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Référence : 2003CCI862

Date : 20031125

Dossier : 2001-1903(IT)G

ENTRE :  

PAUL J. NICHOLSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le texte des Motifs du jugement originaux publiés

le 25 novembre 2003 a été modifié et les modifications

ont été intégrées au texte. 

 

Le juge Rip

 

[1]     La question à trancher en l’espèce est de savoir si Paul J. Nicholson était un résident du Canada pendant la période de janvier 1995 à septembre 1996.

 

[2]     En juin 1991, Newark Electronics (« Newark »), une société états‑unienne, a recruté M. Nicholson afin de le former à diriger son entreprise au Canada. À la fin de 1991, M. Nicholson a été nommé directeur des ventes et des opérations de Newark au Canada. M. Nicholson a reçu sa formation de M. Chuck Urho. Ce dernier a été muté en Europe après la nomination de M. Nicholson.

 

[3]     M. Nicholson a expliqué que Newark était une des 17 sociétés appartenant à Premier Industrial Corporation, une société états‑unienne cotée en bourse. M. Nicholson a affirmé qu’à l’époque, il était au troisième niveau de gestion et rendait des comptes au vice‑président des ventes pour l’Amérique du Nord. Il a décrit Newark comme une société [traduction] « axée sur l’intérieur », qui donne des promotions à l’interne. Il pouvait continuer de mener les opérations au Canada ou bien gravir les échelons de l’organisation. M. Nicholson a avisé son supérieur qu’il visait plus haut à Newark, surtout étant donné qu’il avait été qualifié de personne ayant un [traduction] « excellent potentiel de promotion ». Son avenir au sein de la société se situait soit aux États-Unis ou en Europe.

 

[4]     En 1993, M. Nicholson et son épouse se sont séparés. Mme Nicholson avait la garde de leurs deux fils. M. Nicholson pouvait les voir chaque fin de semaine. Il a habité dans la maison de son père pendant trois mois avant de louer un appartement à London (Ontario). Mme Nicholson et les enfants sont demeurés dans le foyer conjugal, qui appartenait conjointement à M. et à Mme Nicholson.

 

[5]     Le foyer conjugal à London était un avoir familial important. M. Nicholson a reçu un paiement de péréquation fiscale de 30 000 $ au moment de la séparation. Il est demeuré sur le titre de propriété de la maison jusqu’en 2001 en garantie pour le paiement de péréquation.  

 

[6]     En août 1994, le président et directeur des ventes de Newark a offert à M. Nicholson de se réinstaller en Angleterre afin de prendre le relais des opérations commerciales de la société en Europe. M. Nicholson était surpris de l’offre. S’il acceptait le poste, il prenait le relais de M. Urho, son mentor, à la direction des opérations, alors que ce dernier avait échoué à la tâche. M. Urho était la quatrième personne à mener les opérations en Europe. Les trois personnes l’ayant précédé avaient été promues au poste de vice‑président au siège social de Newark à Chicago.

 

[7]     M. Nicholson a accepté le poste en Europe à un salaire plus élevé que ce qu’il gagnait au Canada. De plus, la société lui a fourni un logement loué à Londres ainsi qu’une automobile. Il recevait aussi un certain montant pour permettre à ses fils de lui rendre visite deux fois par année. Ces fils sont bel et bien venus lui rendre visite pendant les étés de 1995 et de 1996. À titre d’employé de Newark, M. Nicholson pouvait aussi continuer de participer au régime d’options d’achat d’actions de Premier. En outre, Newark avait payé pour que M. Nicholson obtienne les conseils d’un cabinet de comptables spécialisés en fiscalité internationale avant de quitter le Canada.

 

[8]     Newark avait aussi été en mesure d’obtenir au nom de M. Nicholson une autorisation d’emploi du Royaume-Uni pour une période de 36 mois. Pendant cette période, M. Nicholson devait embaucher et former un résident du Royaume-Uni qui devait lui succéder au bout des trois ans. Entre temps, il devait mener les opérations de la société en Europe. Selon le témoignage de M. Nicholson, le président de Newark lui aurait dit qu’on prévoyait, à la fin de la période de trois ans, lui offrir un poste à Chicago pour y diriger les ventes internationales. Il n’y avait pas de poste pour lui au Canada à la fin de son mandat en Europe.

 

[9]     Newark a convenu de maintenir les avantages canadiens de M. Nicholson pendant son séjour en Europe. La société a donc continué de faire les cotisations au Régime de pensions du Canada en son nom. Il a aussi pu poursuivre sa participation au régime de soins de santé et de soins dentaires au Canada ainsi que sa participation au régime de soins de santé de l’Ontario. Dans son témoignage, M. Nicholson a affirmé qu’il avait deux enfants et une ex‑épouse au Canada. S’il perdait son droit de participer aux régimes, ses enfants et son ex‑épouse ne seraient plus protégés. Il prévoyait continuer d’utiliser son permis de conduire de l’Ontario au Royaume-Uni jusqu’à ce qu’il vienne à échéance. M. Nicholson n’a pas demandé le statut de résident au Royaume-Uni, mais il y a demandé un numéro d’assurance.

 

[10]    M. Nicholson est arrivé au Royaume-Uni le 9 janvier 1995. Il s’est ouvert un compte bancaire auprès de la Barcley's Bank afin d’y faire déposer une partie de son salaire et de faire des chèques.  

 

[11]    M. Nicholson a conservé un compte bancaire au Canada duquel il faisait des paiements mensuels (par chèques postdatés) à Mme Nicholson. Il avait aussi un autre compte bancaire au Canada qu’il partageait avec une certaine Sheila Aitken, qu’il a désignée comme étant sa petite amie.

 

[12]    Selon M. Nicholson, le Royaume-Uni applique un impôt sur tous les revenus qui entrent au pays. Il a donc pris des dispositions pour que seulement une petite partie de son salaire lui soit versé au Royaume-Uni. Il recevait une allocation de subsistance de 500 £ et un salaire de 500 £. Le reste de son salaire allait à l’achat d’actions de Premier et était déposé dans ses deux comptes bancaires au Canada.

 

[13]    Les autres éléments d’actifs de M. Nicholson au Canada étaient son titre de propriété du foyer conjugal, sa participation à un régime enregistré d’épargne‑retraite (qu’il a fermé en 1995), ainsi que sa part des meubles dans le foyer conjugal.

 

[14]    Mme Aitken rendait visite à M. Nicholson à Londres [traduction] « assez régulièrement ». Elle se rendait au Royaume-Uni [traduction] « aux deux mois » et y restait pendant [traduction] « environ dix jours ». Elle s’y est rendue pour la première fois en 1995. Mme Aitken avait un fils et ce dernier habitait avec son père en Arabie saoudite. Le fils de Mme Aitken était atteint de dyslexie et elle avait réussi à trouver une école en Angleterre qui pouvait le traiter. Mme Aitken travaillait comme agente de bord auprès d’une filiale d’Air Canada. Elle pouvait organiser son horaire afin de passer deux semaines au Royaume-Uni et ensuite travailler pendant deux semaines. En 1996, elle a pris un congé de trois ou quatre mois pour passer du temps au Royaume-Uni. M. Nicholson et Mme Aitken ont cohabité au Royaume-Uni comme conjoints et se sont mariés en 1999.

 

[15]    M. Nicholson réussissait bien, en Europe. Les affaires progressaient [traduction] « à pas de géant ». Il a embauché un résident britannique qui devait prendre sa relève en 1996. Entre temps, M. Nicholson a continué de mener les opérations en Europe. De plus, il s’était rendu en Espagne, dans les pays du Benelux et dans d’autres pays d’Europe pour embaucher de nouveaux [traduction] « directeurs nationaux ».

 

[16]    Pendant son séjour au Royaume-Uni, M. Nicholson ne s’est rendu au Canada qu’une seule fois, à Noël 1995.

 

[17]    Une certaine journée de janvier 1996, à 7 h 30, M. Nicholson a reçu un appel de Cleveland (Ohio) de la part de Bill Hamilton, un des administrateurs de Premier. M. Hamilton l’a informé que Newark serait vendue à une société britannique concurrente, Farnell. M. Nicholson a été [traduction] « surpris » par la nouvelle. M. Hamilton lui a demandé d’aviser les autres employés et lui a dit qu’un communiqué de presse serait diffusé à midi (heure de Londres) ce jour‑là. Il semble qu’à ce moment-là, le président de Newark n’était pas encore au courant de la vente.

 

[18]    Les affaires de Farnell en Europe étaient bien plus importantes que celles de Newark. M. Nicholson est passé de la gestion de l’entreprise de Newark à l’intégration de l’entreprise de Newark à celle de Farnell. Les bureaux de Newark étaient situés au sud‑ouest de l’Angleterre et ceux de Farnell se trouvaient au nord‑est. M. Nicholson a dû réduire progressivement les opérations dans le sud‑ouest et se réinstaller à Leeds, où il a loué une maison pendant un an.

 

[19]    M. Nicholson s’est rapidement rendu compte que l’entreprise de Newark en Europe était vouée à la disparition. Le directeur de Newark aux États-Unis n’était pas une [traduction] « personne Newark ». Farnell lui a offert le poste de vice‑président des ventes de l’Amérique du Nord. Selon lui, il n’avait d’autre choix que d’accepter. S’il refusait, il se retrouvait sans emploi. Le 31 août 1996, ou environ à cette date, il a quitté le Royaume-Uni et est revenu à London (Ontario), une région qu’il considérait comme centrale compte tenu des endroits où il aurait à se rendre dans l’exécution de ses tâches pour Farnell, notamment, l’est des États‑Unis et le Canada.

 

[20]    Avant 1995, M. Nicholson était un résident du Canada. En janvier 1995, il s’est installé au Royaume-Uni. Selon lui, il a rompu ses liens avec le Canada au point de ne plus être un résident. En outre, en septembre 1996, il a recouvré ses liens avec le Canada[1].

 

[21]    Je suis convaincu que lorsqu’il a quitté le Canada en janvier 1995, M. Nicholson n’avait pas l’intention de revenir, sauf pour rendre visite à sa famille. Ses possibilités d’emploi étaient d’abord en Europe, puis aux États-Unis. L’avocat de l’intimée a insisté sur les liens familiaux qui attachent M. Nicholson au Canada, soit ses deux fils, sa sœur et son frère. Il a aussi formulé des commentaires au sujet de compte bancaire de M. Nicholson au Canada, de sa participation au régime d’assurance‑santé de l’Ontario et de son intérêt dans le foyer conjugal.

 

[22]    M. Nicholson a fourni des explications concernant les deux comptes bancaires, sa participation au régime d’assurance‑santé provincial et le foyer conjugal. Ses explications étaient crédibles. Le fait qu’il avait des liens familiaux au Canada, à mon avis, n’a aucune incidence sur sa véritable intention de résider habituellement à l’extérieur du Canada et sur le fait qu’il résidait effectivement à l’extérieur du Canada. Il n’est pas inhabituel, de nos jours, de voir des familles dont les membres habitent dans différents pays en raison d’occasions d’emploi[2].

 

[23]    La vie ordinaire de M. Nicholson, de janvier 1995 jusqu’au moment où il a décidé de quitter en 1996, était au Royaume-Uni. Il était un « résident habituel » du Royaume-Uni. Sa présence dans le pays n’était pas épisodique ou précaire, même s’il prévoyait se réinstaller éventuellement aux États-Unis. Mme Aitken et lui habitaient au Royaume-Uni comme conjoints. Le fils de Mme Aitken allait à l’école au Royaume-Uni. La vie ordinaire de Mme Aitken était au Royaume-Uni pendant la période en cause[3]. La présence de M. Nicholson au Canada pour rendre visite à ses enfants pendant la période des Fêtes doit être contrebalancée par le temps que ses enfants passaient au Royaume-Uni pour lui rendre visite. Le fait qu’il s’est rendu au Canada pour faire une visite ne lui confère pas le statut de résident du Canada.

 

[24]    La cotisation d’impôt sur le revenu de M. Nicholson pour l’année 1996 comprend des montants d’intérêt et de gains en capital imposables non déclarés. L’avocat de l’intimée a admis que la cotisation comportait des erreurs. Il a souligné que M. Nicholson avait omis de déclarer 315 $ à titre de revenu d’intérêt tiré d’un bon du Trésor du gouvernement du Canada ainsi que 9 375 $ à titre de gain en capital imposable tiré du dépôt d’actions de Premier Farnell en novembre 1996. Les deux avocats ont souligné que le gain en capital imposable doit être réparti proportionnellement afin de tenir compte de la période pendant laquelle M. Nicholson détenait les actions à titre de résident et à titre de non‑résident du Canada.

 

[25]    Selon l’avis d’appel, le ministre a imposé des pénalités à M. Nicholson en application du paragraphe 163(2) de la Loi. Comme je n’ai pas de copie des avis de nouvelle cotisation, je ne peux pas confirmer que c’est bel et bien le cas. Dans sa réponse à l’avis d’appel, l’intimée n’a mentionné aucune pénalité et il n’était pas question du paragraphe 163(2). Aucune preuve n’a été présentée au sujet des pénalités. S’il y avait bel et bien des pénalités, elles doivent être annulées.

 

[26]    Les appels sont accueillis, avec dépens. La nouvelle cotisation établie à l’égard de l’année 1995 est annulée. La nouvelle cotisation établie à l’égard de l’année 1996 est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en partant du principe que M. Nicholson est devenu résident du Canada le 1er septembre 1996 et qu’il est redevable de l’impôt sur la partie non déclarée des actions et des intérêts. L’avocat de l’appelant doit préparer un projet de jugement en fonction des présents motifs en application de l’article 169 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de décembre 2003.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mars 2009.

 

 

Hélène Tremblay, traductrice


 

 

RÉFÉRENCE :

2003CCI862

 

N° DE DOSSIER :

2001-1903(IT)G

 

INTITULÉ :

Paul J. Nicholson c. La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 septembre 2003

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 décembre 2003

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Keith M. Trussler

 

Avocat de l’intimée :

Me Marcel Prevost

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me Keith M. Trussler

 

Cabinet :

Giffen & Partners

 

Pour l’intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           Voir Fisher v. The Queen, 95 DTC 840 (C.C.I.), pages 843 à 45, pour obtenir un résumé des cas d’espèce sur la question de ce qui constitue un « résident habituel ».

[2]           Shih v. The Queen, 2000 DTC 2072 (C.C.I.), à la page 2077.

[3]           Thomson v. M.N.R., 2 DTC 812 (C.S.C.), à la page p. 813, par le juge Estey, et aux pages 815 et 816, par le juge Rand; Beament v. M.N.R., 52 DTC 1183 (C.S.C.); Kadrie v. The Queen, 2001 DTC 967 (C.C.I.) et Canada c. Bergelt, [1985] A.C.R. n° 1116.

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