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Date:20020625

Dossier: 2001-1131-IT-I

ENTRE :

ROBERT DEMERS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Garon, J.C.C.C.I.

[1]            Ces motifs de jugement ne portent que sur l'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation du ministre du Revenu national établie pour l'année d'imposition 1994 bien que dans son Avis d'appel l'appelant eût aussi inclus la cotisation du ministre pour l'année d'imposition 1995. Au début de l'audience, le tribunal fut informé que l'appelant s'était désisté de son appel pour cette dernière année en produisant le document requis.

[2]            Par sa nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994, le ministre du Revenu national a refusé la déduction d'une somme de 47 068,80 $ représentant les salaires des employés de la firme Les Entreprises Robert Demers Inc.

[3]            La seule question en jeu dans cet appel porte sur l'application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit de déterminer si le ministre du Revenu national pouvait procéder à une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale pour ce faire.

[4]            L'appelant a été le témoin principal pour son compte. Madame Johanne Tremblay, vérificatrice au service de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a déposé à l'instance de l'intimée.

[5]            Les faits essentiels relatifs à la cotisation dont appel peuvent se résumer en peu de mots.

[6]            L'appelant était l'unique actionnaire et administrateur de la société par actions Les Entreprises Robert Demers Inc., ci-après désignée, la société. Cette société avait été constituée en 1983. Elle oeuvre dans les domaines de la peinture et de l'application du papier peint.

[7]            La société a soumissionné en 1993 et par la suite contracté à une date qui n'a pas été précisée avec Construction Defco Inc. pour des travaux de peinture, tapisserie et teinture à être exécutés à un hôtel de la chaîne Holiday Inn situé au Koweït. Dans le cadre du contrat au Koweït, l'appelant a défrayé la société pour des travaux effectués au Koweït en payant les salaires de ses employés. Ces dépenses avaient été facturées au nom de l'appelant par monsieur Michel Allard de P-Omax Canada International Ltd. À cet égard, deux factures émises en février et avril 1994 ont été produites. Elles ont été acquittées quelques jours plus tard par l'appelant. Pour effectuer ces paiements, l'appelant a utilisé ses fonds personnels provenant d'un RÉER et d'une partie du produit de la vente d'un immeuble locatif dont il était propriétaire. La société n'était pas en mesure de payer ces dépenses, car elle était, selon l'expression de l'appelant, « déficitaire » pendant les années 1993 et 1994. Je mentionne en passant que le 24 mars 1993, la société a signé un contrat d'agent commercial exclusif avec Press-O-Max Canada Inc., concernant les applications de papier peint, au Moyen-Orient et au Pakistan. Ce dernier contrat n'a toutefois pas de rapport direct avec les travaux relatifs au présent litige.

[8]            L'appelant dans son témoignage a dit avoir réclamé la déduction de la dépense s'élevant à 47 068,80 $ dans sa propre déclaration de revenu parce que c'était lui-même qui avait déboursé les fonds en question. À cet égard, il a ajouté que sa déclaration personnelle de revenu pour l'année 1994 aussi bien que celle de la société pour la même période avaient été préparées par le même comptable qui agissait pour lui et pour la société depuis plusieurs années et auquel il avait remis toute la documentation appropriée pour la période concernée. En passant, à l'époque pertinente, l'exercice financier de la société se terminait le 31 décembre. L'appelant a reconnu que les recettes provenant de ce contrat exécuté au Koweït ont été incluses dans le revenu de la société. La société avait un compte de banque distinct de celui de l'appelant et bénéficiait d'une marge de crédit qui lui avait été accordée par un établissement financier. L'appelant craignait que cet établissement rappelle sa marge de crédit si la société se chargeait de la dépense relative aux salaires des employés en question.

Analyse

[9]            Pour déterminer si le ministre du Revenu national pouvait validement cotiser l'appelant, il me faut maintenant appliquer aux faits du présent appel, le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi qui se lisait ainsi à l'époque pertinente :

Sous réserve du paragraphe (5), le ministre peut, à un moment donné, fixer l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou pénalités payables en vertu de la présente partie par un contribuable, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année, et peut, selon les circonstances, établir des nouvelles cotisations, des cotisations supplémentaires ou des cotisations concernant l'impôt, les intérêts ou les pénalités en vertu de la présente partie :

a) à un moment donné, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi.

[10]          Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi permet notamment au ministre d'établir une nouvelle cotisation à tout moment après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation si un contribuable a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant sa déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi. Il incombe au ministre du Revenu national de faire cette preuve.

[11]          Au sujet de l'application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale s'est exprimé ainsi dans l'affaire Nesbitt c. Canada, 96 DTC 6588, [1996] A.C.F. no 1470 (QL) (Fr.) :

C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure.

[12]          Dans la présente cause, il a été établi que c'est la société et non l'appelant qui a contracté avec Construction Defco Inc. et traité dans le cadre de ce contrat avec Press-O-Max Canada Inc. concernant les contrats de peinture et d'application du papier peint dans un hôtel Holiday Inn au Koweït. Il est incontestable que les recettes et les dépenses relatives à ce contrat doivent faire partie du calcul du revenu de l'entreprise de la société. L'appelant ne pouvait pas réclamer la déduction du montant de 47 068,80 $ dans le calcul de son propre revenu car cette dépense payée par l'appelant concernait uniquement l'entreprise de la société. Cette dernière était la seule qui devait tenir compte de cette dépense dans l'établissement de son revenu ou de sa perte pour l'année d'imposition 1994. L'appelant n'exploitait pas lui-même une entreprise de peinture; il avait constitué une société par actions pour ce faire. L'appelant a été tout à fait clair sur ce point dans son témoignage. Le fait que l'appelant a réclamé la déduction de cette dépense dans le calcul de son propre revenu constitue une présentation erronée des faits aux fins du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[13]          L'appelant allègue que le ministre du Revenu national avait en mains tous les renseignements nécessaires dans les déclarations de revenu de l'appelant et de la société pour effectuer les changements nécessaires à ces déclarations et établir de nouvelles cotisations dans un délai raisonnable. Un tel argument a été rejeté dans la cause Nesbitt précitée où le juge Strayer a dit ceci :

Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que le ministre ne trouve pas l'erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l'établissement d'une nouvelle cotisation exacte à ce moment-là.

[14]          Pour que le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi s'applique, il faut non seulement qu'il y ait erreur ou inexactitude dans la déclaration de revenu d'un contribuable ou dans la documentation fournie au ministre du Revenu national, mais il faut en outre que le contribuable n'ait pas fait preuve de diligence raisonnable, comme cela appert de la décision du juge Strayer, alors qu'il était juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire Venne c. Canada, 84 DTC 6247; [1984] A.C.F. no 314 (QL) (Fr.). Dans sa conclusion, le juge Strayer formulait les commentaires suivants :

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes « présentation erronée des faits, par négligence » , en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme « négligence » impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle. Voir Jet Metal Products Limited c. le ministre du Revenu national (1979) 79 DTC 624, pp. 636-37 (C.R.I.).

[15]          La preuve me semble claire que l'appelant faisait bien la distinction entre lui-même et la personnalité juridique de la société par actions. L'extrait suivant du témoignage de l'appelant lors du contre-interrogatoire me paraît intéressant sur sa compréhension de l'interaction entre lui-même et la société quant aux recettes et dépenses relatives à ce contrat[1] :

Q. Bon. Alors, s'ils ont facturé à Robert Demers personnellement et non pas aux Entreprises Robert Demers, c'est parce que vous leur avez demandé de procéder comme ça?

R. C'est parce que c'est moi qui ai donné l'argent, c'est à moi qu'ils envoyaient la facture.

Q. O.K. Ça fait que vous lui disiez : c'est moi qui paye, envoye-moi la facture.

R. Bien, non, il me l'envoyait pour que je le paye parce que tant qu'il ne me l'a pas envoyé, je ne sais pas combien qu'il est rendu.

Q. Bien, dans ce cas-là, pourquoi les revenus du Koweït, vous ne les avez pas inclus dans votre déclaration d'impôt personnelle?

R. Parce que le contrat est avec Entreprises Robert Demers.

On notera qu'il n'a pas répondu directement à la question si c'était lui qui avait demandé au représentant de Press-O-Max de faire la facture à son nom.

[16]          Je ne peux croire que l'appelant n'a pu se rendre compte de l'illogisme à inclure d'une part les recettes provenant du contrat en question dans le revenu de la société et, d'autre part, à déduire de son revenu personnel les dépenses relatives à ce contrat concernant les salaires des employés de la société.

[17]          De plus, dans sa déposition, l'appelant a reconnu que les personnes qui avaient exécuté les travaux dont il est question ici étaient bel et bien les employés de la société. Il n'applique pas la même logique à l'égard de cette dépense que celle dont il fait preuve à l'égard des recettes de la société, comme cela apparaît de l'extrait de son témoignage que je viens de reproduire.

[18]          Somme toute je n'accepte pas les explications données par l'appelant au sujet de la déduction de la somme de 47 068,80 $. De fait, je suis convaincu qu'il n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en déduisant lors du calcul de son revenu personnel les salaires des employés de la société qui ont effectué les travaux au Koweït dont il est question dans le présent litige.

[19]          Il est probable que la raison principale (ou l'une d'elles) pour laquelle l'appelant a pris à sa charge cette dépense de 47 068,80 $ tient au fait qu'il craignait que, si la société assumait cette dépense, l'établissement financier concerné ne rappelle la marge de crédit consentie à cette société étant donné la situation difficile dans laquelle se trouvait cette dernière. Je n'oublie pas non plus que la façon dont l'appelant a traité la dépense relative aux salaires des employés concernant le contrat du Koweït avait également pour effet de réduire sensiblement son propre revenu et par voie de conséquence l'impôt sur le revenu qu'il devait lui-même payer comme individu.

[20]          L'appelant prétend que l'erreur ne peut lui être imputée vu qu'il s'était fié à la compétence du comptable qui s'occupait depuis plusieurs années de la préparation de ses déclarations de revenu et de celles de la société.

[21]          Il est bien reconnu par la jurisprudence qu'un contribuable ne peut se dégager de sa responsabilité en confiant la préparation de ses déclarations de revenu à un comptable. Voir à ce sujet la décision du juge Rouleau de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans l'affaire Can-Am Realty Limited, et al. v. The Queen, 94 DTC 6293 :

[TRADUCTION]

... c'est [...] au contribuable qu'incombe la responsabilité de veiller à l'exactitude des données consignées dans sa déclaration d'impôt. Cette obligation n'est en rien modifiée par le fait que le contribuable a confié la préparation de ses déclarations d'impôt à un comptable professionnel.

[22]          J'en viens donc à la conclusion que l'appelant a fait une présentation erronée des faits du type de celle qui est visée au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi et qu'ainsi le ministre du Revenu national a réussi à se décharger du fardeau qui lui incombait.

[23]          Pour ces motifs, la cotisation dont appel est maintenue et l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2002.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-1131(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Robert Demers et

                                                                                                Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    17 janvier 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         L'honorable Alban Garon

                                                                                                Juge en chef

DATE DU JUGEMENT :                      25 juin 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    Me Charles Côté

Pour l'intimée :                                       Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Deschênes, Côté

                                Étude :                     Québec (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-1131(IT)I

ENTRE :

ROBERT DEMERS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 17 janvier 2002 à Québec (Québec) par

l'honorable Alban Garon

Juge en chef

Comparutions

Avocat de l'appelant :                Me Charles Côté

Avocate de l'intimée :                 Me Stéphanie Côté

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 1994 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de juin 2002.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.




[1] Transcription des notes sténographiques à la page 35, lignes 6 à 21.

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