Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-88(EI)

2000-89(CPP)

ENTRE :

EUGENE MARCOUX,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus avec les appels de Roumen Milev (2000-92(EI), 2000-93(CPP)), de Mukesh Mirchandani (2000-60(EI), 2000-61(CPP)) et de Hussam Bawa

(2000-116(EI), 2000-115(CPP)) les 28 et 29 août 2001 par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me Douglas C. Hodson

                                                Me Crystal Taylor

Avocate de l'intimé :                   Me Elaine Lee

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada soient rejetés et que les décisions soient confirmées.


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-92(EI)

2000-93(CPP)

ENTRE :

ROUMEN MILEV,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus avec les appels d'Eugene Marcoux (2000-88(EI), 2000-89(CPP)), de Mukesh Mirchandani (2000-60(EI), 2000-61(CPP)) et de Hussam Bawa

(2000-116(EI), 2000-115(CPP)) les 28 et 29 août 2001 par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me Douglas C. Hodson

                                                Me Crystal Taylor

Avocate de l'intimé :                   Me Elaine Lee

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada soient rejetés et que les décisions soient confirmées.


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-60(EI)

2000-61(CPP)

ENTRE :

MUKESH MIRCHANDANI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus avec les appels de Roumen Milev (2000-92(EI), 2000-93(CPP)), d'Eugene Marcoux (2000-88(EI), 2000-89(CPP)) et de Hussam Bawa

(2000-116(EI), 2000-115(CPP)) les 28 et 29 août 2001 par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me Douglas C. Hodson

                                                Me Crystal Taylor

Avocate de l'intimé :                   Me Elaine Lee

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada soient rejetés et que les décisions soient confirmées.


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-116(EI)

2000-115(CPP)

ENTRE :

HUSSAM BAWA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus avec les appels de Roumen Milev (2000-92(EI), 2000-93(CPP)), de Mukesh Mirchandani (2000-60(EI), 2000-61(CPP)) et d'Eugene Marcoux

(2000-88(EI), 2000-89(CPP)) les 28 et 29 août 2001 par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me Douglas C. Hodson

                                                Me Crystal Taylor

Avocate de l'intimé :                   Me Elaine Lee

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada soient rejetés et que les décisions soient confirmées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011116

Dossiers: 2000-88(EI), 2000-89(CPP), 2000-92(EI),

2000-93(CPP), 2000-60(EI), 2000-61(CPP),

2000-116(EI), 2000-115(CPP)

ENTRE :

EUGENE MARCOUX, ROUMEN MILEV,

MUKESH MIRCHANDANI, HUSSAM BAWA,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Les présents appels sont interjetés à l'encontre de décisions du ministre du Revenu national selon lesquelles l'emploi que les appelants, qui sont tous psychiatres, exerçaient pour quatre différentes commissions de santé de district de la Saskatchewan (les « CSDS » ) était un emploi assurable et ouvrant droit à pension aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada. Les appels des quatre appelants avaient été entendus par le juge Beaubier, de notre cour. Après avoir entendu la preuve et différé le jugement, le juge Beaubier avait conclu que les décisions du ministre étaient fondées et il avait rejeté les appels.

[2]      Les appelants en ont appelé devant la Cour d'appel fédérale. Dans un bref jugement rendu oralement à l'audience, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel, a infirmé la décision du juge Beaubier et a renvoyé l'affaire à la Cour canadienne de l'impôt pour réexamen par un juge différent. S'exprimant pour l'ensemble de la Cour, le juge d'appel Desjardins a déclaré que l'affaire était renvoyée pour réexamen :

par un juge différent compte tenu du dossier, tel qu'il est constitué, et des autres éléments de preuve que les parties auront soumis.

[3]      Vu leur brièveté, les motifs du jugement de la Cour d'appel fédérale sont reproduits intégralement :

[1]         Nous estimons que la demande de contrôle judiciaire de la décision que le juge Beaubier, de la Cour canadienne de l'impôt, a rendue doit être accueillie.

[2]         Nous constatons qu'aux pages 15 et 16 de ses motifs, le juge Beaubier a cité un passage tiré de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national (87 D.T.C. 5025, à la page 5027), à savoir une remarque que le juge de la Cour de l'impôt avait faite au sujet du critère de l'intégration, laquelle avait par la suite été rejetée par le juge MacGuigan, au nom de la Cour d'appel fédérale.

[3]         Nous ne sommes donc pas convaincus que le juge Beaubier n'ait pas commis une erreur de droit. C'est ce qui ressort clairement de la page 16 de ses motifs, lorsqu'il a dit ce qui suit :

[...] Sans les psychiatres, les cliniques de district ne pouvaient offrir de services psychiatriques dans leurs locaux.

[4]         Ce point de vue est renforcé par la mention que le juge a faite, au paragraphe 8 de sa décision, au sujet de l'examen objectif de la situation par un patient ou un membre de la collectivité comme moyen de déterminer la nature juridique de la relation existant entre les psychiatres et la Commission à laquelle ces derniers fournissaient leurs services. Cette considération n'est pas pertinente et nous ne sommes pas certains que la chose n'ait pas influé sur la décision du juge.

[5]         Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens, la décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour réexamen par un juge différent compte tenu du dossier, tel qu'il est constitué, et des autres éléments de preuve que les parties auront soumis.

[4]      Une première question se pose quant à la manière dont je dois exécuter les instructions de la Cour d'appel fédérale. Tout d'abord, qu'est-ce que c'est que le « dossier, tel qu'il est constitué » (soit, en anglais, « the record as constituted » )? Le mot anglais « record » a diverses significations selon le contexte dans lequel il est utilisé. En voici une définition, qui figure avec un certaine fréquence dans des causes américaines citées dans Words and Phrases (West Publishing Co.) :

[TRADUCTION]

Dans une procédure judiciaire, le dossier constitue un exposé précis de l'affaire, depuis son commencement jusqu'à sa fin, qui inclut la conclusion de droit y afférente et qui est établi par l'officier compétent pour que les faits exacts soient consignés.

[5]      Dans l'affaire Rex v. Northumberland Compensation Appeal Tribunal, Ex parte Shaw, [1952] 1 K.B. 338, lord Denning disait, à la p. 352 :

[TRADUCTION]

Donc, qu'est-ce que c'est que le dossier? Il a été dit que le dossier s'entend de tous les documents que le tribunal conserve comme comptes rendus et témoignages permanents des causes dont il a été saisi : voir Blackstone's Commentaries, vol. III, à la p. 24. Mais il est à noter que, chaque fois que se posait une question quant à savoir ce qui devait ou non être inclus dans le dossier d'un tribunal, la Cour du Banc du Roi déterminait ce qu'il en était. Elle procédait comme suit : lorsque le tribunal lui envoyait son dossier en réponse au bref de certiorari, ce dossier était examiné et, s'il était défectueux ou incomplet, il était annulé (voir l'affaire Apsley, l'affaire Rex v. Levermore et l'affaire Ashley) ou le tribunal pouvait se voir ordonner de compléter le dossier (voir l'affaire Williams v. Bagot et l'affaire Rex v. Warnford). Il semble que la Cour du Banc du Roi insistait toujours sur le fait que le dossier devait contenir ou exposer le document ou l'information ayant donné lieu à l'introduction de l'instance - et ayant de la sorte conféré au tribunal sa juridiction - et le document faisant état de la décision du tribunal. Ainsi, anciennement, le dossier envoyé par les juges devait, dans le cas d'une condamnation, exposer l'information d'une manière précise; en outre, lorsqu'il s'agissait d'une ordonnance rendue en appel par les assises trimestrielles (quarter sessions), le dossier devait énoncer l'ordonnance portée en appel : voir Anon. Le dossier devait également énoncer la décision, mais jamais il n'était nécessaire que le dossier énonce les motifs - voir l'affaire South Cadbury (Inhabitants) v. Braddon, Somerset (Inhabitants) - et la preuve, sauf dans le cas de condamnations. Par suite de ces causes, je pense que le dossier doit contenir au moins le document introductif d'instance, les autres actes de procédure, s'il y en a, et la décision, mais pas la preuve, ni les motifs, à moins que le tribunal choisisse de les inclure. Si le tribunal y énonce bel et bien ses motifs et que ceux-ci sont erronés en droit, le bref de certiorari donne lieu à l'annulation de la décision.

[6]      Tel semble avoir été le point de vue adopté par lord Denning dans l'affaire Baldwin & Francis v. Patents Tribunal, [1959] 2 All E.R. 433, à la page 445.

[7]      Lord Denning traitait évidemment d'un bref de certiorari donnant lieu à une annulation pour cause d'erreur constatée à la lecture du dossier. Il semblerait inconcevable qu'une erreur constatée à la lecture du dossier ait pu être déterminée sans que l'on ait vu l'ordonnance et les motifs du tribunal. C'est dans ces documents que l'erreur aurait très probablement été découverte.

[8]      Le lord juge Griffiths, de la division du Banc de la Reine, a traité dans une certaine mesure de la signification du mot anglais « record » dans l'affaire R. v. Crown Court at Knightsbridge, ex parte International Sporting Club (London) Ltd. and another, [1981] 3 All E.R. 417. Il a statué - ce qui n'a rien d'étonnant - que, dans une procédure en certiorari, le dossier incluait non seulement l'ordonnance formelle, mais aussi les motifs oraux du tribunal inférieur. Aux pages 421 et 422, il disait :

[TRADUCTION]

            Toutefois, avant que la Cour divisionnaire puisse exercer sa juridiction de surveillance, il faut qu'elle puisse voir où se trouve l'erreur de droit alléguée. Un document que l'on s'attendrait naturellement qu'elle examine serait assurément le document faisant état des motifs de la décision du tribunal, soit en l'espèce la transcription du jugement du juge Friend.

            Comme le savent collectivement les membres de notre cour et les avocats très expérimentés qui comparaissent devant nous, la pratique de la Cour divisionnaire, sous la présidence des lords juges en chef qui se sont succédé au cours des quatre dernières décennies, a été de recevoir les motifs de la décision d'un tribunal et, si ces motifs indiquaient une erreur de droit, de permettre que le certiorari donne lieu à l'annulation de la décision. La Cour a considéré les motifs comme faisant partie du dossier. Il s'agit de ce que l'on appelle parfois une « ordonnance motivée » .

[11]     Dans l'affaire Farrell v. Workmen's Compensation Board, 26 D.L.R. (2d) 185, aux pages 196 et 201, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que, dans une procédure en certiorari, le dossier ( « record » ) n'incluait pas la preuve soumise au Workmen's Compensation Board.

[12]     Il ressort des affaires précitées - qui ne représentent qu'un échantillon - qu'il n'y a pas de consensus parmi les tribunaux quant au sens du terme anglais « record » . Toutefois, aux fins d'une procédure en certiorari, ce terme peut très bien désigner les motifs, mais pas la preuve. Cela ne répond cependant pas à la question de savoir ce que la Cour d'appel fédérale voulait dire en parlant « du dossier, tel qu'il est constitué » . Je présume qu'elle voulait dire la transcription et les pièces, car elle parle également « des autres éléments de preuve que les parties auront soumis » . Ce membre de phrase présuppose que le dossier devrait inclure la preuve déjà soumise à la Cour.

[13]     Ce qui est plus difficile, c'est de savoir si le « dossier » dans le contexte du jugement de la Cour d'appel fédérale inclut les motifs du juge Beaubier. En simplifiant les choses peut-être à l'excès, on pourrait dire que, comme c'est la décision du juge Beaubier qui a été portée en appel, je ne devrais pas l'examiner. La question n'est toutefois pas susceptible d'être réglée aussi facilement.

[14]     La Cour d'appel fédérale a une certaine compétence limitée relativement à des demandes de contrôle judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le paragraphe 28(2) se lit comme suit :

            Les articles 18 à 18.5 s'appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d'appel comme si elle y était mentionnée lorsqu'elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d'une demande de contrôle judiciaire.

[16]     Comme la Cour d'appel fédérale a le pouvoir d'entendre des appels de jugements de la Cour canadienne de l'impôt en vertu de l'alinéa 28(1)l) de la Loi sur la Cour fédérale, elle a les mêmes pouvoirs que la section de première instance, et les motifs lui permettant de prendre des mesures sont les mêmes que dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire d'autres jugements. Les paragraphes 18.1(3) et (4) énoncent ces pouvoirs et ces motifs :

(3)         Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a)          ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b)          déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(4)         Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a)          a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b)          n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c)          a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d)          a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e)          a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f)           a agi de toute autre façon contraire à la loi.

[17]     La Cour d'appel fédérale a renvoyé l'affaire à notre cour pour réexamen compte tenu du dossier, tel qu'il est constitué, et des autres éléments de preuve que les parties auront soumis. Je mentionne en passant que les seuls autres éléments de preuve qui m'aient été soumis ont été présentés par la Couronne. Il s'agit de la déposition d'un répartiteur de l'impôt, qui a témoigné que les règles relatives à la déductibilité de dépenses dans le calcul du revenu provenant d'une entreprise sont plus vastes que celles qui s'appliquent dans le calcul du revenu tiré d'un emploi; dans ce dernier cas, la déductibilité de dépenses est régie par l'article 8 de la Loi de l'impôt sur le revenu plutôt que par les principes commerciaux généraux qui sont implicites dans l'article 9 vu l'utilisation du mot « bénéfice » . Cette déclaration est indiscutablement vraie, mais elle n'aide guère à déterminer si un emploi est exercé par un particulier en vertu d'un contrat de louage de services ou en vertu d'un contrat d'entreprise.

[18]     Suis-je en droit ou obligé de tenir compte des motifs et des conclusions de fait du juge Beaubier? Il serait présomptueux de ma part de penser que je suis en droit de rendre une décision en appel sur le jugement du juge Beaubier, et je ne pense pas que la Cour d'appel fédérale entendait me conférer un tel pouvoir. En fait, elle ne pouvait le faire.

[19]     Il s'ensuit que je ne peux faire fi des conclusions de fait du juge Beaubier. Il est évident que la Cour d'appel fédérale n'a découvert dans le jugement du juge Beaubier aucune conclusion de fait erronée au sens de l'alinéa 18.1(4)d). Je dois donc présumer que le jugement de la Cour d'appel fédérale se fonde sur l'alinéa 18.1(4)c). Si j'étais en droit de faire fi des conclusions de fait du juge Beaubier, cela signifierait que je pourrais substituer mes conclusions de fait à celles du juge Beaubier, même si les conclusions de fait que le juge Beaubier a rendues, après avoir entendu les témoins, se fondaient sur la preuve, n'ont pas été rendues sans tenir compte des éléments de preuve et n'étaient pas arbitraires ou abusives. Si je pouvais faire cela en me fondant sur la preuve présentée au juge Beaubier et sans entendre à nouveau l'ensemble de la preuve, ce serait plus que ce que la Cour d'appel fédérale pourrait faire en vertu l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

[20]     Dans l'affaire Chan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), C.F. 1re inst., no 92-T-1825, 12 mai 1994 ([1994] A.C.F. no 685), le juge Rothstein, qui faisait alors partie de la section de première instance, disait au paragraphe 26 :

            Le paragraphe 18.1(3) ne me confère pas la compétence requise pour tirer les conclusions de fait que le tribunal dont la décision est portée en appel aurait dû rendre. L'affaire doit être déférée pour réexamen. Dans l'arrêt Xie c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, dossier du greffe A-1573-92, décision non publiée datée du 3 mars 1994, j'ai exprimé, à la page 8, l'opinion selon laquelle lorsqu'une affaire est déférée, il peut être possible, le cas échéant, de donner des instructions sous la forme d'un « verdict commandé » :

            Bien que la Cour soit compétente pour renvoyer une affaire afin qu'elle soit examinée de nouveau conformément aux directives qu'elle juge à-propos, il me semble que la Cour devrait donner à un tribunal des directives de la nature d'un verdict commandé, que lorsque l'affaire est simple et que la décision de la Cour relativement au contrôle judiciaire réglerait l'affaire dont le tribunal est saisi. Bien que, en règle générale, de tels cas se produiront certainement, la Cour devrait laisser aux tribunaux, avec leur expertise dans les questions à l'égard desquelles ils sont compétents, le droit de prendre des décisions sur le fond d'après les éléments de preuve qui leur ont été présentés.

[23]     Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. (C.A.), [1998] 1 C.F. 187, la Cour d'appel fédérale disait aux paragraphes 54 et 55 :

54         Le paragraphe 18.1(3) ne confère pas à notre Cour le pouvoir de rendre la décision que le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû rendre. Elle doit plutôt lui renvoyer l'affaire pour qu'elle rende une nouvelle décision (voir les décisions Nuttall c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) [note de bas de page omise]; Thibaudeau c. M.R.N. [note de bas de page omise]; et Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [note de bas de page omise]). Bien qu'elle puisse renvoyer l'affaire avec des instructions précises quant à la décision à rendre, la Cour ne peut le faire que dans les cas les plus clairs. Dans le jugement Xie c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, le juge Rothstein a déclaré :

            Bien que la Cour soit compétente pour renvoyer une affaire afin qu'elle soit examinée de nouveau conformément aux directives qu'elle juge à-propos, il me semble que la Cour ne devrait donner à un tribunal des directives de la nature d'un verdict commandé que lorsque l'affaire est simple et que la décision de la Cour relativement au contrôle judiciaire réglerait l'affaire dont le tribunal est saisi. Bien que, en règle générale, de tels cas se produiront certainement, la Cour devrait laisser aux tribunaux, avec leur expertise dans les questions à l'égard desquelles ils sont compétents, le droit de prendre des décisions sur le fond d'après les éléments de preuve qui leur ont été présentés [note de bas de page omise].

55         Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle la preuve versée au dossier est tellement claire que la seule conclusion possible est que le salarié et l'intimée sont réputés ne pas avoir entre eux de lien de dépendance, ni d'une affaire dans laquelle la seule question à trancher est une pure question de droit dont la solution aura pour effet de régler l'affaire. Saisi de la présente demande de contrôle judiciaire, je ne suis pas en mesure de dire si la preuve soumise au juge suppléant de la Cour de l'impôt justifiait ou non la décision par laquelle le ministre avait conclu, en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), que le salarié et l'intimée n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable. C'est une question à laquelle le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû répondre lorsqu'il a conclu que certaines des hypothèses de fait du ministre étaient réfutées par la preuve. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire, d'annuler la décision du juge suppléant de la Cour de l'impôt et de renvoyer l'affaire à la Cour canadienne de l'impôt pour qu'elle tienne un nouvelle audience devant un juge différent en conformité avec les présents motifs.

[25]     En l'espèce, la Cour d'appel fédérale a renvoyé l'affaire à notre cour pour réexamen compte tenu du dossier, tel qu'il est constitué, et des autres éléments de preuve que les parties auront soumis, sans instructions du genre envisagé par le juge Rothstein.

[26]     Je ne dois pas entendre à nouveau l'affaire. Je dois la réexaminer compte tenu du dossier. La Cour d'appel fédérale ne peut, en se fondant sur le dossier, substituer ses conclusions de fait à celles du juge ayant présidé le procès. Je ne crois pas qu'elle cherche à me conférer un pouvoir qu'elle ne possède pas elle-même.

[27]     Je dois donc déterminer compte tenu du dossier ce que serait le résultat juridique sans ce que la Cour d'appel fédérale considérait manifestement comme étant des erreurs de droit dans le jugement du juge Beaubier.

[28]     Les erreurs de droit du juge Beaubier, d'après la Cour d'appel fédérale, sont les suivantes.

[29]     Le juge Beaubier a cité un extrait du premier jugement rendu par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Wiebe Door Services c. Canada, soit un extrait - rapporté dans l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans cette affaire ([1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025)) - dans lequel la Cour canadienne de l'impôt faisait référence au critère d'intégration. C'est vrai. Mais, immédiatement après avoir cité cet extrait, il a cité un long passage de la décision rendue par le juge d'appel MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door et a également traité du critère d'intégration comme n'étant qu'un élément du « critère composé de quatre parties intégrantes » .

[30]     Après avoir cité ce long passage de la décision du juge d'appel MacGuigan, le juge Beaubier disait aux pages 18 et 19 :

Les propos cités par A.N. Khan, disant que « manifestement la surveillance et le contrôle ne pouvaient être le critère décisif lorsqu'on avait affaire à un professionnel » , traduisent un problème crucial qui se pose dans la présente affaire. C'est pourquoi, dans son contrat, chaque psychiatre garantit le district contre sa faute professionnelle.

[7]         Selon la preuve, lorsque l'un des appelants offrait ses services aux termes de son contrat de rémunération à la séance, il travaillait, sauf lorsqu'il fournissait ses services en milieu carcéral, dans des locaux gérés par le payeur. Ses rendez-vous étaient fixés par le personnel du payeur. Son personnel de soutien était payé par le payeur ou par l'entremise de ce dernier. Comme dans le cas d'un travailleur rémunéré à l'heure, ses heures de travail consignées étaient payées par le payeur. Bien que cela n'ait pas été dit, le fait que les psychiatres ont mentionné qu'ils voulaient que d'autres membres du personnel, qu'ils soient psychiatres ou non, soient disponibles lorsqu'ils rencontraient des patients est lié aux problèmes de responsabilité et de plaintes qui semblent actuellement être très répandus dans différentes professions; néanmoins, il en résulte que des membres du personnel de la clinique de district, quelles que soient leurs fonctions, doivent être disponibles lorsque les psychiatres rencontrent des patients.

[8]         Si un patient ou un autre membre de la collectivité examine objectivement la situation des psychiatres, ces derniers, lorsqu'ils travaillaient conformément à leurs contrats de rémunération à la séance, paraissaient être employés dans le cadre de l'entreprise de la clinique et leur travail paraissait faire partie intégrante de cette entreprise. Les psychiatres ne fournissaient pas alors leurs services comme des personnes qui étaient dans les affaires à leur compte, mais le faisaient à titre de membres du personnel des cliniques qui étaient leurs payeurs. Par conséquent, les appels sont rejetés.

[31]     L'erreur de droit du juge Beaubier tient-elle au fait qu'il a cité un extrait de la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Wiebe Door sans dire explicitement qu'il contrastait cet extrait avec le jugement du juge d'appel MacGuigan, sur lequel il se fondait clairement? Pour éviter quelque erreur que le juge Beaubier ait commise, je dirai - au sujet du passage qu'il a cité de la décision de la Cour canadienne de l'impôt - que le juge de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Wiebe Door a manifestement accordé trop d'importance au critère d'intégration, qui n'a plus qu'un rôle insignifiant, comme l'indique nettement le jugement du juge d'appel MacGuigan.

[32]     Je pense que c'est ce que le juge Beaubier voulait dire, mais, manifestement, il ne l'a pas dit assez explicitement.

[33]     En outre, d'après la Cour d'appel fédérale, le juge Beaubier a commis une erreur lorsqu'il a dit :

Sans les psychiatres, les cliniques de district ne pouvaient offrir de services psychiatriques dans leurs locaux.

(Dans la version anglaise de son jugement, la Cour d'appel fédérale rapporte que le juge Beaubier a dit « in the premises » (dans les locaux), alors qu'il a dit « in their premises » (dans leurs locaux), mais cela n'a pas d'importance.)

[34]     La Cour d'appel fédérale affirme que cette erreur de droit « ressort clairement » du passage précité. Elle n'indique pas en quoi ce qui est nettement un énoncé de fait - et un énoncé assurément étayé par la preuve - constitue une erreur de droit. Je présume qu'elle veut dire que, en faisant cette déclaration de fait, le juge Beaubier devait penser au critère d'intégration. Si je dis qu'une clinique vétérinaire ne peut fonctionner sans vétérinaires, je dis quelque chose d'évident. Je n'énonce pas une conclusion de droit et, assurément, je n'indique rien quant à savoir si les vétérinaires travaillant à la clinique sont des employés ou des entrepreneurs indépendants.

[35]     La troisième et dernière erreur de droit, d'après la Cour d'appel fédérale, est décrite au paragraphe 4 des motifs de la Cour d'appel fédérale :

[4]         Ce point de vue est renforcé par la mention que le juge a faite, au paragraphe 8 de sa décision, au sujet de l'examen objectif de la situation par un patient ou un membre de la collectivité comme moyen de déterminer la nature juridique de la relation existant entre les psychiatres et la Commission à laquelle ces derniers fournissaient leurs services. Cette considération n'est pas pertinente et nous ne sommes pas certains que la chose n'ait pas influé sur la décision du juge.

[36]     Je reconnais que la façon dont un membre de la collectivité allant à la clinique pourrait considérer la relation - en présumant qu'il réfléchisse à cela un instant, ce dont je doute - n'est pas une considération pertinente. Je n'ai pas à déterminer si cette considération a influé sur le juge Beaubier. Il est cependant assez facile de faire simplement fi de l'observation.

[37]     J'ai lu les motifs du jugement du juge Beaubier ainsi que la transcription. Des avocats principaux d'expérience ont complètement et habilement redébattu l'affaire devant moi. Peut-être à l'exception du commentaire quant à la façon dont un membre de la collectivité pourrait considérer la relation - soit un commentaire d'ordre conjectural qui n'est pas pertinent - il n'y a rien dans les motifs du jugement du juge Beaubier qui ne soit pas étayé par la preuve.

[38]     À mon avis, ce que voulait la Cour d'appel fédérale, c'est que je réexamine le résultat juridique compte tenu du dossier, tel qu'il est constitué, et des autres éléments de preuve que les parties auront soumis et non que je substitue mes conclusions de fait à celles du juge Beaubier.

[39]     Ne pas substituer mes conclusions de fait à celles du juge Beaubier ne me pose aucun problème particulier, car je suis d'accord sur les conclusions de fait du juge Beaubier.

[40]     Le juge Beaubier est arrivé à ses conclusions de fait en tenant compte des hypothèses énoncées dans les réponses du ministre aux avis d'appel. Il s'agit là d'une saine pratique dans les causes fiscales et autres causes soumises à notre cour, dans lesquelles la charge initiale de la preuve incombe à la partie appelante, qui doit « démolir » les hypothèses énoncées par le ministre dans la cotisation ou l'évaluation. Dans l'arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, Mme le juge L'Heureux-Dubé a résumé l'état du droit quant au fardeau de la preuve dans un litige fiscal; s'exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada, elle disait au paragraphe 92 :

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

[Les caractères gras sont de moi.]

[41]     Je crois qu'il est utile de réitérer brièvement les conclusions de fait pertinentes du juge Beaubier, qui se fondent sur la preuve sur laquelle je me base aux fins du présent jugement :

1.        Le législateur a divisé la province de Saskatchewan en districts aux fins des services de santé. Les commissions de santé de district de la Saskatchewan ( « CSDS » ) administrent tous les services de santé publique que la province finance et qui sont fournis dans les districts, y compris les services de psychiatrie fournis par les appelants.

2.        Chacun des appelants a conclu un contrat avec une CSDS pour la prestation de services de psychiatrie à des patients (les « contrats de rémunération à la séance » ).

3.        Deux des appelants ont été recrutés à l'étranger, et leurs frais de déplacement jusqu'en Saskatchewan étaient payés au moyen de fonds publics à condition qu'ils travaillent pour les CSDS pendant cinq ans, faute de quoi ils devaient remettre une somme à la CSDS au titre de leurs frais de réinstallation.

4.        Les deux appelants recrutés à l'étranger ont été obligés, lorsqu'ils ont demandé le statut d'immigrant reçu, de fournir une promesse qu'ils avaient des contrats de travail au Canada d'une durée de cinq ans.

5.        Les contrats de rémunération à la séance stipulaient que tous les paiements exigés par la loi - dont l'impôt sur le revenu, les cotisations au régime de pensions du Canada et la TPS - étaient à la charge des appelants.

6.        Les contrats de rémunération à la séance stipulaient que les appelants travaillaient un nombre déterminé de périodes de quatre heures (les « unités de consultation » ) par année. Toutefois, la preuve présentée au procès indiquait que chaque appelant répondait à la demande ou travaillait le nombre d'unités de consultation qu'il désirait et facturait ce temps aux CSDS en conséquence.

7.        Chacun des appelants recevait des honoraires fixes pour chaque unité de consultation, plus une somme pour les heures où il était en disponibilité. Le taux des honoraires fixes variait entre les appelants. Il n'était pas basé sur le rendement. Les taux étaient liés aux aptitudes de chaque appelant en matière de négociation, ainsi qu'à la demande dans la CSDS concernée.

8.        Chacun des appelants facturait mensuellement ses séances à la CSDS et était payé chaque mois.

9.        Les CSDS fournissaient gratuitement aux appelants des lieux de travail entièrement équipés comprenant du personnel ainsi que du matériel (les « cliniques de CSDS » ).

10.      Les rendez-vous de patients de CSDS avec les appelants étaient fixés par le personnel de la clinique. Si un patient demandait un psychiatre en particulier, le personnel fixait le rendez-vous demandé. Toutefois, chaque appelant contrôlait les heures auxquelles il voyait des patients.

11.      Si un patient de CSDS ne se présentait pas à un rendez-vous, les appelants étaient payés quand même. Il en allait différemment dans le cas des contrats de rémunération à l'acte conclus avec les CSDS. En vertu des contrats de rémunération à l'acte, un psychiatre n'était pas payé si un patient ne se présentait pas à un rendez-vous.

12.      Les appelants ne travaillaient pas un nombre d'heures fixe de 8 h 30 à 17 heures du lundi au vendredi comme l'indiquent les contrats de rémunération à la séance. Ils travaillaient en fin de semaine ou en soirée. Certains d'entre eux exerçaient d'autres activités professionnelles pendant la semaine et offraient notamment des services pour lesquels ils se faisaient rémunérer à l'acte. Certains des appelants ont fait de la suppléance ailleurs dans la province, dans d'autres provinces ou à l'étranger au cours de la durée des contrats qu'ils avaient conclus avec les CSDS.

13.      Dans les cliniques de CSDS, les appelants ne rencontraient pas de patients à l'égard desquels ils étaient rémunérés à l'acte ni d'autres patients privés.

14.      Les districts n'avaient pas la priorité en ce qui concerne le temps des appelants. Chaque appelant déterminait le temps qu'il voulait consacrer au traitement de patients de CSDS, à d'autres activités professionnelles ou à des intérêts personnels.

15.      Les appelants s'arrangeaient pour se faire remplacer par d'autres médecins dans les cliniques de CSDS lorsqu'il le fallait. C'était toutefois les médecins remplaçants qui, directement, présentaient une facture aux CSDS.

16.      Les CSDS ne donnaient pas d'instructions aux appelants quant à savoir :

a.        comment ils devaient traiter les patients de CSDS;

b.        combien de temps ils devaient consacrer à chaque patient de CSDS;

c.       combien de patients de CSDS ils devaient traiter.

17.      Les CSDS ne s'occupaient pas de supervision ou de discipline à l'égard des appelants. Dans leur cas, tout comme dans le cas de l'ensemble des autres psychiatres de la province, c'était le College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan qui s'occupait de la question du contrôle.

18.      Les appelants étaient remboursés de certains frais. Ils n'étaient toutefois pas remboursés des frais concernant leur automobile, le stationnement et les téléphones cellulaires et concernant leurs déplacements entre les cliniques de district et les hôpitaux et les prisons où ils traitaient également des patients de CSDS. Les frais relatifs à leur assurance responsabilité, à leur licence et à la formation médicale permanente nécessaire pour garder cette licence étaient à leur charge.

[42]     Le ministre a présumé que les appelants n'avaient « aucune chance de bénéfice ni aucun risque de perte » . C'est une question mixte de fait et de droit. L'hypothèse du ministre a été acceptée comme exacte par le juge Beaubier, quoique ce dernier ait reconnu que, si l'un quelconque des appelants omettait de facturer suffisamment d'unités de consultation, les frais non remboursés pouvaient donner lieu à une perte commerciale pour une année donnée. Comme les sommes dont les appelants n'étaient pas remboursés étaient relativement peu élevées en comparaison des sommes qu'ils facturaient aux CSDS, le risque de perte provenant de cette activité était minime et était plus théorique que réel. Les dépenses totales déduites par certains des appelants étaient en grande mesure attribuables à l'entreprise de services rémunérés à l'acte exploitée par eux indépendamment du travail qu'ils accomplissaient en vertu du contrat conclu avec les diverses CSDS.

[43]     Quoique le juge Beaubier n'ait pas expressément mentionné ceci dans ses conclusions de fait, la preuve établit que, certes, les appelants n'avaient pas d'avantages sociaux comme dans le cas d'un fonctionnaire salarié - par exemple des avantages concernant les droits d'adhésion, les droits de permis ou de licence, les frais médicaux, l'assurance-invalidité et les congés payés -, mais ils recevaient une somme d'argent qui en tenait lieu. En ce qui concerne le Dr Milev, par exemple, cette somme supplémentaire se situait entre 10 000 $ et 15 000 $.

[44]     Au Canada, l'arrêt-clé sur la question de savoir si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant est la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door. Dans l'affaire Wiebe Door, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a utilisé un critère composé de quatre parties pour déterminer qu'il s'agissait d'un emploi assurable. Il a analysé la preuve à partir des quatre facteurs suivants pour déterminer si les employés en cause travaillaient en vertu d'un contrat d'entreprise ou s'ils travaillaient en vertu d'un contrat de louage de services, c'est-à-dire dans le cadre d'un emploi assurable :

1.        le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

2.        la propriété des instruments de travail;

3.        les chances de bénéfice et les risques de perte;

4.        l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l'entreprise de l'employeur présumé.

[45]     L'appelante dans l'affaire Wiebe Door alléguait que l'utilisation du critère d'intégration représentait une erreur de droit, sauf si le prétendu employé était un travailleur hautement qualifié. Dans l'affaire Wiebe Door, la Cour d'appel fédérale en a profité pour réexaminer les éléments du critère composé de quatre parties. S'exprimant pour l'ensemble de la Cour, le juge d'appel MacGuigan a approuvé le critère énoncé par lord Wright dans l'affaire Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), lequel critère incluait le contrôle, la propriété des instruments de travail ainsi que les chances de bénéfice et les risques de perte; le juge d'appel MacGuigan disait aux pages 559 et 560 (DTC : à la page 5028) :

Le premier juriste qui a vraiment tenté de régler ces difficultés a probablement été William O. Douglas (avant sa nomination comme juge), qui a élaboré le critère de l'entreprise dans Vicarious Liability and Administration of Risk I (1928-29), 38 Yale L.J. 584. Dans cet article, il a proposé quatre traits particuliers qui caractérisent l'entreprise: le contrôle, la propriété, les pertes et les bénéfices. C'est essentiellement ce critère que lord Wright a appliqué dans Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161 (P.C.), (aux pages 169 et 170):

[TRADUCTION] Dans des jugements antérieurs, on s'appuyait souvent sur un seul critère, comme l'existence ou l'absence de contrôle, pour décider s'il s'agissait d'un rapport de maître à préposé, la plupart du temps lorsque des questions de responsabilité délictuelle de la part du maître ou du supérieur étaient en cause. Dans les situations plus complexes de l'économie moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués. Il a été jugé plus convenable dans certains cas d'appliquer un critère qui comprendrait les quatre éléments suivants: (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; (4) le risque de perte. Le contrôle en lui-même n'est pas toujours concluant. Ainsi, le capitaine d'un vaisseau affrété est généralement l'employé de l'armateur, bien que l'affréteur puisse diriger l'embauchage sur le navire. Encore une fois, la loi apporte souvent des limites aux droits de l'employeur de diriger la conduite de l'employé, comme le font les règlements relatifs aux syndicats ouvriers. Dans bien des cas, il faut, pour résoudre la question, examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties. Ainsi, il est dans certains cas possible de décider en posant la question « à qui appartient l'entreprise » , en d'autres mots, en demandant si la partie exploite l'entreprise, c'est-à-dire qu'elle l'exploite pour elle-même ou pour son propre compte et pas seulement pour un supérieur. [...]

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quant il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

[46]     Le juge d'appel MacGuigan a ensuite examiné le « critère d'intégration » , qui avait été avancé pour la première fois par le lord juge Denning dans l'affaire Stevenson, Jordan and Harrison, Ltd. v. MacDonald and Evans, [1952] 1 T.L.R. 101, dans laquelle le lord juge Denning disait, à la page 111 :

[TRADUCTION]

Une particularité semble se répéter dans la jurisprudence : en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.

[47]     Le juge d'appel MacGuigan a fait une analyse de jugements et d'ouvrages de doctrine portant sur le critère d'intégration. Il a conclu aux pages 563 et 564 (DTC : à la page 5030) :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :3

          [TRADUCTION]

Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

_________________________

3            Ce critère a été cité de nombreuses fois. Ainsi, dans l'affaire Ferguson v John Dawson & Partners (Contractors) Ltd, [1976] 3 All ER 817, les trois juges de la Cour d'appel y ont fait référence, et les deux juges de la majorité l'ont tenu pour [TRADUCTION] « très utile » (aux p. 824 et 831).

[48]     Dans l'affaire Wiebe Door, ayant déterminé que le juge de la Cour canadienne de l'impôt avait erronément appliqué le critère d'intégration, la Cour d'appel fédérale a annulé le jugement. En l'espèce, si je comprends bien le jugement de la Cour d'appel fédérale, cette dernière estime que le juge Beaubier peut avoir trop insisté sur le critère d'intégration, ce qui est manifestement d'après la Cour d'appel fédérale une erreur de droit.

[49]     Et maintenant, il s'agit de savoir si le critère d'intégration continue d'être un élément du critère composé de quatre parties intégrantes qui a été énoncé dans l'affaire Wiebe Door. Comme l'a laissé entendre le juge d'appel MacGuigan dans l'affaire Wiebe Door, le critère d'intégration est plutôt inutile et est, au mieux, difficile à appliquer dans des cas de ce genre. Un entrepreneur indépendant peut faire partie intégrante de l'entreprise de quelqu'un d'autre autant qu'une personne qui est indiscutablement un employé. J'ai utilisé ci-devant l'exemple d'une clinique vétérinaire. Les vétérinaires font indiscutablement partie intégrante de l'entreprise de la clinique, mais ils pourraient être aussi bien des entrepreneurs indépendants que des employés. Nul doute que le critère d'intégration ou d'organisation a joué un rôle utile dans l'évolution du droit concernant la responsabilité d'hôpitaux en cas de négligence de la part de médecins, mais il a fait son temps. Je crois comprendre de la décision de la Cour d'appel fédérale en l'espèce que tout recours au critère d'intégration est une erreur de droit. Le fait d'avoir réduit le critère d'intégration (ou d'organisation) à un rôle insignifiant représente un changement qui est le bienvenu et qui se faisait attendre depuis longtemps dans ce domaine du droit.

[50]     Cette tendance est également manifeste au Royaume-Uni. Dans la quatrième réédition de Halsbury's Laws of England, 1992, volume 16, le paragraphe 3 dit :

[TRADUCTION]

3.          Caractéristiques de la relation. Il n'y a pas de critère unique pour déterminer si une personne est un employé; le critère qui était considéré comme suffisant, à savoir le critère du contrôle, ne peut plus être considéré comme suffisant - notamment dans le cas de l'emploi de personnes hautement qualifiées - et il n'est maintenant qu'un des facteurs particuliers pouvant aider un tribunal à trancher la question. On a dit que le critère consistant à déterminer si la personne était intégrée à l'entreprise ou si elle en restait distincte et indépendante est un critère approprié, mais, encore là, ce n'est qu'un des facteurs pertinents, l'approche moderne consistant à mettre en balance tous ces facteurs pour déterminer dans quelle grande catégorie entre la personne. Cela peut parfois donner lieu à un délicat dosage de facteurs indiquant fortement un statut d'employé et de facteurs indiquant fortement le contraire.

            Les facteurs pertinents dans un cas donné peuvent inclure, outre le contrôle et l'intégration : le mode de paiement; toute obligation de travailler seulement pour tel employeur; les stipulations concernant les heures de travail, le temps supplémentaire, les congés, etc.; les arrangements concernant le paiement de l'impôt sur le revenu et le versement des cotisations à la Sécurité sociale; la manière dont le contrat peut être résilié; la question de savoir si la personne peut déléguer des travaux; la question de savoir qui fournit les outils et l'équipement et la question de savoir qui, en définitive, a les risques de perte et les chances de bénéfice. Dans certains cas, la nature du travail lui-même peut être une considération importante.

            La façon dont les parties elles-mêmes considèrent le contrat et la manière dont elles le décrivent et l'exécutent ne sont pas des facteurs décisifs, et un tribunal doit considérer objectivement la catégorie dans laquelle entre la personne. Ainsi, une personne pourrait avoir été décrite comme un travailleur indépendant pendant la durée du contrat, mais, à la résiliation de celui-ci, prétendre avoir en fait été un employé pour faire valoir qu'elle a fait l'objet d'un licenciement abusif; une telle ligne de conduite aurait cependant de fâcheuses conséquences fiscales.

            Dans le cas de ce que l'on appelle fréquemment un « emploi atypique » , par exemple dans le cas d'un travail temporaire ou occasionnel, d'un travail sporadique ou d'un travail à domicile, il peut être approprié, en décidant du statut d'une personne assujettie à un tel régime, d'examiner la question de savoir s'il y a suffisamment d'obligations mutuelles pour justifier une conclusion selon laquelle il s'agissait d'un contrat de louage de services.

[54]     Je ne reproduirai pas les notes de bas de page, qui s'étendent sur deux pages. Ce qu'il y est établi, c'est qu'aucun des critères « traditionnels » ne peut être considéré comme déterminant et que divers facteurs, y compris les quatre qui ont été mentionnés dans l'affaire Wiebe Door, doivent être examinés dans le contexte de la relation globale.

[55]     La propriété des instruments de travail est un critère pouvant être utile dans le cas de certains types d'employés, mais il n'est pas particulièrement utile en ce XXIe siècle où des personnes hautement qualifiées peuvent fournir leurs propres instruments de travail, par exemple des ordinateurs, tout en étant des employés. Traditionnellement, les psychiatres n'ont pas d'équipement ou en ont peu.

[56]     Les mêmes observations valent pour ce qui est du critère du contrôle. Dans le cas de spécialistes comme des médecins ou des avocats, le critère du contrôle n'est pas significatif. Dans le cas de psychiatres, la relation médecin-patient est telle qu'il serait impossible de trouver un élément de contrôle, indépendamment de la relation.

[57]     Jusqu'ici, j'ai dit que le critère d'intégration ou d'organisation ne devrait pas être utilisé et que le critère de la propriété des instruments de travail ou le critère du contrôle n'aident guère, voire pas du tout. Donc, que reste-t-il? L'élément « chances de bénéfice et risques de perte » du critère composé de quatre parties intégrantes peut être d'une certaine aide. Je ne pense pas que les psychiatres en cause aient beaucoup de chances de bénéfice ou de risques de perte. Ils pourraient peut-être augmenter leur revenu en travaillant de plus longues heures, mais cela est limité. Leurs risques de perte sont minimes. Les CSDS fournissaient tout le personnel de soutien ainsi que toutes les installations où travaillaient les psychiatres. Le personnel de soutien fixait les rendez-vous des patients de CSDS et, que le patient se présente ou non au rendez-vous, les médecins en cause étaient payés. Pour ce qui est des médecins qui concluaient un contrat de rémunération à l'acte, ils n'étaient pas payés si le patient ne se présentait pas au rendez-vous.

[58]     Dans l'affaire Chernesky (Nipawin Health Centre) c.Canada, [2000] A.C.I. no 704, le juge Rip a conclu qu'un groupe de médecins travaillant pour une clinique médicale étaient à leur compte et que, par conséquent, ils avaient conclu avec la clinique un contrat d'entreprise et n'exerçaient pas un emploi assurable. Dans l'affaire Chernesky, le ministre a cité la décision rendue par le juge Beaubier en l'espèce et il affirmait que les médecins en cause dans l'affaire Chernesky exerçaient un emploi semblable à celui des appelants en l'espèce. Ainsi, le ministre soutenait que les médecins en cause dans l'affaire Chernesky exerçaient un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. Le juge Rip a distingué l'emploi des médecins en cause dans l'affaire Chernesky de l'emploi des appelants en l'espèce en disant aux paragraphes 31 et 33 :

31         L'avocate de l'intimé a prétendu que les faits relatifs aux appels en l'instance sont semblables à ceux examinés dans l'affaire Mirchandani c. M.R.N. [note de bas de page omise], décision rendue par le juge Beaubier. Dans cette affaire, des psychiatres contractuels étaient embauchés afin de travailler dans des cliniques exploitées par les districts de santé de la Saskatchewan. Les psychiatres travaillaient dans des conditions similaires pour ce qui est des horaires de travail, de la prestation de leurs services dans les cliniques, des services de garde à l'hôpital et de la disponibilité; le degré de contrôle dont ils faisaient l'objet de la part du payeur était réduit, tout comme dans les appels en l'instance. Le payeur fournissait tous les instruments de travail et l'équipement, sans oublier les services du personnel de la clinique, tandis que les districts de santé faisaient de même dans les hôpitaux. Les psychiatres devaient acquitter le coût de leur véhicule et de l'assurance contre la faute professionnelle, et ils n'avaient pas droit à des avantages sociaux. La méthode de rémunération n'était pas la même que dans les appels en l'instance : plutôt que d'avoir un salaire minimum garanti, les psychiatres étaient payés par périodes de facturation de quatre heures, et le nombre de périodes de facturation variait passablement d'un psychiatre à l'autre. Le juge Beaubier a jugé que les psychiatres étaient des employés :

[...]

33         Dans les appels en l'instance, contrairement à ce que l'on observe dans l'affaire Mirchandani, précitée, le tiers des honoraires facturés par les travailleurs était utilisé pour payer les frais de la clinique. Dans les faits, les travailleurs participent au paiement des frais d'exploitation du Centre. Dans l'affaire Mirchandani, les psychiatres recevaient une rémunération fixe par période de facturation de quatre heures, et ce, peu importe que les patients se soient présentés à la séance ou non. Dans le cas présent, le salaire des travailleurs était calculé selon le principe de la rémunération à l'acte : si le patient ne se présentait pas à son rendez-vous, le travailleur n'était pas payé.

[59]     Je suis d'accord sur la conclusion du juge Rip selon laquelle l'absence de participation au paiement des frais d'exploitation d'un bureau et l'existence d'une rémunération fixe par période de facturation de quatre heures - que les patients se soient présentés à la séance ou non - distinguent l'emploi des appelants en l'espèce de l'emploi des médecins dans l'affaire Chernesky. Je crois aussi que ces facteurs sont importants quant à savoir si les appelants en l'espèce exerçaient un emploi en vertu d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise.

[60]     Si l'on s'écarte d'un examen détaillé du critère composé de quatre parties intégrantes et que l'on pose la question de savoir ce qu'était « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » , pour utiliser l'expression de lord Wright citée par le juge d'appel MacGuigan, il est impossible de conclure que les psychiatres travaillant pour les différents districts de santé étaient à leur compte. C'était des travailleurs qualifiés qui fournissaient de l'aide médicale à des patients pour leurs employeurs, les CSDS respectives, en vertu d'un contrat de louage de services. Ils fournissaient leurs services dans des locaux de leurs employeurs, et ces derniers fournissaient tout le personnel de soutien, ainsi que l'ensemble du mobilier et tout autre équipement nécessaire. Les appelants recevaient une rémunération fixe par période de facturation de quatre heures, et ce, que les patients se présentent ou non aux rendez-vous.

[61]     Un point supplémentaire mérite d'être commenté. Le juge Beaubier avait fait état du contrat entre le Dr Milev et la commission de santé de district régionale. Il semble que ce contrat ressemblait en grande partie à tous les contrats semblables signés par les appelants. Le juge Beaubier n'a pas dit si le libellé du contrat avait influé sur sa conclusion. En droit, il est clair que la façon dont les parties décrivent leur relation n'est pas un facteur déterminant. On ne peut toutefois faire complètement fi des modalités du contrat. Celles-ci font partie du tableau général de la situation que l'on examine pour déterminer ce qu'était « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » . Aucune clause unique du contrat ne peut être considérée comme étant prédominante ou comme faisant pencher la balance indéniablement dans un sens ou dans l'autre. Il est vrai que la clause 4 dit que tous les paiements exigés par la loi, dont l'impôt sur le revenu, sont à la charge du médecin. Cela n'est pas incompatible avec un contrat d'entreprise, mais c'est un indice très ténu qui ne doit pas éclipser tout le reste. Les autres clauses, par exemple concernant le nombre d'unités de consultation et le taux de rémunération, correspondent davantage à une relation employeur-employé. Je mentionne le contrat pour montrer que je n'en fais pas fi, mais je ne voudrais pas donner l'impression qu'il pèse particulièrement lourd dans ma conclusion.

[62]     Je suis d'accord sur la conclusion à laquelle était parvenue le juge Beaubier, mais je me suis quelque peu étendu sur les motifs, sans me fonder sur les parties des motifs du juge Beaubier considérées par la Cour d'appel fédérale comme des erreurs de droit.

[63]     Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de novembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de mai 2003.

Mario Lagacé, réviseur


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.