Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence : 2003CCI634

Date : 20030926

Dossier : 1999-1876(IT)I

ENTRE :

KATHELYN M. BLACK,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Représentant de l'appelante : Frederick Black

Avocate de l'intimée : Me Laura Dalloo

____________________________________________________________________

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Ottawa (Ontario) le 27 juin 2003.)

Le juge McArthur

[1]      Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. L'appelante a réclamé des dépenses pour les années en question aux montants de 14 001 $, de 14 454 $ et de 15 358 $ respectivement. Selon l'intimée, l'appelante n'exploitait aucune entreprise et n'avait aucune source de revenu. Par conséquent, elle n'était pas autorisée à réclamer lesdites dépenses. De plus, l'intimée soutient que, même si l'on concluait qu'une entreprise était exploitée, toutes les dépenses qu'a réclamées l'appelante n'étaient pas justifiées et n'ont pas été engagées dans le but de tirer ou de produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui stipule ceci :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)        les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

[...]

Dans les appels en l'espèce, la question centrale consiste à savoir si une entreprise était exploitée.

[2]      Les faits qui m'ont été présentés, et tels que je les comprends, sont les suivants : En 1988 et en 1989, M. Leslie Black a prêté ou avancé les sommes de 6 000 $ et de 15 813 $ respectivement à NsC Diesel Power Incorporated (la « société » ou l'entreprise « NsC » )[1] ou dans l'intérêt de celle-ci. Des proches de Leslie Black avaient des intérêts dans la société, et c'est la raison pour laquelle il a accepté d'avancer des fonds.

[3]      En décembre 1991 ou vers cette période, la société a fait faillite. Le bilan de liquidation indiquait que la société devait aux créanciers ordinaires plus de neuf millions de dollars. Leslie Black est décédé en juin 1993 et son épouse, Kathelyn (l'appelante) ainsi que son fils Frederick ont continué de veiller aux intérêts de la société de Leslie qui était alors en faillite. Le syndic de faillite continue de gérer les biens qui comprennent une convention relative à la technologie évaluée à quatre millions de dollars, et c'est d'ailleurs ce bien de grande valeur qui est au centre du litige. Je crois qu'il s'agit d'une convention relative à la technologie concernant des moteurs diesel et, en particulier, des moteurs diesel de marine conçus, à l'origine, pour des brise-glace canadiens.

[4]      Paul H. McKechnie, comptable agréé, a témoigné pour le compte de l'appelante. Cette dernière ainsi que son fils Frederick, qui a également agi à titre de représentant de l'appelante, ont aussi témoigné. Pendant les années pertinentes, l'appelante, par l'entremise de Frederick, a avancé des fonds à une entité située à Halifax pour qu'elle entreprenne des démarches en vue de rétablir ladite convention relative à la technologie par le truchement de litiges et d'autres procédures. Il semble que ces démarches soient encore en cours jusqu'à présent.

[5]      Aucune explication n'a été fournie quant à savoir pourquoi l'on avait désigné comme prêts les avances dont il avait été fait mention précédemment et qui avaient été fournies à la société avant qu'elle ne fasse faillite et pourquoi l'on avait désigné comme avances aux associés dans le cadre d'une entreprise exploitée activement les avances fournies par la suite. De même, aucune preuve n'a été présentée quant à savoir qui a intenté des procédures aux fins de recouvrement et dans quel but. Si je ne m'abuse, la partie, c'est-à-dire la société, qui, à l'origine, a fait l'acquisition de cette technologie est maintenant en faillite. Frederick a déclaré que lui-même et sa mère s'étaient associés à d'autres personnes dont on ignore l'identité et qui, je crois, étaient à Halifax, en vue de récupérer cette technologie de grande valeur.

[6]      Dans la déclaration de revenus de l'appelante pour l'année d'imposition 1994, le comptable a indiqué que les dépenses réclamées au montant de 14 001 $ avaient été réparties de la façon suivante :a) frais d'administration, au montant de 10 897 $, b) frais de bureau, au montant de 1 512 $ et c) honoraires, au montant de 1 842 $ qui, à mon avis, sont les honoraires versés au comptable. Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1995, l'appelante a réclamé des dépenses de la façon suivante : a) frais de bureau, au montant de 2 412 $, b) frais juridiques et comptables, au montant de 1 900 $ et c) frais d'administration, au montant de 10 642 $. Quant aux dépenses déclarées pour l'année d'imposition 1996, elles sont décrites d'une façon à peu près semblable. En ce qui concerne les « frais d'administration » , aucune explication n'a été fournie quant à savoir en quoi ils consistaient exactement. Je dois donc supposer que ces frais incluent les avances versées à la société. De même, aucun document à cet égard n'a été déposé en preuve.

[7]      Le témoignage du comptable était très général et n'a pas été d'un grand secours. Manifestement, il lui a été très difficile de se rappeler certains détails remontant à sept, huit ou neuf ans, notamment parce qu'il a probablement dû s'occuper entre-temps de centaines de clients. Sa crédibilité ne soulève aucun doute. Il croit qu'il a reçu une liste des dépenses engagées chaque année et peut-être aussi des factures. Cependant, il n'a pas été en mesure de se rappeler en quoi consistaient exactement ces dépenses et il ignorait quelle était la nature des activités commerciales de l'appelante. Apparemment, il y aurait des reçus justifiant les dépenses engagées pour l'année d'imposition 1995, mais aucun desdits reçus n'a été déposé en preuve. Frederick a déclaré que l'Agence des douanes et du revenu du Canada avait égaré les reçus pour les autres années d'imposition, allégation qui n'a pas été défendue avec grande vigueur.

[8]      Le comptable a ajouté qu'il était possible que certaines dépenses réclamées aient été en lien avec les activités d'écrivain de l'appelante. Celle-ci est âgée de 81 ans, mais elle est encore une écrivaine très talentueuse. Certains petits revenus ont été inclus dans les années en question.M. McKechnie a laissé entendre que ces revenus avaient peut-être été tirés de ses activités d'écrivaine, mais qu'ils avaient été combinés à ceux tirés de l'entreprise en question.

[9]      Aucun document pertinent n'a été déposé en preuve pour appuyer l'allégation de l'appelante selon laquelle elle avait intenté des procédures en vue de se réapproprier, parmi d'autres biens, une technologie qu'avait en sa possession le syndic de faillite pour le compte de la société. Aucun document, tel que des contrats de partenariat conclus entre des parties quelconques n'a été produit en preuve. Aucune preuve démontrant qui avait reçu les fonds et pour quels motifs n'a été présentée. Il se peut qu'il s'agisse d'un prêt à des proches. L'appelante est intelligente et vive. Bien qu'elle ait de la difficulté à marcher et qu'elle se déplace en fauteuil roulant, elle semble tout à fait capable de s'occuper de ses propres affaires commerciales. Il est possible que sa relation d'affaires avec son fils puisse être décrite comme un partenariat, mais à mon avis, ce serait aller un peu trop loin. Chose certaine, aucune preuve n'a été présentée pour démontrer l'existence d'une société de commerce avec des gens de la Nouvelle-Écosse concernant la société en faillite. De même, aucune preuve démontrant comment l'appelante aurait pu tirer des revenus des démarches entreprises en vue de récupérer la technologie ou d'autres biens n'a été présentée.

[10]     Le 6 février 1997, M. McKechnie a rédigé la lettre d'explications suivante à l'intention de l'ADRC. À la lecture de cette lettre, j'émettrai des commentaires quant à certaines parties de son contenu. Ainsi :

[Traduction]

Vers la fin de 1989 et au début des années 1990, Mme Black a investi une somme considérable dans une entreprise commerciale située en Nouvelle-Écosse.

À cet égard, je ferai observer notamment que c'était en 1988 et en 1989 et qu'il ne s'agissait pas de l'appelante mais de son époux, Leslie. De même, je ne crois pas qu'il s'agissait d'un investissement mais plutôt d'un prêt.

[Traduction]

La société est devenue insolvable.

En fait, la société a fait faillite, et Mme Black n'a pas encore réclamé les pertes découlant de cette faillite.

[Traduction]

La société, qui éprouve des difficultés avec son séquestre, tente encore de récupérer ses biens, de payer ses créditeurs et de surmonter les pertes qu'elle a subies.

À mon avis, il ne s'agit pas d'un séquestre mais d'un syndic de faillite, et il doit parler d'anciens agents de la société.

[Traduction]

Mme Black continue de travailler en collaboration avec deux autres cadres dirigeants de la société parce que l'entreprise se démène pour récupérer ses biens et poursuivre ses activités commerciales. Les procédures visant à recouvrer le montant de ses factures [...]

Comme je l'ai mentionné précédemment, aucune facture n'a été déposée en preuve :

            [Traduction]

[...] et de ses dépenses sont lentes ou n'ont jusqu'à présent donné aucun résultat. Toutefois, il est raisonnable de s'attendre à ce que ces montants soient recouverts dans un avenir proche.

Présentement, Mme Black fournit, sur une base permanente, une aide en s'occupant de la rédaction, de la recherche, de l'administration et de l'exploitation de cette entreprise à partir de son domicile.

Nous avons rassemblé les documents à l'appui [...]

À cet égard, j'ajouterai qu'aucune preuve n'a été présentée pour appuyer l'allégation selon laquelle la société tente actuellement de récupérer ses biens et celle selon laquelle Mme Black continue de travailler en collaboration avec deux autres cadres dirigeants de la société.

[Traduction]

Nous avons rassemblé les documents à l'appui relativement à sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1995, documents que nous avons joints à la présente.

Même après avoir entendu le témoignage, j'ignore toujours ce qu'il voulait dire relativement à l'extrait suivant :

[Traduction]

Présentement, Mme Black fournit, sur une base permanente, une aide en s'occupant de la rédaction, de la recherche, de l'administration et de l'exploitation de cette entreprise à partir de son domicile.

La seule activité de rédaction dont il a fait mention dans son témoignage concerne le fait qu'elle continue d'écrire des livres. Cette activité ne devrait donc avoir rien à voir avec l'affaire qui m'a été soumise.

[11]     Dans une lettre d'opposition datée du 19 novembre 1998 et adressée à l'ADRC, M. McKechnie a rédigé ce qui suit :

[Traduction]

Kathelyn M. Black et Frederick Black sont associés dans le cadre d'un partenariat faisant affaire sous le nom de NsC :

1)        l'objectif est de développer l'entreprise de fabrication d'équipement qui a démarré sous le nom de NsC Diesel et qui est la propriété de la société NsC;

2)        l'aménagement des biens de la société NsC a permis de réaliser un profit de plus de 15 millions de dollars [...];

3)        l'entreprise de fabrication d'équipement n'est pas encore totalement opérationnelle [...];

4)        ledit partenariat vise à concevoir des biens pour le compte de NsC et à les protéger;

5)        à cette fin, ledit partenariat est en vigueur depuis 1992 et la participation de K. M. Black a débuté en 1993.

Ni M. McKechnie, ni l'appelante, ni Frederick n'ont présenté des d'éléments de preuve pour appuyer ces allégations. Dans ses déclarations de revenus, l'appelante a indiqué qu'elle était l'unique propriétaire de l'entreprise. Pourtant, on fait mention, dans l'Avis d'appel, d'un partenariat avec Frederick, ce qu'a également déclaré M. McKechnie. L'appelante soutient également qu'elle avait établi un partenariat avec une entité située en Nouvelle-Écosse. Outre le fait qu'il s'agit de proches, les partenaires de la Nouvelle-Écosse n'ont jamais été identifiés. Par ailleurs, aucun document ne m'a été présenté pour m'amener à conclure qu'il existait bel et bien un partenariat.

[12]     L'avocate de l'intimée a renvoyé la Cour à l'affaire Backman c. La Reine[2] qui figure à l'onglet 10 de son Recueil des textes de loi et de la jurisprudence et dont l'extrait du paragraphe 26 est ainsi rédigé :

Les tribunaux doivent se montrer pragmatiques dans l'examen des trois éléments essentiels d'une société de personnes. Pour déterminer si une telle société a été établie dans une affaire donnée, il faut analyser et soupeser les facteurs pertinents eu égard à toutes les circonstances. Le fait que l'existence de la prétendue société de personnes doive être examinée au regard de l'ensemble des circonstances est incompatible avec l'application mécanique d'une liste de contrôle ou d'un critère comportant des paramètres définis de façon plus précise.

Ainsi, si je tiens compte de cette observation et que j'examine l'ensemble de la preuve, cela m'amène à soulever la question concernant la justification des dépenses. À cet égard, la preuve n'a pas permis d'établir quoi que ce soit, et aucun document, tel que des reçus ou des preuves de paiement, n'a été produit. Par conséquent, outre les trois intitulés dont il est fait mention dans les déclarations de revenus, je ne dispose que d'une preuve très inadéquate quant à savoir quelles sont les dépenses qui ont été engagées et dans quel but. Aucun reçu à titre de preuve de paiement ne m'a été soumis. Je n'ai donc eu d'autre choix que de supposer ou de spéculer sur le fait que certaines sommes ont été avancées à une personne vivant en Nouvelle-Écosse en vue de générer des revenus, ce qui n'est pas suffisant.

[13]     L'appelante a laissé entendre que sa déclaration de revenus précédente avait été traitée différemment. À cet égard, je fais référence à l'onglet 9, paragraphe 42 de l'affaire Admiral Investments Ltd. v. Canada[3], de la Cour de l'échiquier, où le juge Cattanach émet les propos suivants :

[Traduction]

Il est bien établi que, même si une décision que rend le ministre pour une année d'imposition puisse être un fait convaincant lorsqu'il s'agit de déterminer un point semblable pour une année subséquente, le fait d'avoir accordé une déduction au contribuable pour une année en l'absence de toute disposition législative contraire n'empêche pas le ministre d'adopter une opinion différente au cours d'une année ultérieure lorsqu'il dispose de données plus complètes relatives à l'affaire en cause. Il n'y a rien d'incohérent quant au fait que le ministre modifie, de temps à autre, sa décision en fonction des faits dont il dispose. Une cotisation est définitive entre les parties seulement en ce qui concerne la cotisation établie pour l'année en cause.

Je suis d'accord avec la position de l'intimée selon laquelle l'appelante n'a pas établi qu'il existait une société de personnes, une entreprise ou une source de revenu conformément aux articles 3 et 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[14]     Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur les délais prévus pour réclamer des pertes ou sur les principes dont il est fait mention dans l'affaire Stewart c. Canada[4] pour le motif que l'appelante n'a pas établi qu'une entreprise était exploitée. Le fait que des pertes ont été subies pendant une période de plus de dix années ne permet pas de conclure qu'il existait une entreprise. Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'aller plus loin, manifestement, pour les raisons énoncées précédemment qui m'ont amené à conclure qu'il y avait une source de revenu tirés d'une entreprise, la preuve est insuffisante pour conclure que les dépenses engagées ou les pertes subies l'ont été en vue de tirer un revenu aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2003.

« C. H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2004.

Nancy Bouchard, traductrice



[1]           Je crois que l'acronyme NsC fait également référence à la Nova Scotia Commonwealth (NsC) Consultants Ltd.

[2]           [2001] 1 R.C.S. 367 (2001 DTC 5149) (C.S.C.).

[3]           [1967] 2 Ex. C.R. 308.

[4]           [2002] 2 R.C.S. 645.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.