Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-2730(IT)I

ENTRE :

LUCIEN ST. MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels d'Ann Marie St. Martin

(97-2731(IT)I), le 11 août 1998, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Pour l'appelant :                         l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Madeleine Schwarz

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'août 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-2731(IT)I

ENTRE :

ANN MARIE ST. MARTIN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de Lucien St. Martin

(97-2730(IT)I), le 11 août 1998, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Pour l'appelante :                       l'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                 Me Madeleine Schwarz

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'août 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19980817

Dossier: 97-2730(IT)I

ENTRE :

LUCIEN ST. MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET ENTRE :

97-2731(IT)I

ANN MARIE ST. MARTIN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge BOWIE, C.C.I.

[1]      Les appels de Lucien St. Martin et de son épouse, Ann Marie St. Martin, ont été entendus ensemble sur preuve commune. Tous deux interjettent appel de nouvelles cotisations au titre de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. M. St. Martin a fait l'objet de nouvelles cotisations dans lesquelles était rejetée la déduction, dans le calcul de son revenu aux termes de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), de pertes subies selon ses dires au cours de chacune des années en cause relativement, d'une part, à un bien locatif situé en Floride et appartenant à son épouse et à lui-même et, d'autre part, à une entreprise d'achat et de vente de cartes sportives. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a également rejeté la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE) déclarée pour chacune des trois années en cause aux termes de l'alinéa 39(1)c) de la Loi.

[2]      Ann Marie St. Martin a fait l'objet de nouvelles cotisations dans lesquelles était rejetée la déduction de pertes reliées au bien situé en Floride ainsi que la déduction, pour chacune des trois années en cause, de pertes découlant de la location à son époux d'un local situé au sous-sol de la résidence familiale pour l'entreprise de cartes sportives de ce dernier. Le titre de propriété de la résidence familiale est établi au nom de l'appelante.

[3]      Le ministre estime que, durant les années faisant l'objet des appels, ni le bien locatif situé en Floride, ni l'entreprise de cartes sportives, ni la location du sous-sol ne pouvaient donner lieu à une attente raisonnable de profit, qu'il ne s'agissait donc pas d'entreprises, ni de sources de revenu, et que les pertes ne peuvent dès lors être portées en réduction du revenu d'emploi des deux appelants. En ce qui concerne la PDTPE, le ministre estime qu'il n'a pas été démontré que M. St. Martin a investi, par voie de prêt, d'actionnariat ou autrement, dans une société exploitant une petite entreprise ou, s'il l'a fait, que l'investissement en question a été perdu au cours des années en cause.

[4]      Mon examen portera d'abord sur le bien situé en Floride. Ce bien appartient aux deux appelants à parts égales, de sorte que les montants qu'ils ont déclarés sont les mêmes. En 1984, les appelants ont acheté deux unités, d'une semaine chacune, dans ce que l'on appelle une multipropriété, ou encore une propriété spatio-temporelle, à St. Petersburg, en Floride. La propriété acquise compte deux chambres, deux salles de bain, une cuisine, une salle de séjour et une salle à dîner. Les détenteurs d'unité peuvent tous utiliser une piscine luxueuse et profiter d'autres agréments. Selon leur témoignage, les appelants voulaient louer leurs deux semaines d'utilisation du bien afin d'en tirer un revenu. Ils ont déclaré que, aux termes de l'acte constitutif, le bien doit être vendu après 25 ans, le produit de disposition étant réparti entre les propriétaires en fonction des unités qu'ils détiennent. Les appelants s'attendaient, et s'attendent toujours, que leur investissement prenne beaucoup de valeur durant cette période de 25 ans.

[5]      Cependant, les choses ne se sont pas passées comme prévu relativement à la location. Les appelants ont eu de la difficulté à trouver des gens disposés à louer le bien. Cela tient peut-être au fait que les deux semaines où ils ont la possession du bien se situent en plein coeur de l'été. Quoi qu'il en soit, il a toujours été difficile de trouver des gens disposés à louer, même si le problème est aujourd'hui en partie résolu du fait que l'un des locataires loue le bien depuis maintenant trois ans pour l'une des deux semaines. Pour les trois années visées par les appels, le revenu locatif brut tiré des deux unités a été de 0 $, de 800 $ et de 1 100 $, respectivement. Les appelants ont déclaré à l'égard de ces montants des dépenses totalisant 9 192,79 $, 8 758,11 $ et 13 472 $, ce qui n'est pas banal. Ils ont par la suite révisé à la baisse ces montants, les réduisant de 2 237 $, 2 338 $ et 3 488 $, de sorte que les montants révisés des pertes déclarées s'élevaient à 6 955 $ pour 1992, à 5 620 $ pour 1993 et à 8 884 $ pour 1994. Chacun des appelants a déclaré la moitié des pertes pour chaque année.

[6]      Les intérêts sur les sommes empruntées en vue d'acheter les unités constituent le principal poste de dépenses à l'égard du bien. Le coût de chaque unité s'élevait à 9 000 $, soit 18 000 $ en tout. La preuve ne permet pas de l'établir avec précision, mais le montant emprunté devait représenter la plus grande partie, sinon la totalité, du prix d'achat. Les fonds nécessaires ont été obtenus au moyen d'un emprunt hypothécaire de deuxième rang contracté sur la résidence familiale. Les frais d'intérêt au cours des trois années en cause dans les présents appels se sont élevés à 4 800 $, 4 900 $ et 4 900 $, respectivement. Les frais d'entretien et les impôts payables chaque année à l'égard du bien se sont élevés à 780 $, 830 $ et 880 $. Les appelants ont convenu que le revenu locatif total le plus élevé qu'ils pouvaient espérer pour les deux semaines était de 2 000 $. Il semble donc d'emblée que, dans l'éventualité où ils étaient capables de trouver preneur pour les deux unités et d'en tirer le revenu locatif le plus favorable possible chaque année, le coût total au titre des intérêts, de l'entretien et des impôts correspondrait à près de trois fois ce revenu brut. Le premier venu peut donc constater qu'une telle affaire ne peut aboutir qu'à de lourdes pertes. Selon leur thèse et dans leur témoignage, les appelants soulignent à ce propos qu'ils ont pris des dispositions pour que le prêt hypothécaire soit entièrement remboursé d'ici l'an 2000, et qu'ils pourront faire un bénéfice par la suite. Cet argument n'est pas valable ici, et ce, pour plusieurs raisons.

[7]      En premier lieu, les années en cause sont 1992, 1993 et 1994. Or, les nouvelles dispositions relatives au financement ont été prises à peu près en 1996. Durant les années en cause, rien n'indiquait que les intérêts hypothécaires seraient ramenés à un montant raisonnable. En deuxième lieu, aucun élément de preuve ne permet de savoir d'où proviendra l'argent permettant d'obtenir un tel résultat, qui ne devient possible que si les paiements effectués par les appelants sont majorés. Il est certain que les importants remboursements d'impôt indiqués par les appelants dans leurs déclarations de revenu chaque année s'avéreraient utiles à cet égard, du moins si ces derniers avaient droit à ces remboursements. J'estime toutefois que, compte tenu des motifs mentionnées ci-après, tel n'est pas le cas. En troisième lieu, les appelants ont déclaré d'autres dépenses - engagées cette fois pour la visite du bien - qui ont nettement dépassé le revenu tiré du bien, du moins au cours des années en cause en l'espèce. M. et Mme St. Martin voudraient me faire croire qu'il s'agissait là de dépenses exceptionnelles au cours des années en cause, et qu'elles avaient dû être engagées uniquement parce que, chaque année, ils devaient être sur place pour faire face à différents problèmes relatifs à la gestion du bien qui les empêchaient de rentabiliser celui-ci.

[8]      Un examen, même superficiel, des dépenses déclarées par les appelants aux fins de visite du bien montre qu'il s'agissait en grande partie de frais personnels ou de frais de subsistance des appelants et de leurs trois enfants. Rien de plus. Les appelants ont déclaré la totalité des frais de déplacement et de subsistance de tous les membres de la famille durant leur séjour. Fait curieux, en 1993, les dépenses d'entreprise déclarées comprenaient le coût d'une croisière pour toute la famille. M. St. Martin a bien essayé, au cours de son témoignage, de justifier la chose en expliquant qu'il s'agissait d'une forme de rétribution accordée à son épouse et à ses enfants, qui, en 1992, avaient tous travaillé sans être payés pour l'aider à lancer son entreprise de cartes sportives. En ce qui concerne le coût des billets d'avion pour les enfants et d'autres frais, sa justification est que ces derniers étaient trop jeunes pour demeurer à la maison pendant que son épouse et lui effectuaient leur visite annuelle en Floride pour voir le bien. L'idée ne semble pas avoir effleuré les appelants que l'un d'eux pouvait demeurer à la maison et s'occuper des enfants tandis que l'autre pouvait se rendre en Floride pour inspecter le bien et régler les problèmes de gestion. Compte tenu de la preuve, je conclus que ces déplacements en Floride, dès lors qu'ils étaient effectués par plus d'un membre de la famille, ne sont rien d'autre que des vacances à peine déguisées que s'est offertes la famille St. Martin au cours de chacune des années en cause dans les présents appels. Le plaisir procuré par ces vacances aux appelants a sans doute été accru par la pensée que les autres contribuables assumeraient une grande partie des coûts, ce en quoi ils se trompaient.

[9]      Dans l'affaireTonn c. Canada[1], la Cour d'appel fédérale a indiqué que, dans les affaires ayant trait à la déclaration d'une perte locative où il existe un élément d'utilisation personnelle, l'appelant doit démontrer objectivement que l'activité en cause constituait bel et bien une entreprise. La Cour a ajouté que des circonstances douteuses donneront lieu à un examen plus approfondi. Dans l'affaire Mohammad c. Canada[2], cette même cour a mentionné que, lorsque l'acquisition d'un bien locatif est assortie d'un financement à ratio élevé dont le coût ne permet pas au contribuable d'enregistrer des bénéfices au cours des premières années, ce dernier devra, pour que la déduction de ses pertes locatives soit acceptée, prouver de façon très convaincante qu'il entend réduire son endettement et qu'il disposera des ressources nécessaires à cette fin. Il n'est pas suffisant d'évoquer de vagues attentes indiquant que l'on pourra effectuer des paiements plus tard; la Cour a précisé que, pour s'acquitter du fardeau de la preuve à cet égard, il faut démontrer que des paiements importants ont été faits au titre du principal au cours des années d'imposition suivant de près l'année d'acquisition. Ce que les appelants n'ont pas fait en l'espèce.

[10]     En résumé, les appelants n'avaient aucune possibilité de tirer un bénéfice du bien situé en Floride et, à plus forte raison, aucune attente raisonnable de profit au cours de n'importe quelle année jusqu'en 1994. Je conclus qu'ils voulaient, et prévoyaient, prendre des vacances en Floride et faire assumer une partie de ce coût aux contribuables canadiens, tandis que l'emprunt contracté pour effectuer l'achat serait en bout de ligne remboursé, en partie au moyen des économies d'impôt qu'ils s'attendaient à faire en déclarant des pertes. Ce volet de leurs appels est rejeté.

[11]     Passons maintenant à l'entreprise de cartes sportives. Au printemps 1992, M. St. Martin a perdu l'emploi qu'il occupait au sein d'une société d'assurances. Il a toutefois reçu de la société un paiement forfaitaire à titre d'indemnité de cessation d'emploi, et il a décidé de mettre sur pied une entreprise. Au cours de son témoignage, il a dit avoir étudié les perspectives de rentabilité associées à l'achat et à la vente de cartes sportives et avoir conclu qu'une telle activité pourrait s'avérer lucrative pour lui. Il a déclaré que ses fils s'intéressaient à cette activité; toutefois, en contre-interrogatoire, il a nié qu'il s'agissait d'un de ses passe-temps. Il a affirmé catégoriquement qu'il n'avait pas possédé de cartes sportives depuis l'époque de ses études universitaires. Après avoir décidé de se lancer dans cette entreprise, il a pris des dispositions pour acquérir un stock de cartes sportives en vue d'en effectuer la revente. Les pièces qu'il a déposées au cours de l'audience m'amènent à penser que certaines de ces cartes ont pu faire l'objet d'achats de gros, mais que bon nombre ont aussi été acquises auprès de détaillants. L'appelant a songé à louer un local dans un mail linéaire à proximité de sa résidence, mais il lui aurait fallu signer un bail de trois ans et verser un loyer mensuel beaucoup trop élevé pour ses moyens. Il a finalement convenu de verser 90 $ ou 100 $ par mois à son épouse pour la location d'une partie du sous-sol de leur résidence, où il exploiterait son entreprise de cartes sportives. Il semble que ce soit son épouse qui ait décidé du loyer, en fonction de ce que l'appelant pouvait se permettre, du moins au départ, et non par suite d'un examen des prix pratiqués sur le marché pour un local similaire. Pour vendre ses cartes, l'appelant se rendait, les fins de semaine, à des expositions où il pouvait louer une table et offrir ses produits aux collectionneurs. À l'été 1992, il avait trouvé un emploi à temps partiel dans le domaine de l'assurance et, à l'automne 1992, il travaillait à temps plein pour une société d'assurances. Son entreprise de cartes sportives est donc rapidement devenue tout au plus une activité à temps partiel, à laquelle il se consacrait les soirs et la fin de semaine.

[12]     Le ministre a rejeté les dépenses déclarées par l'appelant relativement à cette entreprise, jugeant qu'elles n'avaient pas été dûment établies. Au cours des plaidoiries, on a soulevé la question de savoir si les sommes en question avaient été dépensées et, dans l'affirmative, s'il s'agissait véritablement de dépenses d'entreprise. Cela n'a rien de surprenant si l'on examine comment étaient tenus les comptes de M. St. Martin. Celui-ci a produit en preuve une liasse de documents, principalement des photocopies de reçus divers. Il y a aussi des résumés de demandes de remboursement de TPS. En revanche, on n'y trouve rien qui ressemble à des livres ou registres comptables, pas même une liste structurée de revenus et de dépenses. L'appelant a expliqué que, après septembre 1992, c'est-à-dire à partir du moment où il a recommencé à travailler à temps plein, il était trop occupé pour tenir de tels comptes. Les prétendus comptes présentés sont en effet fort peu édifiants, et ils ne contribuent en rien à me convaincre que M. St. Martin exploitait une entreprise de quelque sorte que ce soit.

[13]     M. St. Martin a soutenu au cours de son témoignage qu'il avait élaboré dès le départ un plan d'entreprise à l'égard des cartes sportives. Il a apporté au tribunal deux boîtes de documents, et a affirmé que le plan en question s'était trouvé dans l'une de ces boîtes à un moment donné. Il a interrogé le vérificateur responsable de l'établissement de sa nouvelle cotisation, et ce dernier a dit n'avoir jamais vu de plan d'entreprise dans les boîtes de documents. M. St. Martin a expressément nié avoir donné à entendre que le plan d'entreprise avait été retiré des boîtes de document alors que celles-ci étaient en la possession de fonctionnaires de Revenu Canada. Il n'a pas produit de plan d'entreprise, et je conclus qu'il n'y en a jamais eu.

[14]     Voici ce qui se dégage à mes yeux du témoignage de M. St. Martin au sujet des résultats financiers de son « entreprise » de cartes sportives. En 1992, les ventes brutes se sont élevées à 1 030 $, dont 600 $ proviennent de ventes effectuées par l'un de ses fils, qui l'accompagnait à une exposition de cartes dans un centre commercial d'Etobicoke, l'acheteur étant un garçon de 12 ans du Mexique qui achetait des cartes de José Canseco en vue de les revendre dans son pays, où elles étaient apparemment très prisées. L'appelant a déclaré pour la même année des dépenses de 1 162 $ au titre du coût des biens vendus, à quoi s'ajoutent d'autres dépenses totalisant 6 211 $ - frais d'utilisation d'un véhicule automobile, frais de bureau et loyer de 1 080 $ versé à son épouse. En 1993 et en 1994, le revenu brut a été de 428 $ et de 320 $, respectivement. Les dépenses déclarées pour ces années ont été de 5 224 $ et de 2 586 $. Au total, M. St. Martin a déclaré des pertes de 6 343 $, 5 181 $ et 2 655 $ à l'égard des trois années en cause. Il a déclaré que ses résultats financiers médiocres étaient attribuables à un fléchissement du marché des cartes sportives, ajoutant qu'il avait à peu près complètement cessé de chercher à vendre ses cartes en 1994 mais qu'il avait accumulé un stock de 500 000 cartes environ, et qu'il était disposé à reprendre cette activité dès que les cartes sportives connaîtraient une nouvelle vogue. Il soutient que beaucoup de ses cartes sont des pièces de collection et possèdent de ce fait une valeur intrinsèque durable. Toutefois, dans l'immédiat, il veut déduire ses pertes d'entreprise pour les trois années en cause, soit quelque 14 000 $ en tout, dans le calcul de ses autres revenus aux termes de l'article 3 de la Loi. De ce montant de 14 000 $, 3 480 $ constituent le loyer versé à son épouse pour la location du sous-sol de la résidence familiale.

[15]     Pour sa part, Mme St. Martin soutient pouvoir déduire les pertes qu'elle a subies relativement à la location du sous-sol à son époux. Dans les déclarations de revenu qu'elle a produites pour 1992, 1993 et 1994, elle a déclaré des pertes dépassant chaque fois 3 000 $ et totalisant 10 035 $ pour les trois années, ces pertes étant censées découler de la location à son mari du [TRADUCTION] « bureau d'affaires » . Pour déterminer les pertes en question, elle a calculé d'abord l'ensemble des dépenses du ménage, puis la proportion correspondant au local loué. En 1993, les dépenses prises en considération dans ce calcul ont même inclus les frais de télévision par câble et de téléphone ainsi qu'un montant rattaché à un chien de garde. Avant de conclure ce bail avec son mari à compter de 1992, Mme St. Martin ne louait aucune partie de la résidence. Elle déclare les montants en question en se fondant sur la thèse selon laquelle, à partir du moment où elle a autorisé son époux à utiliser le sous-sol pour entreposer et trier ses cartes sportives, en contrepartie d'un loyer dont le montant a été fixé arbitrairement à 90 $ ou 100 $, le sous-sol est devenu, sinon une entreprise, du moins une source de revenu, de sorte que les pertes s'y rapportant pouvaient être déduites de son salaire d'enseignante aux fins du calcul de son revenu conformément à l'article 3 de la Loi.

[16]     Je garde à l'esprit la règle énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Tonn[3], soit qu'il faut laisser un certain temps aux entreprises qui démarrent pour parvenir à la rentabilité, et que ni le ministre ni les tribunaux ne devraient substituer leur jugement à celui des personnes qui veulent lancer leur entreprise. Je juge toutefois que la présente affaire n'en est pas une où le contribuable a tenté de lancer une entreprise véritable ayant des chances, aussi minces soient-elles, de réussir. Il se peut que les cartes sportives n'aient pas constitué un passe-temps pour M. St. Martin, mais elles présentaient apparemment beaucoup d'intérêt pour ses fils, qui l'accompagnaient aux expositions et prenaient part à cette activité. Celle-ci ne présentait aucune des caractéristiques d'une entreprise. Il n'y avait pas de plan, pas de livres comptables, pas de revenu significatif. Je partage l'avis du juge Bowman, qui a déclaré plus tôt cette année dans l'affaire Kaye c. La Reine[4] :

On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

Il a ajouté plus loin[5] :

[...] En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

[17]    Je conclus que la prétendue entreprise de cartes sportives ne satisfait pas à ce critère. Cette activité ne constituait pas une entreprise et ne pouvait pas en devenir une. On pourrait dire que les pertes locatives déclarées par Mme St. Martin, qui en constituaient une retombée, représentaient un bel exemple d'avarice. Je précise toutefois que je la crois lorsqu'elle dit que c'est son époux qui préparait ses déclarations de revenu et qu'elle se contentait de signer les documents qu'il lui présentait. L'avare, c'est lui, et non elle.

[18]     Reste la PDTPE. Cette perte est fondée sur certaines sommes que, selon ses dires, M. St. Martin a investies dans une maison de courtage d'assurance dirigée par un certain Wayne Bullard. Le nom de la maison de courtage était Allrite Insurance Broker et est devenu plus tard Associated Insurance Brokers. M. St. Martin disposait d'une certaine somme au printemps 1992 car il avait reçu de son employeur une indemnité de cessation d'emploi. On pourrait sans doute dire que M. Bullard a fait en sorte de l'en délester. Il a présenté à l'appelant un stratagème dans lequel ce dernier, ainsi peut-être que d'autres investisseurs, devaient fournir des fonds à court terme à des clients de la maison de courtage d'assurance qui avaient besoin d'argent pour acquitter leur prime, dont le versement arrivait à échéance. Le placement devait offrir un rendement de 10 p. 100; c'est du moins ce que faisait miroiter M. Bullard. L'appelant a avancé de l'argent à M. Bullard afin de participer à ce stratagème. Il est tout de même surprenant de remarquer que les modalités applicables n'ont pas été couchées sur le papier, même de façon informelle. On ne sait pas à combien s'est élevé au juste le montant investi par l'appelant, mais cela semble bien s'être situé entre 20 000 $ et 25 000 $ de 1992 à 1994. Une petite partie seulement de cet argent a été récupérée, sous forme de remboursements d'abord, puis par voie de poursuites. On m'a indiqué que M. Bullard a depuis été mis sous les verrous. L'appelant soutient qu'il a effectué des avances à la maison de courtage d'assurance de M. Bullard, laquelle, ainsi qu'il le précise, est une société, et que ces avances représentaient un placement dans cette société.

[19]     La PDTPE ne peut être acceptée. Indépendamment des difficultés qu'il peut y avoir à étayer le montant des prêts, l'objet de ces prêts et le moment où ils sont devenus irrécouvrables, le problème insurmontable en l'espèce est que la preuve telle qu'elle a été produite m'amène à conclure que les prêts, s'il en est, ont été consentis à M. Bullard à titre personnel.

[20]     D'abord, la preuve documentaire présentée à ce propos se compose d'une liasse de papiers rangés dans une chemise. Il semble ressortir clairement de ces documents que ni Allrite Insurance Broker ni Associated Insurance Brokers n'étaient constitués en personne morale. Il paraît s'agir de noms qu'utilisait M. Bullard pour exploiter son entreprise à titre personnel. De toute manière, les chèques libellés par l'appelant, dans la mesure où ils feraient partie de la preuve, sont au nom de M. Bullard. Selon son témoignage, l'appelant a remis une partie de l'argent à M. Bullard en liquide. Les chèques de remboursement reçus (dont bon nombre ont été refusés par la banque parce qu'ils étaient sans provision) étaient tirés sur le compte bancaire personnel de M. Bullard. Je conclus que tout prêt accordé par l'appelant dans le cadre de ses opérations avec M. Bullard a été accordé à ce dernier, non à une société. Pour qu'une perte au titre d'un placement d'entreprise puisse être déclarée en vertu de l'alinéa 39(1)c) de la Loi, il doit y avoir une créance irrécouvrable découlant d'un prêt à une société qui soit conforme aux autres exigences de la Loi. Les prêts consentis à des particuliers ne sont pas admissibles.

[21]     Les appels des deux appelants pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'août 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur



[1] [1996] 2 C.F. 73.

[2] 97 DTC 5503.

[3] Précitée.

[4] 1998 CanRepNat 575, par. 5.

[5] Par. 7.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.