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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2342(IT)G

ENTRE :

YVONNE SVASTAL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue sur preuve commune avec les requêtes de Paul Svastal (2001-2343(IT)G) et de Paul & Douglas Automatic Sprinklers Ltd. (2001-2344(IT)G), le 15 janvier 2002 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocats de l'appelante :    Me Brian Heller et Me Irving Marks

Avocat de l'intimée :         Me David W. Chodikoff

ORDONNANCE

          Vu la requête de l'appelante afin d'obtenir une ordonnance annulant les nouvelles cotisations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 et afin d'obtenir, subsidiairement, d'autres mesures de redressement;

          Vu les actes de procédure et autres documents qui ont été déposés;

          Vu les observations des avocats des parties;

          La Cour ordonne que la requête de l'appelante soit rejetée avec dépens à l'intimée suivant l'issue de la cause.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 30e jour de janvier 2002.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2343(IT)G

ENTRE :

PAUL SVASTAL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue sur preuve commune avec les requêtes de Yvonne Svastal (2001-2342(IT)G) et de Paul & Douglas Automatic Sprinklers Ltd. (2001-2344(IT)G), le 15 janvier 2002 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocats de l'appelant :      Me Brian Heller et Me Irving Marks

Avocat de l'intimée :         Me David W. Chodikoff

ORDONNANCE

          Vu la requête de l'appelant afin d'obtenir une ordonnance annulant les nouvelles cotisations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 et afin d'obtenir, subsidiairement, d'autres mesures de redressement;

          Vu les actes de procédure et autres documents qui ont été déposés;

          Vu les observations des avocats des parties;

          La Cour ordonne que la requête de l'appelant soit rejetée avec dépens à l'intimée suivant l'issue de la cause.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 30e jour de janvier 2002.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2344(IT)G

ENTRE :

PAUL & DOUGLAS AUTOMATIC SPRINKLERS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue sur preuve commune avec les requêtes de Yvonne Svastal (2001-2342(IT)G) et de Paul Svastal (2001-2343(IT)G), le 15 janvier 2002

à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocats de l'appelante :    Me Brian Heller et Me Irving Marks

Avocat de l'intimée :         Me David W. Chodikoff

ORDONNANCE

          Vu la requête de l'appelante afin d'obtenir une ordonnance annulant les nouvelles cotisations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 et afin d'obtenir, subsidiairement, d'autres mesures de redressement;

          Vu les actes de procédure et autres documents qui ont été déposés;

          Vu les observations des avocats des parties;

          La Cour ordonne que la requête de l'appelante soit rejetée avec dépens à l'intimée suivant l'issue de la cause.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 30e jour de janvier 2002.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20020130

Dossier : 2001-2342(IT)G

2001-2343(IT)G

2001-2344(IT)G

ENTRE :

YVONNE SVASTAL,

PAUL SVASTAL,

PAUL & DOUGLAS AUTOMATIC SPRINKLERS LTD.,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]      Les appelants Yvonne Svastal et Paul Svastal sont administrateurs et actionnaires de l'appelante Paul & Douglas Automatic Sprinklers Ltd. ( « P & D » ). Paul Svastal est en outre le président de P & D. Les appels dont la Cour est saisie sont interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations qui ont été établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et qui, font valoir les appelants, ont toutes été établies après la période normale de nouvelle cotisation et se fondaient sur des documents et renseignements obtenus par l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) en violation des droits garantis aux appelants par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ). Ces articles et l'article 24 de la Charte se lisent comme suit :

7.          Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8.          Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

[...]

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Les montants de l'impôt qui sont en cause dans ces appels sont élevés. D'après les avis d'appel, on a ajouté aux premières cotisations environ 400 000 $ dans le cas de P & D pour les années 1991 à 1994, environ 115 000 $ dans le cas de Yvonne Svastal pour les années 1990 à 1993 et environ 513 000 $ dans le cas de Paul Svastal pour les années 1990 à 1993. En outre, des pénalités ont été imposées aux appelants en vertu de l'article 163 de la Loi. Dans ces appels, la procédure écrite est close et les questions convenues sont de savoir :

           a)       si l'ADRC a recueilli des éléments de preuve en violation des articles 7 et 8 de la Charte;

           b)      si les nouvelles cotisations portées en appel ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation de trois ans suivant la date des premières cotisations, selon le paragraphe 153(1.1);

           c)       dans l'affirmative, si le ministre du Revenu national peut satisfaire aux exigences du paragraphe 152(4).

Dans leurs avis d'appel, les appelants n'allèguent pas qu'ils avaient correctement déclaré leurs revenus ou que les premières cotisations relatives à leurs revenus étaient exactes. Ils ne soulèvent que les questions concernant les prétendues violations de la Charte dans la collecte d'éléments de preuve et concernant l'opportunité des nouvelles cotisations.

[2]       Par les requêtes dont je suis maintenant saisi, les appelants cherchent à faire déterminer - avant la production de documents ou la tenue d'interrogatoires préalables - premièrement, que l'enquête de l'ADRC a été menée en violation de la Charte, et deuxièmement, que la réparation appropriée en vertu de l'article 24 de la Charte consiste à annuler les nouvelles cotisations portées en appel ou, subsidiairement, à exclure l'ensemble de la preuve obtenue en violation de la Charte, y compris toute preuve dérivée, à soustraire les appelants aux exigences en matière de production de documents et en matière d'interrogatoires préalables et à imposer à l'intimée la charge de prouver au procès l'exactitude des nouvelles cotisations. Les appelants sollicitent en outre des directives grâce auxquelles ils pourraient obtenir la production de documents et tenir des interrogatoires préalables aux fins des requêtes et appeler des témoins à l'audition des requêtes et grâce auxquelles ils n'auraient pas à produire de documents ni à subir des interrogatoires préalables en attendant la décision sur les requêtes. Pour que la position des appelants puisse être bien comprise, je reproduis ci-après intégralement les passages de l'avis de requête faisant état du redressement demandé et des motifs à l'appui :

[TRADUCTION]

La requête vise à obtenir :

a)          une ordonnance annulant les avis de nouvelle cotisation du 30 juillet 1997 pour les années d'imposition des appelants 1991, 1992, 1993 et 1994 (les « nouvelles cotisations » ), conformément au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » );

b)          subsidiairement, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte, une ordonnance :

           (i)           empêchant que soient utilisés comme éléments de preuve au procès tous les éléments de preuve obtenus par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en violation des articles 7 ou 8 de la Charte;

           (ii)          empêchant que soit utilisé comme élément de preuve au procès tout ce qui a été obtenu ou établi par le ministre et qui dérive directement ou indirectement d'éléments de preuve obtenus par le ministre en violation des articles 7 ou 8 de la Charte;

           (iii)         indiquant que les appelants ne sont pas soumis à l'exigence relative à la production de documents et aux interrogatoires préalables par l'intimée;

           (iv)         indiquant que, au procès, l'intimée aura la charge d'établir la validité des nouvelles cotisations et qu'il n'y aura pas de présomption d'exactitude quant à ces nouvelles cotisations;

c)          aux fins de l'audition de la requête :

           (i)           des directives permettant aux appelants d'interroger des témoins lors de l'audition de la requête de la même manière qu'à l'audition d'un appel en vertu des articles 76, 144 et 146 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles » );

           (ii)          des directives enjoignant à l'intimée de produire des documents et de subir un interrogatoire préalable avant l'audition de la requête;

           (iii)         des directives permettant aux appelants de soumettre à des interrogatoires préalables des employés et anciens employés du ministre ou de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ayant de l'information relative aux questions en cause dans la requête et dans l'appel, et ce, avant l'audition de la requête et selon ce qui pourra être exigé par les appelants, en vertu de l'article 99 des Règles;

           (iv)         des directives indiquant que les appelants n'ont pas à produire de documents ni à subir d'interrogatoires préalables en attendant la décision sur la requête;

           (v)          toute autre directive pouvant être nécessaire pour que soit promptement entendue la requête;

d)          les frais de la requête et de l'appel en faveur des appelants, sur une base procureur-client;

e)          toute autre mesure de redressement considérée comme juste par cette honorable cour.

Les motifs au soutien de la requête sont les suivants :

a)          les articles 76, 93, 99, 137, 144 et 146 des Règles;

b)          les nouvelles cotisations sont basées sur de l'information obtenue ou utilisée en violation des articles 7 et 8 de la Charte et en violation de la doctrine relative à l'abus de procédure, c'est-à-dire que :

           (i)           de l'information a été illégalement obtenue par une ou plusieurs personnes que l'intimée, par l'intermédiaire du ministre, avait autorisées à effectuer une vérification, prétendument en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), laquelle vérification était en fait une enquête criminelle menée en l'absence d'un mandat de perquisition;

           (ii)          le service de Revenu Canada appelé Enquêtes spéciales (nom qu'il portait alors), à savoir un service de l'État chargé de l'application du droit pénal, s'est approprié l'information mentionnée au sous-alinéa (i) ci-devant pour l'utiliser dans des procédures pénales;

           (iii)         l'intimée a, par l'intermédiaire du ministre, illégalement obtenu des mandats de perquisition basés sur l'information illégalement obtenue ou utilisée;

           (iv)         d'autres renseignements dérivent directement ou indirectement des activités décrites aux sous-alinéas (i), (ii) ou (iii) ci-devant;

c)          l'information obtenue en violation de la Charte était à la base des nouvelles cotisations; en l'absence de cette information, il n'y avait pas de fondement permettant à l'intimée, par l'intermédiaire du ministre, d'établir les nouvelles cotisations; ainsi, les appelants soutiennent que les nouvelles cotisations devraient être annulées, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte;

d)          admettre en preuve devant cette cour des éléments de preuve obtenus par le ministre en violation des articles 7 ou 8 de la Charte déconsidérerait l'administration de la justice;

e)          de plus, pour chacune desdites années d'imposition, les avis de nouvelle cotisation ont été établis après la période normale de nouvelle cotisation applicable aux appelants en vertu du paragraphe 152(3.1) de la Loi;

f)           vu l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable aux appelants, l'intimée doit, en vertu de l'alinéa 152(4)a) de la Loi, prouver que les appelants ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi;

g)          ladite information illégalement obtenue devrait être écartée comme preuve, conformément au paragraphe 24(2) de la Charte; en l'absence de cette information, l'intimée n'a aucune preuve admissible pour s'acquitter de la charge de la preuve qui lui incombe susmentionnée à l'alinéa f);

h)          dans des procédures pénales liées aux questions faisant l'objet des nouvelles cotisations, le ministère de la Justice a omis d'assurer aux accusés une divulgation juste et complète, puis il a retiré les accusations lors d'une conférence judiciaire préparatoire tenue avant le procès;

i)           les droits garantis aux appelants par les articles 7 ou 8 de la Charte seront lésés si les appelants sont tenus de produire des documents et de subir des interrogatoires préalables sans qu'ait d'abord été tranchée la question de savoir si les droits garantis aux appelants par la Charte ont été violés et, dans l'affirmative, quel devrait être le redressement approprié.

[3]       À l'audience, les avocats m'ont informé que l'on ne me demandait à ce stade-ci que les directives sollicitées aux sous-alinéas c)(i) à (v) de l'avis de requête.

[4]       Les appelants ont déposé devant moi environ six kilogrammes d'affidavits. L'intimée en a déposé environ deux kilogrammes. Je n'entends pas commenter le contenu des affidavits, sauf que je dirai qu'ils me convainquent de deux choses. Premièrement, des accusations pénales ont été portées contre chacun des appelants, puis retirées par la Couronne, de sorte qu'il n'y a eu aucune décision sur l'applicabilité de la Charte aux éléments de preuve recueillis par l'ADRC au cours de son enquête et qu'il n'y en aura aucune dans le contexte des poursuites. Deuxièmement, il y a de sérieuses questions en litige entre les parties concernant l'enquête, ce qui comprend des différends quant aux faits et quant à la mesure de redressement qu'il convient ou non d'accorder en vertu de l'article 24 de la Charte. L'audition relative à ces questions prendra probablement plusieurs jours du temps de la Cour.

[5]       Les avocats des appelants m'ont renvoyé à plusieurs causes dans lesquelles notre cour a traité de demandes visant à exclure des éléments de preuve pour des raisons liées à la Charte. Dans les affaires Donovan[1] et Norwood[2], des requêtes avaient été présentées à l'ouverture du procès ou pendant le procès pour que soient exclus certains éléments de preuve. Dans l'affaire Jurchison[3], comme en l'espèce, une demande avait été présentée par voie de requête interlocutoire, pour obtenir essentiellement la même mesure de redressement qu'en l'espèce. Les appelants avaient été poursuivis pour évasion fiscale. Au cours de cette procédure, un juge de la Cour provinciale avait, lors d'une requête préliminaire, statué que certains éléments de preuve étaient irrecevables parce qu'ils avaient été obtenus en violation des droits garantis aux appelants par l'article 8 de la Charte et parce que les admettre en preuve dans cette procédure aurait déconsidéré l'administration de la justice. Cette décision avait été confirmée par la Cour supérieure de l'Ontario, Division générale. Lorsque j'ai entendu la requête présentée dans l'affaire Jurchison, j'ai souscrit aux décisions des cours de l'Ontario selon lesquelles les éléments de preuve avaient été obtenus illégalement et j'ai ordonné que les éléments de preuve ne soient pas recevables au procès, que les appelants ne soient pas soumis à des interrogatoires préalables et que, au procès, l'intimée ait la charge de justifier les cotisations portées en appel.

[6]       Cette ordonnance a été annulée en appel. Le juge Sexton, s'exprimant pour une cour unanime, a statué que puisque la question de la Charte n'avait pas été soulevée dans les actes de procédure, il ne convenait pas qu'elle fasse l'objet d'une requête selon l'article 58 des Règles. Il a toutefois poursuivi en disant[4] :

En règle générale, il convient de laisser la question de l'admissibilité d'éléments de preuve au juge de première instance qui, étant saisi de l'ensemble des faits et de la preuve, peut rendre la décision la plus éclairée.

Au sujet de la partie de l'ordonnance indiquant que les appelants ne devaient pas être soumis à des interrogatoires préalables, il a dit[5] :

[...] Il se peut fort bien que certaines questions posées en interrogatoire préalable puissent être considérées tirer leur origine des éléments de preuve recueillis en contravention des droits des contribuables. Il ne peut toutefois pas en être décidé ainsi avant que ces questions ne soient posées. La Couronne a droit à l'interrogatoire préalable et ce droit ne doit pas être éteint à la légère. À mon avis, il est préférable de permettre l'interrogatoire préalable et de donner au contribuable le droit de s'opposer à toute question qu'il estime tirer son origine des éléments de preuve contestés. Le juge des requêtes sera alors mieux à même d'évaluer la régularité de la question.

[7]       Une requête semblable à celle dont je suis maintenant saisi avait été présentée au juge Mogan, de notre cour, dans l'affaire Warawa c. La Reine[6]. Il était dit expressément que cette requête était présentée conformément à l'article 58 des Règles, qui permet à la Cour de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit soulevée par un acte de procédure. Le juge Mogan a rejeté la requête, pour le motif que la question qui lui était soumise n'était pas qu'une question de droit, mais portait également sur des questions de fait. Ce faisant, il a examiné les décisions faisant jurisprudence - celle de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jurchison n'en est qu'une - dans lesquelles on a reconnu la distinction qu'il convient de faire entre une procédure pénale et une procédure civile comme un appel en matière d'impôt sur le revenu (y compris un appel lorsque le ministre a imposé des pénalités en vertu de la Loi[7]) quand on considère les mesures de redressement à accorder en vertu de l'article 24 de la Charte et qu'il s'agit de déterminer si ce serait déconsidérer l'administration de la justice que d'admettre les éléments de preuve obtenus illégalement.

[8]       Dans l'affaire O'Neil Motors Ltd. c. La Reine[8], le juge Bowman, titre qu'il portait alors, avait annulé des nouvelles cotisations pour le motif qu'elles se fondaient essentiellement sur des éléments de preuve obtenus par une fouille et une saisie illégales. Dans cette affaire, l'avocat de l'intimée avait reconnu que la fouille et la saisie en question violaient les droits garantis à l'appelante par l'article 8 de la Charte. Un juge de la Cour provinciale de Terre-Neuve était précédemment parvenu à cette conclusion dans une poursuite intentée contre l'appelante en vertu l'article 239 de la Loi. L'avocat de l'intimée avait également reconnu que, sans les éléments de preuve obtenus illégalement, les nouvelles cotisations ne pouvaient être maintenues. Dans ces circonstances, le juge Bowman avait annulé les cotisations, mais, ce faisant, il avait dit :

Je ne voudrais pas que la conclusion que j'ai tirée en l'espèce soit considérée comme sanctionnant dans tous les cas l'annulation des cotisations établies par le ministre, lorsqu'elles sont en partie fondées sur des renseignements obtenus d'une façon inconstitutionnelle. Il peut y avoir des cas dans lesquels il suffit d'exclure l'élément de preuve, d'autres cas dans lesquels l'élément a peu d'importance ou n'en a aucune aux fins de l'établissement des cotisations ou dans lesquels son utilisation ne déconsidérerait pas l'administration de la justice, alors que dans d'autres cas encore, la solution préconisée dans le jugement Suarez s'imposerait. En exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l'article 24 de la Charte, la Cour doit veiller à établir l'équilibre entre les droits protégés par la Charte et le fait qu'il est important de maintenir l'intégrité du régime d'autocotisation. Au fur et à mesure que des cas se présenteront, ces facteurs et, sans aucun doute, d'autres facteurs s'appliqueront et il faudra accorder à chacun d'eux son importance relative. Compte tenu des circonstances de l'affaire, j'ai conclu qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à annuler les cotisations.

L'appel a été rejeté par la Cour d'appel fédérale. En rendant les motifs unanimes de la Cour, le juge Linden, faisant référence au passage que je viens de citer, a dit[9] :

Je tiens particulièrement à souligner les termes employés par le juge de la Cour de l'impôt, qui emportent ma complète adhésion, selon lesquels ce genre de mesure de redressement extrême ne doit pas être accordé automatiquement, mais être réservé aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes.

[9]      Il ressort clairement de cette jurisprudence que les questions concernant la recevabilité d'éléments de preuve et concernant d'autres mesures de redressement selon l'article 24 de la Charte ne doivent pas être traitées de façon interlocutoire, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Il n'y pas de circonstances exceptionnelles ou impérieuses en l'espèce. En fait, j'estime que le cas présent est beaucoup moins approprié que ce qu'il en était dans l'affaire Jurchison. Dans l'affaire Jurchison, un tribunal compétent avait déterminé que certains éléments de preuve avaient été obtenus illégalement, et cette conclusion avait été confirmée en appel. Les deux juges avaient utilisé des termes très forts pour condamner la conduite des fonctionnaires de Revenu Canada. En l'espèce, il n'y a pas eu de conclusion semblable. L'avocat affirme que les accusations portées contre les appelants ont été retirées parce que la preuve nécessaire pour obtenir des condamnations avait été illégalement obtenue. Il peut ou non en être ainsi. Il est tout aussi possible que ce soit le manquement relatif à une divulgation appropriée conformément à l'arrêt R. c. Stinchcombe[10] - ou quelque autre raison dont je ne sais rien - qui ait conduit à la décision de la Couronne. Selon toute probabilité, plusieurs jours de procès seront consacrés à la question afférente aux requêtes. Les appelants veulent avoir ce procès avant d'être tenus de produire des documents ou de se soumettre à des interrogatoires préalables. Les documents devant être produits par un appelant en vertu de l'article 81 des Règles se limitent aux documents qui aident l'appelant à prouver des faits allégués dans l'avis d'appel ou à réfuter des faits allégués dans la réponse à l'avis d'appel. Aucune autre production de documents n'est requise sans une ordonnance de la Cour. Pour ce qui est des interrogatoires préalables, les appelants peuvent refuser de répondre à des questions qu'ils estiment être inspirées par des éléments de preuve obtenus illégalement, et ce, conformément au jugement rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jurchison. Si cela arrivait, un juge des requêtes pourrait devoir se prononcer sur la pertinence de la question. Les objections relatives à l'admissibilité d'éléments de preuve particuliers seront examinées par le juge du procès, en temps opportun.

[10]     Les requêtes sont rejetées, et les frais d'une seule requête seront accordés à l'intimée suivant l'issue de la cause.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 30e jour de janvier 2002.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Donovan c. La Reine, C.C.I., no 96-3026(IT)G, 15 octobre 1998, [1999] 1 C.T.C. 2140, modifié par [2000] 4 C.F. 373, 2000 D.T.C. 6339 (C.A.F.).

[2]           Norwood c. La Reine, C.C.I., no 98-1305(IT)G, 27 mars 2000, [2000] C.T.C. 2900, modifié par C.A.F., no A-220-00, 12 janvier 2001, 2001 D.T.C. 5111.

[3]           Jurchison c. La Reine; Norway Insulation Inc. c. La Reine; C.C.I., no 98-1755(IT)G, 26 novembre 1999, 2000 D.T.C. 1660; inf. par C.A.F., no A-798-99, 26 avril 2001, 2001 D.T.C. 5301.

[4]           Au paragraphe 10.

[5]           Au paragraphe 14.

[6]           Inédit, C.C.I., no 2000-155(IT)G, 20 décembre 2001.

[7]           Donovan c. La Reine, précité, par. 11.

[8]           C.C.I., no 94-820(IT)G, 9 novembre 1995, 96 D.T.C. 1486; conf. par [1998] 4 C.F. 180, 98 D.T.C. 6424 (C.A.F.).

[9]           Précité, par. 12 (D.T.C. : à la page 6428).

[10]          [1991] 3 R.C.S. 326.

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