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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20030122

Dossier : 2002-1506(IT)I

ENTRE :

JOE COSENTINO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à

Toronto (Ontario) le 18 septembre 2002.)

Le juge Miller, C.C.I.

[1]      Joe Cosentino a réclamé une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 25 000 $ pour l'année d'imposition 2000 relativement à une perte au titre d'un placement d'entreprise de 37 500 $. Le ministre a rejeté la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de M. Cosentino et ce dernier a porté cette cotisation en appel.

[2]      M. Cosentino, son frère et deux cousins ont travaillé chez Cosentino Wholesale Fruit Limited pendant la plus grande partie des années 1990. Cosentino Fruit appartenait à parts égales aux pères respectifs des cousins, Joe Cosentino père et Frank Cosentino. En 1991, la famille a jugé que la société avait besoin d'un apport de capitaux pour poursuivre ses activités. Elle s'est tournée vers les quatre cousins. Ils ont prêté à la société la somme de 37 500 $ chacun, soit une somme totale de 150 000 $. M. Cosentino a dû contracter une hypothèque subsidiaire sur son bien-fonds pour obtenir les fonds nécessaires à placer dans l'entreprise familiale. Aucune convention de prêt n'a été signée pour les 150 000 $, bien que M. Cosentino ait expliqué que le taux d'intérêt se composait du taux préférentiel plus deux pour cent et que pendant de nombreuses années, il a reçu ses intérêts mensuels de la société. Il a dûment déclaré les revenus d'intérêts lors de la production de ses déclarations de revenu.

[3]      À la fin des années 1990, la situation familiale était telle que M. Cosentino a quitté la société. Son frère l'avait déjà quittée. M. Cosentino ne se sentait plus capable de continuer à travailler avec ses cousins. En outre, une autre crise financière se préparait et M. Cosentino a décidé qu'il était temps de s'en aller. Cela s'est produit en mars 1998. Son père est, toutefois, resté impliqué dans la société en tant que propriétaire à 50 pour cent, malgré que les choses ne semblaient pas aller si bien que cela dans la famille.

[4]      Après mars 1998, M. Cosentino se rappelle n'avoir reçu que quelques mois d'intérêts. Quand il a abordé cette question avec ses cousins, on lui a dit que la banque avait imposé des restrictions à cet égard. Il a indiqué qu'il lui était très difficile de traiter avec ses cousins à ce sujet.

[5]      En 1999, les finances de la société se sont détériorées, tout comme les relations familiales, au point où M. Cosentino et son père ont consulté un avocat. Les enjeux du père de M. Cosentino étaient plus élevés, selon M. Cosentino, puisqu'il avait fourni des garanties personnelles à la banque. En septembre 1999, l'avocat de M. Cosentino et de son père a essayé de résoudre leurs préoccupations financières en proposant un règlement qui les dégagerait de toute participation à la société, y compris le remboursement de la moitié du prêt de 37 500 $ de M. Cosentino et l'annulation des garanties de son père. Le ton de cette lettre indique clairement que M. Cosentino et son père étaient très préoccupés au sujet de la « sécurité des biens familiaux » . Ils n'ont reçu aucune réponse favorable à cette proposition. Ils ont essuyé une rebuffade.

[6]      Au début de l'an 2000, M. Cosentino avait l'impression que la société était au bord de la faillite et avait besoin d'un chevalier blanc pour sauver l'entreprise. Le salut est apparu en la personne de la Toronto Wholesale Produce Association. Cet organisme était disposé à prendre la relève de la Banque Royale en tant que créancier principal de la société, sous réserve du respect de certaines conditions. La société devait être cédée aux cousins de M. Cosentino, il fallait verser plusieurs centaines de milliers de dollars à la Banque Royale, cette dernière devait dégager M. Cosentino et son père de toute obligation et M. Cosentino devait renoncer à tous les droits relatifs à son prêt. Si ces conditions n'étaient pas réunies, la restructuration et le sauvetage de l'entreprise n'auraient pas lieu. M. Cosentino y a consenti et a signé la renonciation le 28 avril 2000. Il pensait que c'était la seule façon de libérer son père de tout fardeau financier futur. En raison du comportement de ses cousins au cours des dix-huit derniers mois, il savait à la fin de 1999 que son placement était probablement perdu de toute façon. S'il n'avait pas accepté cette restructuration, la société aurait, selon lui, fait faillite. En même temps qu'il voulait s'assurer que son père ne serait pas lésé financièrement, il ressentait également de la fierté que le nom de la famille soit associé à une entreprise familiale et il a indiqué clairement qu'il préférait que la société se restructure pour survivre, si cela était possible. Comme il le dit, il y avait beaucoup d'émotivité à ce sujet.

[7]      En l'espèce, pour déduire une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise conformément à l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il faut d'abord passer en revue le paragraphe 50(1). Je me contenterai de lire cette partie :

50(1)     Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

            a)          un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

[...]

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance [...] à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance [...].

Cette disposition impose donc deux conditions : il doit y avoir une créance et elle doit se révéler irrécouvrable. Il ne fait aucun doute qu'il y avait une créance de 37 500 $. Toutefois, l'intimée est d'avis que la créance s'est éteinte en avril 2000, au moment où M. Cosentino a signé la renonciation, et donc que la créance n'existait plus à la fin de l'année. Elle a également affirmé que même s'il y avait une créance, l'appelant n'a pas prouvé qu'elle s'était avérée irrécouvrable au cours de l'année. Selon l'intimée, il n'a pas pris des mesures commerciales raisonnables pour recouvrer sa créance. Par conséquent, on ne peut dire qu'elle s'est avérée irrécouvrable.

[8]      L'intimée a invoqué les principes que la Cour d'appel fédérale a énoncés dans l'affaire Flexi-Coil Ltd. c. Canada[1] où le juge MacGuigan a déclaré ce qui suit :

[...] En résumé, pour décider si le contribuable a droit à une déduction pour mauvaises créances, la Cour doit être convaincue que le contribuable lui-même a conclu que les créances étaient devenues irrécouvrables et qu'en arrivant à cette conclusion, il a agi raisonnablement et d'une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires, appliquant les facteurs appropriés.

En appliquant ce principe, j'en arrive à une conclusion différente de celle de l'intimée. À quoi M. Cosentino faisait-il face lorsqu'il a accepté de radier son placement en avril 2000? Il n'avait reçu aucun intérêt sur sa créance depuis presque deux ans. Il avait essayé en vain de s'entendre avec ses cousins à ce sujet. La société avait continué à faire face à des problèmes financiers. Son père et lui avaient consulté un avocat en 1999. Ils avaient fait une proposition qui avait été rejetée. À la fin de 1999, il estimait que son placement était perdu. La société était au bord de la faillite et ne pouvait être sauvée qu'en respectant les conditions du nouvel investisseur. La garantie de son père ne pouvait être annulée que s'il renonçait à son placement. Il ressentait toujours certains liens familiaux quant à la survie de la société.

[9]      À la lumière de tous ces éléments, j'estime que M. Cosentino a effectivement agi d'une façon commerciale et raisonnable. Le fait d'agir de façon commerciale ne signifie pas nécessairement qu'il faille agir de façon malveillante ou d'une façon qui acculera une société à la faillite uniquement pour prouver qu'on a déployé tous les efforts possibles pour recouvrer une créance. Je préfère croire qu'un comportement commercial peut faire preuve de plus de compassion. Dans ce cas, les choses étaient claires; M. Cosentino n'allait pas récupérer son argent. Pourquoi alors s'obstiner davantage quand on a de bonnes raisons de s'en abstenir?

[10]     Je suis convaincu que la créance de 37 500 $ de M. Cosentino s'est révélée être irrécouvrable en 2000. En fait, quelle meilleure preuve peut-on avoir qu'une créance est désormais irrécouvrable que le fait que le créancier est prêt à renoncer à la créance pour rien ou, dans ce cas, pour un dollar? Ce n'était que la consécration formelle de ce dont M. Cosentino s'était déjà rendu compte. Selon l'intimée, le problème que cela pose pour M. Cosentino est que du moment qu'il a disposé de la créance, cette dernière n'était plus exigible à la fin de 2000; toutefois, l'intimée affirme qu'il doit y avoir une créance pour que le paragraphe 50(1) puisse s'appliquer.

[11]     Il ne fait aucun doute que M. Cosentino a investi dans une société exploitant une petite entreprise. Il ne fait aucun doute que cet investissement a mal tourné, tout comme certains liens familiaux. Je crois savoir que l'objectif des règles relatives aux pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise est d'encourager les placements dans les petites entreprises en assurant un traitement fiscal plus favorable que celui des pertes en capital ordinaires au cas où le placement échoue. Ces règles devraient s'appliquer dans le cas de M. Cosentino; toutefois, elles sont formulées d'une telle façon qu'elles ne s'appliquent pas à lui, à première vue, parce qu'il avait renoncé à tous ses droits à la créance. Il l'a réellement radié à titre de créance irrécouvrable. Ce résultat semble contraire à l'intention des règles relatives aux pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise. S'il avait vendu ses droits à la Toronto Wholesale pour un dollar, il aurait eu droit à une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise en vertu du sous-alinéa 39(1)c)(ii). Au lieu de cela, il a radié la créance en y renonçant pour un dollar. Je conclus qu'il aurait eu droit à sa perte déductible au titre d'un placement d'entreprise en 1999 s'il l'avait réclamée. Il existait encore une créance exigible à la fin de 1999. Était-elle irrécouvrable? Oui. Il n'était pas utile d'insister sur le coup fatal que représentait la renonciation de M. Cosentino à la créance en avril 2000 pour me convaincre que ce dernier avait raison de considérer cette créance comme étant irrécouvrable en 1999.

[12]     La lettre de BDO Dunwoody qui énonçait les conditions de la Toronto Wholesale, notamment celle de présenter une proposition concordataire en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, était datée du 4 janvier 2000. Je suis persuadé que M. Cosentino savait à la fin de 1999 que tout effort pour recouvrer sa créance serait futile et il avait raison. Je ne suis pas saisi de l'année d'imposition 1999, mais j'en fait mention pour souligner à l'intimée que si cette affaire portait sur l'année 1999, j'aurais accordé à M. Cosentino une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise puisque toutes les conditions de l'alinéa 39(1)c) et du paragraphe 50(1) auraient été réunies. Devrais-je, Maître Edinboro, rejeter son appel, lui suggérer de produire une déclaration de revenu modifiée pour l'année 1999, demander au ministre de donner une suite favorable à la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise de 1999 et risquer que si tout cela n'aboutit pas au résultat prévu, nous devrons revenir ici dans deux ans pour résoudre le même problème et donner une suite favorable à M. Cosentino à ce moment-là? Ou puis-je, en toute légitimité, en arriver à une conclusion pragmatique dans le cadre de la procédure informelle en admettant le présent appel relativement à l'an 2000? Je crois pouvoir le faire.

[13]     À l'appui de cette conclusion, je me reporte à la décision que le juge McArthur a récemment rendue dans l'affaire Gurberg c. La Reine[2]. Dans cette affaire, l'appelant avait également renoncé à une créance en avril 1996. Le juge McArthur a estimé que puisque la créance était exigible à la fin de 1995, les conditions du paragraphe 50(1) étaient réunies et la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise a été admise. Je suis disposé, dans la présente affaire, à accepter cette interprétation de l'interaction entre le paragraphe 50(1) et l'alinéa 39(1)c) et conclure de même que M. Cosentino a droit à sa perte déductible au titre d'un placement d'entreprise en 2000.


[14]     L'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que M. Cosentino a droit à sa perte déductible au titre d'un placement d'entreprise qui découle de sa perte de 37 500 $. J'estime que la moitié de cette somme représenterait, selon la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur en 2000, la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2003.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           C.A.F., no A-707-95, 7 juin 1996, 96 D.T.C. 6350, [1996] 3 C.T.C. 57.

[2]           C.C.I., no 1999-1977(IT)G, 7 décembre 2001, 2002 D.T.C. 1363, [2002] 2 C.T.C. 2165.

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