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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2568(IT)I

ENTRE :

GORDON BARTHELS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 février 2002 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge J. E. Hershfield

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Représentant de l'intimée :          D. Friday (stagiaire)


JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2002.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020517

Dossier: 2001-2568(IT)I

ENTRE :

GORDON BARTHELS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]      Le présent appel, formé sous le régime de la procédure informelle, porte sur une nouvelle cotisation, visant l'année d'imposition 1999 de l'appelant, par laquelle était refusé à l'appelant le crédit équivalent pour personne entièrement à charge qu'il avait réclamé aux termes de l'alinéa 118(1)b).

[2]      Le 4 décembre 1997, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendait une ordonnance enjoignant à l'appelant de verser une pension alimentaire relativement aux deux enfants issus de son mariage avec Diane Barthels. L'appelant et Diane se sont séparés en mai 1994. L'appelant a cessé de verser la pension alimentaire à l'égard de sa fille Stephanie lorsque celle-ci est allée vivre avec lui à temps plein en 1998. L'ordonnance enjoignant à l'appelant de verser à Diane une pension alimentaire continue relativement à Stephanie n'a été modifiée qu'en 1999; le tribunal a alors annulé l'obligation de l'appelant de verser la pension alimentaire pour Stephanie à la suite de son déménagement chez son père. L'ordonnance modificative annulait les arriérés de pension alimentaire accumulés à l'égard de Stephanie depuis que celle-ci vivait chez l'appelant en 1998. La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'ordonnance portant annulation des arriérés de pension alimentaire est suffisante pour permettre à l'appelant de réclamer le crédit équivalent pour personne entièrement à charge à l'égard de Stephanie. L'intimée soutient que, même si les arriérés ont été annulés, l'appelant était tenu, en 1999, de payer une pension alimentaire et que cette obligation le rend inadmissible au crédit d'impôt en cause pour l'année d'imposition 1999 en vertu du paragraphe 118(5).

[3]      Le contexte factuel dans lequel s'inscrit le présent appel est exposé en détail dans les hypothèses sur lesquelles le ministre s'est fondé. Ces hypothèses se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

8.          En établissant ainsi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1999 de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          l'appelant et Diane Barthels (l' « ex-conjointe » ) se sont séparés en mai 1994;

b)          aux termes d'un accord de séparation du 19 avril 1995 (l' « accord » ), l'appelant et son ex-conjointe convenaient de vivre séparés l'un de l'autre et de partager la garde des deux enfants issus du mariage, Jennifer Barthels ( « Jennifer » ) et Stephanie;

c)          l'accord prévoyait en outre que l'ex-conjointe réclamerait la prestation fiscale pour enfants et que l'appelant lui verserait, pour subvenir aux besoins de Jennifer et de Stephanie (ci-après appelés collectivement les « enfants » ), le montant applicable qui suit :

-            si les enfants vivaient à mi-temps avec l'ex-conjointe, 400 $ par mois par enfant;

-            si les enfants vivaient les trois quarts du temps avec l'ex-conjointe, 500 $ par mois par enfant;

-            si les enfants vivaient à plein temps avec l'ex-conjointe, 600 $ par mois par enfant;

-            si les enfants vivaient les trois quarts du temps avec l'appelant, 300 $ par mois par enfant;

-            si les enfants vivaient à plein temps avec l'appelant, ce dernier cesserait de verser une pension alimentaire;

           

d)          l'accord prévoyait également une augmentation annuelle des paiements basée sur le coût de la vie;

e)          le 4 décembre 1997, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendait une ordonnance (la « première ordonnance » ) nommant l'appelant et son ex-conjointe cotuteurs des enfants, accordant à l'appelant des droits de visite à l'égard de Stephanie et enjoignant à l'appelant de verser mensuellement à son ex-conjointe la somme de 963 $ pour chacun des enfants à compter du 1er janvier 1998;

f)           aux termes de la première ordonnance, l'ex-conjointe devait payer à l'appelant un montant de 29 880 $, montant qui correspond à l'intérêt de ce dernier dans la résidence familiale, moins un montant de 4 373,57 $ que l'appelant lui devait aux termes de l'accord;

g)          le 7 octobre 1998 ou vers cette date, Stephanie est allée vivre avec l'appelant, rendant visite à l'ex-conjointe tous les mercredis ainsi qu'une fin de semaine sur deux;

h)          le 1er novembre 1998, l'appelant a versé 595 $ à son ex-conjointe pour subvenir aux besoins de Jennifer;

i)           le 1er décembre 1998, le 1er janvier 1999 et le 1er février 1999, l'appelant a versé 394 $ à son ex-conjointe pour subvenir aux besoins de Jennifer;

j)           de mars à août 1999, l'appelant a versé à son ex-conjointe, le premier de chaque mois, 201 $ pour subvenir aux besoins de Jennifer;

k)          le 4 août 1999, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendait une ordonnance (la « deuxième ordonnance » ) qui modifiait la première ordonnance, accordant à l'ex-conjointe la garde exclusive de Jennifer, accordant à l'appelant et à son ex-conjointe la garde partagée de Stephanie, désignant la résidence de l'appelant comme résidence principale de Stephanie et enjoignant à l'appelant de verser à son ex-conjointe une pension alimentaire mensuelle de 199 $ pour subvenir aux besoins de Jennifer;

l)           la deuxième ordonnance modifiait en outre la première ordonnance par l'ajout, entre autres, du paragraphe suivant :

            LA COUR ORDONNE EN OUTRE l'annulation des arriérés de pension alimentaire pour enfants de 5 123 $ que l'intimée réclamait dans le cadre du programme appelé « Family Maintenance Enforcement Program » (Programme d'exécution des pensions alimentaires) (dossier du FMEP no 35651, code d'identification personnel du FMEP no 70592).

m)         le 19 janvier 2000, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendait une ordonnance (la « troisième ordonnance » ) modifiant l'alinéa h) précité de la deuxième ordonnance comme suit :

LA COUR ORDONNE EN OUTRE l'annulation des arriérés de pension alimentaire pour enfants de 5 123 $ accumulés au 9 juin 1999 et de tous les arriérés et des intérêts accumulés du 9 juin 1999 à la date de la présente ordonnance qui excèdent 199 $ par mois que l'intimée réclamait dans le cadre du programme appelé « Family Maintenance Enforcement Program » (dossier du FMEP no 35651d, code d'identification personnel du FMEP no 70592).

n)          du 1er janvier au 1er août 1999, l'appelant était tenu, conformément à la première ordonnance, de verser 963 $ à son ex-conjointe pour subvenir aux besoins de Stephanie.

[4]      L'appelant n'a pas contesté ces hypothèses de fait, sauf celle figurant à l'alinéa n). Je ferai également remarquer que les hypothèses sont quelque peu trompeuses, étant donné que la première ordonnance accordait la garde exclusive des deux enfants à Diane et lui confiait la responsabilité principale pour ce qui est de satisfaire à leurs besoins quotidiens. En fait, les droits de visite de l'appelant étaient très limités; cette disposition de l'ordonnance, comme la plupart des autres dispositions, avait été rendue sur consentement. C'est donc dire que la première ordonnance entérinait l'accord des parties, qui avaient convenu que l'appelant paierait une pension alimentaire compte tenu du fait que les deux enfants vivraient avec Diane et que celle-ci s'occuperait d'eux. De la même manière, l'accord antérieurement conclu par les parties prévoyait expressément que la pension alimentaire varierait selon le parent avec lequel les enfants habiteraient.

[5]      Dans les hypothèses de fait, on a en outre omis de mentionner que, après avoir établi les obligations en matière de pension alimentaire au profit des enfants, la première ordonnance prévoyait également ceci :

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le montant de la pension alimentaire pour enfants est susceptible d'être révisé en cas de changement important de la situation des parties [...]

[6]      L'appelant soutient que l'annulation, aux termes des deuxième et troisième ordonnances, des arriérés accumulés en 1999 a eu pour effet d'annuler rétroactivement son obligation de verser une pension alimentaire relativement à Stephanie durant l'année d'imposition 1999. Bien que l'intimée ne conteste pas que les arriérés accumulés en 1999 ont été annulés, elle soutient, comme l'indique l'alinéa n) des hypothèses de fait, que l'appelant était tenu de payer à son ex-conjointe, du 1er janvier au 1er août 1999, une pension alimentaire relativement à Stephanie aux termes de la première ordonnance.

DISPOSITIONS LÉGALES

[7]      L'alinéa 118(1)b) autorise le contribuable qui tient un établissement, dans lequel il subvient aux besoins d'une personne entièrement à sa charge, à déduire de son impôt payable un montant calculé selon une formule. Le fait que l'appelant satisfait aux exigences prévues à cette disposition relativement à Stephanie n'est pas contesté; il n'est donc pas nécessaire d'énoncer ces exigences. La question qui se pose a trait à l'application du paragraphe 118(5), qui se lit comme suit :

118. (5) Aucun montant n'est déductible en application du paragraphe (1) relativement à une personne dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition si le particulier, d'une part, est tenu de payer une pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) à son conjoint ou ancien conjoint pour la personne et, d'autre part, selon le cas :

a) vit séparé de son conjoint ou ancien conjoint tout au long de l'année pour cause d'échec de leur mariage;

b) demande une déduction pour l'année par l'effet de l'article 60 au titre de la pension alimentaire versée à son conjoint ou ancien conjoint.

ANALYSE

[8]      L'intimée soutient que le paragraphe 118(5) a pour effet d'annuler le droit de l'appelant de réclamer le crédit d'impôt en cause, étant donné qu'il était tenu de payer en 1999, jusqu'à ce que la deuxième ordonnance soit rendue, une pension alimentaire relativement à la personne, soit sa fille, qu'il déclarait être à sa charge. L'intimée soutient que, même si l'appelant n'avait effectué, en 1999, aucun versement prévu par la première ordonnance et même s'il avait été libéré de cette obligation aux termes des deuxième et troisième ordonnances, il n'en demeure pas moins qu'il était tenu, en 1999, de payer une pension alimentaire, de sorte que la restriction prévue au paragraphe 118(5) s'applique. Le libellé des deuxième et troisième ordonnances, qui annulaient les arriérés de pension alimentaire payables relativement à Stephanie, ne permet pas de conclure que ces ordonnances visaient expressément à annuler l'obligation rétroactivement. En annulant les arriérés accumulés en 1999 pour la période pendant laquelle l'appelant était tenu de payer une pension alimentaire aux termes de la première ordonnance, les deuxième et troisième ordonnances confirmaient cette obligation mais annulaient la créance qui en découlait à la date du prononcé de ces ordonnances.

[9]      Bien que l'intimée a raison lorsqu'elle affirme que les deuxième et troisième ordonnances n'indiquaient pas expressément qu'elles s'appliquaient rétroactivement, je ne suis pas convaincu qu'il soit nécessaire en l'espèce qu'elles s'appliquent rétroactivement pour que l'appelant ait le droit de réclamer le crédit d'impôt en cause.

[10]     Premièrement, je ferai remarquer que la Loi semble indiquer que le parent ayant la garde d'un enfant qui est entièrement à sa charge a le droit de réclamer le crédit d'impôt s'il ne paie pas de pension alimentaire. La situation de l'appelant en 1999 correspond à la situation générale visée par la Loi. Plus particulièrement, en ce qui concerne l'économie des dispositions prévoyant ce crédit d'impôt, celles-ci ont délibérément été intégrées au nouveau régime applicable aux pensions alimentaires pour enfants, lequel prévoit que les versements de pension alimentaire ne sont ni déductibles pour celui qui les verse ni imposables pour celui qui les reçoit. Le plan budgétaire qui a instauré ce nouveau régime comprenait de la documentation décrivant, du moins en partie, la relation mutuelle entre le droit au crédit équivalent pour personne entièrement à charge et le nouveau régime applicable aux pensions alimentaires pour enfants; on peut y lire ceci :

Le montant équivalent pour conjoint est destiné aux chefs de familles monoparentales ayant un enfant de moins de 18 ans. À l'heure actuelle, la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que le récipiendaire des pensions alimentaires pour enfants, et non le payeur, peut demander ce montant.

Ce régime demeurera inchangé en vertu des nouvelles règles. Cette approche est conforme aux nouvelles lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, en vertu desquelles le montant de ces pensions est établi en supposant que c'est le conjoint récipiendaire qui demande le montant équivalent pour conjoint[1].

Refuser le crédit équivalent pour personne entièrement à charge au conjoint qui a la garde des enfants et qui subvient à leurs besoins irait à l'encontre des nouvelles lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. De toute évidence, en l'espèce, ce n'est pas Diane qui a droit à ce crédit d'impôt à l'égard de Stephanie. En 1999, elle n'a à aucun moment subvenu aux besoins de Stephanie dans un établissement qu'elle aurait tenu. Selon l'esprit des dispositions en cause, le législateur ne pouvait avoir l'intention de refuser le crédit équivalent pour personne entièrement à charge au conjoint qui a la garde des enfants et qui subvient à leurs besoins.

[11]     Deuxièmement, je remarque que le paragraphe 118(5) peut soulever une ambiguïté, en ce sens qu'on pourrait se demander quelle est la pertinence du fait qu'il n'indique pas expressément quand l'obligation de payer une pension alimentaire doit exister. Il est quelque peu inusité que cette disposition annule le droit au crédit d'impôt « pour une année d'imposition » lorsque le contribuable est « tenu de payer une pension alimentaire » , mais qu'elle ne mentionne pas quand cette obligation doit avoir commencé à exister ou doit avoir été éteinte. Normalement, compte tenu du style formaliste de la rédaction de la Loi, on aurait dit que le crédit d'impôt est refusé lorsque « dans l'année » , ou « à tout moment de l'année » , ou encore « à l'égard de l'année ou de toute partie de l'année » , il y a obligation de payer une pension alimentaire. Bien que j'hésite à laisser entendre que ces dispositions, qui sont déjà suffisamment alambiquées, devraient l'être davantage par l'insertion de nouveaux mots, je suis dans ce cas-ci porté à croire que, parce que la disposition ne précise pas quand doit exister l'obligation de payer une pension alimentaire, l'annulation à tout moment de cette obligation « à l'égard de l'année » pourrait bien être suffisante pour que la restriction prévue par cette disposition ne puisse s'appliquer. À coup sûr, je ne vois dans ce cas-ci rien d'incorrect à retenir une telle interprétation légale.

[12]     Troisièmement, je conclus que l'obligation de payer une pension alimentaire aux termes de la première ordonnance dépendait en elle-même de la situation relative à garde visée par cette ordonnance. La situation a changé au cours de l'année précédant l'année en cause, et ce changement s'est perpétué tout au long de l'année en cause. La première ordonnance ne visait pas une telle situation. Les deuxième et troisième ordonnances (portant annulation des arriérés) ne sont, à mon avis, que formalistes, et on doit leur attribuer le même effet que si elles avaient pour objet d'annuler l'ordonnance qui a entraîné l'accumulation des arriérés. Ces deuxième et troisième ordonnances ont reconnu la situation et entériné l'accord juridique des parties tel qu'il avait été convenu au moment où la première ordonnance avait été rendue. Elles ont confirmé le caractère essentiellement conditionnel de la première ordonnance et clarifié que l'obligation de payer une pension alimentaire relativement à Stephanie n'existait plus lorsque les hypothèses sur lesquelles cette obligation était fondée eurent cessé d'exister. Ces ordonnances, bien qu'elles n'indiquent pas expressément qu'elles mettent rétroactivement fin à cette obligation, ont à mon avis tout de même un tel effet rétroactif.

[13]     Bien que je ne désire pas m'étendre sur la portée, l'effet ou la validité d'une ordonnance qui semble être essentiellement conditionnelle, il est à tout le moins important de souligner ce que j'estime être une caractéristique fondamentale des jugements et des ordonnances. Ceux-ci ont force exécutoire tant qu'ils n'ont pas été annulés[2]. En d'autres termes, la manière de reformer une ordonnance fondée sur des hypothèses particulières est de l'annuler ou de la modifier dans la mesure où ces hypothèses changent ou ne se vérifient pas. Ainsi, il est relativement important de comprendre ce qu'on entend par « annuler » des ordonnances ou des dispositions d'ordonnance dans le cas d'ordonnances ou de jugements qui sont essentiellement conditionnels, comme cela semble être souvent le cas de jugements en matière de droit de la famille. Dans les affaires où les ordonnances dépendent essentiellement du maintien du statu quo, il s'agit de reconnaître, et d'accepter, le processus par lequel elles sont annulées et de déterminer ce qu'implique l'annulation de telles ordonnances dans une situation particulière.

[14]     Prenons l'affaire Biggs c. Canada[3], dans laquelle les faits et les questions en litige étaient semblables à ceux de l'affaire qui nous occupe, si ce n'est que, dans l'affaire Biggs, l'ordonnance du tribunal enjoignant à l'appelant de verser une pension alimentaire relativement à l'enfant indiquait expressément que l'appelant ne devait s'acquitter de cette obligation que tant que l'enfant habiterait avec son ex-conjointe ou jusqu'au prononcé d'une nouvelle ordonnance du tribunal. L'enfant a de fait cessé d'habiter avec l'ex-conjointe et, bien que le tribunal n'ait pas rendu d'autre ordonnance, les parents ont conclu un accord, qu'ils souhaitaient substituer à l'ordonnance, prévoyant la cessation du paiement de la pension alimentaire relativement à l'enfant. Même si un tel accord ne pouvait régler la question ni remplacer l'ordonnance du tribunal, le juge Beaubier a conclu, du moins pour l'application du paragraphe 118(5) de la Loi, que l'obligation de payer une pension alimentaire relativement à l'enfant avait cessé d'exister au moment où l'enfant avait cessé de résider avec l'ex-conjointe. Compte tenu du fait qu'il était nécessaire qu'une conclusion soit tirée pour l'application de la Loi, et compte tenu de l'objet des dispositions en cause de la Loi, je ne vois aucun obstacle à ce qu'un juge de notre cour puisse rendre la décision qui s'impose, soit de déclarer que l'enfant avait de fait cessé de résider avec l'ex-conjointe, de manière à conclure que l'ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique n'exigeait pas qu'une pension alimentaire soit payée relativement à l'enfant au cours de la période en cause.

[15]     Bien que le libellé de l'ordonnance rendue au titre de la pension alimentaire relativement à l'enfant dans l'affaire Biggs pourrait permettre d'avancer l'argument selon lequel l'obligation de payer une pension alimentaire n'existait que pour une période déterminable et que l'annulation de cette obligation n'était donc pas nécessaire, je ne vois aucune différence d'ordre pratique entre l'ordonnance en cause dans l'affaire Biggs et les ordonnances en cause en l'espèce. Il est tout à fait clair dans ces deux affaires que l'obligation de payer une pension alimentaire était fondée sur l'hypothèse que l'enfant relativement auquel la pension était versée vivrait avec l'ex-conjointe et que cette obligation dépendait du maintien de cette situation. Il me semblerait par conséquent difficile de défendre le jugement rendu dans l'affaire Biggs sans rendre en l'espèce un jugement semblable donnant gain de cause à l'appelant. Le fait que notre cour ait reconnu judiciairement, dans l'affaire Biggs, que l'ordonnance n'était plus exécutoire et que l'obligation de paiement avait pris fin ne devrait pas produire un résultat plus favorable que dans le cas où un juge du tribunal ayant rendu l'ordonnance annulerait celle-ci ou annulerait une des obligations y prévues. Cela m'amène à l'examen de la signification du terme « annuler » ( « set aside » ).

[16]     L'ouvrage Black's Law Dictionary définit « annuler » ( « set aside » ) comme suit : [traduction] « infirmer, casser, annuler ou révoquer un jugement, une ordonnance, etc. » [4]. À ma connaissance, il n'existe aucune définition de ce terme dans les dictionnaires juridiques canadiens; il y a toutefois un jugement dans lequel on a employé le terme « annuler » pour définir « rescinder » , qui signifiait « essentiellement annuler, abroger ou infirmer » [5]. Cela donne à entendre que « set aside » a la même signification que « annul » (annuler). Cela donne également à penser que « set aside » a le même sens que « extinguish » (éteindre), terme auquel j'aurais attribué un sens différent de « annul » . Dans d'autres jugements, on a laissé entendre que cela signifiait « quash » ( « casser » )[6]. Selon l'ouvrage Canadian Oxford Dictionary, « quash » signifie [traduction] « déclarer nul » , ce qui correspond à une définition de « set aside » qui pourrait en l'espèce convenir à l'intimée[7]. Par contre, les dérivés du terme « casser » ( « quash » ) provenant du moyen anglais, de l'ancien français et du bas latin semblent indiquer que ce terme provient de mots signifiant « nul » [8]. On peut lire la définition qui suit de ce terme dans l'ouvrage intitulé A Dictionary of Modern Legal Usage : [traduction] « Cette expression, qui signifie « annuler » ( « to vacate » ), est parfois mal comprise par les non-juristes » [9]. Les auteurs font ensuite remarquer que beaucoup de gens interprètent mal l'expression « to vacate » en lui attribuant le sens plus commun de « mettre de côté » , comme s'il s'agissait d'un fait temporaire. Ils affirment également que l'emploi, dans la communauté juridique américaine, de l'expression « to vacate » pour dire « annuler, rendre nul » est un usage inhabituel et que les imprudents risquent de se faire prendre au piège. Il semble donc que « set aside » pourrait avoir plusieurs sens selon le contexte.

[17]     Je n'ai pas l'intention, dans le présent appel régi par la procédure informelle, de définir « annuler » ni d'adopter une définition particulière de cette expression. Je suis cependant convaincu que l'annulation de l'obligation de payer les arriérés en vertu d'une ordonnance n'implique pas seulement que cette obligation « n'est plus exécutoire » . Elle vicie la disposition de l'ordonnance ou du jugement qui donnait naissance à l'obligation de paiement, en ce sens qu'elle ne donne aucun effet à cette disposition, même pour la période pendant laquelle, d'après le libellé même, elle avait effet. Même si ce serait aller trop loin dans certains cas que de dire que l'annulation d'un jugement ou d'une ordonnance, ou de certaines de leurs dispositions, équivaut à une annulation ab initio, je n'ai aucune hésitation à conclure, dans le contexte en l'espèce, que l'annulation de l'obligation de payer les arriérés avait pour effet d'annuler l'obligation de verser une quelconque pension alimentaire relativement à Stephanie en 1999 et que, juridiquement, l'appelant n'était à aucun moment de l'année 1999 tenu d'effectuer un quelconque paiement. Que l'on ait affirmé expressément ou non que les deuxième et troisième ordonnances s'appliquaient rétroactivement, telle est la conséquence de l'annulation de l'obligation de payer les arriérés pour l'année 1999. Comme le souhaitaient les parties, l'obligation de verser une pension dépendait de la garde des enfants. Il semble indiqué dans ce contexte de considérer que l'annulation des arriérés découlant d'une telle obligation entraînait également l'annulation de l'obligation elle-même au moment où la condition n'existait plus. En outre, même une obligation supprimée de payer n'est pas, à mon avis, une obligation de payer en vertu du paragraphe 118(5), puisque cette disposition n'a pas expressément, ni même implicitement à mon avis, attaché d'importance au moment particulier où cette obligation devait exister avant qu'elle ne soit supprimée. Comme je l'ai déjà fait remarquer (voir le paragraphe 11 ci-dessus), la disposition en cause ne comporte aucune indication quant à l'importance du moment où l'obligation de payer doit exister.

[18]     Par conséquent, l'appel est admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2002.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1] « Plan budgétaire : Comprend les renseignements supplémentaires et les Avis de motions des voies et moyens » , déposé à la Chambre des communes par le ministre des Finances, l'honorable Paul Martin, c.p., député, le 6 mars 1996, p. 167.

[2] Guildhall Insurance Co. v. Denny, [1937] 1 D.L.R. 437, à la page 441.

[3] Biggs c. Canada, C.C.I., no 2001-2745(IT)I, 16 novembre 2001, [2001] A.C.I. no 768 (Q.L.)

[4] 6e édition, West Publishing Co., 1990.

[5] British Columbia Development Corporation v. NAB Holdings Ltd. (1986), 30 D.L.R. (4th) 560 (C.A. C.-B.) au paragraphe 27, en citant Primeau v. Meagher, [1923] 4 D.L.R. 1096.

[6] Alberta Union of Provincial Employees v. Alberta, [2000] 4 W.W.R. 298, au paragraphe 38.

Canadian Broadcasting Corp. v. Newspaper Guild, Local 213 (Canadian Media Guild), [1999] 2 W.W.R. 43, 8 Admin. L.R. (3d) 58, au paragraphe 23.

[7] Oxford University Press, 1998.

[8] Ibid. En outre, les jugements mentionnés à la note en bas de page 6, dans lesquels on attribuait le sens de « quash » à « set aside » , traitent de prescription. Des appels sont souvent « cassés » ( « quashed » ) parce que l'appelant n'a pas respecté le délai de prescription. Dans un tel contexte, le verbe « quash » veut certainement davantage dire « rendre nul » .

[9] Deuxième édition, Oxford University Press, 1995.

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