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Dossier : 2001-3555(PGRT)G

ENTRE :

EXXONMOBIL CANADA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 9 septembre 2003 à Toronto (Ontario)

Par : L'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Susan L. Van Der Hout et

Me D'Arcy A. Schieman

Avocats de l'intimée :

Me Eric Noble et

Me Meghan Castle

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers pour l'année d'imposition 1986 est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2004.

« E. A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d'avril 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2004CCI33

Date : 20040109

Dossier : 2001-3555(PGRT)G

ENTRE :

EXXONMOBIL CANADA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      Le 26 avril 2000, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'obligation fiscale de l'appelante en vertu de la Loi de l'impôt sur les revenus pétroliers[1] (LIRP) pour l'année d'imposition 1986. À la suite de cette nouvelle cotisation, l'appelante a eu droit à un remboursement d'impôt totalisant 913 022,47 $. Le ministre a crédité à l'appelante un intérêt simple sur ce remboursement qui s'élève à 1 088 532,30 $ qui lui a été versé pour la période d'environ 13 ans qui a débuté à la date du paiement d'impôt et qui s'est terminée à la date du remboursement. L'appelante est satisfaite de la nouvelle cotisation établie à l'égard de son obligation fiscale, mais elle affirme qu'elle a droit à des intérêts composés quotidiennement; quant au ministre, il soutient qu'il était justifié de ne lui verser qu'un intérêt simple. Voilà en quoi se résume la question en litige dont la Cour est saisie dans le présent appel. Le montant en cause est considérable parce que si l'appelante a raison, le calcul de l'intérêt composé sera quotidien.

[2]      L'affaire de l'appelante s'appuie entièrement sur les dispositions législatives applicables. Le renvoi à un intérêt doit être interprété comme s'il s'agissait d'un intérêt simple, à moins que l'on précise qu'il s'agit d'un intérêt composé[2]. L'autorité responsable de verser l'intérêt sur un remboursement d'impôt en vertu de la LIRP est précisée au paragraphe 18(3) :

18(3)     Lorsqu'une somme est remboursée à titre de paiement en trop ou qu'elle est affectée, en vertu du présent article, à l'acquittement d'une autre obligation, des intérêts au taux annuel visé au paragraphe 15(1) doivent être payés ou affectés à l'acquittement de cette autre obligation, pour la période commençant à la dernière des dates suivantes :

a)          le jour où le paiement en trop a été fait;

b)          au plus tard le jour où la déclaration de revenu de production, qui a fait l'objet du paiement d'impôt, devait être produite;

c)          le jour de la production effective de la déclaration de revenu de production,

et se terminant le jour du remboursement ou de l'affectation en question, selon le cas, à moins que le montant des intérêts ainsi calculé ne soit inférieur à un dollar, auquel cas aucun intérêt ne doit être payé ni affecté conformément au présent paragraphe.

Le paragraphe 15(1) est ainsi formulé :

15(1)     Lorsque, à une date donnée postérieure à celle de la fin du délai accordé au contribuable pour produire sa déclaration de revenu de production en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

a)          le montant d'impôt que le contribuable doit payer pour l'année en vertu de la présente partie,

            est supérieur :

b)          au total des montants dont chacun représente un montant payé au plus tard à la date donnée au titre de l'impôt payable par le contribuable et affecté, à compter de cette date, par le ministre au montant que le contribuable est tenu de payer pour l'année en vertu de la présente partie,

            la personne tenue de payer l'impôt doit payer des intérêts sur l'excédent, pour la période pendant laquelle l'excédent est impayé, aux taux annuels prescrits pour l'application du paragraphe 161(1) de la Loi de l'impôt sur le revenuqui sont en vigueur pendant la période.

Les parties conviennent que les derniers mots de ce paragraphe ont pour effet de rendre la disposition ambulatoire, ce qui veut dire que puisque le taux prescrit pour l'application du paragraphe 161(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) est modifié, alors le taux à appliquer pour l'application de la LIRP doit être également modifié, ce qui me semble évident, mais cela ne clarifie guère la question en litige que je suis appelé à trancher.

[3]      L'avocate de l'appelante m'a présenté des observations écrites détaillées. Les paragraphes 14 à 20 sont intitulés « Aperçu » . Ils exposent succinctement son argument de sorte qu'il vaut la peine de les reproduire ici. Cependant, avant que je le fasse, il serait utile d'énoncer les parties pertinentes de l'article 4301 du Règlement pris en application de la Loi ainsi que le paragraphe 161(1), la définition du terme « prescrit » au paragraphe 248(1) et le paragraphe 248(11) de cette même Loi parce que selon l'essentiel de son argument, la LIRP adopte par renvoi non seulement l'article 4301 du Règlement mais également toutes ces dispositions.

[4]      L'article 4301 du Règlement de l'impôt sur le revenu est ainsi formulé :

4301     Sous réserve de l'article 4302, le taux d'intérêt applicable à un trimestre donné est :

            a)          [...]

b)          pour l'application des dispositions de la Loi selon lesquelles des intérêts calculés au taux prescrit sont à payer ou à imputer sur un montant que le ministre verse à un contribuable, le total des taux suivants :

(i)          le taux déterminé selon le sous-alinéa a)(i) pour le trimestre donné,

(ii)               2 pour cent;

[...]

Les articles 161 et 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu stipulent ce qui suit :

161(1) Dans le cas où le total visé à l'alinéa a) excède le total visé à l'alinéa b) à un moment postérieur à la date d'exigibilité du solde qui est applicable à un contribuable pour une année d'imposition, le contribuable est tenu de verser au receveur général des intérêts sur l'excédent, calculés au taux prescrit pour la période au cours de laquelle cet excédent est impayé :

a)          le total des impôts payables par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie et des parties I.3, VI et VI.1;

b)          le total des montants représentant chacun un montant payé au plus tard à ce moment au titre de l'impôt payable par le contribuable et imputé par le ministre, à compter de ce moment, sur le montant dont le contribuable est redevable pour l'année en vertu de la présente partie ou des parties I.3, VI ou VI.1.

248(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« prescrit »

a)          [...]

b)          dans les autres cas, visé par règlement du gouverneur en conseil, y compris déterminé conformément à des règles prévues par règlement.

248(11) Les intérêts calculés au taux prescrit, en application des paragraphes [...] 161(1), (2) et (11), [...] sont composés quotidiennement. Dans le cas où des intérêts calculés sur une somme en application d'une de ces dispositions sont impayés ou non imputés le jour où, sans le présent paragraphe, ils cesseraient d'être ainsi calculés, des intérêts au taux prescrit sont calculés et composés quotidiennement sur les intérêts impayés ou non imputés pour la période commençant le lendemain de ce jour et se terminant le jour où ces derniers sont payés ou imputés, et sont payés ou imputés comme ils le seraient s'ils continuaient à être ainsi calculés après ce jour.

[5]      Les paragraphes 14 à 20 des observations écrites de l'appelante font valoir ce qui suit :

[traduction]

14.        La LIRP ne contient aucun régime législatif distinct relativement au paiement d'intérêt, mais adopte particulièrement le régime législatif concernant le paiement d'intérêt, y compris l'intérêt sur remboursement, tel que le prévoit la LIR. L'emploi de l'instrument législatif d' « incorporation par renvoi » indique clairement l'intention du législateur selon laquelle la méthode de calcul des intérêts en vertu de la LIR établit l'intérêt payable par les contribuables ou à ces derniers en vertu de la LIRP sans intervention supplémentaire du législateur. Étant donné la fréquence à laquelle la LIR est modifiée, cela permet de s'assurer que la LIRP, tout comme la LIR, demeure actuelle sans intervention particulière du législateur. L'intimée ne devrait pas contester la déclaration portant sur l'intention du législateur.

15.        L'appelante soutient que la structure du droit dans la LIRP prévoit clairement une « incorporation anticipative par renvoi » , ce qui veut dire qu'étant donné que les dispositions relatives au calcul du taux d'intérêt en vertu de l'article 161(1) de la LIR ont été modifiées, le législateur a voulu que le taux d'intérêt calculé aux termes de la LIRP soit le même. L'intimée doit reconnaître ce fait. Sans cette intention ambulatoire, l'intérêt serait figé dans le temps.

16.        Étant donné l'accord qu'ont conclu les parties selon lequel l'intention du législateur à l'égard de la LIRP consiste en ce que le droit soit ambulatoire et guidé par la LIR, la seule question de droit consiste à savoir si la Cour, en interprétant la portée du libellé employé dans la LIRP relatif au paragraphe 161(1), ne doit tenir compte que de l'article 4301 du Règlement et faire abstraction des directives explicites et obligatoires du législateur concernant le calcul de l'intérêt composé pour l'application du paragraphe 161(1) dans le corps du texte législatif même.

17.        L'appelante affirme que pour ce faire, il faudrait ignorer les principes les plus fondamentaux applicables à l'interprétation des lois - qu'une loi devrait être lue dans son ensemble, que la Cour, en interprétant une loi, devrait tenir compte des termes employés, des dispositions législatives connexes et de l'économie de la loi dans son ensemble - et que les règlements doivent être lus dans le contexte du règlement et de la loi habilitante dans son ensemble.

18.        L'intimée voudrait que la Cour écourte son analyse qui est contraire aux principes d'interprétation des lois les plus fondamentaux, en faisant valoir la théorie incroyable selon laquelle le calcul de l'intérêt composé n'est pas pertinent aux taux d'intérêt sur les montants payables aux contribuables ou par ces derniers en vertu de la LIR. L'appelante soutient que cette approche est et devrait être considérée comme contradictoire à l'intention du législateur selon laquelle l'intérêt en vertu de la LIR reflète la réalité commerciale des taux composés, que la LIRP devrait faire de même et qu'en raison de l'absence d'une directive précise dans un texte de loi, les principes ordinaires d'interprétation s'appliquent. Rien dans la LIRP ou dans les principes ordinaires d'interprétation des lois n'impose une dérogation à l'importance que préconise l'intimée.

19.        L'appelante soutient que depuis son introduction dans la LIR, le paragraphe 248(11) est un aspect essentiel et obligatoire du paragraphe 161(1). Il s'agit d'un élément qui fait partie intégrante du régime législatif concernant les intérêts visés par le paragraphe 161(1). Ignorer cela aurait pour effet de changer fondamentalement et à tort le paysage législatif. En droit, il faut en tenir compte pour l'application du paragraphe 161(1) et la LIR et donc du paragraphe 18(1) de la LIRP.

20.        Ayant tenu compte de l'ensemble du contexte législatif, notamment les termes précis employés dans la LIRP ainsi que les principes d'interprétation des lois, l'appelante soutient que, de toute évidence, l'intention du législateur était de prévoir en vertu de la LIRP le paiement d'intérêts composés sur des arriérés d'impôt et sur des paiements en trop.

[6]      L'argument de l'appelante porte ensuite non seulement sur un examen historique de la LIRP et de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais également du Régime de pensions du Canada (RPC) et de la Loi sur l'assurance-chômage (Loi sur l'a.-c.) qui tous appuient l'allégation selon laquelle l'intention du législateur vise en général, lorsqu'il y a des remboursements de paiements en trop en vertu d'une loi, le paiement d'intérêt composé tel que le prévoit la LIR sera payable. Tel était certainement le cas pour ce qui est du RPC et de la Loi sur l'a.-c. Les dispositions relativement au paiement d'intérêt composé aux termes de la LIR, du RPC et de la Loi sur l'a.-c. ont toutes été introduites par la L.C. 1986 ch. 6. L'article 126 de cette Loi a ajouté le paragraphe 248(11) à la LIR et les articles 132 et 137 l'ont adopté par renvoi au RPC et à la Loi sur l'a.-c. respectivement. À mon avis, il importe de noter que bien que la L.C. 1986 ch. 6 ait apporté certaines modifications à la LIRP, elle n'a pas adopté le paragraphe 248(11) dans cette Loi, et ce, soutient l'appelante, parce que le libellé du paragraphe 15(1) avait déjà eu pour effet d'adopter dans la LIRP tout le régime législatif se rapportant aux intérêts sur les paiements en trop et les versements insuffisants prévus par la LIR et parce que le législateur n'édicterait pas une disposition tautologique. Bien entendu, cette explication n'est valide que si l'on admet la première observation de l'appelante selon laquelle les termes « [...] aux taux annuels prescrits pour l'application du paragraphe 161(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont en vigueur pendant la période [...] » que l'on trouve dans le paragraphe 15(1) renvoient non seulement au pourcentage d'intérêt qui doit être appliqué, mais également à la méthode de calcul par laquelle il sera appliqué. À mon avis, dès le départ, cet argument se heurte à la règle la plus fondamentale de l'interprétation des lois selon laquelle il n'y a pas lieu d'interpréter à moins que l'on relève d'abord une ambiguïté.

[7]      À mon avis, les termes « [...] aux taux annuels prescrits pour l'application [...] de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont en vigueur pendant la période [...] » ne peuvent tout simplement pas avoir la signification que l'appelante voudrait lui donner, et la Cour n'a pas pour mandat de modifier les termes qu'emploie le législateur s'ils sont clairs et sans ambiguïté : voir Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 au paragraphe 11. Les termes performatifs qu'adopte le paragraphe 15(1) en employant l'expression « [...] aux taux annuels prescrits pour l'application du paragraphe 161(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont en vigueur pendant la période [...] » sont tout simplement les termes employés à l'article 4301 du Règlement. Ils traitent des taux annuels et rien de plus.

[8]      Il existe deux concepts distincts, quoique liés, qui pris ensemble régiront toujours le calcul d'intérêt sur une somme en capital entre deux dates. Le premier correspond aux taux annuels à verser et l'autre consiste à déterminer si l'intérêt doit être composé et, si tel est le cas, à quel intervalle. Je n'ai trouvé aucun dictionnaire qui regroupait ces deux concepts au sens des mots « taux » , « taux d'intérêt » ou « taux annuel » , et certainement aucun ne m'a été cité au cours de la présentation de l'argument.

[9]      Les taux et le calcul de l'intérêt composé peuvent être considérés comme des deux concepts distincts si l'on examine les termes des paragraphes 161(1) et 248(11) de la LIR et de l'article 4301 du Règlement. Le paragraphe 161(1) consiste en une disposition de fond qui crée le droit de percevoir un intérêt et qui octroie au gouverneur en conseil le pouvoir d'établir le taux en fonction duquel l'intérêt sera calculé périodiquement. Quant à l'article 248, il s'agit essentiellement d'un article de définitions, mais le paragraphe (11) est une disposition de fond qui crée le droit d'exiger que l'intérêt soit calculé selon la méthode de calcul de l'intérêt composé. En promulguant cette disposition[3] et, plus tard, en la modifiant[4], le législateur a lui-même établi l'intervalle régulier aux fins de calcul de l'intérêt composé. Le paragraphe 15(1) de la LIRP adopte sans équivoque la première disposition mais non la dernière. Elles ne doivent pas non plus aller de pair. Le paragraphe 161(1) a été édicté avant le paragraphe 248(11) et pouvait s'appliquer tout à fait isolément jusqu'au 1er janvier 1987 lorsque le paragraphe 248(11) est entré en vigueur. Il est tout simplement indéfendable d'affirmer, comme le fait l'appelante en l'espèce, que le législateur ne pouvait pas adopter par renvoi le taux prescrit par le gouverneur en conseil, mais non le calcul de l'intérêt composé sur ce taux que prévoit le paragraphe 248(11) de la Loi. En fait, pour adopter la méthode de calcul de l'intérêt composé dans la LIRP, le législateur aurait pris soin d'ajouter les termes suivants : « [...] et calculé conformément au paragraphe 248(11) de cette Loi [...] » à la fin du paragraphe 15(1). Il a préféré sans abstenir, et il va de soi que je ne peux le faire non plus, peu importe que je considère qu'un tel ajout serait avantageux tant sur le plan social qu'économique : voir l'affaire Friesen[5] et Markevitch c. Canada[6].

[10]     L'appel est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2004.

« E. A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d'avril 2004.

Nancy Bouchard, traductrice



[1]           L.R.C. 1985, ch. P-12.

[2]           Voir Crawford et Falconbridge, Banking and Bills of Exchange, 8e éd., Toronto, Canada Law Book Inc., 1986, vol. 2, p. 1286.

[3]            L.C. 1986 ch. 6, paragr. 126(6), telle qu'il a été modifié (avant sa proclamation) par la L.C. 1986 ch. 55, paragr. 78(4).

[4]            De nombreuses modifications ont été apportées, mais aucune ne précise les taux d'intérêt par opposition à une méthode particulière d'appliquer le taux que prescrit le gouverneur en conseil.

[5]           Précitée.

[6]           [2003] 1 R.C.S. 94, au paragr. 16.

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