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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1688(IT)I

ENTRE :

MONIQUE McILHARGEY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 19 janvier 2001 à Calgary (Alberta), par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Pour l'appelante :                        L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                   Me Michael Taylor

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté.


Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d'avril 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011101

Dossier: 2000-1688(IT)I

ENTRE :

MONIQUE McILHARGEY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan

[1]      L'appelante et son époux vivent à Three Hills (Alberta) au nord-est de Calgary. Ils voulaient avoir des enfants, mais elle était incapable de concevoir parce qu'elle avait un problème d' « endométriose » . Le couple a adopté des jumelles en janvier 1998. L'adoption s'est faite par l'intermédiaire d'une agence d'adoption autorisée de l'Alberta du nom d' « Adoption Options » . En 1997, l'appelante a versé un montant de 6 936,16 $ à Adoption Options en rapport avec l'adoption des jumelles.

[2]      Dans le calcul de son revenu et de l'impôt exigible pour 1997, l'appelante a demandé un crédit d'impôt en vertu de l'article 118.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu en partant du principe que le montant de 6 936,16 $ représentait des frais médicaux. Le crédit d'impôt en question a été refusé par le ministre du Revenu national. Les principales questions à trancher en l'instance sont celles de savoir (i) si la totalité ou une partie du montant de 6 936,16 $ entre dans la catégorie des frais médicaux au sens de l'article 118.2; et (ii) dans la négative, si l'article 118.2 contrevient à l'article 15 de la Charte des droits et libertés parce qu'il établit une distinction. Seule l'année d'imposition 1997 est visée par l'appel. L'appelante a interjeté appel sous le régime de la procédure informelle.

[3]      L'appelante et son époux voulaient avoir des enfants, mais, après avoir essayé en vain de concevoir pendant une période de cinq ans, ils ont adopté les jumelles en janvier 1998. L'appelante affirme que son handicap est qu'elle est infertile. L'endométriose est une affection de l'appareil reproducteur féminin qui rend la conception difficile. L'appelante croit qu'elle est atteinte de la maladie depuis 1982. Fait surprenant, après avoir adopté les jumelles en 1998, l'appelante et son mari ont conçu un enfant quelques mois plus tard et ils ont un fils naturel qui est né en janvier 1999 alors que ses soeurs jumelles avaient deux ans. En outre, l'appelante était de nouveau enceinte en janvier 2001 quand l'appel en l'instance a été entendu. Ainsi que l'appelante l'a indiqué, elle est devenue enceinte en 1998 et en 2000 « de la bonne vieille manière » .

[4]      Quand le couple essayait toujours de concevoir un enfant en 1997, l'appelante a subi des traitements de fécondation in vitro (FIV) à l'hôpital Foothills de Calgary. Les traitements ont coûté quelque 6 000 $ et le montant a été versé à l'hôpital. Les traitements n'ayant pas donné les résultats escomptés, l'appelante et son époux ont décidé d'utiliser la voie de l'adoption. L'appelante a affirmé que, avant 1989, presque toutes les adoptions en Alberta se faisaient par l'entremise d'un organisme de services sociaux administré par le gouvernement provincial. Aux alentours de 1989, la province de l'Alberta a décidé d'autoriser des organismes privés à s'occuper d'adoption. La province continue d'offrir des services d'adoption par l'entremise des Services familiaux et sociaux, mais l'appelante a précisé qu'en 1997 95 % des adoptions étaient confiées à des agences privées et seulement 5 % à l'organisme provincial.

[5]      La pièce A-2 semble confirmer ces pourcentages. Selon l'interprétation de l'appelante, 234 nourrissons ont été adoptés en Alberta entre le 1er avril 1999 et le 31 mars 2000 (exclusion faite des enfants adoptés par le conjoint de l'un des parents). Douze des demandes d'adoption ont été traitées (gratuitement ou contre un montant dérisoire payé par les parents adoptifs) par les Services familiaux et sociaux de l'Alberta et les 222 autres, par des agences privées qui ont réclamé des frais aux parents adoptifs comme le montant de 6 936 16$ que l'appelante et son conjoint ont payé à Adoption Options. L'appelante a affirmé que, en 1997, le délai d'attente pour adopter un enfant par le truchement de l'organisme provincial était de cinq ans environ en raison du grand nombre d'adoptions confiées aux agences d'adoption autorisées. L'appelante et son conjoint ne voulaient pas attendre cinq ans et ils ont décidé de s'adresser à Adoption Options.

[6]      La pièce A-1 est un document émanant d'Adoption Options qui indique les honoraires et les montants versés par l'appelante et son époux en rapport avec l'adoption des jumelles. Les honoraires s'élèvent à 6 700 $ et les frais administratifs à 236,16 $. L'appelante a mis en évidence les cinq postes indiqués ci-après, qui correspondent aux honoraires exigés pour les seuls services de counselling :

                   Février 1997 Colloque préparatoire à l'adoption                 600 $

                   Mars 1997              Counselling préparatoire à l'adoption             600 $

                   Mai 1997                Évaluation à domicile                                 1 100 $

                   Mai 1997                Counselling préparatoire au placement      1 000 $

                   Janvier 1998 Counselling consécutif au placement              300 $

                   Total                                                                                       3 600 $

[7]      L'appelante prétend en premier lieu que le montant de 3 600 $ indiqué au paragraphe précédent devrait donner droit à un crédit d'impôt aux termes de l'alinéa 118.2(2)e) de la Loi, qui est libellé comme suit :

118.2(2)            Pour l'application du paragraphe (1), les frais médicaux d'un particulier sont les frais payés :

                        [...]

e)          pour le soin dans une école, une institution ou un autre endroit - ou le soin et la formation - du particulier, de son époux ou conjoint de fait ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a), qu'une personne habilitée à cette fin atteste être quelqu'un qui, en raison d'un handicap physique ou mental, a besoin d'équipement, d'installations ou de personnel spécialisés fournis par cette école ou institution ou à cet autre endroit pour le soin - ou le soin et la formation - de particuliers ayant un handicap semblable au sien;

Je ne peux pas accepter cette prétention parce qu'il n'existe aucune preuve qu'une « personne habilitée à cette fin » a attesté que l'appelante était quelqu'un qui, en raison d'un handicap physique ou mental, avait besoin de « soin et [de] formation » .

[8]      L'appelante a soutenu que l'adoption est un moyen de soigner la maladie mentale, c'est-à-dire la dépression associée à l'infertilité et à l'infécondité. En Alberta, la seule façon pratique d'adopter un enfant est de faire appel à une agence d'adoption privée, une démarche qui coûte cher. L'adoption ne devrait pas être un privilège consenti aux seules personnes qui en ont les moyens. Si les frais d'adoption payés aux agences privées ne sont pas considérés comme des frais médicaux (pour soigner la dépression associée à l'infécondité), dès lors, l'article 118.2 de la Loi établit des distinctions à l'encontre des adultes qui veulent avoir des enfants mais qui sont infertiles.

[9]      La première question à trancher est celle de savoir si la totalité ou une partie des montants payés à Adoption Options peut être qualifiée de « frais médicaux » au sens du paragraphe 118.2(2) de la Loi. La pièce A-1 donne quelques indications sur les services fournis et les honoraires exigés :

          [TRADUCTION]

                  HONORAIRES

     MONTANT

Demande

500 $

Colloque préparatoire à l'adoption

600

Counselling préparatoire à l'adoption

600

Évaluation à domicile

1 100

Counselling préparatoire au placement (BP)

1 000

Antécédents médicaux et sociaux

200

Services consécutifs au placement

200

Counselling consécutif au placement (BP)

300

Préparation et dépôt de la demande (jumelles)

2 000

Rapport médical sur les enfants

100

Frais administratifs

100

Aux paragraphes 6 et 7 qui précèdent, j'ai expliqué pourquoi je ne pouvais considérer les cinq montants payés au titre des services de counselling comme des frais médicaux aux termes de l'alinéa 118.2(2)e). Je considère que tous les montants payés à Adoption Options sont des dépenses de nature personnelle, non pas des frais médicaux au sens de la Loi. Les services fournis par Adoption Options n'ont pas été dispensés par des médecins en titre ou des infirmières ou d'autres professionnels de la santé. Ils ont plutôt été fournis par des travailleurs sociaux. Ces services sont nécessaires pour assurer la sécurité et le bien-être d'un enfant adopté, mais ils n'entrent pas dans la catégorie des frais ouvrant droit au crédit d'impôt pour frais médicaux.

[10]     Adoption Options n'est pas un établissement hospitalier, une clinique médicale ou un autre établissement dispensant des services médico-hospitaliers. C'est une agence privée d'adoption autorisée par le gouvernement provincial. En d'autres termes, Adoption Options est un courtier qui sert d'intermédiaire entre les personnes qui donnent des enfants en adoption et celles qui veulent adopter un enfant sous le régime des lois de l'Alberta. À titre de courtier autorisé, l'agence est tenue de prendre certaines mesures pour assurer la sécurité et le bien-être de l'enfant adopté, et, à cette fin, elle exige des honoraires de l'un des clients (le parent adoptif). Il existe une énorme différence entre ces honoraires et des frais médicaux.

[11]     En présentant son appel, l'appelante a surtout insisté sur la raison pour laquelle elle-même et son époux étaient devenus des clients d'Adoption Options. C'est parce qu'elle était infertile. Tant qu'elle traitait son infertilité comme un problème médical et qu'elle s'employait à régler ce problème avec l'aide de professionnels de la santé (de la clinique de FIV de l'hôpital Foothills notamment), les frais engagés pour obtenir cette aide pouvaient probablement être considérés comme des frais médicaux au sens de la Loi. Cependant, quand l'appelante et son époux en sont arrivés à la conclusion que l'infertilité de l'appelante était un trouble permanent et qu'ils ont pris la décision conjointe de régler le problème d'infécondité (une conséquence de l'infertilité) en ayant recours à l'adoption, ils ont entrepris une démarche d'ordre social qui n'avait plus rien à voir avec une procédure médicale. Les frais d'adoption ne sont pas des frais médicaux et ils ne se rapportent aucunement à des frais médicaux. C'est une dépense personnelle qu'il est expressément interdit de déduire dans le calcul du revenu aux termes de l'alinéa 18(1)h) de la Loi et qui n'ouvre droit à aucun crédit d'impôt en vertu de l'article 118.

[12]     En réponse à la première question, j'ai déterminé qu'aucun des montants versés à Adoption Options n'entrait dans la catégorie des « frais médicaux » au sens du paragraphe 118.2(2). La seconde question à trancher est celle de savoir si la Loi établit des distinctions (aux termes de la Charte) à l'encontre des adultes qui veulent devenir des parents et qui sont obligés de recourir à l'adoption parce qu'ils sont infertiles. En d'autres termes, l'appelante fait-elle partie d'une catégorie distincte de personnes auxquelles l'application de l'article 118.2 cause préjudice? Je suis d'avis que l'argument de l'appelante à cet égard est sans fondement aucun.

[13]     Pour un couple comme celui que forment l'appelante et son époux, il existe une multitude de raisons de vouloir adopter un enfant. L'infertilité est l'une de celles-là. D'autres couples peuvent avoir un grave problème génétique qui ferait que leur progéniture ne naîtrait pas en santé. Un autre couple peut ne pas vouloir accroître la population du globe. Un autre encore peut souhaiter offrir un bon foyer à un enfant qui, autrement, grandirait dans la pauvreté dans un pays du tiers monde. Ce qu'il faut retenir c'est que, quelles que soient les raisons invoquées pour emprunter la voie de l'adoption, personne au Canada ne peut demander un crédit d'impôt au titre des frais d'adoption.

[14]     L'appel en l'instance ne se rapporte pas à une situation où l'appelante n'est pas autorisée à demander un crédit d'impôt au titre de ses frais d'adoption alors que d'autres personnes se trouvant des situations différentes le sont. L'appel en l'instance se rapporte à une situation où aucune personne au Canada n'est autorisée à demander un tel crédit. En conséquence, l'appelante n'est pas fondée d'invoquer l'article 15 de la Charte ayant trait à l'égalité « devant la loi » . Toutes les personnes au Canada qui adoptent des enfants sont traitées de la même manière en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce sens que nul n'est autorisé à demander un crédit d'impôt au titre des frais d'adoption.


[15]     Il est manifeste que l'appelante veut que la Cour utilise l'article 15 de la Charte pour interpréter l'article 118.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à lui accorder le même crédit d'impôt que celui auquel a droit un contribuable qui a de véritables frais médicaux. Dans les faits toutefois, l'appelante veut modifier la Loi de l'impôt sur le revenu pour que les frais d'adoption soient admis au même titre que les frais médicaux. Ce dont l'appelante a besoin, c'est d'une loi modificative du Parlement, non pas d'une quelconque interprétation de convenance de la loi actuelle fondée sur la Charte. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d'avril 2003.

Mario Lagacé, réviseur

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