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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2001-4595(IT)I

ENTRE :

 

NAOMI KRAMER,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

Appels entendus le 6 novembre 2002 à Montréal (Québec), par

 

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

 

Comparutions

 

Représentants de l'appelante :    Angela Veitch, stagiaire en droit

                                                Jean-Nicolas Prévost, stagiaire en droit

 

Avocat de l'intimée :                  Me Philippe Dupuis

 


JUGEMENT

 

          La Cour ordonne que les appels interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 soient rejetés.

 

 

Signé à Toronto, Canada, ce 7e jour de janvier 2003.

 

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de décembre 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Date : 20030107

Dossier : 2001-4595(IT)I

 

ENTRE :

 

NAOMI KRAMER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

 

[1]     Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 de l'appelante. La question est de savoir si les montants de 16 744 $ et de 18 819 $ respectivement doivent être inclus dans le revenu de l'appelante pour ces années‑là au titre de paiements de pension alimentaire en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[2]     L'appelante et Mendel Kramer, son ex‑mari, s'étaient mariés le 23 mars 1987 et ont eu deux enfants, nés en 1986 et en 1988 respectivement. Les conjoints se sont séparés le 28 novembre 1994.

 

[3]     Le 21 novembre 1994, l'appelante a présenté une requête à la Cour supérieure du Québec pour obtenir un jugement de celle‑ci visant un certain nombre de choses, y compris la garde des enfants, l'utilisation du domicile conjugal, l'utilisation de la voiture familiale, le paiement, par le mari, d'une allocation alimentaire de 2 500 $ par mois, ainsi que le paiement d'un certain nombre de frais relatifs au domicile conjugal.

 

[4]     L'affaire n'a pas été entendue parce que, le 28 novembre 1994, les parties ont conclu un accord par consentement, décrit comme étant un « consentement à des mesures provisoires ». L'accord traitait d'un certain nombre de questions, y compris la garde des enfants, le droit de visite relatif aux enfants, la possession de la maison, l'utilisation de la voiture familiale et la pension alimentaire.

 

[5]     L'article 5 traitait des paiements de pension alimentaire, comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

Le défendeur paiera une pension alimentaire pour un enfant mineur et pour la demanderesse d'un montant de 1 425 $ par mois, remis à la résidence de la demanderesse le premier jour de chaque mois, à l'avance.

 

[6]     L'appelante soutient que je devrais tirer une certaine conclusion sur la nature temporaire de l'accord des dispositions en matière de droit de visite, et je reproduis donc les articles 1, 2 et 3 de l'accord :

 

[TRADUCTION]

 

1.         La demanderesse aura la garde des enfants mineurs, Yeshaya et Eliazer.

 

2.         Le défendeur aura un droit de visite à l'égard des enfants comme suit jusqu'au 12 décembre 199 […] inclusivement :

 

a)         un jour chaque week‑end, à partir de 8 heures, jusqu'à 9 h 30 le lendemain;

 

b)         le lundi soir et le mercredi soir, de 17 heures à 21 heures.

 

3.         Après le 12 décembre 1994, le défendeur aura un droit de visite à l'égard d'un enfant comme suit :

 

a)         un jour chaque week‑end, à partir de 8 heures, jusqu'à 9 h 30 le lendemain;

 

b)         le mardi soir et le jeudi soir, de 17 heures à 21 heures;

 

c)         du 2 au 9 janvier 1995, soit pour toute la période, soit seulement pendant la journée (seule la demanderesse aura les enfants du 23 décembre 1994 au 1er janvier 1995);

 

d)         pour le premier seder de la pâque juive, de 14 h 30 le 13 avril à 15 h 30 le 14 avril 1994;

 

e)         de 17 heures le 24 février 1995 jusqu'à 21 heures le 26 février 1995.

 

[7]     Il est à noter que, en ce qui concerne la deuxième ligne de l'article 2, le dernier chiffre de la date semble avoir disparu quand on a photocopié cette pièce. Je n'ai pas vu l'original, mais je présume que le chiffre manquant est le chiffre 4.

 

[8]     Quoi qu'il en soit, l'accord manuscrit, qui avait été rédigé par les avocats des parties, a, après avoir été signé, été remis à un « greffier spécial », qui a apposé le timbre suivant sur la première page de la requête et a signé le document :

 

Le         28 novembre 1994

 

Requête accordée.

Entérine et déclare exécutoire

le consentement intérimaire signé le 28 novembre 1994

pour valoir jusqu'au 17 janvier 1995.

 

                            [illisible]

                        Greffier spécial

 

[9]     Le procès‑verbal (pièce A‑1) signé par un greffier spécial le 28 novembre 1994 contient la note suivante :

 

Requête continuée en salle 2.17 le 17 janvier 1995.

 

[10]    Manifestement, personne n'avait informé Mme Kramer de la nouvelle date d'audience du 17 janvier 1995, et il semble que personne n'a comparu; en tout cas, Mme Kramer n'a pas comparu, et l'avis de requête contenait en outre la note suivante :

 

Hon. Juge Israël Mass JCS

le 17 janvier 1995

Ads sine die [illisible]

                       [signature]

 

[11]    J'en conclus que rien ne s'est passé et que l'affaire a simplement été ajournée sine die.

 

[12]    Des paiements semblent avoir été faits, mais il semble qu'ils n'aient pas été faits régulièrement, car, le 24 mai 1996, l'appelante a, par l'intermédiaire d'un autre avocat, demandé un « bref de saisie‑arrêt après jugement » à l'égard du mari, ainsi que du collège où celui-ci travaillait.

 

[13]    La preuve n'est pas claire quant à savoir quelles mesures supplémentaires ont été prises en vertu de ce bref, mais la Direction de la perception automatique des pensions alimentaires, qui relève manifestement de la Direction générale des contribuables du ministère du Revenu du Québec (la « Direction »), est intervenue, et les paiements de pension alimentaire ont été faits par l'intermédiaire de ce bureau.

 

[14]    Il semble que la demande de bref de saisie du 24 mai 1996 a incité la Direction à examiner l'affaire et, le 3 mars 1999, la Direction a écrit ce qui suit à Mme Kramer :

 

[TRADUCTION]

 

Objet : Affaire classée

 

Nous tenons à vous informer que votre dossier a été examiné après le dépôt d'une déclaration de non‑paiement de pension alimentaire auprès du bureau de la Cour supérieure.

 

Votre dossier indique que le jugement rendu le 28 novembre 1994 valait jusqu'au 17 janvier 1995, comme l'avait mentionné le greffier spécial.

 

Par conséquent, le ministre du Revenu doit interrompre les paiements de pension alimentaire.

 

[15]    Cette nouvelle étonnante a amené Mme Kramer à conclure que, si M. Kramer n'était pas obligé après le 17 janvier 1995 de faire les paiements, elle n'avait pas à les inclure dans son revenu.

 

[16]    Madame Kramer a demandé un remboursement pour 1995, 1996 et 1997 et n'a pas inclus de paiements dans son revenu pour 1998. Elle a reçu les remboursements. L'ADRC a ensuite établi à l'égard de M. Kramer une nouvelle cotisation refusant la déduction des paiements pour 1997 et 1998. Monsieur Kramer a fait opposition et a subséquemment interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt. Le ministère de la Justice devait être d'accord avec M. Kramer, car les appels de ce dernier ont été admis par consentement.

 

[17]    L'ADRC a par la suite réexaminé le cas de Mme Kramer et a établi à l'égard de cette dernière de nouvelles cotisations pour 1997 et 1998 de manière à inclure les paiements dans son revenu, d'où les présents appels. Madame Kramer n'a pas fait l'objet de nouvelles cotisations pour 1995 ou 1996, sans doute parce qu'il s'agissait d'années frappées de prescription.

 

[18]    Enfin, le 19 avril 2000, l'honorable juge Marx, de la Cour supérieure du Québec, a rendu un jugement de divorce basé sur un consentement à jugement. Dans son jugement, le juge Marx indique ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Déclare que le défendeur a, du 28 novembre 1994 au 15 mars 1999, payé une pension alimentaire pour les enfants mineurs Eliazer et Yeshaya en vertu à la fois d'un accord et d'un jugement en date du 28 novembre 1994.

 

[19]    Je crois que l'on peut, sans risque de se tromper, partir du principe que, lorsque l'alinéa 56(1)b) parle d'un accord écrit, il est implicite qu'il doit s'agir d'un accord écrit valide et exécutoire. Assurément, nous avons ce qui semble être de prime abord un accord écrit, signé par les deux parties. Toutefois, la position de l'appelante est que la mention « pour valoir jusqu'au 17 janvier 1995 », figurant sur l'avis de requête et portant la signature du greffier spécial, signifie que l'effet de ce document cesse le 17 janvier 1995, comme l'a présumé la Direction dans sa lettre du 3 mars 1999.

 

[20]    Pour que l'alinéa 56(1)b) s'applique à des paiements de pension alimentaire, ils doivent avoir été faits en vertu d'un accord écrit ou d'une ordonnance d'un tribunal. La note écrite par le greffier spécial peut bien avoir donné à l'accord l'effet d'une ordonnance du tribunal, et cet effet devait durer jusqu'au 17 janvier 1995, date à laquelle l'affaire devait être soumise au tribunal. Personne n'ayant comparu le 17 janvier 1995, l'affaire a été ajournée sine die. Manifestement, les deux parties se considéraient comme étant liées après cette date. Il est vrai que l'effet de l'ordonnance a expiré le 17 janvier 1995, mais l'accord écrit restait pleinement en vigueur. Angela Veitch et Jean‑Nicolas Prévost ont présenté très habilement la position de l'appelante. Avec égards, je ne suis toutefois pas d'accord avec eux sur l'effet de la note signée par le greffier spécial. Cette note donnait à l'accord la force exécutoire d'une ordonnance de tribunal jusqu'au 17 janvier 1995. Elle n'a pas fait que l'accord n'était plus un accord ou ne l'a pas transformé en une ordonnance de sorte qu'il ne serait plus rien resté à l'expiration de l'ordonnance, le 17 janvier 1995. L'expiration de l'effet de la ratification faisait qu'une exécution forcée n'était plus possible. L'accord a continué d'exister et de valoir en vertu du droit du Québec. Le Code civil dit :

 

1378.   Le contrat est un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation.

 

[…]

 

1385.   Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personne capables de contracter […]

 

[…]

 

1458.   Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

 

[…]

 

1590.   L'obligation confère au créancier le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.

 

[21]    Dans l'ouvrage Droit de la famille québécois, du juge Jean‑Pierre Sénécal, il est dit au paragraphe 35‑190, à la p. 3,524 :

 

[…] la validité d'une convention entre les conjoints ne dépend nullement de son homologation par le tribunal. […] À cet égard, soulignons qu'il ne faut pas confondre la validité d'une convention avec ses possibilités d'exécution : même si une convention non homologuée peut créer certains problèmes (puisque pour exécuter il faut un jugement), ce n'est pas à dire que la convention n'est pas valable, l'une des parties pouvant, en fait, être contrainte d'y donner suite par jugement lorsque nécessaire.

 

[22]    Il s'ensuit que les paiements ont été faits en vertu d'un accord écrit qui n'avait pas expiré.

 

[23]    Je mentionnerai brièvement un point que j'ai soulevé lors de la présentation des plaidoiries, soit l'effet de la déclaration du juge Marx en date du 19 avril 2000 que j'ai citée précédemment. D'après ce que la Cour d'appel fédérale a dit dans l'arrêt Dale c. La Reine, [1997] 3 C.F. 235, 97 D.T.C. 5252, une ordonnance d'une cour supérieure ne peut faire l'objet d'une attaque indirecte basée sur des motifs de compétence ou d'autres motifs. Dans cette affaire, la cour de la Nouvelle‑Écosse, qui avait été saisie d'une demande ex parte, avait modifié rétroactivement les lettres patentes d'une société qui, à la date de prise d'effet de l'ordonnance, était une société de l'Île‑du‑Prince‑Édouard. Si une ordonnance ex parte d'une cour de la Nouvelle‑Écosse peut avoir un effet rétroactif et extraterritorial, il semble indéniable qu'il faut ajouter foi à la déclaration de la Cour supérieure du Québec en date du 19 avril 2000.

 

[24]    Il s'ensuit que je dois rejeter les appels. Les paiements ont été faits conformément à un accord écrit et doivent être inclus dans le revenu de l'appelante pour 1997 et 1998.

 

[25]    Cette affaire est un cas s'il en fut où il convient que, à tout le moins, il soit renoncé aux intérêts en vertu des pouvoirs discrétionnaires du ministre selon le Dossier Équité. L'appelante a agi de bonne foi à la suite de la lettre de la Direction en date du 3 mars 1999. Elle a demandé et reçu un remboursement. Par suite d'un jugement sur consentement en faveur du mari de Mme Kramer, dans une affaire à laquelle Mme Kramer n'était pas partie, l'ADRC cherche à recouvrer le montant remboursé à Mme Kramer. Le moins que le ministre puisse faire, c'est de renoncer aux intérêts en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, s'il ne renonce pas à l'impôt en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

[26]    Les appels sont rejetés.

 

 

Signé à Toronto, Canada, ce 7e jour de janvier 2003.

 

 

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de décembre 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

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