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Date: 20020129

Dossier : 2000-381-IT-G

ENTRE :

DENIS GAGNÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel pour l'année d'imposition 1994.

[2]      Les questions en litige sont les suivantes :

·         L'appelant pouvait-il être cotisé après la période normale d'une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 des suites de sa renonciation?

·         Déterminer la juste valeur marchande, en date du 22 février 1994, des terrains sis aux numéros: 100, 142, 150 et 158 de la rue Des Lilas à Victoriaville.

·         Déterminer le montant du gain en capital réalisé par l'appelant suite à la disposition présumée des terrains ci-avant décrits, le 22 février 1994.

[3]      L'intimée avisait l'appelant au mois de juillet 1998 de son intention de procéder à une vérification fiscale générale de son dossier relatif à l'exploitation du bar faisant affaires sous la raison sociale « Bar Tabou » , pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997.

[4]      Le ou vers la même période, à une date non définie, le vérificateur responsable questionnait son dossier personnel concernant la juste valeur marchande des immeubles, soit les lots 100, 142, 150 et 158 de la rue Des Lilas à Victoriaville. Les lots faisaient partie d'un grand ensemble du lot 85 de la paroisse St-Victoire, et l'appelant avait soumis la formule (T-664) relatif à un choix pour qu'un gain en capital soit réputé à l'égard desdits terrains, en date du 22 février 1994.

[5]      L'appelant a expliqué les circonstances ayant entouré la vérification. Il a indiqué s'en être remis à son comptable. La vérification a d'ailleurs été effectuée à partir de la place d'affaires de son comptable.

[6]      Quelques temps après le début de la vérification, l'appelant a indiqué avoir reçu un appel lui demandant de se rendre au bureau de son comptable pour signer un document qui s'est avéré être une renonciation.

[7]      Ne connaissant rien du contenu et des conséquences d'une telle renonciation, il a candidement demandé conseil à son comptable avant de signer et cela, devant le vérificateur alors présent.

[8]      Ce dernier lui aurait alors demandé s'il était convaincu que la valeur qu'il avait attribuée à ses terrains était la juste valeur réelle.

[9]      L'appelant a répliqué par l'affirmative en donnant spontanément la source et l'origine des critères utilisés pour déterminer la valeur attribuée, confirmant ainsi que cette valeur était la juste valeur marchande. Il a alors accepté sans plus d'explications de signer la renonciation.

[10]     Après avoir signé la renonciation, il a appris des intervenants présents qu'il devenait désormais extrêmement important que la valeur attribuée corresponde à la valeur réelle en février 1994. Pour le démontrer, on lui a dit qu'il devrait éventuellement avoir recours à des experts pour en faire la preuve devant le Tribunal. Bouleversé et ébranlé par tous les inconnus à venir, il aurait alors fait de sévères reproches à son comptable pour ne pas lui avoir tout expliqué avant la signature.

[11]     Il a expliqué comment il avait déterminé la valeur de ses terrains. Ayant reçu deux offres non sollicitées d'importants promoteurs immobiliers connus dans la région de Victoriaville, soit l'une au montant de 150 000 $ et l'autre au montant de 180 000 $, il a fait la moyenne et considéré qu'il s'agissait là de la juste valeur réelle pour ces terrains. La preuve a révélé que les promoteurs immobiliers étaient des hommes d'affaires avisés qui achetaient régulièrement des lots dans le but d'y ériger des résidences.

[12]     Ayant acquis les lots litigieux dans un but de se construire un fond de pension, il a refusé les offres en se disant que si les terrains valaient une telle somme pour des promoteurs immobiliers, ils avaient la même valeur pour lui; de plus, certaines discussions avec un des deux promoteurs l'incitaient à croire qu'il y avait encore de bonnes possibilités que les mêmes terrains acquièrent une plus value encore plus intéressante, compte tenu de la venue annoncée de projets de développement d'envergure pour la région.

[13]     De son côté, le vérificateur, monsieur Pierre Drapeau, responsable du dossier pour l'intimée, s'en est remis à un des experts de son bureau. Monsieur Alain Lortie, évaluateur, a donc été mis à contribution; il a été associé à l'analyse du dossier dès le début. Sa contribution a également été requise lors de la révision du dossier.

[14]     Avant de procéder à l'analyse du dossier sous l'angle de la valeur des immeubles, il y a lieu de disposer d'un point préalable, à savoir si le Ministre pouvait cotiser l'appelant après l'expiration de la période normale de la nouvelle cotisation, relativement à l'année d'imposition 1994. À cet égard, la preuve pertinente a été très succincte; il a d'abord été question du contenu de la renonciation signée et formulée comme suit : (pièce A-1) onglet 17 :

RENONCIATION À L'APPLICATION DE LA

PÉRIODE NORMALE DE NOUVELLE COTISATION

Renonciation

La période normale de nouvelle cotisation prévue au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu pendant laquelle le Ministre peut établir une nouvelle cotisation ou des cotisations supplémentaires ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités, en vertu de la Partie I de la Loi est, par la présente, renoncée par l'année d'imposition susmentionnée, à l'égard de :

Toutes les implications fiscales découlant de la révision du gain en capital et toutes les implications fiscales découlant de la révision de la perte ou au titre d'un placement d'entreprise.

Inscrire la partie applicable

Signature du contribuable,                            Date

Pierre Gagné                                               10 sept 98

Poste ou titre

[15]     La preuve a révélé que le libellé de l'objet de la renonciation a été complété en l'absence de l'appelant; ce dernier a cependant signé en présence de son comptable et du représentant de l'intimée, suite à de sommaires explications. Selon l'appelant, les conséquences lui auraient été fournies de façon plus explicite après plutôt qu'avant la signature.

[16]     L'appelant a indiqué avoir un très bas degré de scolarité et n'avoir aucune connaissance ou expérience en matière fiscale, d'où il s'en est remis à son comptable.

[17]     La preuve a révélé que les discussions préalables à la signature se sont déroulées en présence de tous les intervenants, dont le nombre est cependant demeuré incertain. L'appelant a soutenu se souvenir que le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) avait deux représentants sur place, alors que le vérificateur a indiqué avoir été seul à ce moment.

[18]     Le comptable de l'appelant n'aurait pas jugé approprié de se retirer avec l'appelant pour l'informer de l'étendue de ses droits et obligations, dont le nombre est cependant demeuré incertain. Dans un tel contexte, la renonciation signée par l'appelant était-elle valable et surtout permettait-elle au Ministre de cotiser après la période normale de nouvelles cotisations pour l'année d'imposition 1994?

[19]     L'objet d'une renonciation doit être expressément prévu et l'étendue du champ d'application ciblée doit être aussi interprétée restrictivement. En cas de doute quant à la portée et l'étendue de la renonciation, la conclusion retenue doit favoriser le contribuable.

[20]     Ceci étant, la renonciation signée par l'appelant était-elle suffisamment détaillée et explicite pour permettre la nouvelle cotisation? Certes, pour un profane, le libellé de la renonciation n'était pas très clair, tant quant à l'objet que quant aux conséquences. De cette réalité, l'intimée avait-elle l'obligation de vulgariser toutes les conséquences de la renonciation de manière à ce que le consentement sollicité de l'appelant soit plus éclairé?

[21]     N'eut été de la présence du comptable et bien que l'ignorance de la Loi ne soit jamais une excuse valable, l'intimée aurait pu être plus explicite. Par contre, l'intimée était en droit de prendre pour acquis que la vulgarisation, les précisions ou explications relatives aux effets de la renonciation et nécessaires à l'obtention d'un consentement pleinement éclairé, étaient la responsabilité du comptable de l'appelant, sur place au moment de donner son consentement.

[22]     Le comptable a-t-il manqué à ses obligations professionnelles? Il s'agit là d'une question dont la réponse n'est pas de ma compétence. S'il y a eu un tel manquement ou si une faute professionnelle a été commise, cela n'est pas imputable à l'intimée. Il en est ainsi au niveau des conséquences, si lourdes et considérables eussent-elles avoir été. L'appelant a soumis que les conséquences de la renonciation étaient considérables, voire même démesurées, laissant entendre que les exigences quant à la renonciation devaient être plus strictes ou rigides.

[23]     La sévérité et la gravité des conséquences de l'application des dispositions de la Loi n'ont pas pour effet de réduire ou d'affecter la rigueur des conditions d'application; en d'autres termes, l'importance des conséquences fiscales générées par une surévaluation de la juste valeur marchande, ne doivent pas être en cause ou faire partie des éléments pertinents pour apprécier la qualité d'une renonciation. Une renonciation a son plein effet et est inattaquable si les conditions essentielles à la validité d'un contrat ont été respectées ce qui, en l'espèce, a été le cas. La renonciation signée par l'appelant était donc légale et toutes les conséquences sont opposables à l'appelant.

[24]     J'enchaîne donc avec la question de l'évaluation des terrains.

[25]     La preuve a principalement porté sur la juste valeur marchande des lots 100, 142, 150 et 158 de la rue Des Lilas à Victoriaville. La preuve de l'appelant a regroupé diverses composantes. Tout d'abord, il a expliqué la mécanique retenue en vertu de laquelle il avait établi la valeur indiquée lors du choix exprimé. Il a, à cet effet, expliqué avoir reçu deux offres non sollicitées de promoteurs immobiliers, soit l'une au montant de 150 000 $ et l'autre au montant de 180 000 $ pour l'ensemble des lots qu'il possédait; il a utilisé les deux offres pour établir une moyenne qu'il a attribuée aux terrains comme étant la juste valeur marchande en 1994.

[26]     Pour soutenir et confirmer la justesse de son évaluation, il a ajouté à sa preuve trois contrats notariés, en vertu desquels certains terrains faisant partie de l'ensemble ont été donnés en garantie de dettes, aux montants respectifs de 4 500 $ et 6 300 $, dues à la suite de travaux exécutés par Service de chauffage de Victoriaville et par la compagnie Hamel et Hamel Inc. Pour ce qui est de la troisième garantie, elle a été donnée pour l'obtention d'une marge de crédit. Les contrats font état de ce qui suit :

Dimension du terrain

Montant de la créance faisant l'objet de la garantie

Nature de l'obligation

Nom du créancier

100 pi x 100 pi

4 500 $

compte

pour marchandise et services rendus

Services de chauffage Victoriaville

100 pi x l40 pi

6 300 $

même chose

Hamel et Hamel Inc.

200 pi x 200 pi

18 000 $

en 1983 en garantie pour l'obtention d'un crédit rotatif

Caisse Populaire

[27]     L'appelant a aussi produit divers contrats, soit un contrat intervenu entre la Succession Clément Pépin et Les Constructions André Jacques Inc., intervenu le 2 mars 1988, un autre contrat entre Clément Pépin (1978) Ltée et Les Constructions André Jacques Inc., en date du 23 août 1989 et finalement un contrat de vente entre Succession Clément Pépin et Les Constructions André Jacques Inc., intervenu le 11 septembre 1992.

[28]     À l'appui de son évaluation, l'appelant s'est également référé à différentes fiches d'évaluation de propriétés immobilières sises à différents endroits dans la ville de Victoriaville.

[29]     Il a également fait témoigner monsieur André Jacques, fils de l'auteur de l'offre au montant de 180 000 $, lui-même promoteur immobilier ayant l'expérience en matière d'acquisition de lots. Ce dernier a expliqué qu'il achetait généralement un nombre limité de lots, dans le but d'y ériger rapidement des constructions. Étant souvent dans l'obligation d'assumer le coût des infrastructures, il ne disposait pas de capitaux suffisants pour acquérir en même temps un très grand nombre de lots avec un plan de développement s'échelonnant sur une longue période.

[30]     Finalement, monsieur André Capistran, agent immobilier, conseiller municipal de Victoriaville a expliqué avoir une bonne connaissance des lieux et l'expérience pertinente pour faire des commentaires et observations relatifs à la valeur des lots. À titre d'agent immobilier et à titre de conseiller municipal dont les fonctions étaient reliées au rôle d'évaluation, il a obtenu plusieurs mandats pour la vente de terrains comparables. À partir de mandats obtenus dans le secteur, le témoin Capistran a estimé que la valeur attribuée aux lots litigieux était pleinement justifiée et raisonnable.

[31]     En substance, la preuve de l'appelant a été constituée par un ensemble de données, de faits et par les témoignages de personnes ayant une expérience, un vécu et un enracinement dans le secteur concerné.

[32]     Quant à l'intimée, elle a fait témoigner un expert ayant toute la formation académique et détenant toutes les qualifications appropriées pour la préparation de l'expertise qu'il a produite et expliquée; il détenait une vaste expérience pratique pour l'ensemble du territoire desservi par le bureau de la division de Sherbrooke, dont fait partie la région de Victoriaville. Monsieur Alain Lortie a longuement témoigné. Son rapport d'évaluation a été préparé et soumis suivant les règles de l'art. Le rapport déposé est un document substantiel, étoffé par une longue liste de comparables, dont certaines furent décrites comme plus pertinentes que d'autres.

[33]     Monsieur Lortie avait toutes les qualifications et l'expertise pour déterminer la valeur d'un immeuble. Es-qualité d'expert évaluateur, il a expliqué et soutenu son rapport d'évaluation. Très articulé, connaissant très bien les règles de l'art, il a soumis un dossier étoffé pour soutenir la juste valeur marchande, en date du 22 février 1994.

[34]     La preuve a aussi révélé que monsieur Lortie a été associé au traitement du dossier de l'appelant à compter du tout début de la vérification. Il a participé et collaboré à toutes les étapes du dossier.

[35]     L'intervention à titre d'expert de monsieur Lortie soulève certainement un problème d'éthique; en effet, je crois que sa contribution a débordé le cadre acceptable du mandat d'expert en ce qu'il a pris faits et cause du dossier et ce, bien avant le mandat d'agir à titre d'expert pour le Tribunal.

[36]     Lors de son témoignage, monsieur Lortie a démontré avoir un intérêt particulier pour le soutien de son évaluation. Cela peut se comprendre et s'expliquer du fait qu'il a été appelé à travailler dans le dossier dès ses débuts. Monsieur Lortie a pris position lors de la première étape, c'est-à-dire au moment de la vérification; il a par la suite maintenu son évaluation à la base de la nouvelle cotisation; il a de plus confirmé sa position lors de la révision et ce, sans une étude ou analyse aussi exhaustive que celle faite dans le cadre de son rapport d'évaluation. En d'autres termes, monsieur Lortie n'a probablement pas fait toutes les démarches décrites au Tribunal lorsqu'il a déterminé la valeur du terrain la première fois, au moment de la vérification. Les recherches et analyses sont venues plus tard, quand il a préparé son dossier pour le Tribunal. Il s'agit là d'un cheminement assez curieux.

[37]     De la même façon, la juste valeur marchande ne doit pas tenir compte d'un vendeur forcé de vendre ou d'un acheteur obligé d'acheter. Il me semble que la qualité minimale voire même fondamentale d'un évaluateur est de ne pas avoir d'intérêt ni dans le processus ni dans le résultat. Or, monsieur Lortie avait soumis une première estimation au tout début qui n'était certainement pas appuyée par des dizaines de comparables. Le hasard aurait-il bien servi M. Lortie en ce que ses recherches poussées ont simplement confirmé sa première évaluation résultant d'un travail probablement plutôt sommaire.

[38]     Maîtrisant parfaitement les règles de l'art en matière d'évaluation, monsieur Lortie a procédé selon une méthodologie tout à fait conforme aux exigences. Cela étant, je crois cependant que les comparables retenues ont été sélectionnées d'une manière dont la transparence n'est pas sans faille; je fais notamment référence à l'exclusion délibérée de certaines transactions sur la foi d'explications tout à fait inadéquates.

[39]     En outre, je n'ai pas compris pourquoi les lots évalués ont été analysés dans le cadre d'un immense ensemble, alors que toutes les données et indications commandaient plutôt une approche individuelle. Les explications voulant que le tout soit apprécié dans le cadre de l'ensemble du secteur ne sont ni raisonnables ni acceptables et cela, à partir des propres arguments de l'expert voulant que la qualité du sol soit très variable à cet endroit, que l'accès soit problématique et que les coûts d'infrastructure soient prohibitifs.

[40]     Plusieurs éléments commandaient une approche individuelle; trois requéraient une telle considération :

-     L'appelant avait acquis les lots d'une manière espacée et individuelle;

-     La municipalité les avait évalués séparément;

-     L'historique des dossiers démontrait qu'ils avaient été considérés comme des entités séparées; cela ressortait tout particulièrement du fait que l'appelant avait concédé des garanties hypothécaires affectant les lots séparément.

[41]     Monsieur Lortie a même admis que plus une surface était immense, plus il y avait des effets à la baisse sur la valeur; en d'autres termes, le prix au pied carré d'une très grande superficie était considérablement inférieur à celui d'une petite surface, reconnaissant, ainsi d'entrée de jeu, avoir artificiellement retenu une approche défavorable à l'appelant.

[42]     Monsieur Lortie a fait régulièrement référence à l'approche qu'il a lui-même écartée, à savoir la méthode de lotissement, en soutenant qu'elle n'était pas appropriée. Même si les lots ne pouvaient pas faire l'objet de construction rapide, ils pouvaient faire l'objet d'une transaction puisqu'ils étaient identifiables et définis très précisément.

[43]     Monsieur Lortie a pris en considération toutes sortes d'hypothèses ayant des effets négatifs sur la valeur des immeubles litigieux; je fais notamment référence aux éléments suivants :

1)        le peu d'intérêts pour le site;

2)        la possibilité de nappe souterraine (nappe phréatique) très peu profonde;

3)        le sol problématique, glaise et sable;

4)        la servitude de non accès;

5)        le coût prohibitif des infrastructures;

6)        la difficulté de développement due au fait qu'il y avait plusieurs propriétaires rendant ainsi tout consensus difficile pour l'établissement et le respect des infrastructures;

7)        les nombreuses contraintes réglementaires.

[44]     Rien dans la preuve soumise ne permettait d'attribuer ces défauts, griefs ou faiblesses aux lots de l'appelant. Il s'agissait d'aspects affectant la grande surface dans son ensemble. Il eut été utile que monsieur Lortie s'attarde un peu plus sur les faiblesses des terrains de l'appelant plutôt que sur l'ensemble de la surface à laquelle ils étaient attachés.

[45]     Plusieurs des défauts n'affectaient aucunement les lots dont l'appelant était propriétaire, et certaines lacunes ne peuvent pas être attribuées aux terrains litigieux. Je fais notamment référence à la qualité du sol, à la servitude de non accès, à la proximité des accès et au coût prohibitif des infrastructures.

[46]     Les terrains de l'appelant étaient avantagés de qualités évidentes qui n'ont aucunement été prises en considération. Je fais référence aux faits qu'ils étaient identifiables, qu'ils étaient près des accès, que leur développement était, de par leur emplacement, plus probable que les emplacements éloignés aux extrémités de la surface prise en considération.

[47]     L'expert Lortie a écarté du revers de la main des réalités incontournables, à savoir que certains terrains avaient fait l'objet de garanties hypothécaires; il a soutenu qu'il s'agissait de données non pertinentes.

[48]     Le travail requis pour la préparation d'une évaluation d'un immeuble est un exercice qui doit répondre et satisfaire à des exigences objectives. La détermination de la valeur réelle est une recherche devant mener à une conclusion qui doit découler de la prise en considération de tous les éléments disponibles. Le rejet sans raison valable d'éléments ayant des effets directs sur la valeur d'un bien immobilier contribue certainement à discréditer le résultat ou tout au moins vicier la transparence essentielle du processus qui a conduit à la détermination de la valeur.

[49]     Il y a plusieurs définitions de la valeur réelle. Bien qu'elles puissent varier ou être différentes, les variations et distinctions sont beaucoup plus au niveau du vocabulaire qu'au niveau du contenu qui lui, demeure toujours sensiblement le même.

[50]     Pour découvrir la valeur réelle d'un immeuble, il existe différentes approches et méthodes objectives telles, l'approche économique, l'approche du coût de remplacement, l'approche de la valeur appréciée et la valeur comparable. Eu égard aux particularités du dossier à évaluer, les experts privilégient souvent une méthode au détriment de l'autre. Dans certains cas, on procède par la moyenne du résultat obtenu de l'application des différentes méthodes. Le choix d'une méthode plutôt qu'une autre est une décision tout à fait subjective.

[51]     En l'espèce, les méthodes ou formules disponibles étaient réduites en ce qu'il s'agissait d'espaces ou de lots non construits, donnant ainsi un poids particulièrement important à la formule des comparables.

[52]     La qualité et quantité des données, particulièrement au niveau de l'approche des comparables est une décision aussi essentiellement subjective, et tout particulièrement quand vient le temps d'expliquer la pertinence de celles retenues ou écartées.

[53]     Pour un expert qui connaît bien les règles de son art, il est possible voire même très facile de soumettre un travail qui est conforme aux diverses balises et contraintes.

[54]     La connaissance des règles de l'art et son respect lors de l'élaboration d'une expertise ne sont cependant pas les seules qualités qui doivent caractériser la qualité du travail; il est tout aussi important que l'expert appelé à réaliser une telle expertise soit dans une position d'indépendance face aux intérêts en cause.

[55]     L'expert mandaté pour déterminer la valeur d'un immeuble se doit de n'avoir aucun lien avec les intérêts de celui qui commande l'évaluation, au risque de diluer considérablement la valeur objective de son travail.

[56]     L'expert Lortie avait-il un tel détachement et une telle indépendance? Je ne crois pas. Bien au contraire, il était plutôt en situation de juge et partie. Son implication dans le dossier dès le début des vérifications le disqualifiait, tout au moins, discréditait la valeur de son travail.

[57]     Le travail d'évaluation est un travail extrêmement difficile; très souvent les experts arrivent à un résultat conforme aux attentes de leurs mandants et cela, à la suite et par le biais de l'utilisation des mêmes formules et procédés, avec le plus grand respect des règles de l'art. La différence des résultats obtenus quant à la valeur retenue est essentiellement fonction des comparables retenues. Le Tribunal doit alors concentrer ses énergies dans l'identification de ces derniers comparables.

[58]     À cet égard, l'appelant a soumis une preuve raisonnable supportée par des données vraisemblables et surtout très réalistes. Certes, il n'y a pas eu de volumineux dossiers, d'élaboration de nombreuses théories en présence et des savants motifs pour lesquels telle approche plutôt que telle autre a été retenue. Cela a-t-il pour effet de disqualifier ou discréditer une approche dont la principale qualité a été le gros bon sens? Je ne le crois pas. Chose certaine, la valeur réelle d'un immeuble peut être déterminée sans qu'il soit absolument nécessaire d'avoir recours à un professionnel en cette matière et qu'un épais rapport d'évaluation soit soumis.

[59]     En l'espèce, l'appelant a établi la valeur de ses lots au moyen d'une formule rationnelle tout à fait conforme aux règles de l'art, soit à partir d'une moyenne obtenue à partir d'offres non sollicitées émanant de personnes connaissant très bien le marché immobilier. La valeur attribuée s'est d'ailleurs avérée conforme et cohérente avec les estimations, encore-là élaborées par des personnes oeuvrant dans des domaines connexes au marché immobilier. Je fais référence aux divers créanciers qui ont accepté que leur créance soit garantie par des lots clairement identifiés.

[60]     Ayant acquis les lots dans un but de se construire un fonds de pension, il a refusé les offres en se disant que si les lots valaient une telle somme pour des promoteurs immobiliers, ils la valaient tout autant pour lui; d'autant plus que certaines discussions, avec un des deux promoteurs, l'incitent à croire qu'il y avait encore matière à une plus grande plus-value.

[61]     En l'espèce, l'expert de l'intimée n'avait pas cette indépendance lui permettant d'exécuter un travail objectif à l'abri de toute critique et avec l'impartialité essentielle. Pour cette raison, je ne tiens pas compte de la valeur qu'il leur a attribuée.

[62]     Pour ce qui est de la valeur que l'appelant a attribuée à ses lots, je suis d'avis qu'elle était raisonnable et conforme aux réalités du marché au moment où il a fait son choix. En effet, il a déterminé la valeur à partir de données dont la qualité n'a fait l'objet d'aucune contestation. Pour soutenir la qualité de la valeur attribuée à ses lots, l'appelant a soumis une preuve dont la pertinence et la qualité étaient fort acceptables. Conséquemment, je conclus que l'évaluation attribuée par l'appelant était correcte et vraisemblable.

[63]     Pour ces raisons, l'appel est accueilli, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 29e jour de janvier 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       2000-381(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Denis Gagné et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 9 octobre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 29 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :                Me Richard Généreux

Avocate de l'intimée :                 Me Nathalie Labbé

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                   Nom :           Me Richard Généreux

                   Étude :                   Généreux Côté Avocats

                   Ville :            Drummondville (Québec)

Pour l'intimée :                          Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

2000-381(IT)G

ENTRE :

DENIS GAGNÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 9 octobre 2001 à Sherbrooke (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Richard Généreux

Avocate de l'intimée :                          Me Nathalie Labbé

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est accueilli, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


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