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Référence : 2004CCI190

Date : 20040301

Dossier : 2002‑1022(IT)I

ENTRE :

STEPHEN PATE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

_____________________________________________________________

 

Pour l’appelant : L’appelant lui‑même

Avocat de l’intimée : John Shipley

_____________________________________________________________

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience

à Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard) le 26 août 2003

 

Mogan J.

 

[1]     Le présent appel est interjeté pour l’année d’imposition 1999, au cours de laquelle l’appelant a déduit de son revenu la somme de 5 887,80 $ pour des frais judiciaires et extrajudiciaires engagés au cours de cette même année. Ces frais se rattachent à une poursuite entamée contre un ancien employeur qui l’a congédié le 7 juin 1999. L’appelant prétend que la somme en cause est déductible en vertu de l’alinéa 8(1)b) ou de l’alinéa 60(o.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelant a choisi la procédure informelle. Il s’est représenté lui‑même et a témoigné longuement sur les circonstances entourant la poursuite.

 

[2]     Son avis d’appel est bien rédigé. Aux pages 2 et 3, l’appelant a essentiellement résumé le témoignage oral qu’il a produit devant la Cour. Par conséquent, je propose d’utiliser les pages 2 et 3 de son avis d’appel pour exposer les faits pertinents qui ont donné lieu à la poursuite. L’appelant est un homme d’affaires qui, en 1985, a constitué en société une entreprise appelée Island Computer Limited, dont le siège était situé à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. L’appelant a de toute évidence des compétences en informatique et une bonne connaissance des affaires. En 1994, Island Computer Limited a constitué en société une filiale appelée Aquilium Software Corporation, qui était une société fermée en vertu du droit canadien. Plus tard, ces deux sociétés ont été fusionnées en une société aussi appelée Aquilium Software Corporation (« Aquilium »). Pendant toute la période en cause précédant le printemps 1999, l’appelant était président‑directeur général d’Aquilium.

 

[3]     À la fin de 1996 et au début de 1997, des discussions ont eu lieu concernant la possibilité que la société devienne une société ouverte. On a trouvé des investisseurs externes prêts à investir dans Aquilium. Dans cette éventualité, on a conseillé à l’appelant de signer un contrat de travail avec Aquilium afin que les responsabilités de son poste soient définies au moment où la société deviendrait une société ouverte. Autour de janvier 1997, l’appelant et Aquilium ont signé un contrat de travail.

 

[4]     En juillet 1997, Aquilium est devenue une société ouverte; de nouveaux investisseurs se sont manifestés et les actions de la société ont été inscrites à la Bourse de l’Alberta. Entre décembre 1998 et avril 1999, un différend est survenu entre certaines personnes concernant le contrôle d’Aquilium, « contrôle » qui signifiait, en l’occurrence, le contrôle du conseil d’administration. Ce différend a eu pour résultat que de nouvelles personnes ayant acquis le contrôle de fait d’Aquilium sont entrées en scène. Dès ce moment, des divergences d’opinion entre le nouveau groupe de contrôle et l’appelant ont surgi. D’après le témoignage oral de l’appelant, celui‑ci s’était rendu compte que ses jours avec Aquilium étaient comptés à cause du différend survenu entre lui et le groupe ayant acquis le contrôle. Le 7 juin 1999 est une date importante parce que c’est la date où l’emploi de l’appelant chez Aquilium a effectivement pris fin. L’appelant a présenté la pièce A‑1 de son dossier d’appel, une reliure contenant 24 documents qui démontrent et appuient de manière pertinente les faits qui ne sont pas contestés. Je ne propose pas de faire référence aux 24 documents, mais à 2 ou 3 d’entre eux qui sont, à mon avis, particulièrement pertinents, et je ferai référence plus tard à l’une des plaidoiries de la poursuite.

 

[5]     Au moment du congédiement, Aquilium n’a pas versé à l’appelant d’indemnité de congés annuels payés (environ 47 000 $), contrairement à ce qui est prévu par la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario, ni aucune somme représentant les autres avantages accumulés en raison de son emploi. L’appelant a consulté un avocat de Toronto et ce dernier a négocié de bonne foi avec l’employeur afin de régler la réclamation exercée par l’appelant contre Aquilium. L’onglet 8 de la pièce A‑1 est une lettre datée du 29 juillet 1999 de Stikeman, Elliott, le cabinet qui représentait Aquilium, en réponse à une lettre de l’avocat de l’appelant. À la page 3 de l’onglet 8, on peut lire le paragraphe suivant de la lettre adressée moins de deux mois après la date de cessation d’emploi :

 

[Traduction]

Si votre client croit vraiment qu’il a droit au paiement de la somme réclamée dans votre lettre d’une société qui se trouve actuellement en difficulté financière, nous l’invitons à intenter une poursuite au plus tôt.

 

[6]     L’appelant a déménagé à l’Île‑du‑Prince‑Édouard en juillet 1999 et a intenté une poursuite dans cette province le 6 août 1999. La déclaration figure à l’onglet 10 de la pièce A‑1. Je n’ai pas l’intention de lire tout le document, mais on trouve, à la page 3, une réclamation pour des dommages au montant de 1 411 557 $ et, à la page 5, aux paragraphes 18, 19, 20 et 21, un sommaire et une description de montants qui totalisent 1 411 557 $. Ainsi, la réclamation est répartie en plus petits montants précis, mais le montant principal est celui de 1 271 205 $, qui correspondrait à quatre fois le salaire annuel de 331 960 $ de l’appelant au moment du congédiement. Il y a de nombreux actes de procédure. L’appelant a expliqué que dans un litige comme celui‑ci où un individu poursuit une société ouverte, cela revient à une sorte de bataille économique. Les avocats parlent parfois de guerre d’usure où, en définitive, celui qui est le plus fortuné gagne. Cela semble être le cas ici en raison d’actes de procédure qui se succèdent assez rapidement.

 

[7]     La défense d’Aquilium (onglet 12) a été déposée le 8 septembre 1999. L’onglet 13 constitue une réponse à la défense; l’onglet 15 est une déclaration modifiée; l’onglet 16 est une défense modifiée et une demande reconventionnelle; l’onglet 20 est une déclaration modifiée. Ce sont tous les actes de procédure contenus dans la reliure. Les avocats semblent se donner beaucoup de mal ou bien vider le portefeuille de leurs clients respectifs dans ce litige. L’onglet 18 est une offre de transaction préparée dans ce que j’appellerais une forme finale. Beaucoup d’avocats connaissent l’offre de transaction qui est faite dans une lettre sous réserve de tous droits. Cette offre de transaction signée par l’avocat de l’appelant à Charlottetown est présentée sous forme de plaidoirie, parce qu’elle comprend un intitulé.

 

[8]     L’offre de transaction est un document intéressant. L’appelant a offert de régler pour un montant que j’évalue à environ 1 072 000 $ et qui constitue une réduction par rapport à la réclamation initiale de 1 411 557 $. Cette offre a été rejetée dans une lettre des avocats d’Aquilium, qui ont répondu six mois plus tard, soit en janvier 2001. La dernière phrase de la lettre se lit comme suit :

 

[Traduction]

Soyez avisé que nous avons reçu instruction de rejeter votre offre de transaction du 24 mai 2000.

 

Il leur a fallu sept mois pour rejeter l’offre de transaction. Ce sont là les faits essentiels.

 

Analyse

 

[9]     L’appelant prétend qu’il a le droit de déduire la somme de 5 887,80 $ en vertu de l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui se lit comme suit :

 

8(1)     Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant:

 

(a)       …

 

(b)       les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux‑ci;

 

Cette disposition l’autorise clairement à déduire les sommes engagées pour recouvrer un salaire ou un traitement et c’est ce qui constitue la réclamation de base de l’appelant.

 

[10]   La position de l’intimée est fondée sur le principe que l’appelant n’a pas intenté une poursuite pour recouvrer un salaire ou un traitement parce que le motif de sa poursuite est de recouvrer un montant auquel il aurait droit à titre d’indemnité tenant lieu d’avis de congédiement soudain de son poste de dirigeant de la société, en l’occurrence la défenderesse. Une indemnité tenant lieu d’avis de congédiement soudain ne correspond pas à un salaire ou à un traitement. Le salaire ou le traitement est un montant dû à une personne pour des services déjà rendus et que l’employeur a omis de payer. Une tranche importante, au montant de 47 000 $, de la réclamation de l’appelant a trait aux congés annuels payés. L’appelant a déclaré dans son témoignage, et je n’ai aucun motif d’en douter parce qu’il est un témoin très crédible, que ses congés annuels payés représenteraient maintenant environ 59 000 $.

 

[11]   L’avocat de l’intimée a reconnu dans l’argumentation que les congés annuels payés équivalent à un salaire ou à un traitement parce qu’ils sont gagnés au moyen du salaire ou du traitement. Par conséquent, la poursuite entamée par l’appelant est, du moins en partie, une poursuite en vue du recouvrement du salaire ou du traitement. L’avocat fait observer, cependant, que la tranche de la réclamation pour les congés annuels payés (47 000 $) est si petite par rapport à la réclamation totale (1 411 557 $) qu’elle représenterait moins de cinq pour cent et donc, un montant assez minime. Il reconnaît cependant que, dans les circonstances, les frais judiciaires ou extrajudiciaires devraient être répartis au prorata, ne serait‑ce que pour tenir compte de ce montant assez petit qui, concède le ministre du Revenu national, entrerait dans la catégorie du salaire ou traitement.

 

[12]   La raison invoquée par l’intimée pour ne pas accorder la déduction de l’ensemble des frais judiciaires ou extrajudiciaires est qu’ils n’ont pas été payés en vue du recouvrement du salaire ou du traitement mais d’une allocation de retraite, laquelle est définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu comme suit :

 

248(1) Dans la présente loi

 

« allocation de retraite » somme.... reçue

 

(a)       soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

(b)       soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

 

Selon cette définition, lorsqu’une personne qui a dû intenter des poursuites pour dommages subis pour cause de congédiement sans préavis recouvre le montant du jugement rendu contre son ancien employeur, ce montant répond à la définition de l’allocation de retraite. C’est essentiellement ce que l’appelant fait concernant la tranche la plus importante de la poursuite parce que son salaire était élevé, soit environ 330 000 $; lorsqu’il a réclamé l’équivalent de trois ou quatre années de salaire, il a en réalité réclamé un montant de plus de 1 200 000 $, qui constituerait une allocation de retraite si le montant recouvré par jugement était établi à ce montant.

 

[13]   Je dois aussi me reporter à la définition de « salaire ou traitement » à l’article 248 de la Loi parce que cette définition exclut l’allocation de retraite. Si un montant versé pour défaut de donner préavis répondait à la définition « d’allocation de retraite », il serait exclu de la définition de « salaire ou traitement ». Il y a cependant un autre article de la Loi en vertu duquel l’appelant demande réparation et qui pourrait s’appliquer. Il s’agit de l’alinéa 60 (o.1), qui précise notamment ce qui suit :

 

60        Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées:

 

            (a)       …

 

            (o.1)    l’excédent éventuel du moins élevé des montants suivants

 

(i)         le total des frais judiciaires ou extrajudiciaires... payés par le contribuable au cours de l'année ou de l'une des sept années d'imposition précédentes pour recouvrer l'un des montants suivants ou pour établir un droit à ceux‑ci

 

(A)       …

 

(B)       une allocation de retraite du contribuable ...,

 

(ii)        l'excédent éventuel du total des montants dont chacun représente

 

(A)       soit un montant visé à la division i) […] (B)

 

            […] reçu après 1985,

 

            […] au titre duquel les frais judiciaires et extrajudiciaires visés au sous‑alinéa (i) ont été payés

 

            […] dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure

   […]

 

[14]   Le montant qu’il est permis de déduire à l’alinéa 60 (o.1) est le montant des frais judiciaires ou extrajudiciaires payés ou le montant qui peut être recouvré dans une poursuite si ce dernier montant est le moindre des deux. Par conséquent, l’alinéa 60 (o.1) n’autorise pas un contribuable à déduire un montant pour des frais judiciaires ou extrajudiciaires plus élevé que celui qu’il peut recouvrer. À mon avis, le montant autorisé en vertu de cet alinéa ne peut être déduit que lorsqu’il est vraiment recouvré de l’ancien employeur au moyen d’une poursuite ou autrement. En outre, une disposition de report de sept ans est prévue, de sorte que si les frais judiciaires ou extrajudiciaires sont payés, la Loi permet qu’ils soient cumulés et déduits sur une période de sept ans.

 

[15]   Compte tenu des dispositions des alinéas 8(1)b) et 60(o.1), qu’en est‑il de la position de l’intimée? L’intimée concède que l’action ayant trait aux congés annuels payés est une action en recouvrement du salaire ou du traitement. L’intimée maintient que l’action en dommages‑intérêts pour défaut de donner préavis est une réclamation pour allocation de retraite et que les frais judiciaires ou extrajudiciaires peuvent être recouvrés uniquement en vertu de l’alinéa 60(o.1). L’intimée concède que le montant doit être réparti au prorata. J’accueille la proposition de l’intimée selon laquelle une répartition au prorata est appropriée dans les circonstances. La question qui se pose est celle du pourcentage.

 

[16]   À cette fin, je me reporte à l’offre de transaction (onglet 18). Normalement, un demandeur qui réclame un montant exorbitant dans une déclaration fera éventuellement preuve de plus de réalisme, ou pour emprunter l’expression de l’avocat de l’appelant, se contentera de frapper un simple plutôt qu’un coup de circuit. L’offre de transaction n’est pas beaucoup moindre que la réclamation initiale. Cette dernière s’élève à 1 411 557 $ et l’offre de transaction est d’environ 1 072 000 $, ce qui représente une différence d’à peu près 340 000 $. Ces montants sont importants, mais l’appelant ne réclame que 47 000 $ au titre des congés annuels payés.

 

[17]   L’offre de transaction détaille les montants demandés par l’intimée en grande partie de la même façon que dans sa déclaration de base (initiale), et j’ai arrondi certains de ces montants. L’appelant réclame un montant de 47 000 $ pour les congés annuels payés en date de mai 2000, mais affirme que ce montant correspond maintenant, trois plus tard, à 59 000 $. Ce sont là des sommes importantes. Il réclame une indemnité de 30 000 $ pour usage de véhicule sur une période de trois ans, de 20 000 $ pour son déménagement de Toronto ─ où il travaillait à la demande de l’employeur ─ à l’Île‑du‑Prince‑Édouard et puis des montants plus petits, par exemple 6 800 $ pour des frais de déplacement qu’il avait engagés avant la cessation de son emploi et qui ne lui ont pas été remboursés, et 7 200 $ pour d’autres frais du même genre portés à son compte Visa. Ces montants totalisent environ 118 000 $. Il réclame ensuite 954 000 $ pour trois ans de salaire (il réclamait initialement un montant correspondant à quatre ans de salaire). Il semblerait donc que son salaire annuel était de 318 000 $.

 

[18]   Le montant de 954 000 $ réclamé pour défaut de donner préavis est encore une fois le principal montant si on le compare aux autres montants, qui totalisent 118 000 $. En d’autres mots, si Aquilium avait accepté de dédommager l’appelant au moment de la cessation d’emploi et si ce dernier avait accepté un an de salaire — Certains autres montants sont importants, en particulier celui réclamé pour les congés annuels payés, qui est aussi le plus élevé. Le montant de 30 000 $ réclamé pour usage de véhicule serait peut‑être réduit si la période de salaire de trois ans était réduite au cours des négociations. Le montant de 5 300 $ pour les avantages de la Croix‑Bleue, qui était aussi basé sur une période de trois ans serait peut‑être aussi réduit. Les montants détaillés, qui totalisent 118 000 $, ne constituent pas des allocations de retraite et certains ne constituent pas non plus un salaire ou un traitement.

 

[19]   Certains de ces montants représenteraient un remboursement des frais de congédiement par l’intimée, par exemple les frais portés au compte Visa, les frais de déplacement et le montant de 1 500 $ pour l’ordinateur Think Pad d’IMB. Autrement dit, les frais de 118 000 $ justifieraient une poursuite même si l’appelant ne réclamait rien pour défaut de donner préavis. Lorsque l’avocat de l’intimée a dit qu’une répartition au prorata lui semblait appropriée dans un cas comme celui‑ci, je lui ai demandé des précisions. Il a répondu que comme la réclamation pour congés annuels payés d’environ 47 000 $ représente moins de 5 p. 100 de la déclaration initiale de 1 411 557 $, une répartition au prorata de 10 p. 100 serait appropriée en vertu de l’alinéa 8(1)b).

 

[20]   J’établirais une répartition au prorata plus élevée d’après les montants indiqués dans l’offre de transaction, qui s’élèvent à environ 118 000 $. À mon avis, il serait difficile d’estimer les chances de succès de l’appelant au sujet de la réclamation de 954 000 $ faite dans l’offre de transaction ou de la réclamation de 1 411 557 $ faite dans la déclaration. Je dis cela parce qu’à l’onglet 20, déclaration modifiée, l’appelant fait au paragraphe 15 la déclaration suivante qui semble aller à l’encontre de son intérêt :

 

[traduction]

Vers 9 h, le 7 juin 1999, la défenderesse aurait donné au défendeur un avis verbal de cessation d’emploi; toutefois, le demandeur a mis en question l’autorité légale de la personne censée représenter la défenderesse. Par la suite, le 7 juin 1999 :

 

i.          le demandeur a envoyé à la défenderesse une lettre de démission par télécopieur et par messager vers 13 h;

ii.         la défenderesse a posté une lettre d’avis de cessation d’emploi au demandeur à une adresse incorrecte et le demandeur n’a donc jamais vu la lettre avant le début de ces poursuites judiciaires.

 

[21]   Il semble que le 7 juin 1999, l’appelant ait démissionné au moment même où il a été congédié, et on peut facilement comprendre les arguments qui pourraient être invoqués dans sa poursuite contre Aquilium. Il est difficile d’émettre des hypothèses quant au règlement qui pourrait être accordé à l’issue de négociations ou quant au montant qui serait accordé par un tribunal de l’Île‑du‑Prince‑Édouard appelé à trancher sur la question de savoir si c’est Aquilium qui a licencié l’appelant ou si c’est l’appelant qui a démissionné. Abstraction faite de ces hypothèses, je vois des motifs de poursuite pour d’autres points et j’établirais donc une répartition au prorata de 25 p. 100 des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour les diverses réclamations et en particulier pour les congés annuels payés, et de 75 p. 100 pour la réclamation pour allocation de retraite. La tranche de 75 p. 100 des frais judiciaires ou extrajudiciaires n’est pas déductible en vertu de l’alinéa 8(1)b) parce qu’elle se situe dans cette zone neutre d’une éventuelle allocation de retraite pour un quelconque préavis admissible. L’appel est donc admis, en partie seulement pour permettre à l’appelant de déduire 25 p. 100 de ses frais judiciaires ou extrajudiciaires.

 

[22]   L’appelant a présenté une deuxième réclamation dont je vais parler brièvement. Il s’agit de la réclamation présentée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, et en particulier de l’article 15, qui est la clause bien connue concernant l’égalité devant la loi et l’interdiction de discrimination. Dans son avis d’appel, l’appelant prétend, d’après ce que je comprends, qu’il a été victime de discrimination pour deux motifs. Il prétend qu’il est victime de traitement discriminatoire en vertu de l’alinéa 60(o.1) parce que tout employeur qui fait des affaires peut à ce titre déduire des frais judiciaires ou extrajudiciaires et que, par contre, un employé qui a été congédié doit payer en dollars après impôt ses frais judiciaires ou extrajudiciaires à moins qu’une déduction ne soit autorisée. Il semble donc prétendre qu’il y a un traitement fiscal différent pour les employeurs et les anciens employés qui sont parties à un litige. Eh bien, c’est peut‑être le cas, mais je ne vois pas comment cela peut être considéré comme de la discrimination au sens de l’article 15 de la Charte. L’ancien employé est désavantagé sur le plan économique et c’est textuellement ce que dit l’appelant dans son argumentation. À mon avis, le désavantage économique n’établit pas une distinction entre les employeurs et les employés congédiés en tant que catégorie. C’est un fait qu’un demandeur ayant peu de moyens financiers et peu de possibilités de déduire des frais judiciaires ou extrajudiciaires trouvera difficile de poursuivre un défendeur qui a de grands moyens financiers et davantage de possibilités de déduire des frais judiciaires ou extrajudiciaires. Je ne vois pas là de motif de discrimination.

 

[23]   L’appelant invoque un autre motif de discrimination fondé sur son handicap. L’appelant a été atteint de polio très jeune et marchait avec beaucoup de difficulté. Son dossier professionnel atteste de sa réussite à surmonter les difficultés causées par la polio en bas âge. Par contre, les gens qui ont eu la polio peuvent être atteints du syndrome de post‑poliomyélite trente ou quarante ans plus tard. Les muscles qu’ils ont dû surutiliser pour mener une vie presque normale au cours des années qui ont suivi l’enfance s’usent plus rapidement que ceux d’une personne qui n’a jamais eu la polio. L’appelant, qui était relativement jeune au cours des années 1990 où est survenu le différend avec Aquilium, a commencé à perdre une partie de sa mobilité, en particulier dans les jambes. On peut se rendre compte ici aujourd’hui qu’il se déplace en fauteuil roulant, mais qu’il peut marcher sur de courtes distances à l’aide de cannes, comme il l’a fait pour s’avancer à la barre des témoins. L’appelant prétend qu’il fait l’objet, en tant que personne handicapée, de discrimination au sens de l’alinéa 60(o.1) du fait qu’il lui est beaucoup plus difficile d’obtenir un emploi maintenant qu’il a été congédié, et qu’une personne n’ayant jamais eu de handicap d’aucune sorte peut trouver plus facilement un autre emploi et des fonds pour des poursuites judiciaires comme celle qu’il a intentée.

 

[24]   Autrement dit, il est plus facile pour une personne qui n’est pas handicapée d’assumer les frais d’un litige parce qu’elle peut trouver plus facilement un autre emploi. L’appelant a soumis une statistique intéressante à cet égard. Il a indiqué que le taux de chômage au Canada se situe entre 7 et 8 p. 100 environ alors que le taux de chômage des personnes handicapées est d’environ 70 p. 100, ce qui signifie qu’il est dix fois plus difficile pour une personne handicapée de trouver un emploi. C’est peut‑être vrai, mais pour établir le bien‑fondé de cet argument en vertu de l’article 15 de la Charte, il doit y avoir discrimination à l’endroit d’une catégorie de personnes. À mon avis, un désavantage économique qui peut être le fait d’une personne handicapée n’est pas quelque chose d’imposé ni même quelque chose qui a un rapport avec l’alinéa 60(o.1).

 

[25]   L’alinéa 60(o.1), pour autant que je puisse en juger, n’est pas discriminatoire. Il indique simplement qu’on ne peut déduire les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une allocation de retraite ─ et c’est en substance le motif du rejet de la répartition au prorata de 75 p. 100 des frais judiciaires ou extrajudiciaires dans cet appel ─ que lorsqu’il y a recouvrement. À mon avis, l’alinéa 60 (o.1) adopte une position neutre à l’égard de tous les citoyens. Il ne défavorise pas une personne en raison de son handicap physique, de sa religion ou de sa race. Il ne s’applique qu’aux personnes qui doivent acquitter des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour tenter de recouvrer un montant donné comme une allocation de retraite. Il les considère en tant que groupe, neutre à tous les égards, et précise qu’il n’est pas possible de déduire des frais judiciaires ou extrajudiciaires avant la réception d’un montant applicable à ces dépenses. Je ne crois pas qu’on puisse en vertu de la Charte parler de catégorie pour les employeurs et les employés congédiés, ou pour les personnes handicapées et d’autres personnes qui doivent intenter une poursuite pour ce genre de dommages. Je rejette par conséquent l’argument de la Charte et je reviens à ma décision initiale et admets l’appel uniquement dans la mesure où cela permet à l’appelant de déduire 25 p. 100 des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a payés en 1999.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2004.

 

 

 

« M.A. Mogan »

Mogan J.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29 jour d’avril 2005.

 

 

 

Colette Dupuis-Beaulne, traductrice

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