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2005-1059(IT)I

ENTRE :

TERRI S. MIGHTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Appels entendus le 22 février 2006, à Kitchener (Ontario)

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Eve Aubry

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JUGEMENT

Les appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations fiscales établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années 2002 et 2003 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2006.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2006.

Jean David Robert, traducteur


Référence : 2006CCI214

Date : 20060331

Dossier : 2005-1059(IT)I

ENTRE :

TERRI S. MIGHTON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur

[1]      Les présents appels ont été interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national selon lesquelles l'appelante était tenue, en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), d'inclure dans le calcul de son revenu pour chacune des années d'imposition 2002 et 2003 un montant de 6 000 $ correspondant à des versements de pension alimentaire pour enfants qu'elle avait reçus. L'appelante ne nie pas que les versements en question représentaient une pension alimentaire pour enfants au sens de cet alinéa. Elle fait plutôt valoir que l'inclusion de tels versements dans son revenu viole le droit de ne pas subir de discrimination que lui confère l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ), et, de plus, qu'une telle violation n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte parce qu'elle l'oblige à inclure dans son revenu la pension alimentaire pour enfants qu'elle reçoit. Elle soutient que l'alinéa 56(1)b) de la Loi établit une discrimination contre les femmes d'un certain âge dont les enfants ne sont plus tout jeunes.

[2]      L'appelante et son ex-époux se sont mariés le 11 janvier 1978 et ont eu deux enfants, Alissa, née en 1979, et Brette, née en 1985. Ils ont divorcé le 19 avril 1989, et, aux termes d'un jugement de divorce rendu par la Cour du banc de la Reine de l'Alberta, l'appelante a conservé la garde des enfants, et son ex-époux s'est vu imposer l'obligation de lui verser une pension alimentaire pour enfants d'un montant de 200 $ par enfant par mois à partir du 15 mai 1989. Ces versements sont passés à 500 $ par enfant par mois à partir du 15 février 1996.

[3]      En septembre 1997, l'ex-époux de l'appelante a réduit le montant des versements de pension alimentaire pour enfants lorsque Alissa a déménagé de la maison de l'appelante et qu'elle a cessé d'être une personne à charge de l'appelante. En tout temps pendant les années d'imposition en cause, l'appelante et son ex-époux vivaient séparés pour cause d'échec de leur mariage.

[4]      Il convient de donner une vue d'ensemble du régime d'inclusion et de déduction des versements de pension alimentaire pour enfants applicable à l'appelante.

[5]      Avant le 30 avril 1997, la pension alimentaire pour enfants reçue par un contribuable devait être incluse dans le calcul de son revenu en vertu de l'ancien alinéa 56(1)b) de la Loi, et une telle pension pouvait être déduite par le payeur en vertu de l'ancien alinéa 60b) de la Loi. J'appellerai ces dispositions l' « ancien régime » .

[6]      À la suite de l'arrêt Thibaudeau c. La Reine[1] de la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral a éliminé le système d'inclusion et de déduction pour toute pension alimentaire pour enfants versée aux termes d'une ordonnance ou d'un accord écrit établi après le 30 avril 1997. L'alinéa 56(1)b) de la Loi, dans sa version actuelle, n'exige pas l'inclusion de la pension alimentaire pour enfants reçue par un contribuable dans le calcul de son revenu si celle-ci devait lui être versée aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à sa « date d'exécution » ou postérieurement et avant la fin de l'année. L'expression « date d'exécution » est définie au paragraphe 56.1(4) de la Loi. Si un accord ou une ordonnance est établi après le 30 avril 1997, sa date d'exécution est la date de son établissement. J'appellerai ces dispositions le « nouveau régime » .

[7]      Dans la plupart des cas, les ordonnances ou les accords établis avant mai 1997 n'ont pas de date d'exécution, et la pension alimentaire pour enfants versée aux termes de telles ordonnances continue d'être incluse dans le calcul du revenu du contribuable bénéficiaire.

[8]      Dans quelques situations bien précises, une date d'exécution existe pour les accords ou les ordonnances établis avant mai 1997 et correspond au premier en date des jours indiqués aux sous-alinéas b)(i), (ii), (iii) et (iv) de la définition de l'expression « date d'exécution » donnée au paragraphe 56.1(4) de la Loi, à savoir :

(i)          si le bénéficiaire et le payeur ont fait un choix conjoint sur le formulaire et selon les modalités prescrits et qu'ils ont présenté le choix au ministre, le jour qu'ils précisent dans le choix comme étant la date d'exécution de l'ordonnance (l'accord),

(ii)        si l'ordonnance (l'accord) fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants à payer, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)       si l'ordonnance (l'accord) subséquente est établie après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants à payer, la date d'exécution de la première semblable ordonnance (du premier semblable accord),

(iv)       si l'ordonnance (l'accord) ou toute modification s'y rapportant précise une date d'exécution, le jour ainsi précisé.

Si l'une ou l'autre des situations décrites ci-dessus se produit, la pension alimentaire pour enfants versée aux termes de telles ordonnances est assujettie au nouveau régime et n'a pas à être incluse dans le calcul du revenu du contribuable bénéficiaire.

[9]      En l'espèce, l'ordonnance a été établie avant le 30 avril 1997, et aucune des situations susmentionnées n'est survenue. Par conséquent, l'ordonnance n'a pas de date d'exécution. La pension alimentaire pour enfants reçue par l'appelante aux termes de l'ordonnance doit continuer à être incluse dans le calcul de son revenu en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi.

[10]     L'appelante allègue que l'inclusion de la pension alimentaire pour enfants dans son revenu viole le droit à l'égalité que lui confère le paragraphe 15(1) de la Charte, dont le texte suit :

15(1)     La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[11]     Comme je l'ai mentionné, l'appelante soutient que l'alinéa 56(1)b) et le paragraphe 56.1(4) de la Loi établissent une discrimination contre les personnes d'un certain âge ayant des ordonnances anciennes, plus précisément, les femmes d'un certain âge et les enfants qui ne sont plus tout jeunes. Elle ajoute que les personnes en question constituent un groupe vulnérable dans notre société. Elle constate que le législateur a, de fait, reconnu le caractère vulnérable et désavantageux de la situation dans laquelle se trouvaient les parents ayant la garde d'enfants sous l'ancien régime et qu'il a modifié la loi pour cette raison.

[12]     Bien que je sois sensible aux arguments de l'appelante, je dois néanmoins rejeter ses appels. Le critère permettant de savoir s'il y a eu une violation des droits que l'article 15 de la Charte confère à l'appelante a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Law c. Canada[2] :

[...] Par conséquent, le tribunal ayant à se prononcer sur une allégation de discrimination fondée sur le par. 15(1) doit se poser trois grandes questions :

(A) La loi contestée : a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

(B) Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

et

(C) La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?[3]

La loi établit sans aucun doute une distinction entre deux groupes de bénéficiaires de pension alimentaire pour enfants : ceux qui ne sont pas tenus d'inclure de tels versements dans le calcul de leur revenu et ceux qui le sont.

[13]     Cependant, les appels de l'appelante doivent être rejetés parce que la distinction en question n'est pas fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue. La distinction n'est pas fondée sur l'âge du bénéficiaire d'une pension alimentaire, comme le prétend l'appelante. La distinction est plutôt établie en fonction de la date de l'ordonnance ou de l'accord aux termes duquel les versements de pension alimentaire pour enfants doivent être effectués. Dans l'arrêt Law, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il était inapproprié de restreindre l'analyse relative au paragraphe 15(1) de la Charte à une formule figée, comme l'appelante le demande si je comprends bien.

[14]     Bien que l'imposition de versements de pension alimentaire pour enfants ait fait et fasse toujours l'objet de nombreuses critiques, je ne peux pas réécrire les conclusions de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Thibaudeau. La Cour suprême a décidé que l'ancien régime d'inclusion et de déduction, un régime semblable à celui qui s'applique actuellement à l'appelante, ne violait pas l'article 15 de la Charte. La loi a été modifiée après que des groupes d'intérêt avaient exercé une pression énorme en ce sens sur le gouvernement.

[15]     Pour les motifs énoncés précédemment, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2006.

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2006.

Jean David Robert, traducteur


RÉFÉRENCE :

2006CCI214

N º DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-1059(IT)I

INTITULÉ :

Terri S. Mighton et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Kitchener (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 22 février 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge C.H. McArthur

DATE DU JUGEMENT :

Le 31 mars 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Eve Aubry

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]          [1995] 2 R.C.S. 627.

[2]           [1999] 1 R.C.S. 497.

[3]           Ibid., au paragraphe 88.

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