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Dossier : 2000-4164(GST)G

ENTRE :

ROGER OBONSAWIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Requêtes entendues le 4 novembre 2003, à Toronto (Ontario).

Par : L'honorable Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Barry S. Wortzman et Me Sean Lawler

Avocat de l'intimée :

Me Gordon Bourgard

____________________________________________________________________

ORDONNANCE

          VU la requête présentée par l'appelant en vue d'obtenir une ordonnance modifiant l'avis d'appel ainsi qu'une ordonnance suspendant l'appel jusqu'à ce qu'il soit statué de manière définitive sur l'action intentée devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario sous le numéro de greffe 03-CV-246581-CM3;

          ET VU la requête présentée par l'intimée en vue d'obtenir une ordonnance radiant certains paragraphes du prétendu avis d'appel modifié en application des alinéas 53a) et b) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale);

          ET APRÈS avoir lu l'affidavit et le contre-interrogatoire de Roger Obonsawin déposés au dossier;

          ET APRÈS avoir entendu les avocats des parties;

          LA COUR ORDONNE :

1.        que la requête de l'appelant visant à obtenir la suspension de l'appel soit rejetée;

2.        que les paragraphes suivants de l'avis d'appel modifié de l'appelant soient acceptés comme modifiés : 13, 14, 15, 16, 28, 29, 32 (sous réserve de la suppression du dernier passage « and in breach of his employee's tax exemption rights » ), 56, 57 et 58(a);

3.        que, compte tenu du paragraphe 2, la requête de l'intimée soit accueillie.

Les dépens suivront l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI3

Date : 20040206

Dossier : 2000-4164(GST)G

ENTRE :

ROGER OBONSAWIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Miller

[1]      L'appelant, M. Roger Obonsawin, présente une requête en vue d'obtenir une ordonnance portant modification de l'avis d'appel et suspension temporaire de l'appel jusqu'à ce qu'il soit statué de manière définitive sur l'action intentée devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario sous le numéro de greffe 03-CV-246581-CM3 (l' « action CSJO » ). L'intimée présente quant à elle une requête en vue d'obtenir une ordonnance radiant certaines parties de l'avis d'appel modifié de l'appelant. Le problème soulevé dans ces requêtes découle du fait que l'appelant, par nécessité, a demandé diverses réparations devant divers tribunaux.

[2]      M. Obonsawin a intenté deux actions : la présente action devant la Cour canadienne de l'impôt introduite le 28 septembre 2000 afin d'interjeter appel d'une cotisation de taxe sur les produits et services (la « cotisation de TPS » ); l'action CSJO, d'abord introduite le 21 juin 2000 dans le cadre d'un recours collectif et subséquemment poursuivie à titre d'action indépendante déposée le 3 avril 2003, par laquelle M. Obonsawin demande réparation au gouvernement du Canada, à des ministres du gouvernement de même qu'à des fonctionnaires publics. Il est utile de préciser la nature de la réparation que demande M. Obonsawin dans le cadre de l'action CSJO[1].

[TRADUCTION]

DEMANDE

1.          Le demandeur réclame les réparations suivantes :

            (a)         des dommages-intérêts pour violation des obligations de fiduciaire;

(b)         une déclaration fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et le paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés voulant qu'un certain nombre ou l'ensemble des défendeurs aient enfreint les droits qui sont garantis au demandeur par l'article 35 de la Constitution;

(c)         des dommages-intérêts pour violation des droits constitutionnels contrairement au paragraphe 24(1) de la Charte des droits et libertés;

(d)         des dommages-intérêts pour abus de pouvoir dans l'exercice des pouvoirs et des obligations prévus par la loi;

(e)         une injonction mandatoire provisoire et définitive interdisant aux défendeurs de contrevenir à l'entente intervenue dans la cause type;

(f)          une injonction provisoire et définitive enjoignant aux défendeurs de respecter et d'exécuter l'entente intervenue dans la cause type;

(g)         une injonction provisoire et définitive interdisant aux défendeurs d'établir une discrimination contre le demandeur en ce qui concerne les droits à l'exemption d'impôts de ses employés;

(h)         une déclaration selon laquelle la cotisation de TPS qui a été établie à l'endroit du demandeur et qui est explicitée et définie au sous-paragraphe 59(a) plus loin est nulle;

            (i)          des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs;

            (j)          les dépens calculés en fonction d'une indemnité importante;

(k)         les autres réparations que la Cour estimera convenables et justes.

[3]      L'avocat de M. Obonsawin, Me Wortzman, a fait valoir que la Cour canadienne de l'impôt n'a pas compétence pour statuer sur les délits que constituent l'abus de pouvoir et l'abus de procédure, et qu'elle ne peut certainement pas accorder des dommages-intérêts à cet égard. Il soutient toutefois que la CSJO peut non seulement tirer une conclusion quant à l'abus de pouvoir ou de procédure, mais aussi prononcer en faveur de l'appelant une déclaration voulant que la cotisation de TPS soit frappée de nullité. Cependant, selon Me Wortzman, l'appelant serait alors obligé de retourner devant la Cour canadienne de l'impôt et de lui présenter les conclusions de la CSJO pour obtenir que la présente Cour annule la cotisation, puisque seule cette dernière a compétence pour accorder une telle réparation. Si la Cour canadienne de l'impôt décidait de procéder avant que la CSJO ne tire ses conclusions et de simplement entendre les questions de fond relatives à la taxation, et qu'elle concluait que la cotisation est fondée, l'appelant s'exposerait alors à des mesures de recouvrement visant une dette au titre de la TPS d'environ sept millions de dollars de la part de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), ce qui aurait pour effet de mettre l'appelant en faillite d'après Me Wortzman. Voilà, selon ce dernier, le préjudice que risque de subir M. Obonsawin si je n'accorde pas la suspension.

[4]      M. Obonsawin souhaite également modifier les actes de procédure de façon à tenir compte de cette demande de suspension et à permettre que la Cour canadienne de l'impôt puisse annuler la cotisation dans l'éventualité où la CSJO conclurait à l'existence d'un abus de pouvoir et prononcerait une déclaration voulant que la cotisation soit nulle. La plupart des modifications intéressent donc le contexte de la présumée mauvaise conduite flagrante du gouvernement.

[5]      L'intimée s'oppose à la demande de suspension. Me Bourgard a initialement soutenu que la Cour canadienne de l'impôt est le tribunal compétent pour instruire la question de l'abus de procédure, qu'il distingue de l'abus de pouvoir. Me Bourgard se fonde sur la récente décision Dwyer v. The Queen[2] pour affirmer que la Cour canadienne de l'impôt peut annuler une cotisation de TPS pour cause d'abus de procédure. En outre, comme le fond de la présente affaire repose sur la cotisation au titre de la TPS établie à l'égard de M. Obonsawin, la Cour canadienne de l'impôt est la mieux placée pour examiner la question centrale. Ce n'est que lorsque la Cour canadienne de l'impôt aura statué sur la question de l'annulation de la cotisation et, si elle choisit de ne pas annuler celle-ci, lorsqu'elle se sera prononcée sur le caractère approprié du montant de la cotisation, que la CSJO pourrait trancher de manière définitive l'action en dommages-intérêts fondée sur un abus de pouvoir ou un abus de procédure. Les seules modifications que Me Bourgard ne conteste pas sont celles qui concernent l'avis d'appel et qui permettraient à l'appelant de demander l'annulation de la cotisation pour abus de procédure.

[6]      Quelque temps après les plaidoiries, Me Bourgard a informé la Cour d'un changement dans la thèse de l'intimée. Ce changement est survenu après que l'intimée a examiné les décisions Main Rehabilitation Co. Ltd. c. La Reine[3] et Pintendre Autos Inc. v. The Queen[4] de la Cour ainsi que le récent arrêt Webster c. La Reine[5] de la Cour d'appel fédérale. On admet maintenant que la présente Cour n'a pas compétence pour annuler, pour cause de conduite abusive de la part du gouvernement, une cotisation fondée. La différence à cet égard entre la thèse de l'appelant et celle avancée par l'intimée réside dans le fait que, d'après l'intimée, il ne peut être ordonné à la Cour canadienne de l'impôt d'annuler une cotisation au motif qu'un autre tribunal (la CSJO en l'espèce) a déclaré que cette cotisation était nulle en raison d'un abus de pouvoir de la part du gouvernement. (L'intimée laisse entendre qu'il serait de toute façon invraisemblable qu'un tribunal judiciaire ontarien prononce une telle déclaration.) L'appelant fait valoir que, même si la Cour canadienne de l'impôt ne peut trancher la question de l'abus de pouvoir, elle peut, et doit, annuler la cotisation si un tribunal compétent déclare celle-ci nulle.

[7]      De l'avis du gouvernement, le changement apporté à la thèse de l'intimée fait en sorte que la Cour canadienne de l'impôt n'est plus saisie que de la question de la fixation du montant approprié de la cotisation. Et cependant, je n'ai pas reçu d'autres observations du gouvernement, peut-être parce que je n'en ai pas demandé, au sujet de la demande de modification des actes de procédure déposée par l'appelant. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin.

[8]      De toute évidence, la Cour canadienne de l'impôt a la compétence exclusive d'annuler une cotisation de TPS. Tout aussi manifestement, la CSJO a compétence pour accorder des dommages-intérêts dans le cadre d'une action en responsabilité délictuelle fondée sur un abus de pouvoir ou un abus de procédure. Ce qui est moins évident, c'est de savoir qui a compétence pour prononcer un jugement déclaratoire. Il convient, avant de se pencher sur la demande de suspension, de préciser certaines notions dans l'examen de cette question. Qu'est-ce que l'abus de pouvoir? Qu'est-ce que l'abus de procédure?

Abus de pouvoir

[9]      L'abus de pouvoir est un délit qui, dans l'ouvrage intitulé Remedies In Tort[6], est explicité de la façon suivante :

[TRADUCTION]

60.1      Il est reconnu que le délit comporte deux volets ou aspects : (1) lorsque le fonctionnaire public jouit du pouvoir juridique d'agir, mais qu'il exerce sciemment ce pouvoir afin, principalement et irrégulièrement, de porter préjudice au demandeur, ce qu'on appelle généralement une « intention de nuire ciblée » ; (2) lorsque le fonctionnaire public agit en sachant qu'il n'a aucun pouvoir juridique d'accomplir l'acte qui lui est reproché et que cet acte causera vraisemblablement préjudice au demandeur. L'existence des deux volets du délit a été confirmée par la Chambre des lords dans l'arrêt Three Rivers District Counsel v. Bank of England (No. 3).

60.2      Selon la Chambre des lords, un délit comporte les éléments suivants : (1) le défendeur doit être un fonctionnaire public; (2) il doit avoir exercé le pouvoir à ce titre; (3) l'état mental particulier du défendeur (en ce qui concerne l'un ou l'autre aspect du délit); (4) une obligation envers le demandeur; (5) un lien de causalité; (6) l'existence de dommages découlant du délit. S'appuyant sur cet arrêt, les tribunaux de la Colombie-Britannique ont mentionné que le délit se compose des éléments suivants : (1) le défendeur doit être un fonctionnaire public; (2) il doit avoir exercé le pouvoir à ce titre; (3) le défendeur doit être dans un état mental tel que soit il avait une intention de nuire ciblée, soit il a agi en sachant ou en affichant une indifférence téméraire quant au fait que son acte était illégal, d'une part, et en sachant ou en affichant une indifférence téméraire quant au fait qu'un préjudice serait vraisemblablement causé au demandeur, d'autre part; (4) il doit exister une obligation envers le demandeur ou ce dernier doit avoir un intérêt suffisant pour lui donner qualité pour ester en justice; (5) le demandeur doit avoir subi une perte du fait de l'exercice du pouvoir.

Les auteurs poursuivent en signalant que des dommages-intérêts exemplaires sont particulièrement indiqués dans les cas d'abus de cette nature. Il n'est pas contesté que la CSJO, et non la Cour canadienne de l'impôt, est le tribunal compétent pour statuer sur cet aspect de la demande de l'appelant.

Abus de procédure

[10]     Cette notion devient sensiblement plus complexe lorsqu'elle est appliquée dans un certain nombre de contextes différents.

(i)       Délit. S'appuyant également sur les explications données dans l'ouvrage Remedies In Tort[7], monsieur Lewis Klar et le juge Linden ont mentionné que ce délit découlait de la décision Grainger v. Hill[8] :

[TRADUCTION]

4. « [...] Il s'agit d'une action pour abus dans l'application de la loi parce que celle-ci a été employée afin d'extorquer un bien sur lequel les défendeurs n'ont aucun droit : cela constitue en soi une cause d'action suffisante, sans qu'il soit nécessaire d'alléguer qu'il n'existe aucune cause raisonnable ou probable étayant la poursuite elle-même » (le juge Vaughan). « Ce n'est pas une action fondée sur une arrestation ou une poursuite dans une intention malveillante ni sur le fait d'accomplir, de façon malveillante, un acte qui est permis par la loi; le recours a été exercé pour un motif secret, soit celui d'obtenir, par la contrainte, un bien sur lequel les défendeurs n'avaient aucun droit. L'action n'a pas été introduite parce que le recours a été exercé dans une intention malveillante, mais parce qu'il y a eu recours abusif à la Cour » (le juge Bosanquet).

[...]

14. Pour établir l'existence d'un abus de procédure, le demandeur doit montrer que le défendeur a utilisé contre lui des voies de droit uniquement dans un but autre que celui pour lequel ces voies de droit ont été conçues. En d'autres termes, les actes de procédure constituaient « simplement des paravents destinés à exercer une contrainte contre le défendeur d'une manière qui excède totalement la portée de la prétention légale dont le tribunal est saisi » . Le fait que le recours soit fondé importe peu au regard de l'action s'il a été exercé dans un but illégitime accessoire à l'objet déclaré de l'acte de procédure. Pour être illégitime, il faut que l'avantage accessoire recherché soit dépourvu d'un lien suffisant avec l'instance et que, n'eut été de son existence, le défendeur n'aurait pas introduit l'action.

La Cour canadienne de l'impôt est également incompétente en ce qui touche les dommages-intérêts auxquels cette responsabilité civile délictuelle peut donner droit.

(ii)       Compétence inhérente de la Cour quant à sa propre procédure. La Cour canadienne de l'impôt n'est pas différente des autres cours supérieures en ce qui a trait à sa compétence inhérente d'empêcher le recours abusif à son propre processus judiciaire. Les règles de la Cour canadienne de l'impôt sont remplies d'exemples, dont le plus clair est peut-être celui donné à l'article 53 des règles, qui permettent à la Cour de radier l'ensemble d'un acte de procédure parce qu'il constitue un recours abusif au tribunal.

[11]     Cependant, il ne s'agit pas là du recours abusif au tribunal qui est en litige en l'espèce puisque le recours abusif, le cas échéant, ne constituait pas un recours abusif à la Cour, mais plutôt un abus de procédure relatif à l'établissement d'une cotisation et à la cotisation elle-même.

(iii)      Abus de procédure dans le contexte d'un manquement aux principes de la justice naturelle en droit administratif ou public.

[12]     Cet abus semble être celui auquel renvoyait Me Bourgard lorsqu'il a d'abord laissé entendre que la Cour pouvait annuler une cotisation si le ministre, par les mesures de cotisation qu'il a prises, choque la conscience de la collectivité. Même si elle était saisie d'une question touchant un retard, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)[9], a examiné cette notion d'abus de procédure de façon relativement approfondie. Voici ce qu'a mentionné le juge Bastarache au paragraphe 105 :

Il est bien établi en droit que les instances décisionnelles publiques ont toutes l'obligation générale d'agir équitablement [...] Les propos suivants du juge Dickson dans l'arrêt Martineau[10], à la p. 631, illustrent peut-être le mieux le sens traditionnel de l'obligation d'agir équitablement en droit administratif :

            En conclusion, la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci : compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.

Ces observations ont été formulées par la Cour alors qu'elle exerçait son rôle de surveillance à l'égard d'un tribunal administratif, la Human Rights Commission de la Colombie-Britannique, mais je ne vois aucune raison qui empêche de les appliquer également à n'importe quel fonctionnaire public. Le juge Bastarache a en outre affirmé, au paragraphe 120 :

Pour conclure qu'il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [TRADUCTION] « le préjudice qui serait causé à l'intérêt du public dans l'équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l'intérêt du public dans l'application de la loi, s'il était mis fin à ces procédures » [...]. Le juge L'Heureux-Dubé affirme dans Power[11], précité, à la p. 616, que, d'après la jurisprudence, il y a « abus de procédure » lorsque la situation est à ce point viciée qu'elle constitue l'un des cas les plus manifestes. À mon sens, cela s'appliquerait autant à l'abus de procédure en matière administrative. Pour reprendre les termes employés par le juge L'Heureux-Dubé, il y a abus de procédure lorsque les procédures sont « injustes au point qu'elles sont contraires à l'intérêt de la justice » (p. 616). « Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares » (Power, précité, à la p. 616). Dans le contexte administratif, il peut y avoir abus de procédure lorsque la conduite est tout aussi oppressive.

[13]     Cette notion, même si elle tire en grande partie son origine des instances pénales, s'applique-t-elle aux fonctionnaires publics d'un ministère gouvernemental dont le rôle consiste à établir le montant de la dette fiscale d'un contribuable? L'obligation d'agir équitablement s'étend certainement à un ministre établissant une cotisation. Comme l'expliquent Donald J.M. Brown et John M. Evans dans leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada[12], l'obligation d'agir équitablement incombe à tous les pouvoirs publics chargés de rendre une décision administrative qui n'est pas de nature législative et qui influe sur les droits, les privilèges ou les intérêts d'un particulier. Les parties conviennent, toutefois, que la Cour n'a pas compétence pour entendre les observations relatives à cette forme d'abus de procédure ni pour accorder une réparation appropriée. Manifestement, cette opinion est partagée par les juges qui ont prononcé les décisions Webster, Main Rehabilitation et Pintendre susmentionnées. Ils semblent avoir définitivement réglé l'ambiguïté qui demeurait à la suite du récent arrêt Dwyer de la Cour d'appel fédérale au sujet de la question de la compétence. J'espère que ce tribunal aura dans l'avenir l'occasion d'entendre un débat approfondi sur la question de la compétence de la présente Cour.

[14]     La CSJO a-t-elle compétence pour accorder une réparation fondée sur le droit public dans ce contexte? L'appelant a répondu par l'affirmative et a soutenu qu'elle peut prononcer un jugement déclaratoire. Même si elle n'examine pas ce point de manière approfondie, puisque cela n'était pas nécessaire, l'intimée fait plutôt valoir que la réparation susceptible d'être accordée à l'appelant devant la CSJO est celle applicable aux abus de procédure ou de pouvoir en droit privé : réparation que ne peut accorder la Cour canadienne de l'impôt. Me Wortzman avance que cette situation soustrait la conduite du gouvernement à toute surveillance. Je ne suis pas d'accord. Sans avoir à décider de la compétence d'un autre tribunal, il se peut très bien qu'il existe une autre réparation en droit public - mais la Cour canadienne de l'impôt ne pourrait simplement pas l'accorder[13]. L'action en responsabilité délictuelle fondée sur un abus de pouvoir permet également, dans une certaine mesure, d'exercer une surveillance à l'endroit du gouvernement. Si le tribunal ayant compétence à l'égard d'une telle action en responsabilité délictuelle estime que les dommages-intérêts doivent être entièrement tributaires du montant approprié de l'impôt irrégulièrement établi, il peut alors faire en sorte que la réparation accordée permette d'atteindre cet objectif. En pratique, cette mesure aurait un effet analogue à celui d'une déclaration selon laquelle la cotisation est nulle.

[15]     Je n'ai pas l'intention de dire à un autre tribunal en quoi consiste sa compétence, indépendamment des récentes observations formulées par les tribunaux en ce qui concerne la retenue dont il faut faire preuve envers les décisions rendues par la Cour canadienne de l'impôt en matière fiscale[14]. Si la CSJO a compétence en matière de droit public et qu'elle prononce un jugement déclaratoire, il ne s'ensuit pas que la présente Cour doive automatiquement mettre cette décision en oeuvre en annulant la cotisation. Si la Cour n'a pas compétence pour entendre sans détour les questions d'abus de pouvoir en vue d'annuler une cotisation, je ne vois pas comment elle pourrait annuler une cotisation sur le fondement de la décision d'un autre tribunal voulant qu'il y ait abus de pouvoir. Si le gouvernement tente de continuer de recouvrer sa cotisation à la lumière d'une telle déclaration de la CSJO, l'appelant pourrait tenter d'obtenir un jugement déclaratoire de la Cour fédérale. Et cette question ne relève pas non plus de la Cour canadienne de l'impôt.

[16]     Pour conclure sur la question de la compétence, j'accepte la thèse de l'avocat voulant que la Cour canadienne de l'impôt ne puisse instruire la question de droit public touchant l'abus de pouvoir en vue d'annuler une cotisation. Je rejette la position avancée par l'appelant selon laquelle la Cour peut en revanche annuler la cotisation si la CSJO prononce une déclaration voulant que la cotisation soit nulle parce que le gouvernement a commis un abus de pouvoir. Je n'ai pas à décider de la compétence de la CSJO à cet égard. La question dont la Cour est saisie vise uniquement l'établissement du montant approprié de la cotisation de TPS. À la lumière de ce qui précède, je vais maintenant me pencher sur les demandes présentées devant moi.

Demande de suspension temporaire

[17]     Au moment de décider de l'opportunité d'accorder une suspension - même une suspension temporaire comme en l'espèce -, il faut d'abord et avant tout se préoccuper de la meilleure façon de servir les intérêts de la justice. Cela est particulièrement difficile lorsque des instances sont en cours devant deux tribunaux de compétence concurrente. Moins les compétences se chevauchent, moins la situation est problématique. Dans la présente affaire, la CSJO a manifestement la compétence exclusive d'entendre les demandes de dommages-intérêts fondées sur le droit public qui sont présentées dans le cadre d'actions en responsabilité délictuelle. Comme je l'ai mentionné plus haut, la Cour canadienne de l'impôt a compétence exclusive pour instruire les questions de fond en matière fiscale. Il n'y a pas de chevauchement entre la compétence de la Cour canadienne de l'impôt et celle de la CSJO : les questions soumises à l'examen de chacun des deux tribunaux sont entièrement distinctes.

[18]     Quel est le critère applicable pour trancher la demande de suspension? Voici comment ce critère est énoncé dans la décision Varnam c. Canada[15] :

Une suspension d'instance n'est jamais accordée automatiquement. La question nécessite l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire pour déterminer si on doit suspendre l'instance vu les faits particuliers de l'affaire. Le pouvoir de suspendre doit être exercé de façon raisonnable et une suspension d'instance sera ordonnée seulement dans les cas les plus évidents. Une ordonnance pour justifier une suspension d'instance doit satisfaire à deux conditions, l'une positive et l'autre négative : (a) le défendeur doit convaincre le tribunal que la poursuite de l'action entraînerait une injustice parce qu'elle serait oppressive ou vexatoire pour lui ou qu'elle constituerait un abus des procédures du tribunal d'une façon ou d'une autre; et (b) la suspension d'instance ne doit causer aucune injustice au demandeur. Dans les deux cas, la charge de la preuve incombe au défendeur. Les dépenses et les inconvénients causés à une partie et l'éventualité d'un rejet de l'action si l'appel est accueilli ne constituent pas des faits particuliers suffisants pour accorder une suspension : Communications Workers of Canada c. Bell Canada, [1976] 1 C.F. 282 (1re instance); Weight Watchers Int'l Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972), 25 D.L.R. (3d) 419 (C.F. 1re instance); Baxter Travenol Laboratories Ltd. c. Cutter (Canada), Ltd. (1981), 54 C.P.R. (2d) 218 (C.F. 1re instance).

[19]     D'autres décisions de la Cour d'appel fédérale suivent cette approche qui comporte deux volets, à savoir l'existence d'une injustice envers le défendeur et l'absence d'injustice envers le demandeur. Les tribunaux ontariens ont également examiné le facteur lié aux inconvénients, comme il ressort de la décision Sportmart, Inc. v. Toronto Hospital Foundation[16] :

[TRADUCTION]

            Parmi les facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour décider de l'opportunité de suspendre l'une des deux actions, il doit notamment se demander quelle action a été introduite en premier; à qui incombe la charge principale de la preuve; quelle action a la portée la plus globale; et en faveur de qui joue la prépondérance des inconvénients.

On a de même fait mention des inconvénients dans des affaires issues de la Colombie-Britannique (Amchem Products Inc. c. British Columbia (Workers' Compensation Board)[17], où le critère recommandé consiste à se demander s'il est possible de rendre justice de manière beaucoup moins désavantageuse ou moins coûteuse et si la suspension prive le demandeur d'un avantage personnel ou juridique légitime.

[20]     Bref, le critère que je vais appliquer dans le cadre de la demande de suspension dont je suis saisi est le suivant :

-         Premièrement, la poursuite de l'action serait-elle oppressive ou vexatoire pour l'appelant, lui serait-elle préjudiciable, ou constituerait-elle un recours abusif à la Cour? Cette première condition doit toujours être respectée, faute de quoi aucune suspension ne devrait être accordée.

-         Deuxièmement, dans le cas où la poursuite de l'action causerait un préjudice à l'appelant, le fait de ne pas la poursuivre entraînerait-il un préjudice pour l'intimée?

-         Troisièmement, dans l'éventualité où l'intimée subirait également un préjudice, la Cour doit alors apprécier les préjudices respectifs pour décider de la meilleure façon de servir les intérêts de la justice. Dans le cadre de cette dernière analyse, il convient de tenir compte de facteurs comme les inconvénients, les dépenses, le droit applicable à l'opération, le lieu où se trouvaient les parties ainsi que les circonstances particulières de l'affaire.

[21]     Si on applique cette méthode en l'espèce, quel est le préjudice ou l'oppression que subirait M. Obonsawin dans l'éventualité de la poursuite de l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt? Me Wortzman a souligné que, si la Cour canadienne de l'impôt confirme la cotisation de TPS de plusieurs millions de dollars avant que M. Obonsawin n'ait l'occasion de faire valoir devant un autre tribunal que la conduite abusive du gouvernement est telle que la cotisation de TPS devrait être déclarée nulle ou que des dommages-intérêts équivalant à la cotisation devrait être accordés, ce préjudice, pour M. Obonsawin, consisterait en la ruine financière.

[22]     En d'autres termes, l'oppression ou le préjudice ne découle pas de la fixation, par la Cour canadienne de l'impôt, du montant approprié de la cotisation. Je m'inscris également en faux contre l'assertion voulant que les conséquences financières d'une telle décision de la Cour canadienne de l'impôt soient plus oppressives pour M. Obonsawin que pour tout autre contribuable faisant face à une dette importante au titre de la TPS. Le préjudice tient uniquement au fait que l'ADRC pourrait tenter de recouvrer la dette avant qu'une décision sur la validité sous-jacente de la cotisation elle-même soit rendue. Mais en quoi cela diffère-t-il de tout autre appel habituellement interjeté à la Cour d'appel fédérale contre une décision relative à la TPS de la Cour canadienne de l'impôt? Il n'y a pas de suspension automatique des mesures de recouvrement[18]. M. Obonsawin, comme tout autre contribuable qui continue de poursuivre une cause d'action, peut exercer devant un tribunal compétent les recours en matière de recouvrement dont il dispose. Dans la présente situation, il se trouve qu'il a intenté une action à la Cour supérieure de justice de l'Ontario. L'interruption de l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt, qui n'intéresse que la fixation du montant approprié de la taxe, n'est pas un recours approprié dans le cas d'un problème de recouvrement, lequel surviendrait uniquement à la suite du prononcé d'une décision par la Cour canadienne de l'impôt.

[23]     M. Obonsawin tente de mettre la charrue avant les boeufs. La Cour doit procéder à fixer le montant approprié de la cotisation de TPS. L'action devant la CSJO n'a aucune incidence à cet égard. S'il advient que M. Obonsawin reçoit la décision de la Cour canadienne de l'impôt avant que la CSJO ne se prononce sur l'action dont elle est saisie, il pourrait alors examiner les différentes voies juridiques qui s'ouvrent à lui pour contrer les mesures de recouvrement prises par l'ADRC. Accorder une suspension en l'espèce reviendrait à écarter la mise en garde formulée dans des affaires antérieures selon laquelle il faut exercer ce pouvoir avec modération. Comme il n'y a pas de compétence concurrente entre la Cour canadienne de l'impôt et la CSJO, comme la question visée intéresse le recouvrement, comme l'appelant dispose de recours juridiques pour résoudre ses préoccupations lorsqu'elles prendront naissance, comme il pourrait être avantageux pour la CSJO de connaître la décision de la Cour canadienne de l'impôt quant au caractère approprié de la cotisation, j'arrive à la conclusion que le fait d'instruire la question en Cour canadienne de l'impôt n'entraînera pas une oppression pour M. Obonsawin.

[24]     Compte tenu de la conclusion susmentionnée, il est inutile de procéder aux deuxième et troisième étapes de l'analyse.

Demande de modification des actes de procédure

[25]     Les modifications apportées par l'appelant à l'avis d'appel reflètent presque totalement la déclaration déposée dans l'action devant la CSJO. Me Wortzman a avancé qu'il s'agissait de préparer la Cour canadienne de l'impôt à ce que l'appelant revienne devant elle muni d'une déclaration de la CSJO selon laquelle la cotisation de TPS est nulle. Cela n'est plus nécessaire compte tenu de mon opinion sur la compétence de la présente Cour. En revanche, il est nécessaire que l'appelant invoque les faits permettant d'étayer la fixation du montant approprié de la dette au titre de la TPS.

[26]     L'avocat de l'intimée s'est opposé à un certain nombre des modifications demandées par l'appelant, mais il a agi ainsi parce qu'il croyait que la Cour avait compétence pour trancher la question de l'abus de pouvoir. Il a changé sa position à cet égard et j'ai accepté ce changement. La demande de modification doit être examinée dans ce contexte.

[27]     L'appelant a présenté les modifications visées sous deux rubriques principales intitulées [TRADUCTION] « Annulation de la cotisation » (paragraphes 13 à 39) et [TRADUCTION] « Allégations concernant l'abus de pouvoir » (paragraphes 40 à 61). Les rubriques elles-mêmes pourraient laisser croire que tout ce qui suit n'est pas pertinent au regard des questions de fond dont la Cour demeure saisie. Or, les questions de fond relatives à la taxe englobent les questions de savoir quels biens sont exemptés de taxation en application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens[19] et quels biens sont exemptés en raison de droits existants du peuple autochtone. Comme certains des paragraphes paraissent effectivement avoir une relative pertinence pour régler ces questions, je vais donc préciser les paragraphes que j'estime acceptables. Les rubriques elles-mêmes ne sont pas acceptables, non plus que les paragraphes 62, 72 et 73(a), lesquels portent directement sur ce que la Cour ne peut pas faire.

[28]     Premièrement, les paragraphes 13, 14, 15 et 16, même s'ils touchent aux obligations de fiduciaire, peuvent être interprétés comme s'ils étayaient une demande d'exemption au terme de l'un ou l'autre des points susmentionnés. Je fais droit à ces modifications.

[29]     Deuxièmement, les paragraphes 28, 29 et 32 (sous réserve de la suppression du dernier passage « and in breach of his employee's tax exemption rights » ) intéressent la façon dont l'intimée applique les droits d'exemption de taxation et sont pertinents. Je les accepte.

[30]     Troisièmement, les paragraphes 56, 57 et 58(a) permettent de savoir dans quel contexte la cotisation de TPS a été établie et ils sont acceptés.

[31]     Aucune modification autre que celles expressément mentionnées ci-dessus n'est permise.

Conclusion

[32]     La demande de M. Obonsawin visant à obtenir une suspension est rejetée parce qu'il ne subira aucun préjudice si l'affaire dont est saisie la Cour canadienne de l'impôt est instruite. Le risque que la fixation du montant d'une cotisation par voie judiciaire donne lieu à une issue éventuellement défavorable de l'instance en recouvrement n'entraîne pas un préjudice justifiant le prononcé d'une suspension par la Cour. Il existe d'autres recours pour contrer les mesures de recouvrement.

[33]     Quant à la demande de modification des actes de procédure présentée par M. Obonsawin, seules les modifications suivantes sont permises : les paragraphes 13, 14, 15, 16, 28, 29, 32 (sous réserve de la suppression d'une partie de ce paragraphe, comme il est mentionné plus haut), 56, 57 et 58(a). En conséquence de ces modifications, la requête de l'intimée est accueillie. Les dépens suivront l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2004.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2005.

Jacques Deschênes, traducteur



[1]           Dossier de la requête de l'appelant, volume 2 de 2, onglet W, page 319.

[2]           [2001] C.T.C. 2755; confirmée par [2003] A.C.F. no 1265.

[3]           Référence neutre 2003CCI454.

[4]           Référence neutre 2003CCI818.

[5]           [2003] CAF 388.

[6]           Onglet 1, recueil supplémentaire de textes faisant autorité de l'appelant, page 24-50.1.

[7]           Onglet 4, receuil supplémentaire de textes faisant autorité de l'appelant, sous la direction de L.D. Rainaldi, Toronto, Thomas Carswell, 2003, pages I-5 et I-9.

[8]           (1838), 4 Bing N.C. 212, 132 E.R. 769.

[9]           [2000] 2 R.C.S. 307.

[10]          [1980] 1 R.C.S. 602.

[11]          [1994] 1 R.C.S. 601.

[12]          Toronto, Canvasback, 1998 (feuillets mobiles).

[13]          Que la CSJO ait ou non cette compétence, il reste à examiner la compétence de la Cour fédérale suivant l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[14]          Voir, par exemple, les décisions 422252 Alberta Ltd v. Canada (Attorney General), 2003 BCSC 1362 (C.S. C.-B.), et GLP NT. Corp. v. Canada(Attorney General), [2003] O.J. no 2904.

[15]          [1987] A.C.F. 511 (C.F. 1re inst.), onglet 15, recueil des textes faisant autorité de l'appelant.

[16]          [1995] O.J. no 2058, onglet 28, recueil des textes faisant autorité de l'intimée.

[17]          [1993] 1 R.C.S. 897, onglet 4, recueil des textes faisant autorité de l'intimée.

[18]          Contrairement à celle prévue, par exemple, au paragraphe 225(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[19]          L.R., ch. I-6, art. 87.

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