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Référence : 2003CCI773

Date : 20031029

Dossier : 2002-3478(IT)I

ENTRE :

COMPREHENSIVE HEALTH CLINIC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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Représentant de l'appelante : Michael Venneri

Avocat de l'intimée : Me Ifeanyichukwu Nwachukwu

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à

St. Catharines (Ontario) le 4 septembre 2003.)

Le juge Miller

[1]      L'appelante, dans le cadre du présent appel interjeté suivant la procédure informelle, Comprehensive Health Clinic Inc. (Comprehensive), est une société de moyens pour l'exercice de la chiropratique et de professions connexes de M. Venneri. M. Venneri est l'unique actionnaire de Comprehensive. La seule question en l'espèce est celle du caractère déductible des 60 000 $ versés, selon Comprehensive, à titre de frais d'expert-conseil, en 1997, à Nancy Cannon, une chiropraticienne des États-Unis. La Couronne soutient que les 60 000 $ n'ont pas été payés par la société en 1997 ou, s'ils l'ont été, ils n'étaient ni raisonnables, ni versés aux fins de gagner ou de produire un revenu.

[2]      M. Venneri habite à St. Catharines. À la fin de ses études de chiropratique en Illinois, il souhaitait ardemment retourner dans la région de St. Catharines pour exercer sa profession. Après avoir étudié les possibilités à St. Catharines, il a conclu que cette ville avait un nombre trop élevé de chiropraticiens par personne, y compris des chiropraticiens éminents en Ontario. En tant que jeune chiropraticien se lançant dans le métier, il ressentait qu'il avait besoin d'aide pour se tailler un créneau. Les statistiques sur les échecs en chiropratique n'étaient pas encourageantes. C'est pour cette raison, a-t-il témoigné, qu'il avait engagé l'aide d'une chiropraticienne qu'il avait connue pendant ses études en Illinois qui offrait de l'aide et des conseils en matière de pratique.

[3]      M. Venneri a constitué Comprehensive en personne morale en 1996, bien qu'il ait d'abord témoigné qu'il pensait l'avoir fait en 1997 et se demandait si le registre des sociétés de l'Ontario identifiait correctement sa société. Il a déposé un accord daté du 15 janvier 1997[1] passé entre lui, personnellement, et Nancy Cannon. Cependant, il a témoigné que, selon lui, il pensait agir au nom de la société, bien que Comprehensive n'ait été mentionnée nulle part dans l'accord. Malgré le fait qu'il tentait depuis longtemps de résoudre cette question avec l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), ledit accord n'a jamais été montré à la vérificatrice de l'ADRC. M. Venneri a témoigné qu'il n'était pas certain de la signification du document et qu'on ne lui avait pas personnellement posé la question. La vérificatrice a confirmé qu'elle avait fait la demande au comptable de M. Venneri et non à ce dernier en personne. L'accord énumère les tâches devant être réalisées par Mme Cannon. La liste est relativement longue.

[4]      Je lirai seulement quelques-uns des articles. Cela est tiré de l'article 3.1 de l'accord :

[traduction]

[...] Mme Cannon fournira, sans toutefois s'y limiter, les installations, la conception des panneaux, la commercialisation, [...] la gestion du bureau, [...] la formation en acuponcture, [...] les procédures comptables, [...] le contrat avec les massothérapeutes, les formulaires de bureau, [...] le choix des fournitures, [...] la procédure de mise en place de la facturation, la recherche sur l'oxygène hyperbare, [...]

Plusieurs autres articles sont énumérés. Le contrat stipule également que Mme Cannon devait recevoir 54 000 $ américains en paiement pour le contrat de un an.

[5]      M. Venneri a expliqué en détail ce que Mme Cannon faisait pour lui. Ce qui suit est un résumé des activités qu'elle réalisait selon M. Venneri : recherche sur les techniques appropriées, genres de formation, aide motivationnelle sur la façon de traiter les malades en phase terminale, mentorat de façon générale, assistance pour la rédaction d'articles, établissement de formulaires et de procédures pour le travail lié aux accidentés du travail, commercialisation, élaboration de programmes liés au tabagisme, programmes à domicile pour les patients, rédaction d'un manuel du bureau et assistance pour établir une installation de traitement par l'oxygène hyperbare.

[6]      M. Venneri a fourni des copies de brochures d'autres organisations suggérant que ce qu'ils offraient était ce que Mme Cannon lui fournissait. Il a offert des copies de formulaires affirmant qu'elle avait aidé à les élaborer. Il a offert des articles de journaux en affirmant que Mme Cannon était la gestionnaire de la commercialisation qui les avait rendus possibles. Il a ensuite indiqué à quel point son revenu professionnel était supérieur à celui du chiropraticien moyen et a conclu que c'était grâce aux efforts de Mme Cannon.

[7]      Le témoignage de M. Venneri était quelquefois contradictoire et déroutant car, comme il l'a déclaré, il n'est pas comptable. Il a eu du mal à expliquer l'interaction entre sa pratique professionnelle et la société de moyens. À un moment, il a déclaré que la société ne gérait que sa propre pratique professionnelle, alors qu'à d'autres moments, il a suggéré qu'elle gérait les services d'autres professionnels qui exerçaient leur profession à la clinique. À un moment, il a suggéré que d'autres professionnels, diététistes, massothérapeutes et autres, étaient des sous-traitants de la société, mais il a plus tard affirmé qu'ils étaient plutôt ses propres sous-traitants.

[8]      Il a affirmé que la société gagnait des honoraires en facturant un supplément de 15 p. 100 sur ses dépenses engagées dans le cadre de la pratique professionnelle. Il a ensuite indiqué qu'elle gagnait également des honoraires à partir d'autres services. Les états financiers de la société pour 1997 indiquaient un revenu de 302 000 $ avec des coûts de vente s'élevant à 245 000 $ qui incluaient les 60 000 $ réclamés pour les honoraires de Mme Cannon plus environ 140 000 $ pour les honoraires d'autres experts-conseils. Lorsqu'il lui a été demandé qui étaient les autres experts-conseils, il ne s'en souvenait pas au départ, mais quand il lui a été suggéré que c'étaient ses parents et frères et soeurs, il a reconnu ce fait. Les honoraires d'experts-conseils de 140 000 $ versés à sa famille étaient pour des travaux de rénovation, d'informatique et autres services similaires. L'ADRC a permis cette déduction car elle était justifiée par des factures, des chèques payés et la déclaration de ce revenu par la famille.

[9]      M. Venneri a présenté des registres des appels à partir de 1997 qui indiquaient environ 3 000 minutes d'appels en Illinois pendant l'année. Il a soutenu que ces appels correspondaient aux services de gestion fournis par Mme Cannon. Il a également témoigné qu'elle était venue à St. Catharines plusieurs fois pour l'aider en personne. Mme Cannon n'a pas témoigné. En ce qui concerne le paiement à Mme Cannon, M. Venneri a indiqué qu'il l'avait payée en espèces lorsqu'il lui avait rendu visite aux États-Unis et lorsqu'elle était venue au Canada. Il a fourni une page provenant d'un agenda Daytimer qui énumérait tous les mois de l'année. En haut de la page se trouvait l'inscription manuscrite : « 1997 » . Des paiements de 4 000 $, 5 000 $ ou 6 000 $ étaient indiqués pour chaque mois, sauf celui de mars, totalisant 75 000 $ canadiens. La page semblait constituer un résumé plutôt qu'un registre de dépense original. M. Venneri ne pouvait offrir aucune explication pour le fait que les paiements totalisaient 75 000 $ et que la société n'avait réclamé que 60 000 $, si ce n'est de dire que c'était quelque chose qu'il avait demandé à son comptable. Il ne pouvait offrir aucune explication pour le fait que les paiements étaient en dollars canadiens et non pas en dollars américains comme le contrat l'exigeait. Il n'a déposé aucune preuve de la façon dont le taux de change était déterminé. Son explication pour la réalisation des paiements en espèces au profit de Mme Cannon au lieu de chèques ou de mandat est qu'elle craignait que son chèque ne puisse être compensé et s'inquiétait des délais pour le faire.

[10]     M. Venneri a déclaré qu'il n'avait pas d'aide-comptable en 1997 mais qu'il sous-traitait avec une personne qui effectuait les dépôts. Cette dernière n'a pas été appelée à témoigner. Il ne pouvait pas se souvenir comment la société avait été payée par sa pratique professionnelle en 1997 bien qu'il ait pensé qu'elle aurait pu être payée à la clôture de l'exercice. Il a indiqué, plus tard, que le paiement avait pu être réalisé en espèces ou par chèque ou les deux. Il a suggéré que son comptable le saurait.

[11]     Malgré la possibilité qui lui a été offerte d'appeler son comptable lors d'un ajournement d'une journée, il n'a pas été en mesure de le faire. M. Venneri pensait que la taxe sur les produits et services était payée sur les honoraires mais n'en était pas certain. Il a témoigné qu'aucune retenue n'était effectuée sur les paiements au non-résident.

[12]     La question est simplement celle de savoir si Comprehensive a engagé une dépense déductible de 60 000 $ en 1997. Je conclus que ce n'est pas le cas. M. Venneri, vous devez m'avoir convaincu, selon la prépondérance des probabilités que la société avait payé 60 000 $ à Mme Cannon pour des services qu'elle avait fournis à la société aux fins de gagner un revenu. Quand j'examine toute la preuve, je constate que vous n'avez pas été en mesure de faire pencher la balance en votre faveur.

[13]     La première question soulevée par Me Nwachukwu est celle de savoir si Mme Cannon était payée par la société. M. Venneri a déposé une page d'agenda Daytimer ne comportant aucune indication de l'année à laquelle elle rapporte une année ajoutée à la main, qui énumère un ou deux paiements en espèces par mois. Il n'a fourni aucun grand livre de comptes de charges, compte ou quelque document que ce soit qui pourrait ressembler à un document commercial officiel pour justifier ses paiements. Aucune autre dépense n'était énumérée de la sorte.

[14]     M. Venneri, vous exploitiez une entreprise de un demi-million de dollars en 1997, pourtant, cette dépense considérable ne laisse aucune trace officielle. Une simple page d'agenda Daytimer ne constitue pas une preuve adéquate ou convaincante du paiement. Les facteurs suivants ont également influé sur ma conclusion : l'écart entre le montant réel qui, selon vous, avait été versé, soit 75 000 $ et le montant réclamé, soit 60 000 $, l'absence d'explication de la raison pour laquelle le paiement avait été effectué en fonds canadiens, l'absence d'explication portant sur le taux de change, une explication douteuse de la raison pour laquelle les paiements étaient effectués en espèces, une confusion sur la question de savoir si le paiement provenait de M. Venneri lui-même ou de la société, l'absence de relevé bancaire des retraits, l'absence de grand livre de comptes de charges pour une entreprise de un demi-million de dollars, l'absence de témoignage de tiers ou de preuve corroborante. Je suis porté à conclure que, bien qu'il soit possible que la société ait payé 60 000 $ à Mme Cannon, il se peut tout autant qu'une somme différente ait été payée ou que la société n'ait pas été la payeuse. En d'autres termes, vous n'avez pas fait pencher la balance en faveur de l'hypothèse selon laquelle la société avait versé 60 000 $.

[15]     M. Venneri, ce n'est pas toujours le cas que les paiements en espèces ne sont pas déductibles ou que la preuve manuscrite d'une dépense est fatale, mais en l'espèce, je ne trouve tout simplement pas suffisamment de preuve du paiement fait à Mme Cannon par la société pour soutenir votre demande. Si vous aviez réussi à prouver le paiement, vous auriez dû me convaincre que le paiement avait été effectué aux fins de gagner ou de produire un revenu. Il ne fait aucun doute qu'un expert-conseil peut ajouter une valeur à une petite entreprise qui se lance sur le marché. Il semble que votre entreprise ait été florissante et vous avez attribué une grande partie de ce succès à l'expert-conseil. Mais, encore une fois, vous n'avez fourni aucun lien direct, pas de note ou de rapport rédigé par Mme Cannon, aucune mention de ses efforts dans les brochures ou articles que vous avez fournis, aucune correspondance, aucun document publicitaire de sa part qui laisserait entendre qu'elle fait ce genre de travail, aucune preuve de ses titres de compétence, du temps passé à travailler autre que le registre des appels. En ce qui concerne les registres des appels, rien ne lie ces appels téléphoniques à la nature des conseils qu'elle offrait pendant lesdits appels. M. Venneri, c'est une chère et difficile leçon à apprendre, mais l'enregistrement représente la meilleure méthode de vérification des appels téléphoniques commerciaux. La facture du téléphone n'indique que le fait qu'un appel a été placé.

[16]     Je n'ai pas été convaincu que Mme Cannon avait fait tout ce que vous laissez entendre, sans parler du fait que ses efforts avaient pour conséquence directe d'augmenter votre profit. Je ne doute pas que vous exerciez très bien votre métier et que vous deviez être félicité pour avoir développé une pratique professionnelle florissante et diversifiée dans un marché que vous avez décrit comme difficile à pénétrer. Cependant, la généralisation de ce succès sans le soutien de témoins indépendants ou de documents ne constitue pas une preuve suffisante du fait que les activités de Mme Cannon aient été aussi nombreuses, centrées et productives que vous le laissez entendre.

[17]     M. Venneri, alors que je reconnais qu'il est difficile pour une personne de se représenter elle-même, ma décision a été influencée par la façon dont vous avez présenté votre témoignage. Pour répondre à une question simple concernant la constitution en personne morale de Comprehensive, vous avez suggéré que le document du gouvernement qui vous a été montré pourrait être celui d'une autre société. Pour répondre à la question de savoir qui étaient les autres experts-conseils qui avaient gagné 140 000 $ en 1997, vous avez déclaré ne pas vous en souvenir, mais, plus tard, vous avez reconnu que c'étaient les membres de votre famille. Vous n'avez fait comparaître ni Mme Cannon, ni votre comptable, ni l'un quelconque de vos employés pour étayer votre position. Un grand nombre des documents que vous avez déposés concernaient d'autres experts-conseils ou programmes de formation, et non Mme Cannon. Le principal accord avec Mme Cannon était passé avec vous, et non avec Comprehensive; accord que vous n'avez pas déposé avant l'audience, sous prétexte que personne ne vous l'avait demandé.

[18]     Ces facteurs influent tous négativement sur le poids que j'attache à votre revendication selon laquelle la société a payé Mme Cannon pour des conseils qui avaient, en fait, augmenté votre profit. Comme l'a indiqué Me Nwachukwu, le fardeau de prouver votre demande vous incombe, et vous ne l'avez tout simplement pas fait pour les raisons que j'ai indiquées.

[19]     L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre 2003.

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mars 2004.

Sylvie Sabourin, traductrice



[1]           Pièce A-3.

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