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2001-1743(EI)

ENTRE :

GESTION LE MONTAGNAIS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 4 juin 2002 à Québec (Québec), par

l'honorable juge suppléant J.F. Somers

Comparutions

Avocat de l'appelante :     Me Pierre-C. Gagnon

Avocat de l'intimé :          Me Vlad Zolia

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'août 2002.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.


Date: 20020815

Dossier: 2001-1743(EI)

ENTRE :

GESTION LE MONTAGNAIS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Somers, C.C.I.

[1]      Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 4 juin 2002.

[2]      L'appelante interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) selon laquelle l'emploi exercé par Claude Ménard, le travailleur, lorsqu'à son service au cours de la période en cause, soit du 1er janvier au 31 décembre 1999, est assurable pour le motif qu'il rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il existait une relation d'employeur-employé entre elle et le travailleur.

[3]      Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit en partie comme suit :

            5.(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)     un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[4]      Les paragraphes 5(2) et 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi se lisent en partie comme suit :

(2)         N'est pas un emploi assurable :

[...]

i)           l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i):

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[5]      L'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit en partie comme suit :

Article 251 : Lien de dépendance.

(1)         Pour l'application de la présente loi :

a)          des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

[...]

(2) Définition de lien « personnes liées » . Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

a)          des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b)          une société et :

(i)          une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

(ii)         une personne qui est membre d'un groupe lié qui contrôle la société,

(iii)        toute personne liée à une personne visée au sous-alinéa (i) ou (ii);

[...]

[6]      Le fardeau de la preuve incombe à l'appelante. Cette dernière se doit d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[7]      Le Ministre s'est fondé, pour rendre sa décision, sur les faits suivants qui ont été admis en entier :

a)          l'appelante a été constituée en société le 13 janvier 1993;

b)          les actionnaires de l'appelante avec droit de vote étaient;

            Gilles Ménard                            20 % des actions

            Réjean Ménard              20 % des actions

            Jean-Roch Ménard                    20 % des actions

            le travailleur                               20 % des actions

            Clermont Blouin                         20 % des actions

c)          le travailleur est le frère de Gilles, Réjean et Jean-Roch Ménard et il est le beau-frère de Clermont Blouin;

d)          l'appelante exploitait une entreprise de restauration et de traiteur;

e)          l'appelante embauchait de 20 à 27 employés;

f)           le restaurant de l'appelante était exploité à l'année longue à Sainte-Anne-de-Beaupré;

g)          le travailleur était le gérant du restaurant;

h)          les tâches du travailleur consistaient à s'occuper de la gestion quotidienne, à la supervision du personnel et à voir au bon déroulement de l'entreprise;

i)           le travailleur n'avait pas d'horaire fixe, mais il prenait généralement les jeudis et vendredis comme jour de congé;

j)           le travailleur recevait un salaire régulier de 1 600 $ par quinzaine par dépôt direct;

k)          le salaire du travailleur était raisonnable compte tenu de ses tâches et responsabilités;

l)           le travailleur oeuvrait à l'année longue pour l'appelante;

m)         l'appelante avait une vie corporative active et elle tenait des réunions d'actionnaires et administrateurs à toutes les trois ou quatre semaines;

n)          le travailleur devait faire rapport et obtenir l'accord des autres actionnaires pour les décisions importantes de l'entreprise;

o)          le travailleur comme tous les autres actionnaires a cautionné, au pro rata des actions qu'ils détiennent les prêts et marges de crédit de l'appelante;

p)          le travailleur n'avait pas de risque de perte financière ou de chance de profit;

q)          le travailleur utilisait les outils et les équipements qui appartenaient à l'appelante;

r)           le travail du travailleur faisait partie intégrante des activités de l'appelante.

[8]      Le seul témoin entendu dans cette cause est monsieur Gilles Ménard, frère du travailleur et actionnaire de l'appelante avec d'autres membres de la même famille et monsieur Clermont Blouin.

[9]      Ce témoin affirme que Claude Ménard, le travailleur a été gérant de 1994 à 1999 d'un restaurant situé à Ste-Anne-de-Beaupré et exploité par l'appelante.

[10]     Gilles Ménard explique que les cinq actionnaires mentionnés dans la Réponse à l'avis d'appel étaient actionnaires dans trois compagnies. En 1995, le travailleur Claude Ménard était le gérant du restaurant et était directement responsable de l'administration et de l'embauche des employés. Les quatre autres actionnaires étaient simplement des investisseurs dans la compagnie.

[11]     Monsieur Gilles Ménard a demandé au Ministre de statuer sur l'assurabilité de l'emploi de Claude Ménard alors qu'il était au service de l'appelante, pour l'année 1993.

[12]     À la suite d'un questionnaire rempli et signé par madame Pierrette Lecompte après avoir obtenu les informations de Gilles Ménard, celle-ci a déterminé que l'emploi de Claude Ménard au sein de Gestion Le Montagnais Inc. pour l'année 1993 était non-assurable car il ne rencontrait pas les exigences de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et que l'emploi était exclu selon l'alinéa 3(2)a) de la Loi.

[13]     Le témoin déclare que les conditions d'emploi de Claude Ménard dans la cause sous étude sont les mêmes que celles de 1993.

[14]     Pour les fins de ce dossier, c'est-à-dire pour la période en cause le procureur de l'appelante admet que l'emploi de Claude Ménard est assurable.

[15]     Le procureur soulève seulement un point de droit, à savoir l'application de la Théorie des attentes légitimes.

[16]     Geneviève Cartier, professeure, Faculté de droit, Université de Sherbrooke (1992), 23 R.D.U.S. 75 explique cette théorie de la façon suivante :

Dans sa formulation la plus largement acceptée, cette théorie prescrit que la justice naturelle ou l'équité procédurale s'impose à l'autorité administrative non seulement lorsqu'elle rend une décision qui affecte des droits, privilèges ou intérêts individuels, mais encore chaque fois qu'un tel acte porte atteinte aux « espérances légitimes » d'un particulier.

[17]     Selon le procureur de l'appelante la Cour suprême dans la cause Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux) 2001 C.S.C. 41, no du greffe 27022, examine et commente ce concept.

[18]     Plusieurs décisions ont été soumises pour les fins de cette cause, mais il n'est pas nécessaire de les examiner toutes. La jurisprudence semble être constante que l'autorité administrative n'est pas liée par des décisions administratives.

[19]     Dans la cause Blackmore c. M.R.N., NR 519, le savant juge a déclaré :

En droit, je suis tenu de dire qu'en dépit de toute erreur ou de tout avis erroné donné par le personnel de la Commission, celle-ci est tenue d'appliquer les dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Cela [sic] été jugé à maintes reprises par les juges-arbitres. Il existe un principe bien établi selon lequel on ne peut opposer de fin de non-recevoir lorsque les conditions de la loi n'on pas été respectées. Autrement dit, on ne peut opposer de fin de non-recevoir à la Couronne et de plus, toutes les fins de non-recevoir sont assujetties au principe général selon lequel elles ne peuvent renverser le droit du pays.

[20]     Dans la cause Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [1993] A.C.F. no 1299, en date du 3 décembre 1993, le juge Dubé de la Cour fédérale du Canada s'exprime ainsi :

... il n'en demeure pas moins que la jurisprudence, telle que déjà mentionnée, a clairement établi que le Ministre n'est lié ni par ses cotisations précédentes, ni par ses politiques antérieures, ni par ses représentations ou celles de ses préposés, ni par le traitement qu'il accorde ou a accordé à d'autres contribuables. Le devoir du Ministre est d'appliquer la Loi telle qu'elle est. Elle l'autorise à amender ses cotisations et l'oblige à cotiser conformément à ses dispositions. De plus, en matière d'appel d'un cotisation la Cour est limitée aux redressements prévus par la Loi et ne peut accorder un jugement déclaratoire.

[21]     Dans la cause Hrab c. Canada, [1996] A.C.I. no 128, en date du 14 février 1996, le juge Teskey de cette Cour s'exprime ainsi :

La préclusion ne s'applique pas à des années d'imposition différentes. Chaque année est distincte. L'appel formé par l'appelant pour l'année 1992 est distinct de celui qu'il a interjeté pour l'année 1991. La preuve dont j'ai été saisi relativement à l'appel portant sur l'année 1992 et les faits sous-jacents qui ont été produits en preuve son différents. La première ordonnance du juge Hawkins n'a pas été interprétée dans la décision de 1991.

[22]     Dans la cause sous étude, la partie appelante utilise une soi-disant décision rendue par l'autorité administrative sur la non-assurabilité de l'emploi du travailleur Claude Ménard lorsqu'au service de l'appelante pour l'année 1993.

[23]     Un rapport daté du 14 juillet 1994, provenant de Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt, intitulé « Rapport d'opinion du Régime de pensions du Canada et de l'Assurance-chômage » fut produit en preuve sous la côte A-1. Il est à noter que ce document est un « rapport d'opinion » et qu'il a été signé par une agente de participation et non d'une agente d'appels. Il explique les conditions de travail de Claude Ménard auprès de l'appelante pour l'année 1993.

[24]     La conclusion de ce rapport se lit comme suit :

Emploi non-assurable car ne rencontre pas les exigences de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'emploi est exclu selon l'alinéa 3(2)d) de la Loi sur l'assurance-chômage pour l'année 1993.

[25]     Il importe de souligner que l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage est maintenant l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et que cette opinion a été rendue en se basant sur l'alinéa 3(2)d) de la Loi sur l'assurance-chômage qui se lit comme suit :.

d) tout emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

[26]     Il est à noter que dans la cause sous étude, la décision du Ministre sur l'assurabilité de l'emploi du travailleur n'est pas basée sur l'alinéa 3(2)d) maintenant l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[27]     En vertu du Règlement DORS/92-378, daté du 11 juin 1992, sur la délégation de pouvoirs ou fonctions (Loi sur l'assurance-chômage, partie III), le directeur de la Division des appels peut exercer les pouvoirs du Ministre. L'article 5 de ce Règlement se lit comme suit :

Le directeur de la Division des appels et des renvois, le directeur de la Division de la politique et des programmes, le chef de la Section des arrêts et des appels ou le fonctionnaire qui occupe le poste de chef des Appels d'un bureau de district du ministère du Revenu national (Impôt), peut exercer les pouvoirs ou fonctions que confèrent au ministre les articles 61 et 71 de la Loi.

[28]     D'après ce règlement la conclusion de l'agente de participation n'est pas une décision mais une opinion; d'ailleurs le rapport est intitulé « Rapport d'opinion » .

[29]     Dans la cause Simard c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1561, en date du 31 octobre 1996, le juge St-Onge de cette Cour s'est exprimé ainsi :

En vertu de l'article 64 de la Loi, seul le ministre du Revenu national a compétence pour rendre une décision sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant, et c'est cette décision qui tranche définitivement la question de l'assurabilité d'un emploi. Toute autre décision n'est qu'une prise de position ou une opinion. Seulement le ministre du Revenu national a compétence pour rendre une décision dont le sujet est l'assurabilitié d'un emploi.

[30]     Cette Cour constate qu'il n'y a pas eu de véritable décision rendue par le Ministre quant à la non-assurabilité du travailleur pour l'année 1993.

[31]     Seul le ministre du Revenu national ou son délégué a compétence pour rendre une décision sur l'assurabilité de l'emploi de Claude Ménard.

[32]     L'appelante a admis tous les faits allégués dans la Réponse à l'avis d'appel. Donc, le travailleur occupait un emploi assurable pendant la période en litige car cet emploi rencontrait les exigences d'un contrat de louage de services.

[33]     L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'août 2002.

« J.F. Somers »

J.S.C.C.I.

Jurisprudence citée :             Centre Hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux) 2001 C.S.C. 41, no 27022

                                                Blackmore c. M.R.N., NR 519

                                                Entreprises Ludco Ltée c. Canada, [1993] A.C.F. no 1299

                                                Hrab c. Canada, [1996] A.C.I. no 128

                                                Règlement DORS/92-378

Simard c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1561


No DU DOSSIER DE LA COUR :       2001-1743(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Gestion Le Montagnais Inc. et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 4 juin 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge suppléant J.F. Somers

DATE DU JUGEMENT :                    le 15 août 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                       Me Pierre-C. Gagnon

Pour l'intimé :                            Me Vlad Zolia

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                   Nom :           Me Pierre-C. Gagnon

                   Étude :                   Lavery, de Billy

                                                Québec (Québec)

Pour l'intimé :                            Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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