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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-730(GST)G

ENTRE :

DOUGLAS SCOTT COCHRAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 8 et 11 mai 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge Diane Campbell

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me Lisa Macdonell

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 15 octobre 1998 et porte le numéro 20970, est accueilli, avec
dépens, et la cotisation établie en vertu de l'article 323 est infirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mai 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20011214

Dossier : 1999-730(GST)G

ENTRE :

DOUGLAS SCOTT COCHRAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Campbell, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) à l'endroit de l'appelant, qui était administrateur d'Eco Superwood B.C. Ltd. ( « Eco » ) pendant la période pertinente, soit du 1er août 1991 au 30 avril 1995. Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant pour la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) non versée au motif que l'appelant, à titre d'administrateur, n'avait pas exercé le soin, la diligence et la compétence nécessaires pour prévenir le manquement d'Eco à l'obligation de verser la taxe nette.

[2]      Le paragraphe 323(1) de la Loi porte que les administrateurs d'une société sont responsables si cette dernière omet de verser les montants de TPS nette requis. Le paragraphe 323(3) accorde à l'administrateur un moyen de défense fondé sur la diligence :

Diligence - L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[3]      En raison du manquement par Eco à l'obligation de produire ses déclarations de TPS, une vérification a été lancée en octobre 1995 et le rapport subséquent a été complété en janvier 1996. Ce rapport a fondé la cotisation émise à l'endroit d'Eco pour la taxe non versée. Une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique portait qu'Eco était réputée avait fait une cession en faillite le 18 janvier 1996. À l'issue de l'administration de la faillite d'Eco, il ne restait plus d'argent pour payer la taxe.

Question préliminaire :

[4]      Pendant l'instance, l'appelant a soulevé la question de savoir si une partie de la période était frappée de prescription de sorte que le ministre ne pouvait pas faire de réclamation à son sujet. L'avocate de l'intimée a admis qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour s'acquitter du fardeau de la preuve et qu'elle ne donnerait pas de suite à la réclamation pour la période du 1er août 1991 au 31 octobre 1991. La période sur laquelle nous nous penchons est donc celle du 31 octobre 1991 au 30 avril 1995.

Les faits :

[5]      L'appelant est un avocat qui exerce dans les domaines du droit de la famille, du droit pénal et du droit des lésions corporelles. Non seulement l'appelant était-il administrateur d'Eco, mais il était également administrateur de la société mère d'Eco, MPI Metal Plast Inc. ( « MPI » ). En outre, il était vice-président d'Eco et président du conseil d'administration de cette société. C'est à la demande de son frère qu'il a assumé ces rôles. Ce frère, Thane J. Cochran, avait fondé Eco et, au départ, il avait demandé à l'appelant de donner des conseils juridiques.

[6]      Eco exploitait une entreprise de fabrication et de vente d'un produit appelé « Superwood » , substitut de bois de construction fait de déchets de plastique recyclés. À l'origine, la société comptait 50 investisseurs et elle a mobilisé suffisamment d'argent pour acheter deux extrudeuses provenant d'Irlande. Eco avait cinq administrateurs, dont l'un était l'appelant. Elle a débuté ses activités en Colombie-Britannique en 1991 et a commencé à produire des déclarations de TPS cette même année. Peu après, elle s'est retrouvée en procès avec une société transnationale, litige qui a duré un an et demi. Eco a gagné son procès, mais la société a dû suspendre ses activités pendant cette période. Elle a repris ses activités à la fin de 1992.

[7]      En janvier 1993, Eco a pris contact avec une société dénommée Lease West Financial en lui offrant de lui vendre son équipement pour ensuite le louer. Cette démarche, qui aurait permis à Eco d'obtenir du capital, n'a pas abouti.

[8]      Le 12 janvier 1993, l'appelant a conclu un contrat de prêt avec MPI et Eco, aux termes duquel il convenait de prêter 200 000 $ à MPI jusqu'au 31 janvier 1995 (le « contrat de prêt » ). En contrepartie du prêt, l'appelant a reçu des actions de MPI et a obtenu l'ensemble des biens actuels et futurs de MPI et d'Eco à titre de garantie. L'intérêt devait être versé à l'appelant tous les mois. L'appelant a contracté une deuxième hypothèque sur son domicile afin d'obtenir les fonds nécessaires au prêt.

[9]      En février 1993, Gordon Smith était élu administrateur d'Eco. Il a témoigné que l'une de ses premières mesures à titre de nouvel administrateur a été de proposer une résolution selon laquelle le versement des taxes devait recevoir la priorité. Cette résolution a été adoptée à l'unanimité des voix, y compris celle de l'appelant. D'après le témoignage de M. Smith, des comptes rendus réguliers ont été présentés lors des réunions subséquentes des administrateurs, indiquant que les versements devant être effectués par la société étaient toujours faits à temps; en ce qui concerne les rapports de TPS, ils avaient toujours montré un crédit jusqu'en septembre 1995.

[10]     En 1993 et 1994, la société a continué d'explorer différentes façons de mobiliser des capitaux. Dès 1993, elle a essayé de faire en sorte que MPI serait inscrite à la bourse de Vancouver. On a discuté d'une prise de contrôle inversée avec Protected Technologies Inc., mais ce projet était demeuré sans suite en 1995. L'inscription en bourse n'a pas abouti, et la société n'est pas devenue une société ouverte. En 1994, des efforts concertés ont également été déployés en vue de trouver des capitaux pour Eco par le biais de ses actionnaires. Un communiqué en date du 31 mai 1994 a été envoyé à tous les investisseurs actionnaires pour solliciter des fonds supplémentaires. Les autres investisseurs de la société ont également été sollicités, mais cet effort n'a presque rien donné, et l'appelant a fini par contribuer la plus grosse partie des sommes nécessaires pour assurer la survie de la société. Le 20 octobre 1995, il avait prêté à la société un total de 295 000 $. Le 31 janvier 1995, le contrat de prêt initial a été modifié afin de tenir compte des avances supplémentaires qui avaient été consenties par l'appelant. La date de remboursement était prorogée au 31 juillet 1995.

[11]     En février 1995, Eco a demandé un crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental ( « RSDE » ). D'après la preuve, le montant du crédit aurait suffi à régler tous les comptes de la société et à assurer la survie d'Eco.

[12]     D'après le témoignage de Gordon Smith, celui-ci a pris une part active aux efforts visant à mobiliser des fonds pour Eco en juin 1995, quand les difficultés financières de la société étaient devenues très graves. Il a déclaré qu'il s'était efforcé d'obtenir le crédit pour RSDE du gouvernement au nom de la société et à la demande du conseil d'administration. Il a également communiqué avec un fonctionnaire de Revenu Canada afin d'établir un calendrier de remboursement pour tout arriéré éventuel. Le crédit pour RSDE devait servir à payer les versements en souffrance éventuels. Avant l'intervention de M. Smith, la société avait engagé un cabinet comptable pour traiter la demande de subvention pour RSDE. M. Smith a témoigné qu'Eco avait essayé, mais en vain, de mobiliser des fonds par une variété d'autres moyens.

[13]     L'appelant a témoigné qu'il avait pris conscience du besoin de produire des déclarations de TPS en juin 1995. Il a déclaré que le comptable avait informé les administrateurs que les déclarations devaient être produites avant l'obtention du crédit pour RSDE. Une lettre demandant la production de déclarations de TPS avait en fait été envoyée au comptable de la société, Dan Huber, en novembre 1994, mais celle-ci n'a été transmise à Eco qu'en juin 1995. L'appelant a témoigné que M. Huber ne communiquait que de façon très irrégulière avec la société, ce qu'ont confirmé Gordon Smith et Thane J. Cochran, le frère de l'appelant. C'est peut-être ce qui explique que M. Huber n'ait transmis aux administrateurs d'Eco la demande de production de déclarations de TPS qu'en juin 1995. Avant cette demande datée de novembre 1994, Eco avait reçu de la correspondance l'avisant que son compte de TPS avait été fermé. Jusque là, la société avait un crédit relativement à la TPS. L'appelant a déclaré que dans son esprit, cela signifiait que :

[TRADUCTION]

[...] si nous voulions obtenir de l'argent pour un crédit, il faudrait le demander, mais sinon, il n'était pas nécessaire de continuer à produire des déclarations parce que nous n'avions jamais d'excédent de TPS.

L'appelant a déclaré que son frère, le président d'Eco, était responsable de la production des déclarations de TPS et des retenues à la source. C'était également son frère qui traitait avec le comptable de ces questions. Il a témoigné que son frère l'appelait pour obtenir de l'argent en vue de couvrir les versements au fur et à mesure, y compris les retenues à la source. Le témoignage de son frère vient confirmer cet arrangement. Vu les états financiers fournis à l'appelant, celui-ci ne pensait pas qu'il y avait de dette à l'égard de la TPS. En fait, l'appelant a témoigné que :

[TRADUCTION]

[...] dans mon esprit, nous étions toujours... nous recevions toujours un excédent d'argent en termes de TPS plutôt que d'en devoir.

L'appelant a déposé en preuve les états financiers consolidés de MPI, y compris les bilans pour 1993 et 1994, qui indiquaient un élément d'actif décrit comme un montant recouvrable au titre de la TPS. Pendant toute la période pertinente, il pensait que les crédits de taxe sur les intrants (CTI) seraient largement supérieurs à toute TPS à payer. Il a présenté en preuve un sommaire des déclarations de TPS produites. Pour la première période, avant le début du litige et la suspension temporaire des activités, on constate un crédit. Après la reprise des activités à l'automne 1992, la première série de déclarations a été envoyée à la même date en novembre 1993, indiquant un surplus de CTI par rapport à la TPS, et tous les rapports montraient un remboursement. D'après le témoignage de l'appelant, ceci concordait avec les montants qu'il avait investis dans la société dans le cadre de son exploitation, en vue de défrayer les coûts de démarrage, de réparation et d'entretien de l'équipement et d'autres dépenses engagées pour les activités de vente.

[14]     En août 1995, M. Smith s'est rendu compte que [TRADUCTION] « [...] la société était sur le point de faire faillite » . Il a déclaré avoir communiqué avec Greg Looey, de Revenu Canada, pour l'encourager à faire une réclamation relativement au crédit pour RSDE à l'égard des sommes exigibles de la société. M. Smith pensait que le compte de TPS de la société avait été fermé, mais à la suggestion de M. Looey, il a communiqué avec le service de la TPS. À ce moment-là, on lui a dit qu'une vérification devrait avoir lieu. M. Smith a déclaré qu'il avait également conseillé à Shashi Jaswal, la vérificatrice, de faire une réclamation relativement au crédit pour RSDE. Mme Jaswal ne se souvient pas de cela. J'accepte la version des événements donnée par M. Smith. Il n'a aucun intérêt personnel quant au résultat de l'appel interjeté par l'appelant et il a lui-même récemment participé à son propre appel relativement à ces mêmes faits.

[15]     En juillet 1995, les actionnaires ont reçu un plan de reprise financière (le « plan » ). Celui-ci prévoyait une injection de capitaux s'élevant à 50 000 $. Le plan mentionnait une dette d'environ 15 000 $ relativement à la TPS.

[16]     Le 25 août 1995, l'appelant a démissionné du conseil d'administration d'Eco et de MPI. Il a demandé un remboursement conformément à son contrat de prêt, modifié pour la deuxième fois en juillet 1995 pour tenir compte de nouvelles avances qu'il avait versées. Le 20 octobre 1995, l'appelant a réalisé sa garantie en saisissant les biens d'Eco et de MPI. Ces biens ont été évalués à 92 500 $.

[17]     En septembre 1995, des déclarations de TPS signées par le frère de l'appelant, Thane J. Cochran, étaient produites pour trois périodes de déclaration, du 1er novembre 1993 au 31 juillet 1994, mais aucun montant n'était payé. Le total de la TPS déclarée payable dans ces rapports s'élevait à 8 278,46 $, auquel s'ajoutaient les pénalités et les intérêts, donnant un total général de 10 168,17 $. Ces déclarations ont été produites après la démission de l'appelant à titre d'administrateur d'Eco. L'appelant a déclaré qu'à son avis ces rapports étaient erronés car ils ne tenaient pas suffisamment compte des ventes à l'exportation.

[18]     D'octobre 1995 à janvier 1996, Mme Jaswal a effectué une vérification de TPS relativement à Eco, aux anciens locaux de la société. M. Smith a témoigné qu'il avait réitéré son avis à Mme Jaswal que tout montant à payer devrait être prélevé à même le crédit pour RSDE. Il soutient fermement sa version des faits.

[19]     En décembre 1995, après qu'Eco eût fermé ses portes, un crédit pour RSDE de 66 000 $, après déduction de certaines retenues, a été émis. L'appelant a saisi ce chèque en arguant que ce montant faisait partie des biens d'Eco et qu'à ce titre il était couvert par sa garantie.

[20]     Une ordonnance de la Cour suprême de la Colombie-Britannique porte qu'Eco était réputée avoir fait une cession en faillite en date du 18 janvier 1996. Campbell & Saunders Ltd., le syndic d'Eco, a obtenu une ordonnance déclarant que la garantie détenue par l'appelant sur les biens d'Eco était nulle et inexécutable et enjoignant à l'appelant de rendre compte des montants reçus et de remettre tous les biens au syndic. L'appelant a interjeté appel à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, mais dans l'intervalle, un règlement est intervenu entre l'appelant et le syndic aux termes duquel l'appelant convenait de verser 35 000 $ au syndic. L'appelant a témoigné qu'il croyait que ce montant avait servi à payer les frais juridiques et les honoraires du syndic.

[21]     Par voie d'avis du 28 février 1996, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour Eco relativement aux montants de TPS non payés. Le montant de cette cotisation s'est ajouté aux autres arriérés d'impôt établis à l'endroit d'Eco. À l'issue des procédures de faillite, le syndic a avisé le ministre qu'il n'y avait plus de fonds disponibles pour rembourser les montants qu'il réclamait à Eco.

[22]     Dans son avis d'appel et à l'audience, l'appelant a déclaré que la cotisation établie par le ministre à l'endroit d'Eco pour les montants impayés de la TPS était erronée. Il soutient que les CTI ont été sous-estimés et que la vérificatrice n'a pas pleinement tenu compte des ventes à l'exportation d'Eco, lesquelles étaient exonérées de TPS. En outre, les déclarations de TPS pour trois périodes de déclaration, produites en septembre 1995 mais non accompagnées de paiement, excluaient de façon erronée les ventes à l'exportation; elles ont été produites après sa démission.

[23]     À l'audience, la vérificatrice, Mme Jaswal, a déclaré que tous les chiffres utilisés lors de sa vérification étaient tirés des livres et registres d'Eco. Elle a témoigné qu'elle avait accordé des CTI pour les dépenses d'exploitation d'Eco, relativement à la période pour laquelle les déclarations de TPS n'avaient pas été produites, d'après les factures qui lui avaient été fournies, puis qu'elle avait réparti les CTI sur la période couverte par la vérification. Elle affirme qu'elle avait accordé les CTI uniquement s'il y avait des pièces justificatives, comme l'exige la Loi. Elle a également témoigné que la cotisation était fondée sur le montant de TPS réellement prélevé par Eco d'après ses résumés des ventes, qu'elle a comparés aux factures. Pour confirmer les ventes à l'exportation, elle a passé en revue les documents de douane et les connaissements afin de connaître la destination des envois d'Eco. Elle a expliqué que les documents utilisés lors de la vérification était ceux qui restaient aux anciens locaux de la société. Après la vérification, ces documents auraient été remis au syndic. L'appelant a essayé, mais en vain, d'obtenir les documents du syndic et de l'ancien comptable d'Eco, Dan Huber.

Observations de l'appelant :

[24]     L'appelant soutient que la vérificatrice a évalué les CTI de façon erronée, en suggérant qu'elle aurait dû utiliser un autre moyen pour faire ce calcul. L'appelant a présenté trois autres méthodes possibles, dont il estime qu'elles produiraient des CTI jusqu'au triple du montant admis par la vérificatrice. La première méthode consistait à utiliser des périodes de vente comparables au cours desquelles Eco a déclaré un CTI. La deuxième était d'utiliser les deux périodes faisant immédiatement suite à la période visée par la vérification, soit le CTI déclaré par Envi Technologies Ltd. ( « Envi » ), la nouvelle société créée par l'appelant et son frère après la faillite d'Eco. La troisième consistait à utiliser les trois périodes faisant l'objet de déclarations par son frère, Thane J. Cochran, immédiatement avant la vérification.

[25]     L'appelant a déclaré que la vérificatrice avait sous-estimé les ventes à l'exportation, et que ses deux témoins, Thane J. Cochran et Gordon Smith, avaient témoigné que celles-ci représentaient 65 % à 70 % des ventes totales d'Eco pendant la période pertinente. L'appelant lui-même avait témoigné qu'Eco avait un client principal, Aluma Systems. Quoique le siège social d'Aluma se trouvait en Ontario, l'appelant a déclaré que la majeure partie des activités de la société se déroulait aux États-Unis. Les factures envoyées par Eco étaient adressées au bureau ontarien d'Aluma, mais la plupart des produits fabriqués par Eco pour Aluma étaient expédiés directement aux filiales américaines de celle-ci. Il s'agirait donc d'un produit d'exportation exonéré de TPS, même s'il était commandé par le bureau ontarien d'Aluma. L'appelant a relevé le témoignage de la vérificatrice qui déclare qu'elle aurait considéré une facture portant une adresse en Ontario comme correspondant à une vente intérieure et l'aurait traitée comme telle. L'appelant a déclaré que les rapports signés par Thane J. Cochran et produits en septembre 1995 étaient erronés car ils ne tenaient pas compte de ces ventes à l'exportation. Ce fait, conjugué aux fortes sommes dépensées par Eco pour la réparation et l'entretien de l'outillage, aurait une incidence importante sur les montants des CTI et de la TPS à payer.

[26]     La deuxième question soulevée par l'appelant dans ses observations porte sur la diligence raisonnable. L'appelant a témoigné que le ministre avait utilisé un critère excessivement sévère. L'appelant a renvoyé la Cour à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Smith c. Sa Majesté La Reine, no A-154-00, 26 mars 2002, 2001 D.T.C. 5226 (C.A.F.), où il avait été décidé qu'un autre administrateur d'Eco avait satisfait au critère de la diligence raisonnable et n'était pas tenu responsable du défaut de paiement de la TPS par Eco. L'appelant a soutenu qu'il n'y avait pas de différence importante entre lui-même et l'appelant dans l'affaire Smith en termes de formation et d'expérience, même si l'appelant dans l'affaire Smith était un enseignant à la retraite et l'appelant en l'espèce est un avocat. L'appelant a déclaré que le fait d'être un avocat ne lui donne pas forcément de la sagesse en matière financière. L'appelant a également déclaré que sa façon de continuer d'investir de l'argent dans une société qui connaissait de graves difficultés financières ne correspondait pas aux actes d'un homme d'affaires aguerri. L'appelant a également affirmé qu'il n'intervenait que très peu dans les activités courantes d'Eco, qui étaient confiées à son frère. Il affirme que son principal souci était de gérer son cabinet d'avocat afin que l'argent soit disponible pour les injections de fonds nécessaires.

[27]     Il a également affirmé que du temps où il était administrateur, toutes les déclarations de TPS donnaient lieu à des remboursements. Par conséquent, il n'avait aucun motif de croire qu'il y avait des montants de TPS à payer. Il a déclaré qu'il finançait constamment les activités d'Eco, car le revenu était inférieur aux dépenses, y compris le versement de retenues à la source. Après avoir démissionné du conseil d'administration, il a encore consenti une avance de 14 000 $ en espèces. Après sa démission comme administrateur et sa saisie des biens d'Eco, sa nouvelle société, Envi, a continué à verser les salaires, à effectuer les versements au Receveur général, à payer le loyer et à effectuer les retenues à la source qui étaient en souffrance.

[28]     L'appelant a affirmé que Gordon Smith s'occupait du problème potentiel lié à la TPS au nom de tous les administrateurs. Il estime que si M. Smith satisfait au critère de la diligence raisonnable, les autres administrateurs y satisfont également. L'appelant mentionne le fait que les préposés au RSDE avaient déclaré à M. Smith que les fonds de RSDE étaient « verrouillés » en vue de l'acquittement de la dette fiscale d'Eco. L'appelant a déclaré avoir coopéré avec les tentatives de M. Smith en vue d'utiliser le crédit pour RSDE pour s'acquitter de cette créance fiscale.

[29]     L'appelant a déclaré dans son témoignage qu'il ne disposait que du document de la vérification et qu'il n'a pu obtenir les documents originaux ou les factures du comptable de la société et du syndic. Sans s'étendre sur cette question, l'appelant et Gordon Smith ont parlé de la détérioration des rapports entre les administrateurs d'Eco et le syndic. En raison du manque de documentation, il a déclaré être dans l'impossibilité d'expliquer exactement les erreurs touchant les CTI.

[30]     L'appelant a témoigné que la décision d'interrompre les avances à la société dépendait plus de la volonté de la banque que de la sienne. Il avait utilisé la valeur nette de sa maison, ses cartes de crédit et ses lignes de crédit, et la banque avait cessé de lui avancer de l'argent.

Observations de l'intimée :

[31]     En ce qui concerne l'exactitude de la vérification au sujet de la TPS, l'avocate de l'intimée, au nom du ministre, a déclaré que le rapport de la vérificatrice était exact pour les raisons suivantes :

(a)       Mme Jaswal a tiré les chiffres concernant les CTI des factures mêmes émises au cours de la période visée par la vérification, conformément aux exigences de l'article 169 de la Loi (qui porte que les CTI ne sont accordés que s'il existe des pièces justificatives).

(b)      Le montant de la TPS doit être fondé sur des ventes réelles, sur le montant réel de TPS prélevé et sur les CTI réellement étayés par la preuve. Il ne convient donc pas de calculer le montant de TPS à payer par Eco en fonction de périodes précédentes ou subséquentes, comme le veut l'appelant.

(c)      D'après son témoignage à l'audience, Mme Jaswal a étudié les connaissements et les déclarations de douane d'Eco pour confirmer ses ventes à l'exportation.

(d)      Mme Jaswal a calculé la TPS en fonction des montants de TPS perçus d'après les factures et les résumés de vente d'Eco.

[32]     Quant à la question du montant, l'intimée estime que l'appelant est solidairement responsable de tous les montants exigibles avant le 30 avril 1995, sauf pour la période que l'avocate reconnaît frappée de prescription, et déduction faite des crédits de TPS réclamés par le syndic après la faillite d'Eco.

[33]     L'intimée estime que les faits suivants prouvent que l'appelant était un administrateur interne :

(a)       l'appelant était vice-président d'Eco, président du conseil et administrateur de la société mère d'Eco;

(b)      l'appelant participait aux activités de levée de fonds d'Eco;

(c)      l'appelant a traité avec le gouvernement de la Colombie-Britannique au nom d'Eco relativement à l'appel d'une cotisation de taxe de vente provinciale;

(d)      l'appelant a négocié avec la majorité des créanciers d'Eco lors de la proposition concordataire de 1992;

(e)       l'appelant a communiqué avec les actionnaires de la société mère d'Eco au nom du conseil d'Eco;

(f)       l'appelant a admis qu'il était en mesure d'influencer les activités commerciales d'Eco;

(g)      l'appelant, avec son frère, détenait le tiers des actions émises de la société mère d'Eco.

[34]     L'intimée soutient que l'appelant avait un rôle important à jouer dans la gestion d'Eco, affirmation qui serait confirmée par la preuve. Il a également été affirmé que la cause en l'espèce était similaire à l'affaire Stein c. La Reine, no 97-1180(GST)G, 22 juin 1999, [1999] G.S.T.C. 64 (C.C.I.), où la Cour canadienne de l'impôt a déclaré qu'un administrateur était un administrateur interne même s'il ne participait pas aux activités courantes de la société en raison de l'influence qu'il avait sur les affaires de la société. Il a été soutenu que cette influence était attestée par le fait que l'appelant avait garanti la marge de crédit de la société et qu'il était signataire autorisé auprès de la banque.

[35]     Peu importe si l'appelant est considéré comme un administrateur interne ou externe, l'intimée soutient qu'il serait responsable parce qu'il savait que la TPS n'était pas versée et qu'il n'avait pas le droit de compter sur d'autres personnes pour assurer le versement de la TPS aux dates prévues. L'intimée a mentionné le fait que l'appelant finançait les pertes d'Eco comme preuve de sa connaissance.

[36]     L'intimée a renvoyé la Cour à l'affaire Canada (Procureur général) c. McKinno, [2001] 2 C.F. 203, 2000 D.T.C. 6593 (C.A.F.), où il est affirmé qu'on doit tenir compte des caractéristiques des administrateurs dont la conduite est en jeu, y compris leur niveau de compétence, d'expérience et de savoir. En l'espèce, l'intimée a souligné le fait que l'appelant était un avocat qui était au courant des obligations d'un administrateur. L'intimée soutient que l'appelant devait être au courant de l'obligation de verser la TPS, puisqu'il s'occupait de ce genre de versements dans son cabinet. L'intimée a également mentionné les affaires Ewachniuk c. La Reine, no 96-1954(GST)I, 9 avril 1997, [1997] G.S.T.C. 29 (C.C.I.) et Gregory v. M.N.R, C.C.I., no 89-2521(IT), 28 décembre 1990, où la Cour de l'impôt a statué que la compétence et le savoir de l'appelant en tant qu'avocat lui imposaient un fardeau plus lourd lorsqu'il s'acquittait de fonctions d'administrateur.

[37]     L'intimée estime que l'appelant ne peut invoquer la diligence raisonnable de Gordon Smith, car l'intervention de celui-ci se situe principalement après juin 1995, et donc après la période visée par la cotisation de l'appelant.

[38]     L'intimée suggère qu'il est possible de faire une distinction entre l'affaire Smith et la cause présente. Elle soutient que M. Smith était un enseignant sans formation ni expérience en affaires, qu'il était un actionnaire minoritaire et un administrateur externe jusqu'en juin 1995. Elle affirme que l'appelant était un avocat qui avait déjà eu affaire à des déclarations de TPS, un administrateur interne, un actionnaire important dans la société mère d'Eco et un investisseur important dans Eco.

[39]     Le ministre a critiqué les affirmations de l'appelant selon lesquelles les montants qu'il avait contribués à Eco servaient à étayer sa diligence raisonnable, puisqu'ils étaient utilisés pour payer le Receveur général et d'autres créanciers. L'intimée estime que l'appelant a reçu une compensation sous forme d'actions de la société mère d'Eco, et que, de toute manière, il n'existe pas de preuve que l'appelant ait demandé que les montants qu'il a versés servent à payer la TPS.

[40]     L'intimée affirme que malgré le fait que l'appelant était conscient de l'aggravation du déficit d'Eco, il n'a rien fait pour s'informer au sujet des paiements de TPS. Or, d'après la décision rendue dans l'affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, 97 D.T.C. 5407 (C.A.F.), même un administrateur externe est tenu de s'informer au sujet du versement des paiements de TPS.

[41]     Pour terminer, l'intimée soutient que les déclarations de TPS n'avaient été produites qu'en septembre 1995 pour la période de novembre 1993 à juillet 1994, et qu'aucune déclaration n'avait jamais été produite pour la période d'août 1994 à octobre 1995. L'intimée affirme que l'appelant savait qu'Eco prélevait la TPS sur les fournitures taxables pendant cette période, mais qu'il n'a rien fait pour assurer la production de déclarations.

Questions en litige :

[42]     L'appel soulève deux questions :

          (a) la cotisation de TPS à l'égard d'Eco était-elle entachée d'erreur?

(b) l'appelant, à titre d'administrateur d'Eco, a-t-il agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement d'Eco à l'obligation de verser la taxe nette que l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances?

Conclusion :

Question n º 1        La cotisation de TPS à l'égard d'Eco était-elle entachée d'erreur?

[43]     Pendant l'audience, on a passé beaucoup de temps à débattre du montant même de la cotisation. Il est donc impératif pour moi de traiter de cette question.

[44]     Dans ce genre de cause, le fardeau de démontrer que la cotisation est erronée repose sur l'appelant.

[45]     En cas de différend concernant le calcul de la taxe ou des crédits, l'appelant est tenu de produire des pièces justificatives à l'appui de son calcul s'il est différent de celui du ministre.

[46]     Conformément à l'alinéa 169(4)a) de la Loi, l'appelant ne peut pas réclamer de CTI à moins de produire des pièces justificatives à l'appui de sa demande. Les renseignements requis en vertu de l'alinéa 169(4)a) de la Loi sont décrits de manière plus précise dans le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants, DORS/91-45. Pour que l'appelant puisse demander les CTI, il doit produire des factures montrant les renseignements visés par règlement.

[47]     Dans l'affaire Spectra Development Corp. c. La Reine, no 97-2906(GST)I, 21 mai 1998, [1998] G.S.T.C. 54 (C.C.I.), le juge Bowman (titre qu'il portait alors) a examiné l'appel d'une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise où le ministre avait refusé une demande de CTI. L'appelante affirmait qu'elle avait le droit de recouvrer la TPS qu'elle avait versée pour la fourniture de biens et de services. L'appel a été rejeté parce que la preuve n'établissait pas de prime abord que l'appelante avait droit aux CTI, puisqu'elle n'avait pas prouvé que la TPS avait était versée en son nom ou qu'elle avait hérité de CTI. Le juge Bowman a déclaré, aux paragraphes 3 et 4 de ses motifs :

[3] L'article 169 de la Loi sur la taxe d'accise permet à un inscrit de recouvrer de la TPS qu'il a payée relativement à une fourniture de biens ou services. Essentiellement, le processus du paiement, de la perception et du recouvrement de la TPS s'applique à chaque étape des opérations au terme desquelles des produits ou services parviennent au consommateur final, qui est responsable du paiement de la taxe en fin de compte.

[4] Parmi les conditions à remplir avant qu'un inscrit soit en droit de demander un CTI, il faut que l'inscrit ait acquis une fourniture de biens ou services et qu'il ait payé de la TPS à cet égard. Le paragraphe 169(4) impose de strictes exigences en matière de renseignements relatifs à une demande de CTI, et le Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants va encore plus loin.

[48]     En l'espèce, l'appelant soutient que la cotisation de TPS sous-estimait les CTI. Toutefois, lors de l'audience, la vérificatrice a expliqué qu'elle avait utilisé les livres et registres de la société pour calculer les CTI admissibles. Cette façon de procéder est conforme à la loi et à la jurisprudence. L'appelant n'a pas produit de documentation pouvant suffire à appuyer sa demande de CTI supplémentaires. Il a déclaré qu'il ne disposait pas de tels documents et qu'il lui était donc impossible de les produire à l'appui de son allégation que les CTI avaient été calculés de façon erronée. Toutefois, cela ne suffit pas pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui repose sur lui.

[49]     L'appelant affirme que la cotisation de TPS était trop élevée et comprenait des ventes à l'exportation qui aurait dû être exemptées de TPS. La preuve montre cependant que Mme Jaswal a passé en revue les résumés de vente d'Eco lors du calcul de l'obligation quant à la TPS et que ces résumés avaient été comparés aux factures. Elle a témoigné que ces résumés et factures indiquaient la TPS perçue par Eco de ses clients. Elle a déclaré que c'était les chiffres qu'elle avait utilisés pour calculer la TPS à payer par Eco. Lors du contre-interrogatoire, toutefois, Mme Jaswal a admis qu'elle considérerait une facture portant une adresse ontarienne comme celle d'Aluma Systems comme correspondant à une vente interne, non comme une vente à l'exportation.

[50]     Deux facteurs réduisent la cotisation initiale du ministre. Le premier correspond à la période frappée de prescription et le deuxième, aux crédits admis pendant la période où le syndic gérait Eco. Ces crédits ont été appliqués de façon à réduire la TPS pendant la période allant du 1er novembre 1993 au 31 janvier 1994.

[51]     La cotisation du ministre, déduction faite de la période frappée de prescription et du crédit réclamé par le syndic, est confirmée. Par conséquent, le montant correct de la cotisation est de 16 530,55 $, montant qui comprend :

(a)      1 958,40 $ : du 1er novembre 1993 au 31 janvier 1994.

(3 196,04 $ pour la période du 1er novembre 1993 au 31 janvier 1994 déclarés payables par Eco le 13 septembre 1995 mais non payés, plus intérêts (323,44 $) et pénalités (321,92 $), moins 1 237,64 $ relativement aux crédits admis pour les périodes du 1er novembre 1995 au 31 janvier 1996 (981,03 $) et du 1er février 1996 au 30 avril 1996 (256,61 $) réclamés par le syndic d'Eco);

(b)     6 073,76 $ : du 1er février 1994 au 30 avril 1994.

(4 971,43 $ déclarés payables par Eco le 13 septembre 1995 mais non payés, plus intérêts (564,80 $) et pénalités (537,53 $));

(c)     898,37 $ : du 1er mai 1994 au 31 juillet 1994.

(756,35 $ déclarés payables par Eco le 13 septembre 1995 mais non payés, plus intérêts (73,78 $) et pénalités (68,24 $));

(d)     1 497,80 $ : du 1er août 1994 au 31 octobre 1994.

(cotisation de 1 298,70 $ établie par Mme Jaswal en fonction de sa vérification, plus intérêts (104,28 $) et pénalités (94,82 $));

(e)      2 767,44 $ : du 1er novembre 1994 au 31 janvier 1995.

(cotisation de 2 466,99 $ établie par Mme Jaswal en fonction de sa vérification, plus intérêts (161,25 $) et pénalités (139,20 $));

(f)      3 334,78 $ : du 1er février 1995 au 30 avril 1995.

(cotisation de 3 067,30 $ établie par Mme Jaswal en fonction de sa vérification, plus intérêts (43,72 $) et pénalités (39.62 $)).

Question n º 2        L'appelant, à titre d'administrateur d'Eco, a-t-il agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement d'Eco à l'obligation de verser la taxe nette que l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances?

[52]     L'article 323 de la Loi porte que les administrateurs d'une société sont responsables si celle-ci omet de payer la TPS. Le paragraphe 323(3) décharge toutefois un administrateur d'une telle responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de payer la TPS.

[53]     L'arrêt de principe sur la responsabilité des administrateurs est l'affaire Soper, dans laquelle le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a conclu que la norme de prudence exigée d'un administrateur pour satisfaire au moyen de défense de la diligence raisonnable est une norme souple, comportant à la fois des éléments subjectifs et des éléments objectifs. Le juge Robertson a également tenu compte de la distinction entre les administrateurs internes et externes lorsqu'il faut déterminer si le moyen de défense de la diligence raisonnable a été établi. Il a ensuite affirmé que c'est surtout une question de fait que de savoir si un administrateur aurait su que la société avait des difficultés financières si graves qu'on pourrait présumer que les versements de taxe n'étaient pas effectués. Aux pages 162 et 163 (DTC : à la page 5419), il déclare :

[...] C'est au juge de la Cour de l'impôt qu'il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d'après les renseignements ou les documents financiers que possédait l'administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu'il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l'administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu'elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier.

[54]     La Cour d'appel fédérale a examiné cette norme à nouveau dans l'affaire Smith, où le juge Sharlow a déclaré que la norme exige que l'on agisse de façon raisonnable plutôt que d'exiger la perfection.

[55]     L'appelant soutient que si l'appelant dans l'affaire Smith, lui aussi administrateur d'Eco, s'occupait des problèmes fiscaux de la société et a satisfait à la norme de prudence, tous les autres administrateurs d'Eco devraient être exonérés de toute responsabilité. Je dois toutefois rejeter l'assertion de l'appelant qu'il peut s'appuyer sur la diligence raisonnable de M. Smith. La responsabilité de chaque administrateur doit être déterminée d'après les faits de chaque cas individuel en tenant compte de l'expérience et du savoir respectifs de chaque administrateur.

[56]     Il est clair que l'appelant en l'espèce peut être caractérisé comme un administrateur interne. Son degré de participation aux activités d'Eco ne peut être décrit comme superficiel. Il s'occupait de la levée de fonds pour la société, il s'était occupé de l'appel d'une cotisation de la taxe de vente provinciale au nom d'Eco et il avait négocié avec les créanciers relativement à la proposition concordataire faite par Eco en 1992. Il était en mesure d'exercer un contrôle, car Eco comptait sur ses apports constants d'argent pour soutenir ses activités. Toutefois, l'appelant a souligné le fait qu'il était alors accaparé par son cabinet d'avocat, une entreprise prospère, et qu'il comptait toujours sur son frère, président de la société, pour s'occuper des affaires courantes. Même si les faits sont compatibles avec ma conclusion que l'appelant était un administrateur interne, il n'a pas prétendu le contraire lors de l'audience. D'ailleurs, l'appelant a témoigné comme suit :

[TRADUCTION]

[...] Je veux dire clairement que je n'affirmerai pas que j'étais un administrateur externe. Même si en réalité je participais très peu aux activités courantes de la société, je ne prétendrai pas que je n'étais pas, à titre d'administrateur, en position pour exercer un certain contrôle.

[57]     En tant qu'administrateur interne ayant les compétences et le savoir qu'un avocat devrait avoir, l'appelant avait une barre plus haute à surmonter pour satisfaire au critère de la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3). Plus haute, mais non insurmontable.

[58]     Les connaissances de l'appelant relativement aux activités et aux difficultés financières de la société, associées à ses compétences juridiques, font en sorte qu'il comprenait les conséquences du manquement à l'obligation d'effectuer les paiements requis. Son témoignage montre qu'il comprenait pleinement les mécanismes de paiement et des CTI. Mais, comme il l'a indiqué, il a clairement pris des mesures pour suivre de près les états financiers pour s'assurer que les versements étaient effectués. Les états financiers de MPI ont été produits pour étayer le caractère raisonnable de son opinion que la société ne devait aucun montant de TPS. Les états financiers consolidés de MPI en date du 31 décembre 1993 contiennent un bilan qui indique un actif de 23 382 $ décrit comme un montant recouvrable au titre de la TPS. L'état financier non vérifié du 31 août 1994 comprend un bilan consolidé qui montre un actif de 19 251 $, également décrit comme un montant recouvrable au titre de la TPS. Le 6 avril 1993, l'appelant a appuyé une motion introduite par Gordon Smith voulant qu'on donne la priorité aux comptes de Revenu Canada pour s'assurer du versement de la TPS.

[59]     Même si le frère de l'appelant s'occupait des activités courantes de la société, les antécédents juridiques de l'appelant lui permettaient de comprendre comment les crédits d'impôt étaient calculés dans le cas d'une entreprise. Il savait qu'une bonne partie des ventes de la société étaient des ventes à l'exportation et, à ce titre, exonérées de TPS. Il connaissait également les problèmes de la société à l'égard de son équipement et savait que de fortes sommes étaient consacrées à l'entretien. L'appelant avait de bonnes raisons de penser que ces circonstances se traduiraient par un crédit de TPS pour Eco.

[60]     J'admets comme conclusion de fait que le temps de l'appelant n'était pas consacré aux activités pratiques et courantes de la société. Il laissait cela à son frère. J'admets également que son principal souci était l'exploitation de son cabinet d'avocat afin de produire assez d'argent pour assurer la survie d'Eco. En raison de sa connaissance du fonctionnement général de la TPS et des CTI et de la vue d'ensemble qu'il avait des activités et des problèmes d'Eco, conjuguées au pourcentage des ventes destinées à l'exportation et aux problèmes d'entretien de l'équipement, il était raisonnable pour l'appelant de conclure que la société bénéficierait d'un crédit de TPS à tous moments. Lorsqu'il examinait les anciennes déclarations de TPS, il voyait toujours un crédit pour les périodes de déclaration alors qu'il était administrateur. Les déclarations produites en septembre 1995 de façon erronée par le frère de l'appelant pour trois périodes de déclaration ont été produites après la démission de l'appelant. Ces déclarations n'entrent pas en ligne de compte quant aux activités de l'appelant relativement aux rapports de TPS. Je conclus qu'il était raisonnable que l'appelant croie, dans ces circonstances, qu'aucun montant n'était à payer à cet égard.

[61]     Jusqu'en juin 1995, quand la société a été prévenue de la possibilité de problèmes liés aux versements de TPS, elle avait toujours bénéficié de crédits de TPS. Bien que la lettre soit datée de novembre 1994 et adressée au comptable de la société, la preuve montre que les mauvais rapports entre les administrateurs et leur comptable avaient mené à une rupture des communications, et que l'appelant n'a pris connaissance de la lettre que vers juin 1995. À ce moment, le conseil d'administration a demandé à Gordon Smith d'assumer la responsabilité touchant le règlement du problème. L'appelant savait également que la société avait droit à une subvention pour RSDE et que Gordon Smith, au nom du conseil, avait entrepris des démarches pour obtenir cette subvention; il avait spécifiquement demandé au service de la TPS de retenir les montants qui pouvaient lui être payables. Ces montants ont fini par être versés en décembre 1995. Après sa saisie des biens de la société en octobre 1995, l'appelant n'a pas renoncé à ses obligations. Il a versé environ 14 000 $ pour payer les retenues à la source et le loyer. Compte tenu des antécédents de la société, il pensait raisonnablement qu'elle ne devait aucune TPS, mais que dans le cas contraire, le crédit pour RSDE serait suffisant pour acquitter cette obligation. Il savait que le service de la TPS avait été prévenu de l'admissibilité de la société à l'égard de ce montant et qu'on lui avait demandé de soustraire du crédit pour RSDE le montant éventuellement exigible. Il n'est pas raisonnable de penser qu'après avoir saisi les biens, l'appelant aurait continué à couvrir les retenues à la source, les paiements de loyer et les autres dépenses, mais pas les montants de TPS. Compte tenu des démarches entreprises pour obtenir la subvention et informer les responsables de la TPS de l'existence de ces fonds, il était raisonnable pour l'appelant de conclure qu'il avait pris toutes les mesures raisonnables pour s'assurer que toute obligation relative à la TPS était couverte. Avant juin 1995, les avances périodiques de l'appelant avaient permis à la société de survivre. Lorsque son frère a fait appel à lui pour payer les retenues à la source, le loyer et le reste, l'appelant a mis de l'argent à sa disposition jusqu'à ce que la banque refuse de lui accorder tout autre crédit. Pendant cette période, il était raisonnable pour lui de penser qu'il n'y avait pas de dette au titre de la TPS et que dans le cas contraire, le montant aurait été payé à même l'une de ses nombreuses avances.

[62]     L'appelant a-t-il pris les mesures qu'une personne raisonnablement prudente aurait pu ou aurait dû prendre à l'époque dans des circonstances comparables? Je réponds par l'affirmative. Il y a-t-il d'autres mesures qu'il aurait pu ou aurait dû prendre, mais qu'il n'a pas prises? Je ne pense pas, sans oublier qu'avec le recul, on a réponse à tout. Jusqu'en juin 1995, la preuve montre que l'appelant n'avait aucune raison de soupçonner qu'il y avait de la TPS à payer. Par la suite, il savait que le crédit pour RSDE serait disponible pour remédier à tout défaut potentiel. Si l'appelant avait su que le crédit pour RSDE ne serait pas utilisé pour acquitter une obligation potentielle à l'égard de la TPS, il aurait peut-être agi de façon tout à fait différente compte tenu du fait qu'à titre d'avocat, il était conscient de la possibilité que sa responsabilité soit engagée. Ce genre de raisonnement n'est pas pertinent en l'espèce.

[63]     Les administrateurs sont tenus d'agir de façon raisonnable. Ils ne sont pas tenus d'atteindre la perfection ou de faire l'impossible. Dans l'affaire Cloutier c. M.R.N., no 90-3531(IT), 23 mars 1993 (C.C.I.) aux pages 4 et 5, 93 D.T.C. 544 à la page 546, le juge Bowman, qui est maintenant juge en chef adjoint, a résumé la norme de soin comme suit :

[...] Pour déterminer si cette norme a été satisfaite, il faut se demander si, à la lumière des faits existant à l'époque dont l'administrateur avait ou aurait dû avoir connaissance et en fonction des différentes voies qui s'offraient à lui, l'administrateur a choisi celle qu'une personne raisonnablement prudente aurait choisie dans les circonstances et dont on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle permette de s'acquitter de l'obligation fiscale. Le fait que la voie choisie ne se soit pas révélée la bonne n'est pas déterminant. Dans les affaires de ce genre, l'omission de payer l'impôt de la partie VIII découle habituellement soit d'un mauvais choix fait de bonne foi, soit d'un manquement ou d'un aveuglement délibéré de la part de l'administrateur.

[64]     Cette façon de procéder est également conforme à plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale. Si l'on juge l'appelant selon la norme de soin dictée par la loi et par la jurisprudence, j'estime qu'il a fait preuve d'un soin raisonnable pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de payer la TPS. L'appelant s'est conformé à son obligation légale, car il a agi de façon raisonnable et a entrepris des démarches pour s'assurer que les fonds soient disponibles lorsqu'il est apparu que des problèmes pouvaient se poser. Ses actions satisfont à la norme de soin.

[65]     L'appel est accueilli avec dépens et la cotisation établie conformément à l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise est infirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mai 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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