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Dossier : 2004-175(IT)G

ENTRE :

HAE S. YOON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 16 mai 2005, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : l'honorable juge T. O'Connor

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Matthew Stacey

Avocate de l'intimée :

Me Patricia Babcock

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

JUGEMENT

          L'appel relatif à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est accueilli, avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation, étant entendu que, cette année-là, l'appelante n'était pas résidente du Canada.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juillet 2005.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2006.

Mario Lagacé, réviseur


Référence : 2005CCI366

Date : 20050722

Dossier : 2004-175(IT)G

ENTRE :

HAE S. YOON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge O'Connor

[1]    Cet appel a été entendu à Vancouver (Colombie-Britannique) le 16 mai 2005. Le point en litige est celui de savoir si l'appelante ( « Mme Yoon » ) résidait au Canada dans l'année d'imposition 2001, de sorte qu'elle était tenue de payer de l'impôt sur la totalité de son revenu imposable pour cette année-là. Dans les actes de procédure, une autre question a été soulevée, à savoir que, si Mme Yoon était assujettie à l'impôt au Canada en 2001, elle avait le droit de déduire certaines dépenses. Cependant, l'avocat de l'appelante a expliqué à l'audience que cette question-là ne se posait plus et que le seul point à trancher était celui de la résidence de Mme Yoon au Canada en 2001.

Faits

[2]    Je conclus que les faits principaux sont les suivants :

Mme Yoon est née en 1946 en Corée du Sud; elle a grandi et a fréquenté l'université dans ce pays-là.

En 1975, Mme Yoon a déménagé au Canada, y a épousé Ken Yoon et a acquis la citoyenneté canadienne; elle a eu une fille prénommée Caroline en 1980 et un fils prénommé Andrew en 1982.

En 1984, Mme Yoon, son époux et les deux enfants sont retournés en Corée et ont loué des condominiums à Séoul de 1984 à 2002; ils ont loué leur troisième et dernier condominium de 1995 à 2002.

Entre 1984 et 2000, Mme Yoon est venue trois fois au Canada. La durée de ses séjours a varié entre 10 jours et deux semaines.

En 1999, Mme Yoon et son époux ont décidé qu'ils prendraient leur retraite à Vancouver (Colombie-Britannique) et, en février 2000, les Yoon ont acheté conjointement une maison en rangée, à South Surrey.

En 2000, Mme Yoon a passé 301 jours en Corée, où elle a vécu dans son dernier condominium, et 34 jours à Vancouver. Son fils et sa fille ont vécu en Corée durant toute l'année 2000.

Le 7 décembre 2000, Mme Yoon a signé un contrat (le « contrat de MBT » ) avec la société Multimedia Broadband Technologies ( « MBT » ) pour une période de deux ans, débutant le 1er janvier 2001. Elle a travaillé dans le cadre du contrat de MBT à partir du mois de janvier 2001 jusqu'au 30 juin 2002. Les clauses de base du contrat étaient les suivantes :

a)      Mme Yoon devait traduire des documents rédigés en anglais et prendre part à des réunions d'affaires avec des étrangers à titre d'interprète, et fournir des services connexes;

b)     Mme Yoon devait être présente au bureau entre 10 h et 15 h chaque jour ouvrable.

       En 2001,

a)      la fille de Mme Yoon a vécu avec cette dernière pendant toute l'année 2001, et son fils en a fait autant durant les mois de janvier et de février 2001. En mars 2001, son fils a emménagé dans une résidence d'étudiants sur un campus universitaire, mais il revenait vivre chez sa mère les fins de semaine. En décembre 2001, il a rendu visite à son père à Vancouver.

b)     Mme Yoon possédait et utilisait deux automobiles en Corée. En outre, elle possédait et utilisait une automobile au Canada et avait des comptes bancaires au Canada.

c)     Mme Yoon détenait une carte d'assurance-santé coréenne et avait quatre comptes bancaires en Corée.

d)     Mme Yoon a passé 135 jours au Canada et 224 jours en Corée. Son époux a passé la majeure partie de l'année 2001 au Canada.

Les seules sources de revenu que Mme Yoon a eues en 2001 étaient les fonds versés par MBT dans le cadre du contrat de MBT, ainsi que les intérêts gagnés sur les fonds déposés dans des banques canadiennes.

Mme Yoon a pris part à plusieurs activités sociales, culturelles et religieuses en Corée en 2000 et en 2001.

Mme Yoon a produit une déclaration de revenus au Canada pour l'année 2001, indiquant un montant de 63 826,98 $ en revenus de placement, soit les intérêts sur les dépôts faits dans les banques canadiennes, et un montant de 72 060 $ en « revenus étrangers » , soit les fonds reçus dans le cadre du contrat de MBT.

En 2002, Mme Yoon a continué de faire la navette entre le Canada et la Corée, et a passé graduellement plus de temps en Colombie-Britannique qu'en Corée.

Argumentation de l'avocat de l'appelante

[3]    Voici un résumé des arguments de l'avocat.

Après avoir conclu que Mme Yoon n'était pas une personne réputée résider au Canada au sens du paragraphe 250(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), n'ayant pas séjourné au Canada pendant 183 jours en 2001 et n'ayant rempli aucune des autres conditions de ce paragraphe, et après avoir examiné une partie de la jurisprudence portant sur la détermination de la résidence, l'avocat a dit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Il est bien établi en droit que la question de la résidence dépend des faits particuliers de l'espèce. Lorsque l'on considère les nombreux facteurs présentés dans la jurisprudence, le but consiste simplement à s'assurer que Mme Yoon a établi, conservé ou centralisé son mode de vie habituel au Canada. Il est manifeste que Mme Yoon n'a pas résidé au Canada avant 2000, car elle n'a fait que trois brèves visites dans ce pays entre 1984 et 2000.

Le problème qui se pose est celui de savoir si, en 2000 et en 2001, Mme Yoon est devenue résidente du Canada. Les facteurs suivants donnent à penser que cela n'a pas été le cas en 2000 :

a)       elle a passé 301 jours en Corée et seulement 34 jours au Canada;

b)       ses « habitudes antérieures » étaient rattachées à la Corée, car il s'agit là du pays dans lequel elle est née et a été élevée, et c'est là qu'elle a vécu pendant de nombreuses années;

c)       elle avait des liens sociaux et personnels importants avec la Corée et, à l'exception de son époux, presque aucun lien social ou personnel avec le Canada;

d)       elle avait des liens culturels et religieux avec la Corée, et aucun de cette nature avec le Canada;

e)       ses enfants, qui ont été élevés en Corée, ont vécu avec elle pendant toute l'année 2000;

f)        elle a pris soin de sa mère en Corée jusqu'au décès de cette dernière en septembre 2000;

g)       elle a signé avec MBT un contrat pour travailler en Corée pendant les deux années suivantes, ce qui dénote qu'elle avait l'intention de vivre et de travailler dans ce pays;

h)       elle n'a pas travaillé au Canada.

[...]

Comme Mme Yoon n'a pas établi de résidence au Canada en 2000, la question qui se pose est de savoir si elle est devenue résidente du Canada en 2001. Les facteurs qui suivent donnent à penser que non :

a)       elle a passé environ 224 jours en Corée et 135 jours au Canada;

b)       ses « habitudes antérieures » étaient rattachées à la Corée, car il s'agit du pays dans lequel elle est née et a été élevée, et c'est là qu'elle a vécu pendant de nombreuses années;

c)       elle avait des liens sociaux et personnels importants avec la Corée, et, exception faite de son époux, presque aucun lien social ou personnel avec le Canada;

d)       elle avait des liens culturels et religieux avec la Corée et aucun de cette nature avec le Canada;

e)       sa fille a vécu avec elle durant toute l'année 2001;

f)        son fils a vécu avec elle au début de l'année 2001, et il revenait vivre chez elle la fin de semaine pendant qu'il fréquentait l'université;

g)       elle exerçait un emploi auprès d'une société coréenne située à Séoul;

h)       elle n'a pas travaillé au Canada.

[...]

[4]    L'avocat analyse ensuite les éléments du droit coréen qui se rapportent à la résidence et à la fiscalité. Il analyse aussi en détail les règles de départage de la convention fiscale entre le Canada et la Corée qui s'appliquent lorsqu'une personne est résidente des deux États contractants.

Argumentation de l'avocate de l'intimée

[5]    Les extraits qui suivent proviennent de l'argumentation écrite de l'avocate de l'intimée. Certains énoncés ont été supprimés.

[Traduction]

Absence de preuve de résidence coréenne

Mme Yoon est citoyenne canadienne et elle a produit sa déclaration de revenus à ce titre. Elle a résidé au Canada pendant quatre mois et demi en 2001. Les citoyens canadiens sont assujettis à l'impôt sur leurs revenus de toutes provenances. Si elle souhaite qu'on la considère comme une résidente de la Corée à des fins fiscales pour 2001, il lui incombe de prouver à l'aide de témoignages d'expert ce qu'est la loi en Corée en matière d'imposition des résidents et qu'elle était résidente de la Corée aux fins de l'impôt sur son revenu de toutes provenances. La Cour n'est saisie d'aucune preuve montrant que l'appelante est considérée comme une résidente d'un État contractant - la Corée - et qu'elle est assujettie à l'impôt dans ce pays-là du fait de cette résidence.

En produisant un document établi par son employeur en Corée, Mme Yoon, qui est citoyenne canadienne, ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombe. Il ne s'agit pas d'un document coréen officiel. [...] Il ne prouve pas qu'elle était assujettie à l'impôt sur son revenu de toutes provenances, pas plus qu'il ne prouve l'état du droit fiscal en Corée. [...] La Cour n'a été saisie d'aucune preuve indiquant sur quoi est basé l'assujettissement à l'impôt en Corée et si l'appelante est visée par le régime fiscal. [...] Il ressort toutefois de son témoignage qu'elle n'a pas déclaré son revenu d'intérêts canadien à la Corée.

[...]

[...] comme nous ne disposons pas de connaissances ordinaires sur l'assujettissement à l'impôt en Corée, il aurait donc fallu que l'appelante produise un témoin expert. Sans preuve d'expert, la Cour ne peut conclure que Mme Yoon était une résidente de la Corée, ce qui signifie qu'elle est assujettie à l'impôt au Canada sur son revenu de toutes provenances.

[...]

Elle a vendu sa maison en Corée quelques années avant de revenir au Canada et d'acheter la maison située à Morgan Creek [Surrey]. En outre, elle a acheté un appartement à Whistler, en 2002. Donc, au cours de l'année d'imposition 2001, elle avait à sa disposition un domicile permanent au Canada, ainsi qu'un appartement loué en Corée. Son époux a vécu dans la maison au Canada durant l'année 2001, et elle a été présente au Canada pendant 135 jours de l'année. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt [Thomson v. Minister of National Revenue, [1946] C.T.C. 51 (C.S.C.)] a étudié la question de la « résidence » et a conclu ce qui suit : [Traduction] « La gradation des degrés de temps, d'objet, d'intention, de continuité et d'autres circonstances pertinentes montrent, je crois, qu'en langage ordinaire la « résidence » n'est pas un terme qui se compose d'éléments invariables, auxquels il est nécessaire de tous satisfaire dans chaque cas. Il est tout à fait impossible de lui donner une définition précise et inclusive. [...] Dans un cas, on y satisfait par certains éléments, dans un autre, par d'autres éléments, parfois ordinaires, parfois nouveaux. » Le fait de posséder une résidence au Canada n'a rien d'occasionnel ou de non permanent.

[...]

Mme Yoon exerçait un emploi en Corée durant l'année d'imposition 2001. Elle avait un contrat de travail d'un an, un appartement loué, un compte bancaire dont elle pouvait se servir pour acquitter ses dépenses quotidiennes, ainsi qu'une automobile. Elle n'était pas une citoyenne de la Corée, mais une résidente étrangère. Telle est l'étendue de ses liens économiques avec la Corée. Ses liens avec le Canada sont [...]. Elle avait un passeport canadien dont elle se servait pour voyager entre le Canada et la Corée, une maison, des comptes bancaires dans quatre banques canadiennes différentes, des dépôts générant des intérêts de 60 000 $, deux cartes Visa, une automobile, un permis de conduire, une assurance-santé et la société qu'elle venait de créer, ANC. En outre, elle avait rendu visite à son époux et séjourné dans sa maison pendant 135 jours en 2001. [...] Elle a quitté la Corée en mai 2002 et vit depuis ce temps au Canada. [...] Le fait qu'en mai elle vivait à temps plein au Canada et avait mis fin à sa relation professionnelle avec la Corée renforce l'idée qu'elle est une résidente du Canada.

[...]

Analyse et conclusion

[6]    Il est bien établi par la jurisprudence que la question de la résidence doit être déterminée en fonction des faits de chaque affaire. Je suis d'avis qu'en l'espèce la prépondérance des faits mène à la conclusion que, dans l'année d'imposition 2001, l'appelante n'était pas résidente du Canada. Certes, elle avait à sa disposition un lieu de résidence en Colombie-Britannique, mais le temps passé au Canada en 2001 était minime par rapport au temps qu'elle a passé en Corée. La durée de ses séjours au Canada par opposition à celle de ses séjours en Corée - en 2000 : 301 jours en Corée, 34 jours au Canada, et en 2001 : 224 jours en Corée, 135 jours au Canada - font pencher la balance en faveur d'une résidence en Corée ou, du moins, d'une non-résidence au Canada. En outre, les liens sociaux, culturels et religieux qu'elle avait en Corée étaient nettement plus importants que ceux qu'elle avait au Canada. Plus important encore, le contrat de deux ans conclu avec MBT et commençant le 1er janvier 2001, même s'il pouvait être résilié sur préavis par MBT, néanmoins obligeait essentiellement l'appelante à fournir ses services en Corée. Il est difficile d'imaginer comment elle aurait pu résider au Canada et s'acquitter en même temps de ses obligations en vertu de ce contrat. Par ailleurs, le fait que les deux enfants vivaient avec elle en Corée constitue un autre lien de résidence en Corée. Le seul lien familial qu'elle avait avec le Canada était que son époux habitait la maison de Surrey. Le fait que son frère vivait lui aussi au Canada n'est pas aussi important que cela, car elle n'entretenait pas avec lui une relation étroite. En outre, le fait d'avoir produit pour 2001 une déclaration au Canada en faisant état d'une adresse au Canada n'est pas le signe concluant d'une résidence au Canada.

[7]    Dans la décision Shih v. R., 2000 DTC 2072 (C.C.I.), le juge Mogan a souligné l'importance du mode vie ordinaire du contribuable. Le contribuable avait immigré au Canada avec son épouse et ses trois fils, avait acheté une maison au Canada et était retourné travailler à Taïwan la même année. Il était venu chaque année au Canada pour voir sa famille, mais jamais pour plus de 59 jours dans une année quelconque. Il avait plusieurs liens avec Taïwan : d'autres membres de sa famille, un emploi, une maison, divers organismes dont il était membre, un permis de conduire et un compte bancaire. La principale raison pour laquelle il avait déménagé sa famille au Canada était pour que ses enfants puissent être instruits à l'occidentale.

[8]    S'appuyant sur ces faits, le juge Mogan a conclu que le contribuable était un résident de Taïwan et que ses liens avec le Canada n'étaient pas suffisamment forts pour faire de lui un résident du Canada. Le juge Mogan est arrivé à cette conclusion même si :

a)    le contribuable avait fait des placements au Canada;

b)    le contribuable possédait une maison au Canada;

c)    l'épouse et les enfants du contribuable se trouvaient au Canada;

d)    le contribuable rendait souvent visite à son épouse et à ses enfants, à la maison qu'ils avaient au Canada;

e)    le contribuable avait obtenu un permis de conduire au Canada;

f)     le contribuable produisait ses déclarations de revenus à titre de résident canadien.

[9]    En ce qui concerne la double résidence, le juge Mogan a dit ce qui suit :

Bien qu'une personne puisse à un certain moment avoir deux résidences ou plus d'un point de vue fiscal, la plupart des personnes n'auront qu'une seule résidence et, si elle est dans le pays A, il devra exister des circonstances particulières pour qu'une personne ait en même temps une résidence dans un pays B.

[10]Cette décision est également digne de mention car le juge Mogan a statué que le contribuable n'était pas « lié ou empêché de contester par les énoncés contenus dans ses déclarations de revenus » relativement à sa résidence. Le problème consistait à savoir si le contribuable était en fait et en droit un résident du Canada dans les années d'imposition en question.

[11]Je conclus donc qu'en 2001, l'appelante n'était pas résidente du Canada. J'ajoute que, comme l'a fait valoir l'avocate de l'intimée, étant donné que les dispositions de la loi coréenne en matière de résidence et d'impôt n'ont pas été établies, il est à première vue impossible d'appliquer cette loi et d'en conclure qu'en vertu de la loi coréenne, l'appelante était résidente de Corée et était assujettie à l'impôt coréen. Je signale toutefois que tout ce qu'il faut pour trancher cet appel est de conclure que, dans l'année 2001, l'appelante n'était pas résidente du Canada; il s'agit là de la principale conclusion à laquelle je suis arrivé et sur laquelle la présente décision est essentiellement fondée.

[12]Toutefois, si l'analyse qui précède est inexacte et si j'étais contraint de traiter de la question de la résidence en Corée, je crois que, conformément aux principes du droit international privé, lorsque la loi étrangère n'a pas été établie, un tribunal peut se fier à la loi du tribunal saisi (en l'occurrence, pour établir la résidence en Corée); si l'on appliquait la loi du tribunal saisi (Canada) à la question de la résidence, j'aurais peu de difficulté à conclure que l'appelante était résidente de la Corée en 2001.

[13]     Pour ce qui est de l'application de la loi du tribunal saisi, il existe une certaine jurisprudence où il est question de l'effet du défaut d'établir la loi étrangère. La règle traditionnelle veut que la cour présume que la loi étrangère est la même que celle du tribunal saisi :Helens (falsely called Densmore)v. Densmore, [1957] R.C.S. 768. Il a été dit, toutefois, que cette présomption ne s'applique qu'à la loi en général, et non à des dispositions législatives précises.

[14]     Dans l'affaire Navire Mercury Bell c. Amosin, [1986] 3 C.F. 454 (C.A.F.), un accord collectif n'était pas conforme à la législation canadienne du travail. La loi applicable était celle du Libéria, ce qui n'a pas été établi devant la Cour.

La Cour d'appel fédérale a énoncé la règle classique, à la page 645 :

Si les parties, volontairement ou par inadvertance, omettent de présenter des témoignages d'experts sur la loi étrangère, la cour agira comme si celle-ci était identique à sa propre loi, elle appliquera la loi nationale du tribunal saisi.

La Cour a ensuite ajouté le commentaire suivant :

Le problème que soulève cette règle jurisprudentielle est que, si ancienne, fondamentale et simple soit-elle, sa signification véritable et son champ d'application n'ont jamais été clairement précisés. Il reste à éclaircir si la common law devrait être la seule loi du tribunal saisi ou si le droit écrit devrait également entrer en jeu.

[15]     La distinction entre la common law et le droit écrit a toutefois été rejetée. Au lieu de cela, la Cour a fait une distinction, à la page 650, entre la loi générale et les lois à caractère interne ou réglementaire.

Une constante se dégage toutefois de la lecture des différents jugements, soit la réticence des juges à trancher des litiges mettant en cause des étrangers et le droit d'un autre pays en se fondant sur des dispositions de notre législation particulières à des situations locales, liées à des conditions locales ou établissant des exigences réglementaires. Cette réticence procède d'une distinction entre les dispositions de fond à caractère général, et les autres dispositions, qui sont à caractère interne ou réglementaire; cette distinction, que je considère entérinée de façon formelle par le juge Cartwright dans les deux passages que je viens de citer, est, contrairement à la simple division opérée entre la common law et le droit écrit, tout à fait raisonnable. Cette règle jurisprudentielle anglaise, selon laquelle, en l'absence d'une preuve de la loi étrangère applicable, le juge appliquera la loi du tribunal saisi, ne devrait pas et ne doit pas, selon moi, être interprétée comme l'abandon pur et simple de la règle des conflits de lois comme si son importance était si minime que son application pouvait être laissée à la fantaisie des parties. En fait, il ne s'agit pas d'une authentique règle des conflits de lois; cette situation n'est aucunement comparable à celle qui se présente lorsque, par renvoi, la loi étrangère porte que la loi du tribunal saisi doit s'appliquer. Il s'agit d'une règle strictement reliée à l'incidence de la preuve. La Cour n'écarte pas le principe voulant que l'affaire soit régie par la loi étrangère et que la décision qui la concerne doive être prise sur le fondement de cette loi; elle dit simplement que la loi étrangère, selon les informations qui lui ont été régulièrement présentées, est semblable à sa propre loi. Il s'agit, ainsi que le note Castel, d'une règle établie à seule fin de commodité qui, à ce qu'il me semble, ne peut être raisonnablement [page 467] acceptable que lorsqu'elle se limite à des dispositions de la loi susceptibles d'une certaine universalité. Tel est, à mon avis, le critère en fonction duquel doit être tranché le présent litige.

C'est donc dire que la « présomption » selon laquelle la loi étrangère est la même que la loi du tribunal saisi, en l'absence de preuve de la première, est en fait, d'après la Cour d'appel fédérale, une règle de preuve. La loi interne est la seule que la Cour peut appliquer.

[16]     Cette règle des conflits de lois a été appliquée dans le contexte fiscal par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Backman v. Canada, 99 DTC 5602. Dans cette affaire, la question en litige consistait à savoir s'il existait une société de personnes, et donc si le contribuable avait droit à des déductions au titre de pertes d'une société de personnes. Le contribuable soutenait que la loi applicable était celle du Texas, et qu'en vertu de cette loi, il existait une société de personnes.

[17]     Dans l'arrêt Backman, la Cour a convenu que la loi applicable était celle du Texas. À l'audience, le contribuable avait cité un témoin expert pour établir l'applicabilité de la loi du Texas. Il a toutefois été décrété que la preuve ainsi produite ne permettait pas de conclure si cette loi exigeait que l'un des éléments constitutifs d'une société de personnes fût que cette dernière soit exploitée à des fins lucratives. Ayant conclu que l'applicabilité de la loi du Texas n'avait pas été établie de manière convenable en vue de régler le litige, la Cour a cité le professeur Castel et une partie du passage cité ci-dessus, extrait de l'arrêt Mercury Bell. Il a été décidé que la loi concernant les sociétés de personnes était un exemple de loi d'application générale. La loi interne applicable - l'Alberta Partnership Act - a été appliquée en l'absence de preuve suffisante de l'applicabilité de la loi du Texas. Dans une note de bas de page, la Cour a précisé qu'elle ne disait pas que la loi du Texas était identique à celle de l'Alberta à cet égard, mais plutôt qu'en l'absence de preuve satisfaisante, c'était la loi du tribunal saisi qui s'appliquait. L'arrêt Backman a été confirmé en appel devant la Cour suprême du Canada (2001 DTC 5149).

Si l'on applique au présent appel la jurisprudence qui précède, en l'absence de preuves quant à l'applicabilité de la loi coréenne, la première question qui se pose est de savoir si la résidence à des fins fiscales est une loi générale ou une loi à caractère interne ou réglementaire. À mon avis, la résidence est un concept fondamental dans le domaine de la fiscalité, et la détermination de la résidence est une question de loi générale. Il ne s'agit pas d'une loi à caractère réglementaire. Si tel est le cas, la question de savoir si l'appelante était une résidente de la Corée peut être déterminée conformément à la loi canadienne en l'absence de preuve quant à l'applicabilité de la loi étrangère.

[18]Ainsi qu'il a été mentionné, je crois qu'il est possible de trancher le présent appel en concluant simplement que Mme Yoon n'était pas résidente du Canada en 2001. J'ai ajouté à cela, dans la mesure nécessaire, le fait que, si j'appliquais la loi du tribunal saisi, je conclurais qu'elle résidait en Corée en 2001. En outre, étant donné que les avocats ont tous deux fait état de la possibilité d'une double résidence en Corée et au Canada en 2001 et qu'ils ont traité des règles de départage que comporte la convention entre le Canada et la Corée, je me sens contraint d'examiner cette possibilité.

[19]S'il est conclu que Mme Yoon était résidente à la fois du Canada et de la Corée, il faut alors que sa cause soit tranchée par les règles de départage que comporte la convention entre le Canada et la Corée. Le paragraphe 2 de l'article IV de cette convention est le suivant :

2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des États contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes :

a) cette personne est considérée comme résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des États contractants, elle est considérée comme résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (ci-après dénommé « centre des intérêts vitaux » );

b) si l'État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou qu'elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des États contractants, elle est considérée comme résident de l'État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

c) si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des États contractants ou qu'elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme résident de l'État contractant dont elle possède la nationalité;

d) si cette personne possède la nationalité de chacun des États contractants ou qu'elle ne possède la nationalité d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d'un commun accord.

[...]

[20]Il est un principe juridique établi qu'il convient d'interpréter les conventions fiscales bilatérales de manière large en tenant compte de leur objet et de leur but, plutôt que de manière stricte et littérale. À cet égard, dans l'arrêt Crown Forest Industries Ltd. v. Canada, 95 DTC 5389 (C.S.C.), le juge Iaccobucci a dit que le Modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune de l'OCDE (le « Modèle de convention de l'OCDE » ) était « fort convaincant » pour ce qui était de délimiter les paramètres de diverses conventions fiscales du Canada. En passant en revue l'objet et les intentions de la Convention Canada-États-Unis, le juge Iaccobucci a eu abondamment recours à des documents extrinsèques :

[...] pour dégager ces objectifs et intentions, un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique (notamment les conventions modèles acceptées et les commentaires officiels portant sur celles-ci) sans qu'il soit nécessaire d'avoir préalablement décelé une ambiguïté.

La Cour a ensuite examiné non seulement le modèle de convention fiscale de l'OCDE mais aussi les commentaires connexes (les « Commentaires de l'OCDE » ).

i. Foyer d'habitation permanent

[21]Le premier élément de départage est celui de savoir si Mme Yoon disposait d'un foyer d'habitation permanent au Canada ou en Corée. Voici ce qu'on peut lire dans les Commentaires de l'OCDE :

11.        L'article accorde la préférence à l'État contractant où l'intéressé dispose d'un foyer d'habitation permanent. Ce critère suffira souvent pour résoudre le conflit résultant du fait qu'une personne qui a un foyer permanent dans un État contractant a seulement effectué un séjour d'une certaine durée dans l'autre État contractant.

12.        L'alinéa a) veut donc dire que, pour l'application de la Convention (donc lorsqu'il y a conflit entre les législations des deux États) on considère que la résidence de la personne physique se trouve là où celle-ci a la possession ou la jouissance d'un foyer d'habitation, à condition que ce dernier soit permanent, c'est-à-dire que la personne l'ait aménagé et réservé à son usage d'une manière durable, par opposition au fait du séjour à un certain endroit dans des conditions telles que ce séjour apparaisse comme devant être limité à une courte durée.

13.        Au sujet de la notion de foyer d'habitation, il faut observer que toute forme d'habitation peut être prise en considération (maison ou appartement qui est la propriété de l'intéressé ou pris en location, chambre meublée louée). Mais la permanence de l'habituation est essentielle, ce qui signifie que l'intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d'une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour qui, compte tenu des raisons qui le motivaient, est nécessairement lié à une courte durée (voyage d'agrément, voyage d'affaires, voyage d'études, stage dans une école, etc.).

[22]En 2001, Mme Yoon habitait le dernier condominium mentionné plus tôt, en Corée. Elle avait vécu à cet endroit et, avant cela, dans deux autres condominiums, pendant les neuf années précédentes. Il est manifeste qu'il s'agissait d'un foyer d'habitation aménagé et réservé à son usage d'une manière durable et qu'il était à sa disposition en tout temps pendant toute l'année 2001. Il est vrai aussi qu'en 2001, Mme Yoon disposait d'un foyer d'habitation permanent au Canada, en plus de son foyer d'habitation permanent en Corée.

ii.        Centre des intérêts vitaux

Le droit applicable

[23]Si la contribuable dispose d'un foyer d'habitation permanent dans deux pays, elle est réputée être résidente du pays dans lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (le « centre de ses intérêts vitaux » ). Le paragraphe 15 des Commentaires de l'OCDE sur l'article 4 comporte ce qui suit :

15.           Lorsque la personne physique a un foyer d'habitation permanent dans les deux États contractants, il y a lieu de rechercher dans les faits celui des deux États avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits. Seront ainsi pris en considération les relations familiales et sociales de l'intéressé, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires, le lieu d'où il administre ses biens, etc. Les circonstances doivent être examinées dans leur ensemble; mais il est évident cependant que les considérations tirées du comportement personnel de l'intéressé doivent spécialement retenir l'attention. Si une personne qui a une habitation dans un État établit une deuxième habitation dans un autre État, tout en conservant la première, le fait que l'intéressé conserve cette première habitation dans le milieu où il a toujours vécu, où il a travaillé et où il garde sa famille et ses biens peut, avec d'autres éléments, contribuer à démontrer qu'il a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier État.

[24]Le juge Sobier, dans la décision Hertel v. Minister of National Revenue, 93 DTC 721 (C.C.I.), a pris en considération l'analyse portant sur le centre des intérêts vitaux. Dans cette affaire, le contribuable était né en Allemagne en 1942 et avait immigré au Canada en 1959. Il avait vécu au Canada jusqu'en 1970, date à laquelle il était rentré en Allemagne avec son épouse. Dans ce pays, le contribuable avait établi une entreprise de vente de pièces d'un dollar canadien en argent à des banques allemandes. Il se rendait ainsi jusqu'à quinze fois par année au Canada pour acheter des pièces. Dans les années 1970, le contribuable a acheté plusieurs biens immobiliers au Canada, dont l'un était utilisé par lui et sa famille lorsqu'ils passaient des vacances au Canada. Le contribuable a témoigné qu'il avait fait l'acquisition d'un foyer d'habitation à Calgary, où il avait l'intention de vivre plus tard.

[25]Ayant conclu que le contribuable avait un foyer d'habitation dans chaque pays, le juge Sobier a analysé le centre des intérêts vitaux du contribuable, et a souligné ce qui suit :

Pour déterminer le centre des intérêts vitaux, il ne suffit pas de soupeser ou de dénombrer les facteurs où les liens dans chaque État. Il faut chercher à savoir, et cela importe plus que le nombre, avec quel État la personne a les liens les plus étroits.

[Italiques ajoutés.]

[26]Pour déterminer les intérêts du contribuable, le juge Sobier a pris en considération l'endroit où vivaient son épouse et ses enfants, le fait que ses enfants fréquentaient l'école en Allemagne, sa participation à des activités communautaires en Allemagne, les amis qu'il avait en Allemagne, et le fait que le seul parent qu'il avait au Canada était son frère (le reste de sa famille se trouvait en Allemagne). En se fondant sur la profondeur des racines du contribuable en Allemagne, la Cour a conclu que c'était dans ce pays où se situait le centre des intérêts vitaux du contribuable, et ce, même si ce dernier possédait des foyers d'habitation au Canada, avait l'intention de vivre dans ce pays un jour et venait souvent au Canada pour affaires.

[27]Dans l'affaire Gaudreau v. R., 2005 DTC 66 (C.C.I.), le contribuable était un citoyen canadien qui avait quitté le Canada pendant quatre ans pour travailler en Égypte. La Cour a statué qu'il était un résident en vertu des lois intérieures du Canada et de l'Égypte et que c'étaient les règles de départage figurant dans la Convention fiscale entre le Canada et l'Égypte qui s'appliqueraient en vue de déterminer son statut. La juge Lamarre a fait remarquer que le contribuable avait conservé des liens importants avec le Canada; elle s'est référée au paragraphe 15 des commentaires de l'OCDE et a dit ce qui suit :

Par conséquent, si une personne qui a une habitation dans un État en établit une deuxième dans l'autre État tout en conservant la première, le fait qu'elle conserve cette première habituation dans le milieu où elle a toujours vécu, où elle a travaillé et où elle garde sa famille et ses biens peut, avec d'autres éléments, contribuer à démontrer qu'elle a conservé le centre de ses intérêts vitaux dans le premier État.

[28]Il est dit dans les Commentaires de l'OCDE qu'il est nécessaire de prendre en considération les relations familiales et sociales de l'intéressé, ses occupations, ses activités politiques, culturelles ou autres, le siège de ses affaires et le lieu à partir duquel il administre ses biens. La famille de Mme Yoon était partagée entre le Canada et la Corée. Son époux vivait au Canada, mais ses enfants vivaient avec elle en Corée. Toutefois, les enfants de Mme Yoon comptaient sur elle dans une large mesure pour subvenir à leurs besoins, car ils entreprenaient une étape de transition cruciale dans leurs vies.

[29]En 2001, Mme Yoon avait de nombreux liens familiaux, sociaux et culturels avec la Corée, et il en a été question plus tôt.

[30]Par contraste, la vie sociale de Mme Yoon en Colombie-Britannique tournait principalement autour de son époux, car elle n'avait pas encore noué de liens importants avec la collectivité.

[31]En 2001, Mme Yoon exerçait les fonctions de traductrice, etc. pour le compte de MBT. Elle ne travaillait pas au Canada. Sa seule source de revenu actif était l'emploi qu'elle exerçait chez MBT en Corée. Mme Yoon avait des comptes bancaires, des cartes de crédit et des permis de conduire au Canada et en Corée. Elle détenait aussi une assurance-santé au Canada et en Corée.

[32]Les projets qu'avait Mme Yoon de prendre sa retraite au Canada ne permettent pas de déterminer où se situait en 2001 le centre de ses intérêts vitaux. Le critère du centre des intérêts vitaux exige que l'on examine les liens qu'avait la contribuable avec chacun des pays dans cette année-là. Son intention de prendre sa retraite au Canada se compare à celle qu'avait le contribuable dans l'affaire Hertel de résider un jour au Canada. Dans la décision Hertel (précitée), la Cour n'a pas accordé beaucoup d'importance à cette intention, même si le contribuable avait de nombreux liens avec le Canada. En tout état de cause, le contrat de deux ans que la contribuable avait signé avec MBT à la fin de 2000 signifiait qu'elle avait l'intention de vivre et de travailler en Corée dans un avenir rapproché.

[33]Le paragraphe 15 des Commentaires de l'OCDE, qui est cité dans la décision Gaudreau, précitée, étaye davantage la conclusion que le centre des intérêts vitaux de la contribuable se trouvait en Corée en 2001. Même si Mme Yoon a pris des mesures préliminaires pour déménager au Canada, il est clair qu'en 2001 elle a conservé son foyer d'habitation en Corée. Elle a continué de vivre dans l'État où elle vivait depuis neuf ans, ses enfants ont continué de vivre et d'étudier en Corée, elle a continué de prendre part à la vie sociale qu'elle avait établie, et elle n'a rien fait pour rompre les liens qu'elle avait avec la Corée. Conformément aux Commentaires de l'OCDE et à la décision Gaudreau, le fait que Mme Yoon ait conservé son foyer d'habitation en Corée montre qu'elle avait conservé le centre de ses intérêts vitaux dans ce pays-là.

iii.         Séjour habituel

[34]S'il est impossible de déterminer le centre des intérêts vitaux de Mme Yoon, la convention entre le Canada et la Corée déterminera que cette dernière réside dans le pays où elle séjourne habituellement.

[35]Dans une décision récente, Allchin v. Canada, [2005] T.C.J. No 172 (C.C.I.), la contribuable avait des liens importants à la fois avec le Canada et avec les États-Unis, de sorte qu'il était impossible de déterminer quel était le centre de ses intérêts vitaux. Le juge Bell a reconnu la valeur convaincante des Commentaires de l'OCDE, mais il a dit que ces commentaires n'étaient pas utiles pour interpréter le sens de l'expression « séjour habituel » , car le modèle de convention de l'OCDE était différent de la convention entre le Canada et les États-Unis au chapitre de l'application des règles de départage.

[36]Aux termes de la convention entre le Canada et les États-Unis, lorsqu'une personne a un foyer d'habitation permanent dans les deux États, ou alors dans ni l'un ni l'autre, l'élément de départage est le centre de ses intérêts vitaux. S'il est impossible de discerner le centre des intérêts vitaux de l'intéressé, l'élément de départage est donc l'endroit où ce dernier séjourne habituellement. Par contraste, le modèle de convention de l'OCDE fait abstraction de l'analyse fondée sur le centre des intérêts vitaux si l'intéressé n'a pas de foyer d'habitation permanent dans l'un ou l'autre État, et l'élément de départage est le lieu de séjour habituel de l'intéressé.

[37]En raison de cette distinction, le juge Bell n'a pas tenu compte des Commentaires de l'OCDE sur le sens du « séjour habituel » . Il a plutôt dit que la combinaison des preuves décrivant la nature du style de vie et des activités de la contribuable aux États-Unis et du fait qu'elle avait passé 265 jours aux États-Unis et 100 jours au Canada dénotait clairement que son lieu de séjour habituel était aux États-Unis.

[38]La distinction qu'il y a entre le modèle de convention de l'OCDE et la Convention Canada-États-Unis n'existe pas entre le modèle de convention de l'OCDE et la Convention Canada-Corée. Les règles de départage énoncées au paragraphe 2 de l'article IV du modèle de convention de l'OCDE sont les mêmes que celles de la Convention Canada-Corée. C'est donc dire que les Commentaires de l'OCDE sont pertinents en l'espèce pour déterminer quel était le lieu de séjour habituel de Mme Yoon en 2001.

[39]Le texte du paragraphe 17 des Commentaires de l'OCDE sur l'article IV est le suivant :

17.        Dans la première situation visée, à savoir le cas où la personne physique dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des États, le fait du séjour habituel dans un État plutôt que dans l'autre apparaît donc comme la circonstance qui, en cas de doute quant à l'endroit où l'intéressé a le centre de ses intérêts vitaux, fait pencher la balance du côté de l'État où il séjourne le plus souvent. Doivent être pris en considération à cet égard les séjours faits par l'intéressé non seulement au foyer d'habitation permanent de l'État considéré mais aussi à tout autre endroit du même État.

[Italiques ajoutés.]

[40]À part la décision Allchin, précitée, il n'existe aucune cause canadienne où l'on traite du sens de l'expression « séjour habituel » . Cependant, dans une cause instruite aux États-Unis - Podd v. Commissioner, (1998) Tax Ct. Memo LEXIS 414 - le juge Wells, de la United States Tax Court, confirme le sens donné à cette expression dans les Commentaires de l'OCDE.

[Traduction] Par conséquent, lorsqu'il existe un doute quant au « centre des intérêts vitaux » d'une personne, la balance penche du côté du pays où cette personne séjourne le plus souvent.

[41]Il ressort de la preuve qu'en 2001, Mme Yoon a passé plus de temps en Corée qu'au Canada. Par conséquent, son lieu de séjour habituel était en Corée et non au Canada. S'il s'avère impossible de déterminer le centre de ses intérêts vitaux, cet élément de départage dénote sans conteste que Mme Yoon était une résidente de la Corée cette année-là.


[42]Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli, avec dépens, et l'affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation, étant entendu que l'appelante n'était pas une résidente du Canada dans l'année d'imposition 2001.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juillet 2005.

« T. O'Connor »

Juge O'Connor

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2006.

Mario Lagacé, réviseur

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