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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20000110

Dossier: 97-2955(IT)I

ENTRE :

RUSSELL ZALINKO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

97-2956(IT)I

ENTRE :

BARBARA ZALINKO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Saskatoon (Saskatchewan),

le 3 décembre 1999.)

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]      Les présents appels ont été entendus ensemble sur preuve commune, du consentement des parties, le 2 décembre 1999, à Saskatoon, en Saskatchewan. M. Zalinko a témoigné pour le compte des appelants. L'intimée a appelé à témoigner Katherine Willis, la vérificatrice dans les dossiers.

[2]      Les présents appelants sont mari et femme. On a établi à leur égard une nouvelle cotisation, et on leur a accordé des pertes agricoles restreintes pour 1993 et 1994. Ils ont interjeté appel de cette décision au motif qu'ils avaient droit à toutes les pertes agricoles qu'ils avaient subies au cours de ces deux années.

[3]      Les paragraphes 8 à 12 de la réponse à l'avis d'appel de M. Russell Zalinko sont ainsi rédigés :

                   [TRADUCTION]

8.          Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1993 et 1994, l'appelant a déduit des montants de 37 076,23 $ et de 36 225 $, respectivement, à titre de pertes agricoles.

9.          En établissant de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a limité les pertes agricoles de l'appelant, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

10.        Pour établir ainsi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1993 et 1994, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          les faits admis ci-devant;

b)          l'appelant a commencé ses activités agricoles en 1972;

c)          l'appelant a acheté un quart de section de terre de son père en 1972;

d)          l'appelant a acheté d'autres sections de terre en 1976 et 1978;

e)          l'appelant a exploité à des fins agricoles 15 quarts de section jusqu'en 1988;

f)           une partie de ces 15 quarts de section a été louée;

g)          l'appelant a cessé de louer ces terres en 1988;

h)          l'appelant n'a pas établi son lieu de résidence sur l'exploitation agricole;

i)           l'appelant habite Regina, en Saskatchewan, et se rend tous les jours à son exploitation agricole;

j)           auparavant, l'appelant occupait un emploi d'enseignant;

k)          l'appelant a cessé d'enseigner et a pris sa retraite au cours de l'année d'imposition 1988;

l)           l'appelant exploitait une ferme en partenariat avec sa conjointe;

m)         le partenariat partageait les pertes et les profits selon un pourcentage de 60 p. 100 pour l'appelant et de 40 p. 100 pour sa conjointe;

(n)         le revenu agricole (les pertes) de l'appelant pour les années d'imposition 1990 à 1994 ont été calculés comme suit :

1990

1991

1992

1993

1994

Ventes

107 292

63 631

66 552

80 527

82 666

Moins

Charges en trésorerie

112 343

66 293

78 029

142 320

106 019

(5 051)

(2 662)

(11 477)

(61 793)

(23 353)

Moins

Déductions pour amortissement

37 495

29 310

30 097

        0

38 623

(42 546)

(31 972)

(41 574)

(61 793)

(61 976)

plus variation des stocks

          0

        0

         0

        0

    1 600

Perte nette

(42 546)

(31 972)

(41 574)

(61 793)

(60 376)

Part de l'appelant de 60 %

(25 528)

(19 183)

(24 944)

(37 076)

(36 226)

o)          l'appelant a déclaré des revenus non agricoles de 39 697 $ et de 44 000 $, respectivement, pour les années d'imposition 1993 et 1994;

p)          l'appelant a aliéné sept quarts de section de terre au cours de l'année d'imposition 1993;

q)          six quarts de section ont été saisis par la banque, et un quart de section a été vendu au fils de l'appelant;

r)           au cours des années d'imposition 1993 et 1994, l'appelant a loué les six quarts de section que la banque avait saisis afin de poursuivre ses opérations agricoles;

s)          l'appelant a déclaré un gain en capital imposable de 153 106 $ au titre de l'aliénation de terres agricoles par suite de la saisie bancaire et de la vente d'un quart de section à son fils au cours de l'année d'imposition 1993;

t)           l'appelant a déduit un gain en capital de 152 960 $ en compensation du gain qui avait été inclus dans son revenu de l'année d'imposition 1993;

u)          l'appelant a exploité une ferme céréalière durant les années d'imposition 1993 et 1994;

v)          la principale source de revenu de l'appelant pendant les années d'imposition 1993 et 1994 n'était ni l'agriculture ni une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

B.          QUESTION À TRANCHER

12.        La question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si, dans les années d'imposition 1993 et 1994, la principale source de revenu de l'appelant était l'agriculture ou une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

[4]      L'appelant, Russell Zalinko, a admis les hypothèses énoncées aux alinéas 10b) à u). Il a également admis des hypothèses semblables figurant dans la réponse à l'avis d'appel de sa conjointe, Barbara. Cependant, l'historique de la présente affaire est plus compliqué qu'il ne paraît.

[5]      Russell a grandi sur une ferme et a obtenu son baccalauréat en agriculture de la University of Saskatchewan en 1956. Pendant un an, il a travaillé sur la ferme. Il a ensuite repris des études à la même université pendant un an, et il a obtenu son certificat d'enseignement, puis finalement son baccalauréat en éducation. Après ses études, il a enseigné de 1958 à 1988, année où il a cessé d'exercer la profession d'enseignant et où il a pris sa retraite.   

[6]      Barbara a obtenu un diplôme en économie domestique de la University of Saskatchewan, puis elle a exercé un emploi auprès du Department of Parks and Renewable Resources du gouvernement de la Saskatchewan jusqu'à sa retraite, en 1997. L'appelante et son conjoint ont au moins un fils.

[7]      Russell a toujours souhaité exploiter une ferme. En 1972, ils ont acheté un quart de section de terre appartenant à son père pour la somme de 10 000 $, après avoir obtenu un prêt. En 1976, ils ont acheté trois quarts de section de terre près de Viceroy, en Saskatchewan, à l'est d'Assiniboia, grâce à un prêt consenti par la Banque de Montréal puis par un prêt obtenu de la Banque de Nouvelle-Écosse. Tout l'argent nécessaire à l'achat de ces quarts de section a été emprunté. Russell a vendu ces quarts de section à son frère en 1976. Cette même année, ils ont acheté trois quarts de section situés près de Rouleau, en Saskatchewan; en 1978, ils ont acheté quatre autres quarts de section, toujours près de Rouleau. Rouleau est située à proximité de Regina. En 1976, le paiement initial sur les quarts de section de Rouleau provenait des quarts de section vendus au frère de Russell cette même année. Le reste de l'argent a été emprunté. En 1980, ils ont consolidé leurs prêts auprès de la Banque Royale du Canada. Tout au long de ces années, ils ont exploité toutes ces terres agricoles.

[8]      De plus, en 1982, ils ont loué sept quarts de section de terre agricole situés à proximité de Regina et, en 1986, ils ont loué un autre quart de section de terre, au même endroit. En 1986, ils ont cédé ces baux.

[9]      En 1988, Russell a pris sa retraite comme enseignant. Il recevait une pension de plus de 30 000 $ par année. Il s'est par la suite entièrement consacré à l'exploitation agricole. Barbara l'aidait, consacrant environ 30 heures par semaine au travail à la ferme pendant la saison agricole tout en travaillant à temps plein comme fonctionnaire à Regina. Au cours des années visées par le présent appel, Russell vendait également des systèmes d'éclairage agricole. Cet emploi était de toute évidence un emploi secondaire auquel il a consacré moins de dix heures par semaine pendant la saison agricole en 1993 et en 1994.

[10]     Russell a admis que leurs autres revenus avaient permis de payer l'exploitation agricole et leur avaient permis de gagner leur vie au cours de toutes ces années d'activités agricoles.

[11]     En 1992, leurs récoltes ayant été touchées par une gelée hâtive, la qualité des produits a été moindre, de sorte que le prix qu'ils en ont obtenu était bas. Depuis plusieurs années, ils subissaient des pertes en raison de la chute des prix du grain. La Banque Royale a alors entrepris des procédures de saisie. Le 15 février 1993, les appelants ont cédé à la Banque Royale du Canada tous leurs quarts de section de terre, sauf un quart qu'ils ont transféré à leur fils. Ils ont par la suite loué les six autres quarts de section à la Banque Royale (onglet 2 de la pièce R-1). En raison de ces locations, ils ont déclaré un gain en capital en 1993, ce qui a donné lieu à la vérification en question. Au moment de passer l'entente avec la Banque Royale du Canada, ils devaient 1 175 942,19 $, y compris plus de 484 000 $ d'intérêts courus. Ils devaient également 22 000 $ d'impôts fonciers sur les terres agricoles.

[12]     Les appelants ont déclaré leur revenu selon la méthode de la comptabilité de caisse, de manière à éviter de devoir déduire les intérêts et impôts fonciers dans les années précédant immédiatement 1993. Toutefois, en dépit de cette méthode, comme il est énoncé dans les hypothèses de fait de Russell, leurs pertes agricoles conjointes étaient les suivantes :

                             1990                   42 546 $

                             1991                   31 972 $

                             1992                   41 574 $

                             1993                   61 793 $

                             1994                   61 976 $

S'ils avaient payé les impôts fonciers et les intérêts, ils auraient essuyé des pertes plus considérables pour les années précédant 1993.

[13]     En comparaison de ces chiffres, ils ont conjointement déclaré un revenu agricole brut de 80 527 $ pour 1993 et de 82 666 $ pour 1994, y compris une assurance-récolte. En 1995, leurs ventes de grain se sont élevées à 109 362,91 $. Les ventes de grain réelles semblent s'être élevées à 37 076,23 $ en 1993 et à 48 051,49 $ en 1994. Cependant, la Cour ne dispose d'aucun registre qui pourrait lui permettre de comparer les ventes de grain en 1990, 1991 et 1992. Il faut noter que les ventes de grains provenant d'une récolte de 1992 devraient normalement être réalisées dans l'année civile suivante, soit 1993.

[14]     Le juge Robertson déclarait, dans le jugement R. v. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513 ([1998] 1 C.T.C. 23), aux paragraphes 12 et 13 :

12         L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes « expectative raisonnable de profit » et « expectative de bénéfices raisonnables » ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices « considérables » en provenance de l'agriculture.

13         En l'espèce, il incombait au contribuable de démontrer ce qu'il aurait raisonnablement pu gagner n'eussent été les deux contretemps qui sont à l'origine de la perte, à savoir le décès de M. Rankin et la baisse des prix des chevaux. Je dis cela parce que le juge de la Cour de l'impôt a conclu que sans ces deux contretemps le contribuable aurait tiré la majeure partie de son revenu de l'agriculture au cours des trois années d'imposition en question. Il ne fait aucun doute que la perte de M. Rankin et les modifications qui ont été apportées aux lois fiscales américaines ont eu un effet négatif et inattendu sur l'entreprise, mais le contribuable n'a fourni aucun élément de preuve sur les bénéfices qu'il aurait pu réaliser si ces événements ne s'étaient pas produits ni sur la question de savoir si le montant aurait été jugé considérable par rapport à son revenu de profession libérale. Le contribuable ne pouvait pas se contenter d'affirmer qu'il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû fournir assez d'éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l'impôt d'évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s'élever.

[15]     Les appelants n'ont pas démontré ce qu'ils auraient raisonnablement pu gagner n'eut été la gelée hâtive survenue en 1992. Ils ont démontré que, jusqu'à maintenant, le prix des marchandises n'a pas augmenté.

[16]     Par conséquent, la question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si les appelants, à qui incombe la charge de la preuve, ont démontré que l'exploitation agricole leur aurait rapporté un profit important comparativement à leurs autres revenus si, en 1992, la gelée hâtive et la baisse des prix du grain n'étaient pas survenus. Le revenu de pension de Russell s'élevait à plus de 34 000 $ en 1993 et en 1994. Quant au revenu d'emploi de Barbara pour ces mêmes années, il s'élevait à 45 000 $. Toute période de démarrage de leur exploitation agricole était alors expirée. Ils ont subi des pertes depuis 1990, et ce, en dépit du fait qu'ils n'ont payé à la Banque Royale du Canada les intérêts sur leurs prêts qu'à partir de 1993 (année où ils n'ont payé qu'une partie des intérêts et des impôts fonciers) et qu'ils n'ont payé aucun impôt foncier en 1994.

[17]     D'après la preuve, les ventes de grain s'élevant à 109 000 $ pour l'année 1995 constituent une aberration. Cependant, en dépit de ce revenu, l'exploitation agricole a subi des pertes en 1995 lorsque, comme il est indiqué dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, les déductions pour amortissement ont été calculées. Ainsi, d'après la preuve, les années 1990 à 1992 semblent être la norme. Au cours de ces années, les appelants ont subi des pertes même s'ils n'avaient pas déduit les intérêts et les impôts fonciers non payés.

[18]     Les appelants n'ont pas réussi à s'acquitter de la charge qui leur incombait, soit démontrer qu'ils avaient une attente raisonnable de tirer un profit important de leurs activités agricoles en 1993 et en 1994.

[19]     Pour ces motifs, les appels sont rejetés.

Je requiers que les motifs du jugement ci-dessus, rendus oralement à l'audience à la Cour canadienne de l'impôt, Cour du Banc de la Reine, 520, Spadina Crescent East, Saskatoon (Saskatchewan) le 3 décembre 1999, soient déposés au dossier.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de novembre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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