette action. L'autorité de la chose jugée de la décision concernant Lion devait en conséquence s'appliquer dans les deux autres affaires portées en appel devant la Cour d'appel, soit dans les appels concernant les créances de Bastien et de Raymond, ce sur quoi la Cour d'appel donna raison à Langevin.

[44]    Il s'agit de l'objet inhérent.

[45]    Comme l'objet immédiat matériel dans la décision concernant Lion n'était pas le même que celui dans les deux autres causes (celles de Bastien et de Raymond), il ne pouvait pas y avoir identité d'objet. Par contre, l'objet abstrait ou l'objet inhérent, selon l'analyse du juge Rivard était le même dans les trois affaires.

[46]    Il est utile de rappeler brièvement les faits de cette affaire pour bien comprendre le contexte dans lequel l'application des conditions relatives à l'identité a été faite. L'appelant, un notaire, était poursuivi en responsabilité professionnelle relativement à un avis juridique donné aux intimés. Ces derniers avaient refusé de donner suite à une offre d'achat d'un immeuble parce que le notaire, qui devait dresser l'acte de vente, avait conclu à un vice de titre en examinant la chaîne des titres de propriété. Le vendeur de l'immeuble avait acquis son titre de son épouse qui, elle, l'avait acquis d'une caisse populaire. La caisse populaire avait obtenu le titre de propriété par suite d'un jugement par défaut de la Cour supérieure lui accordant la propriété de l'immeuble consécutivement à l'exercice d'une clause de dation en paiement. Le prêt hypothécaire assorti de cette clause de dation en paiement avait été consenti par la caisse populaire à un certain Paul Leclerc (P.L.) et la caisse avait fait enregistrer l'acte de prêt sur l'immeuble. Or, P.L. n'était pas le propriétaire de l'immeuble, l'immeuble étant plutôt enregistré au nom de P.L. Inc.

P.L. et P.L. Inc. ont fait cession de leurs biens et la même personne a été nommé syndic des biens des deux faillis. À la suite du défaut de P.L. d'honorer son prêt, la caisse a engagé des procédures contre le syndic, procédures qui ont été signifiées à la fois au syndic de la faillite de P.L., à P.L. personnellement et à P.L. Inc. Aucun des défendeurs n'ayant comparu à l'action, la caisse a obtenu un jugement par défaut lui accordant la propriété de l'immeuble.

Ayant été poursuivi en dommages-intérêts par le vendeur pour rupture de contrat, les intimés ont exercé un recours en garantie contre l'appelant, le notaire, alléguant que c'était sur son conseil qu'ils avaient refusé de se porter acquéreurs de l'immeuble.

La Cour supérieure a conclu à une erreur professionnelle du notaire et l'a condamné à des dommages-intérêts. La Cour suprême du Canada a confirmé cette décision de la Cour supérieure en affirmant que le notaire avait commis, dans son examen des titres, une faute professionnelle en concluant à un vice de titre et en ne tenant pas compte de l'autorité de la chose jugée du jugement obtenu par la caisse populaire. Ce jugement avait transféré à la caisse un titre de propriété valide malgré l'existence d'un vice dans la constitution de l'hypothèque. Le vendeur, comme successeur dans les droits de la caisse, devait être considéré comme une des parties visées par ce jugement. Mentionnons de plus qu'il est implicite qu'il y aurait eu identité de parties dans une poursuite éventuelle contre les intimés par P.L. Inc. parce que, si les intimés étaient devenus les propriétaires de l'immeuble, eux aussi auraient été les ayants-droit de la caisse populaire.

[47]    J'utiliserai l'expression « faits bruts » pour me référer à cette notion.

[48]    J'utiliserai l'expression « règle de droit » pour me référer à cette notion précise.

[49]    J'utiliserai l'expression « fait juridique générateur de droit » ou « fait juridique à la lumière d'une règle de droit » comme synonyme de cette notion de la cause.

[50]    Il s'agit des faits bruts.

[51]    Il s'agit de la conception étroite ou restreinte.

[52]    Il s'agit de la conception large.

[53]    Royer, op. cit., p. 502, no 834.

[54]    Soit la notion restreinte de la cause.

[55]    Selon l'approche de la juge L'Heureux-Dubé, ce serait l'inexécution de cet engagement qui serait la cause « concrète » de l'action.

[56]    Dans Wierbicki v. R., 2000 CarswellNat 502, 2000 DTC 6243, [2000] 2 C.T.C. 517, il s'agissait de l'application de la res judicata dans un appel exercé à l'extérieur du Québec. Dans Modlivco Inc. v. The Queen, [1995] 2 C.T.C. 2880, 95 DTC 692, et Modlivco Inc. v. The Queen, 96 DTC 1516, les appels concernaient une cotisation pour la même année; il ne s'agissait pas, dans le second appel, d'une année subséquente.

[57]    Deux exceptions qui viennent à l'esprit sont la cotisation en vertu des articles 160 et 227.1 de la Loi, mais ces dispositions visent des impôts dus par d'autres personnes relativement à des années d'imposition (dans le cas de l'article 160) ou à des périodes de retenues à la source (pour ce qui est de l'article 227.1).

[58]    Pour un cas réel, voir Construction Bérou Inc. v. The Queen,99 DTC 5841.

[59] Ce sont notamment le paragraphe 13(21) et l'alinéa 20(1)a) de la Loi ainsi que la partie XI du Règlement de l'impôt sur le revenu (Règlement) qui édictent les conditions qui doivent être réunies pour avoir droit à une DPA.

[60]    Il s'agit d'une décision définitive.

[61]    Il faut se rappeler que le problème de la chose jugée ne devrait pas se poser dans le cas de décisions rendues en vertu de la procédure informelle.

[62]    Dans les appels interjetés devant la Cour, l'objet immédiat matériel est rarement présent. Il s'agit généralement d'un objet immédiat abstrait ou d'un objet inhérent (matériel ou abstrait). Comme le montant d'impôt dépend d'une série souvent complexe de calculs préalables à la fixation de ce montant, l'objet d'un litige fiscal porte le plus souvent sur le droit d'une personne de déduire un montant dans le calcul du revenu ou du revenu imposable, ou sur l'obligation d'inclure dans le revenu certains montants. D'où l'existence habituelle d'un objet inhérent.

[63]    Selon la règle de droit fiscal (reconnue dans Minister of National Revenue v. Wardean Drilling Ltd, [1969] 2 Ex. C.R. 166), une personne acquiert un bien i) si le titre de propriété lui est transféré (selon la règle du droit civil) ou ii) si tous les attributs de la propriété sont acquis par le contribuable (même en l'absence du titre de propriété). Il est donc possible d'être considéré comme le propriétaire d'un bien selon la règle fiscale même si, selon la règle de droit civil, on ne l'est pas. Il est possible aussi d'être propriétaire à la fois selon la règle de droit fiscal et selon la règle de droit civil lorsqu'on a acquis le titre de propriété. Il s'agit là d'un cas de dualité de causes parce qu'il y a qualification du fait brut (l'acquisition du camion), auquel on applique deux règles de droit différentes (la règle de droit fiscal et la règle de droit civil). Dans la deuxième hypothèse, l'essence de la qualification juridique des faits est identique sous l'empire de l'une et de l'autre règle : on doit alors conclure à l'identité de cause. (Voir les propos du juge Gonthier dans Rocois cités dans Roberge.) Par contre, dans la première hypothèse, la qualification juridique n'est pas la même et il n'y aurait pas identité de cause.

[64]    Tel qu'il est mentionné dans la note précédente, le juge qui a rendu la décision aurait pu se contenter de conclure que le contribuable avait acquis tous les attributs de la propriété. Toutefois, pour les fins de sa décision, il a choisi la voie du titre de propriété. Ayant suivi cette voie, cette détermination est devenue essentielle à la reconnaissance du droit à la diminution de l'impôt.

[65]    Voir Royer, op. cit., page 463, no 789.

[66]    Je constate que ce traitement fiscal est semblabe à celui dans l'affaire Wierbicki (précitée). Dans cette affaire-là, la Cour d'appel fédérale a confirmé une décision de ma collègue la juge Lamarre Proulx, qui avait conclu à la res judicata relativement à la nature de pertes reportées d'années antérieures (ayant fait l'objet d'une décision du juge Bowman) déduites dans le calcul du revenu imposable d'une année subséquente (celle faisant l'objet de l'appel devant la juge Lamarre Proulx.

[67]    Cette règle (reconnue dans Olympia and York Developments Ltd. c. La Reine, [1981] 1 F.C. 691) est le pendant de la règle de droit fiscal pour l'acquisition. Il y a disposition i) s'il y a transfert du titre de propriété (règle de droit civil) ou ii) si les attributs de la propriété sont cédés.

[68]    Il est utile de rappeler brièvement ici les faits pertinents. Le ministre avait refusé à monsieur Leduc, dans le calcul de son impôt pour 1997, un transfert de crédit d'impôt non utilisé pour déficience physique grave et prolongée à l'égard de sa conjointe. Dans ses motifs, la juge a conclu que la maladie coeliaque dont souffrait madame Leduc entraînait une déficience physique grave et prolongée dont les effets étaient tels que sa capacité de s'alimenter était limitée de façon marquée parce que, même avec des soins thérapeutiques et des médicaments, elle était incapable d'accomplir cette activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif. Compte tenu de son intolérance totale au gluten que l'on retrouve dans la plupart des produits céréaliers, elle devait compenser par des produits de remplacement qui ne se trouvaient pas dans les supermarchés ordinaires. Elle devait aller dans des épiceries plus éloignées, consulter davantage les étiquettes des produits et payer un prix plus élevé pour l'achat de ces produits. À la suite de cette décision, l'intimée a fait une demande de contrôle judiciaire à la Cour d'appel fédérale, mais s'en est désistée peu de temps après.

Quoique la décision lui ait été défavorable pour 1997, le ministre a de nouveau refusé le crédit d'impôt pour déficience physique demandé par monsieur Leduc à l'égard de sa conjointe pour l'année d'imposition 1999. Monsieur Leduc, se retrouvant encore une fois devant la même juge, a invoqué notamment « les principes fondamentaux de la chose jugée et le respect dû au système judiciaire » . La juge a sursis à l'audition de la preuve sur le fond pour permettre aux parties de lui faire part de leurs observations sur la question de la fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de la chose jugée. La juge a appliqué l'autorité de la chose jugée et l' « issue estoppel » pour donner raison à monsieur Leduc.

[69]    L'objet matériel aurait été le montant du crédit d'impôt.

[70]    Même si l'article 118.3 de la Loi n'est pas très clair sur cette question, le contexte est tel qu'il faut conclure que c'est là une condition à remplir pour chaque année.

[71]    Dans Leduc, on laisse entendre que si les faits avaient été différents ou si la Loi avait été modifiée, on n'aurait pas appliqué la fin de non-recevoir. Avec égards pour les tenants de l'opinion contraire, cette approche est incompatible avec le libellé de l'article 2848 C.c.Q. tel qu'il est interprété par la jurisprudence. De plus, je le rappelle, la juge, dans l'appel pour 1997, ne pouvait rien décider pour ce qui est de l'appel relatif à 1999 parce que cette année ne faisait pas l'objet d'un appel devant elle lorsqu'elle a rendu sa décision pour 1997. Si on doit vérifier pour 1999 la présence de nouveaux faits (qui ne peuvent pas être des faits qu'on aurait pu mettre en preuve pour 1997 si on avait été diligent) et vérifier si la règle de droit fiscal n'a pas changé par rapport à 1997, cela constitue le meilleur indice qu'il n'y a pas eu chose jugée. En effet, s'il y avait véritablement autorité de la chose jugée, comme cela est clairement le cas relativement à l'appel pour 1997, il ne serait même pas permis de présenter pour l'appel concernant 1999 une autre preuve de faits (même de faits nouveaux qu'on n'aurait pu présenter auparavant si on avait été diligent) ou d'autres arguments de droit qui, s'ils étaient recevables, pourraient changer la décision ayant l'autorité de la chose jugée.

[72]    Supposons que, pour son appel relatif à 1997, il avait oublié par négligence (il n'avait pas consacré suffisamment de temps à la préparation de son appel) de faire la preuve détaillée du temps requis pour faire le marché. Selon l'approche dans la décision Leduc, dans laquelle a été appliquée la règle de l' « issue estoppel » , il ne pourrait plus le faire.

[73]    Il arrive même à l'occasion que des sociétés (des PME) demandent à être relevées de l'obligation d'être représentées par un avocat.

[74]    Pour les motifs déjà mentionnés, les contribuables n'auraient pas le même problème sous le régime de la procédure informelle puisque la Cour n'est pas alors liée par les règles de preuve.

[75]    Même si, dans les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle), on ne trouve pas de disposition analogue à l'article 58 des Règles, on a reconnu dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 968 et 969, que la Cour a un pouvoir inhérent de contrôler la conduite des procès qu'elle entend et de radier un acte de procédure.

[76]    Les dispositions pertinentes sont les paragraphes 225(1) et (4) :

225(1) Taxe nette - Sous réserve des autres dispositions de la présente sous-section, la taxe nette pour une période de déclaration donnée d'une personne correspond au montant, positif ou négatif, obtenu par la formule suivante :

225(1) Net tax - Subject to this Subdivision, the net tax for a particular reporting period of a person is the positive or negative amount determined by the formula

A - B

A- B

où :

where

A représente le total des montants suivants :

A is the total of

a)les montants devenus percevables et les autres montants perçus par la personne au cours de la période donnée au titre de la taxe prévue à la section II;

(a) all amounts that became collectible and all other amounts collected by the person in the particular reporting period as or on account of tax under Division II, and

b) [...];

(b) [...]

B le total des montants suivants :

B is the total of

a) l'ensemble des montants dont chacun représente un crédit de taxe sur les intrants pour la période donnée ou une période de déclaration antérieure de la personne, que celle-ci a demandé dans la déclaration produite en application de la présente section pour la période donnée;

(a) all amounts each of which is an input tax credit for the particular reporting period or a preceding reporting period of the person claimed by the person in the return under this Division filed by the person for the particular reporting period, and

b)[...]

(b)[...]

(4) Délai - L'inscrit qui demande un crédit de taxe sur les intrants pour sa période de déclaration doit produire une déclaration en application de la présente section dans les quatre ans suivant le jour où il est tenu de produire pour cette période la déclaration prévue par la présente section.

(4) Limitation - An input tax credit of a registrant for a particular reporting period of the registrant shall not be claimed by the registrant unless it is claimed in a return under this Division filed by the registrant on or before the day that is four years after the day on or before which the return under this Division for the particular reporting period of the registrant is required to be filed.

[77]    Bien évidemment, mon analyse concernant la Commission scolaire vaut pour le reste des douze requérantes.

[78]    Ce montant tenait compte d'un montant que la Commission scolaire avait déjà reçu à titre de remboursement partiel de la TPS en vertu du paragraphe 259(3) LTA.

[79]    Même observation qu'à la note précédente.

[80]    En vertu du paragraphe 225(4) LTA, la Commission scolaire avait 4 ans pour demander ces CTI.

[81]    Selon le système de citation neutre recommandé par le Conseil canadien de la magistrature.

[82]    Voir les paragraphes 18 et 21 de la décision 2001.

[83]    Il en serait de même pour l'objet immédiat matériel.

[84]    Voici le texte de cet article tiré de la décision de la juge Lamarre Proulx dans Commission Scolaire Des Chênes v. The Queen, 2000 GTC 747 :

18. Les parties conviennent également que le montant de remboursement C.T.I. réclamé par l'Appelante ou les 28 autres commissions scolaires ne fait l'objet d'aucune admission, les parties s'étant d'ailleurs entendues pour que le ministre ait la possibilité, avant de se conformer à tout jugement final éventuellement rendu en faveur des Appelantes, de vérifier toutes et chacune des demandes de crédit de taxe sur les intrants afin de valider l'exactitude du montant réclamé, avec diligence et dans un délai raisonnable.

[85]    Voir le paragraphe 169(1), élément « A » , et le paragraphe 225(4) LTA. En théorie, le litige pourrait être rouvert si les parties ne s'entendaient sur ces questions et, dès lors, j'ai de sérieux doutes que la décision 2001 puisse être considérée comme un jugement définitif. Comme l'affirme Ducharme dans Précis de la preuve (précité), à la page 170, no 560, les « jugements définitifs sont ceux qui mettent fin à la contestation » . Or, ici, tel n'est pas le cas. Une des conditions essentielles à l'existence de l'autorité de la chose jugée, soit celle selon laquelle il doit s'agir d'une décision définitive, pourrait ne pas être remplie. Toutefois, comme cette question n'a pas été débattue lors de l'audience, je ne me fonde pas sur ce motif. Je n'ai pas jugé utile de rouvrir le débat sur cette question compte tenu de ma conclusion sur les points débattus par les parties, à savoir ceux concernant les conditions relatives à l'identité. Pour la poursuite de l'analyse, je vais faire comme si la décision 2001 était définitive et qu'elle reconnaissait un droit aux CTI pour la période de CTI 1992-1996.

[86]    Voir le paragraphe 21 de la décision 2001 pour la reproduction de ces dispositions législatives.

[87]    Expression tirée de l'alinéa b) de la définition d'acquéreur.

[88]    Même si les articles 184 et 165(4) C.p.c. avaient été applicables, il est fort probable que les principes de la décision Hunt auraient également été applicables puisque, comme l'affirme Royer (op.cit.), la plupart des règles de procédure du Code de procédure civile du Québec tirent leur origine de la common law. Voir le paragraphe [11] plus haut.

[89]    À mon avis, cette conclusion illustre bien qu'il faut adopter une interprétation étroite des notions d'objet et de cause pour les fins de l'application d'une loi fiscale. Comme on le voit, la décision 2001 n'a pas porté sur cette question. Le statut d'organisme de bienfaisance enregistré n'avait fait l'objet d'aucun débat. S'il fallait adopter une interprétation large des notions d'objet et de cause dans le cadre des lois fiscales, cela signifierait ici que le ministre ne pourrait pas débattre d'une question pour une année subséquente qui n'a fait l'objet d'aucune décision par la Cour d'appel fédérale. De plus, il faut rappeler que l'article 2848 C.c.Q. édicte que l'autorité de la chose jugée « n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement » . Ici, cette interprétation tourne à l'avantage de l'intimée mais, dans d'autres circonstances, elle pourrait tout aussi bien jouer en faveur d'un contribuable.

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