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Date: 20010824

Dossier: 1999-4871-IT-I

ENTRE :

JAY BASSILA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu Jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels, logés en vertu de la procédure informelle, de cotisations établies à l'encontre de l'appelant en application de l'article 118.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (" Loi ") pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993. Par ces cotisations, le ministre du Revenu national (" Ministre ") a refusé à l'appelant des crédits pour dons de bienfaisance à l'Ordre Antonien libanais des Maronites (" Ordre ") aux montants de 7 000 $ pour l'année 1990, 6 000 $ pour l'année 1991, 5 000 $ pour l'année 1992 et 6 000 $ pour l'année 1993. Le Ministre a également imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Comme le Ministre a recotisé l'appelant en-dehors de la période normale de nouvelle cotisation, il revient au Ministre d'établir que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude eu égard à ces dons de bienfaisance tel que requis par le paragraphe 152(4) de la Loi (voir M.N.R. v. Taylor, [1961] C.T.C. 211 (Ex. Ct.).

Faits

[2]                 L'appelant est né au Liban et a immigré au Canada en 1987. Il fait partie de la communauté maronite libanaise de Montréal.

[3]            Au cours des années 1990 à 1993, l'appelant alors dans la jeune vingtaine, fréquentait l'Ordre sur une base régulière. Il explique que la communauté libanaise se regroupait d'une part pour aider les libanais nouvellement arrivés au Canada à s'adapter à leur nouveau pays tant du point de vue social que financier, et d'autre part à sensibiliser les autorités canadiennes à la guerre au Liban.

[4]            Il dit avoir donné à l'Ordre les sommes de 7 000 $, 6 000 $, 5 000 $ et 6 000 $ au cours des années 1990, 1991, 1992 et 1993 en argent comptant, en divers versements. Il a également dit qu'il était possible qu'il ait donné par chèques à quelques reprises. C'est en allant à l'église lors de divers événements politiques, religieux ou sociaux qu'il remettait ces sommes aux pères Joseph El-Kamar et Claude Nadras. Selon l'appelant, ces derniers inscrivaient le montant du don dans un registre. On lui remettait un reçu en fin d'année. Il vérifiait à ce moment que le reçu correspondait à l'argent qu'il avait donné. Il ne gardait pas de notes écrites toutefois de ces dons. Il y allait de mémoire.

[5]            A partir de 1994, il n'a plus fait de don à l'Ordre. Il s'est marié en 1992 et a eu deux enfants, l'un en 1994 et l'autre en 1996. Dans les années 1990, 1991, 1992 et 1993, il dit avoir habité avec ses parents, sans aucune responsabilité financière. Il se serait fait construire une maison en 1994. Il explique qu'à partir de ce moment, ses besoins ont changé, la situation au Liban n'était plus la même et il considérait qu'il avait fait sa part pour la cause libanaise. Il a commencé dès lors à investir dans son régime enregistré d'épargne-retraite (" RÉER ").

[6]            Il aurait appris l'existence de l'Ordre par un professeur qui lui avait enseigné au Liban et par d'autres personnes qu'il ne fréquente plus maintenant. Il aurait été sollicité par l'Ordre pour faire des dons, lesquels auraient servi à subvenir aux besoins d'orphelinats, d'universités et de monastères au Liban de même qu'aux besoins des libanais au Canada. D'ailleurs, l'appelant soutient qu'il ne s'est pas contenté de donner seulement de l'argent; il aurait également donné des meubles et des vêtements aux gens de la communauté qui commençaient une nouvelle vie au Canada. Il a choisi de donner par l'intermédiaire de l'Ordre parce que c'était un organisme qui pourvoyait aux besoins des libanais chrétiens, alors que d'autres ordres religieux ne se vouaient pas entièrement à cette cause.

[7]            Il dit avoir entendu parler d'un détournement de fonds par l'Ordre en lisant un article dans le journal The Gazette au cours de l'année 1996. Il dit être demeuré très surpris d'apprendre un tel stratagème. Il n'aurait toutefois fait aucune démarche par la suite pour s'assurer que l'argent, qu'il avait donné, avait servi aux besoins des libanais. A ce moment, il soutient que sa vie avait changé et qu'il n'était plus aussi impliqué dans la cause libanaise.

[8]                 L'appelant n'a pas conservé ses comptes bancaires. Il a déménagé à quelques reprises au cours des années 1990, 1991, 1992 et 1993 et il ne garde pas ses filières au-delà de trois à quatre ans. Il n'a pas fait de démarches non plus auprès de la Banque Royale, avec qui il transigeait à cette époque, pour retracer ses livrets bancaires. Il dit ne plus faire affaire avec cette banque qu'il a quitté en plus ou moins bon termes.

[9]            Les revenus de l'appelant s'élevaient à environ 37 000 $ en 1990. Ses revenus sont passés à environ 52 000 $ en 1991 et 1992 et en 1993 et 1994, l'appelant a généré 80 000 $ de revenus. Il a commencé à contribuer à des RÉER en 1993.

[10]          Il explique que son frère était beaucoup plus jeune à cette époque pour faire des dons. Il était encore un étudiant et sa soeur n'habitait pas au Canada.

[11]          L'intimée a fait témoigner monsieur Adel Bassal et madame Mariette Chamberland qui ont tous deux dit qu'ils avaient été de connivence avec l'Ordre au cours des années en litige en remettant des sommes d'argent à l'Ordre en contrepartie d'un reçu indiquant la valeur d'un don beaucoup plus élevée qu'elle ne l'était en réalité.

[12]                 Finalement, les témoignages de Colette Langelier et Gaétan Ouellette, agent et enquêteur respectivement pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ont fait ressortir la fraude entourant l'établissement de faux reçus par l'Ordre au cours des années en litige. Le stratagème consistait pour l'Ordre à établir des reçus indiquant une valeur d'en moyenne cinq fois plus élevée que le montant du don comme tel. Au-delà de mille contribuables se sont vus refuser le crédit pour dons de bienfaisance sur la foi des faux reçus établis par l'Ordre. Selon un calcul effectué par madame Langelier (pièce I-13), les contribuables ayant participé à ce stratagème retiraient un avantage monétaire allant au-delà du simple crédit fiscal. Ainsi, pour un montant de 7 000 $ indiqué sur un reçu pour lequel un contribuable n'aurait donné que 20 pour cent, soit 1 400 $, ce même contribuable allait chercher un crédit (fédéral et provincial) pour dons de bienfaisance de 3 400 $. Ce même contribuable réalisait ainsi un gain de 2 000 $.

[13]                 Toujours selon madame Langelier, ce stratagème pouvait bien avoir été conçu pour permettre à l'Ordre de financer ses frais administratifs. De fait, un organisme de charité ne peut allouer plus de dix pour cent des sommes établies sur les reçus à des fins autres que charitables. Comme l'Ordre avait des frais fixes assez élevés, le stratagème élaboré lui permettait d'octroyer davantage d'argent à ses frais fixes, tout en attirant des donateurs qui en retiraient un avantage monétaire. D'ailleurs, selon madame Langelier, les états financiers de l'Ordre ne montraient pas au bilan le total des sommes qui auraient dû être reçues si le montant indiqué aux reçus reflétait le montant réel versé à l'Ordre. Ainsi, selon elle, il est beaucoup plus plausible de prétendre que l'Ordre a établi des faux reçus pour le bénéfice des donateurs que de prétendre que l'Ordre a détourné les dons remis par les donateurs à ses fins propres.

[14]          Par ailleurs, il a été impossible de retracer quoi que ce soit sur les dons en argent comptant, l'Ordre n'ayant inscrit ces dons dans aucun registre. De plus, l'Ordre n'a pu retracer aucune de ces sommes dans ses coffres-forts ou dans ses comptes bancaires. Finalement, madame Langelier a pu constater que la plupart des reçus établis avaient été antidatés à la fin de l'année pour laquelle les contribuables produisaient leurs déclarations de revenus.

[15]          Quant à monsieur Ouellette, il a saisi un document lors de son enquête, le " Bibliorec ", qui met à jour la fraude reliée à l'établissement des faux reçus pour l'année 1993. Il n'a pu mettre la main sur un document similaire pour les autres années. Par ailleurs, son enquête a révélé que n'apparaissait pas sur ce Bibliorec le nom de tous les donateurs ayant participé à ce stratagème.

[16]                 Concernant plus particulièrement l'appelant, celui-ci prétend avoir fait des dons à l'Ordre en argent comptant de 7 000 $ en 1990, 6 000 $ en 1991, 5 000 $ en 1992 et 6 000 $ en 1993. Selon un document préparé par madame Langelier, le revenu net de l'appelant s'élevait à 37 352 $, 51 681 $, 52 346 $ et 78 834 $ pour chacune de ces années respectivement. Selon ce même document (pièce I-14), son revenu net disponible (après déduction des impôts et autres cotisations, des frais médicaux et ses frais d'éducation), s'élevait à 27 112 $ en 1990, 36 109 $ en 1991, 34 849 $ en 1992 et à 50 282 $ en 1993. On remarque à la lecture de ce document, que les revenus de l'appelant augmentent de façon importante après 1993, (jusqu'à 293 000 $ en 1998 et 219 000 $ en 1999), mais que l'appelant a cessé de faire toute donation importante après 1993.

Argument de l'intimée

[17]          C'est à l'intimée que revient le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou qu'il a commis quelque fraude en produisant sa déclaration de revenus. Ne pouvant faire une preuve directe, puisque lors de l'enquête aucun registre n'a été retrouvé sur les dons en espèces, l'intimée a dû procéder par preuve circonstancielle. Elle doit démontrer selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant n'a pas réellement fait ces dons en argent ou, que s'il a fait des dons, c'est pour une somme inférieure aux montants indiqués sur les reçus.

[18]                 L'avocate de l'intimée soutient qu'il faut tirer une inférence négative du fait que l'appelant n'a pas apporté d'autre preuve que son témoignage à l'audition. En effet, alors qu'il avait été sommé par subpoena duces tecum d'apporter les états bancaires pouvant retracer les dons qu'il prétend avoir effectués, ce dernier n'a fait aucun effort pour tenter de les retracer.

[19]          De plus, l'appelant suggère dans son témoignage qu'il allait porter au moins deux fois par année des sommes d'argent au monastère et que les pères gardaient des notes dans un livre du montant qu'il donnait - lui-même ne gardant pas de notes personnelles. Si tel est vraiment le cas, il est permis de se questionner pourquoi l'appelant n'a pas tenté de récupérer ce registre contenant toutes les informations ou de contacter les prêtres avec qui il avait fait affaire pour tenter d'établir qu'il avait réellement fait des dons. Compte tenu du témoignage de madame Langelier, il est plus probable qu'un tel registre n'existait pas. De plus, l'appelant a dit dans son témoignage qu'il faisait affaire avec les pères Joseph El-Kamar et Claude Nadras et que les reçus étaient préparés devant lui et remis en mains propres. Or, il semble d'après les reçus établis pour les années 1992 et 1993 (pièce I-1, onglet 4) que ce ne soit ni le père Joseph El-Kamar ni le père Claude Nadras qui aient signé ces deux derniers reçus. C'est ce qui ressort également de la vérification effectuée par madame Langelier qui a constaté que la signature de ces deux reçus ne correspondait pas à la signature du père Claude Nadras, qu'elle avait vue sur d'autres documents bancaires.

[20]          Bien que les prêtres n'étaient pas présents pour attester de leur signature, l'intimée soutient que ces éléments sèment un doute sur la fiabilité des reçus établis à l'attention de l'appelant de même que sur la crédibilité de l'appelant.

[21]          Selon l'avocate de l'intimée, le témoignage de l'appelant est peu crédible et doit être écarté. Il dit avoir entendu parler d'un détournement de fonds par l'Ordre (" money mishandling ") dans les journaux en janvier 1996. Or, cet article de journal (pièce I-17) parle de l'établissement de faux reçus par l'Ordre et non de détournement de fonds. A ce moment, l'appelant n'a pas jugé opportun d'aller récupérer une preuve des dons qu'il aurait faits. Il prétend qu'il voulait alors prendre une certaine distance avec l'Ordre. Son témoignage indique qu'il ne se rappelait pas combien il avait donné à l'Ordre, mais il savait qu'il avait donné beaucoup. Il est étonnant dès lors qu'ayant pris connaissance de la fraude impliquant l'Ordre, l'appelant n'ait effectué aucune démarche pour s'assurer de la validité des reçus qui lui avaient été remis.

[22]          Par ailleurs, l'avocate soutient que le témoignage de l'appelant a été très évasif, plus particulièrement en ce qui concerne les personnes qui l'ont mis en contact avec l'Ordre, sur son rôle auprès de la communauté libanaise et maronite de même que sur sa façon d'effectuer les dons en question. Comment peut-il prétendre qu'il était plus ou moins impliqué dans cette communauté (page 53 de la transcription de son témoignage) et en même temps faire des dons aussi généreux à cette même communauté? Comment l'appelant peut-il expliquer qu'il a cessé de faire tout don à cette communauté après 1993 (ne serait-ce qu'un don minimum) alors qu'il prétend n'avoir pris connaissance de la fraude qu'en janvier 1996 et que ses revenus ont augmenté de façon importante à compter de 1993? Dans son avis d'appel, l'appelant tente d'expliquer ceci par sa situation financière qui aurait changé par suite de son mariage. Or, l'appelant s'est marié en 1992 et il aurait continué à faire des dons en 1992 et 1993 pour des sommes aussi importantes.

[23]          Selon l'avocate de l'intimée, il est plus probable que l'appelant ait cessé de faire des dons à l'Ordre en 1994 parce que l'enquête de Revenu Canada avait débuté à l'automne 1994. Or, comme il est plus que probable selon le témoignage de madame Langelier que l'appelant recevait un reçu au moment de préparer sa déclaration de revenu de l'année précédente, soit au printemps 1995 pour l'année 1994, l'Ordre avait à ce moment cessé d'établir des faux reçus. Ceci expliquerait pourquoi l'appelant n'indiquait plus de dons à l'Ordre dans les années 1994 et suivantes.

[24]          De plus, au cours des années en litige, l'appelant n'a pu donner d'explications précises sur ses responsabilités financières (tel le montant de l'hypothèque à payer). Il s'est contenté de dire qu'il n'avait aucune obligation financière puisqu'il habitait avec ses parents. Or, il ressort de son témoignage que ce sont ses parents qui habitaient avec lui et non le contraire (pages 123-124 de la transcription de son témoignage).

[25]                 L'avocate conclut de la preuve qu'il est plus que probable que l'appelant ait été mis au courant du stratagème utilisé par l'Ordre et qu'il y ait participé pour les raisons suivantes: 1) les prêtres impliqués dans ce stratagème, les pères Joseph El-Kamar et Claude Nadras (selon le témoignage d'Adel Bassal, pages 151-152 de la transcription), étaient en contact constant avec l'appelant au cours des années en litige; 2) l'appelant prétend avoir fait des dons substantiels en argent sans aucune preuve documentaire; 3) l'appelant a fait des dons importants seulement au cours des années où avait eu lieu ce stratagème; 4) le témoignage de l'appelant était vague et imprécis, voire parfois contradictoire. L'avocate conclut qu'il serait très étonnant que l'appelant ait été mis à l'écart de ce stratagème dans les circonstances.

[26]                 L'avocate de l'intimée soutient donc qu'il existe une prépondérance de preuve que l'appelant n'a pas fait de dons pour les montants indiqués sur les reçus qui lui ont été remis. Selon elle, l'appelant visait à se faire compenser non seulement du montant remis à l'Ordre, mais à faire un profit à partir du crédit d'impôt obtenu.

[27]          Elle considère donc qu'il n'y a eu aucune intention libérale de donner et qu'on ne peut donc parler de dons en l'espèce. Elle s'appuie sur deux décisions de la Cour d'appel fédérale dans Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (Q.L.), et La Reine c. Burns, 88 DTC 6101 (C.F.), confirmé par 90 DTC 6335 (C.A.F.) pour soutenir qu'on ne peut parler de don lorsque le contribuable qui prétend au don en a tiré un avantage au lieu de s'appauvrir. D'une part, le juge Linden disait ce qui suit dans l'arrêt Friedberg, à la page 2 :

Par conséquent, un don est le transfert volontaire du bien d'un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d'avantage ni de contrepartie (voir le juge Heald dans La Reine c. Zandstra [1974] 2 C.F. 254, à la p. 261). L'avantage fiscal qui est conféré par un don n'est généralement pas considéré comme un "avantage" au sens où on l'entend dans cette définition car s'il en était ainsi, bien des donateurs seraient dans l'impossibilité de se prévaloir des déductions relatives aux dons de charité.

D'autre part, le juge Pinard de la Division de première instance de la Cour fédérale disait ce qui suit dans l'arrêt Burns à la page 6105 :

[TRADUCTION]

J'aimerais souligner que l'élément essentiel d'un don est l'élément intentionnel que le droit romain a précisé comme animus donandi ou l'intention libérale (voir Mazeaud, Leçon de Droit Civil, tome 4ième, 2ième volume, 4ième édition, no 1325, page 545). Le donateur doit être conscient qu'il ne recevra pas de contrepartie autre qu'un avantage purement moral; il doit être prêt à s'appauvrir dans l'intérêt du bénéficiaire du don sans recevoir aucune contrepartie.

[28]                 L'avocate de l'intimée soutient également que les reçus ne rencontrent pas les exigences imposées par l'article 118.1 de la Loi et de l'article 3501 des Règlements de l'impôt sur le revenu (par exemple, la date sur le reçu ne serait pas conforme aux dates réelles des dons et les montants indiqués ne seraient pas exacts).

[29]          Elle conclut finalement à la faute lourde de l'appelant et au maintien de la pénalité sous le paragraphe 163(2) de la Loi.

Argument de l'appelant

[30]          L'avocat de l'appelant soutient que l'appelant fut introduit à l'Ordre par d'anciens amis et qu'il s'est senti obligé de participer financièrement au projet de l'Ordre de venir en aide aux libanais en faisant des dons de bienfaisance. Ayant peu de responsabilités financières dans les années en litige, l'appelant était en mesure de contribuer généreusement. Selon l'avocat, l'appelant a cessé de contribuer à l'Ordre après son mariage alors que ses obligations financières ont changé. Il a rénové la maison dans laquelle il habitait pour la vendre et s'acheter une maison plus grande. C'est à la demande des pères Joseph El-Kamar et Claude Nadras que l'appelant aurait remis l'argent comptant pour lequel il recevait un reçu en fin d'année. Selon l'avocat, l'appelant a donné en toute sincérité et n'était pas en mesure de contrôler les agissements de l'Ordre. L'appelant n'était ni un employé ni un agent de l'Ordre.

[31]          L'avocat réitère que c'est l'intimée qui a le fardeau de prouver que l'appelant a pris une part active à ce stratagème frauduleux selon une preuve plus que prépondérante. Selon l'avocat, l'intimée ne s'est pas acquittée de cette preuve. L'appelant ne connaissait pas les deux témoins qui ont dit avoir participé à ce stratagème. De plus, l'avocat estime que l'intimée s'est appuyée sur une preuve de ouï-dire, d'opinions et de spéculation, laquelle preuve est inacceptable dans les circonstances.

Analyse

[32]          En réponse à l'argument de l'appelant relativement à la preuve offerte par l'intimée, je considère que l'intimée, qui a le fardeau de preuve dans la présente instance, a tenté de faire sa preuve par présomptions compte tenu qu'elle n'était pas en mesure de faire une preuve directe. Une telle preuve est tout à fait recevable pour tenter de prouver de façon suffisamment convaincante la justesse de ses prétentions (voir Canadian Titanium Pigments Ltd. v. Fratelli D'Amico Armatori, [1979] A.C.F. no 206 (Q.L.), (C.F.)).

[33]          Quant à la question du degré de preuve, il incombe à l'intimée de démontrer selon la simple prépondérance des probabilités que les cotisations sont bien fondées, (voir Hickman Motors Ltd. v. The Queen, [1997] 2 R.C.S. 336) et ce, même s'il y a allégation de conduite moralement blâmable qui puisse revêtir un aspect pénal, lorsque l'allégation se présente dans le cadre d'un litige civil, ce qui est le cas en l'espèce (voir Continental Insurance Company v. Dalton Cartage Co. et al., [1982] 1 R.C.S. 164). Pour rencontrer ce fardeau, l'intimée doit convaincre la Cour de l'existence d'un fait qui soit plus probable que son inexistence (voir Jean-Claude Royer, La Preuve Civile, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1995 pp.98-102).

[34]          Dans les circonstances, je suis d'avis que l'intimée a fait une preuve suffisamment convaincante pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, l'appelant était au courant du stratagème frauduleux élaboré par l'Ordre au cours des années en litige et qu'il y a participé.

[35]          Le témoignage évasif et parfois exaspéré de l'appelant jette un doute sérieux sur la crédibilité de son témoignage. Alors qu'il disait n'avoir aucune responsabilité financière, il est ressorti plus tard de son témoignage que c'est lui qui dans les faits hébergeait ses parents, et non le contraire. Il a par la suite répondu de façon très ambigüe à la question à savoir combien il lui en coûtait pour faire vivre la maisonnée. Il est donc difficile de croire, dans les circonstances, qu'il n'avait aucune responsabilité financière.

[36]          Par ailleurs, il ne ressort pas clairement de son témoignage pour quelles raisons il a cessé de faire des dons substantiels à compter de l'année 1994. Dans son avis d'appel, il soulevait qu'il s'était marié et que ses priorités avaient changé. Or, la preuve a révélé qu'il s'est marié en 1992. Cette explication ne tient plus quand on constate qu'il a continué à indiquer des dons importants à l'Ordre en 1992 et 1993. Je suis du même avis que l'avocate de l'intimée qu'il est beaucoup plus probable, compte tenu de la preuve, que ce dernier a cessé de réclamer tout don de bienfaisance en 1994 parce que l'Ordre, qui était sous enquête, avait cessé d'établir de faux reçus d'une valeur beaucoup plus élevée que la valeur réelle du don à compter de cette année-là.

[37]                 L'augmentation substantielle des revenus de l'appelant dans les années subséquentes, rattachée au fait que l'appelant n'a plus jamais fait de dons d'importance par la suite, le tout conjugué à la preuve abondante de l'intimée démontrant le stratagème frauduleux élaboré par l'Ordre, plus particulièrement par les pères Joseph El-Kamar et Claude Nadras avec qui l'appelant transigeait régulièrement, jette un doute sérieux sur le côté philanthropique de l'appelant.

[38]          Il est plus que probable que l'appelant ne recherchait que son profit personnel par ces prétendus dons faits à l'Ordre. Je considère le témoignage de l'appelant très peu crédible dans les circonstances et la preuve de l'intimée me convainc amplement, au-delà de la simple prépondérance des probabilités, que l'appelant a fort probablement participé à ce stratagème frauduleux et, en conséquence, a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Le Ministre pouvait donc recotiser après la période normale pour établir des nouvelles cotisations.

[39]          Par ailleurs, en concluant que l'appelant a participé à un tel stratagème, je ne peux conclure que l'appelant a fait un don au sens donné par les tribunaux. En effet, madame Langelier a démontré qu'en agissant ainsi, l'appelant, non seulement récupérait sa mise de fonds, mais tirait en plus un bénéfice par le jeu du crédit d'impôt. En ce sens, non seulement il ne s'est pas appauvri, mais il a tiré un avantage qui va au-delà de l'avantage fiscal normalement prévu par la Loi.

[40]          On ne peut donc parler d'appauvrissement mais d'enrichissement dans les circonstances. Je suis du même avis que l'intimée qu'il n'y a eu aucun don en l'espèce, au sens de l'article 118.1 de la Loi.

[41]          Par ailleurs, je suis également d'avis que le Ministre a démontré par prépondérance de preuve que l'appelant a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission lors de la production de ses déclarations de revenu au cours des années en litige. Les pénalités cotisées aux termes du paragraphe 163(2) sont donc maintenues.

[42]          Les appels sont en conséquence rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2001.

" Lucie Lamarre "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                       1999-4871(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                Jay Bassila c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      le 26 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                                l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                                         le 24 août 2001

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant(e) :                                       Me Nabih Srougi

Avocate de l'intimé(e) :                                              Me Nathalie Lessard

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                                       Me Nabih Srougi

                                Étude :                                     1500, du Collège, Suite 350

                                                                                                Ville St-Laurent (Québec) H4L 5G6

Pour l'intimé(e) :                                                            Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

1999-4871(IT)I

ENTRE :

JAY BASSILA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 26 juin 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Avocat de l'appelant :              Me Nabih Srougi

Avocate de l'intimée :                Me Nathalie Lessard

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2001.

" Lucie Lamarre "

J.C.C.I.


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