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Dossier : 2003-72(IT)I

ENTRE :

JANET FEDORVICH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

__________________________________________________________________

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Daniel Fedorvich (2003-73(IT)I), le 28 avril 2003 à Edmonton, en Alberta,

Par : L'honorable juge M.A. Mogan

Comparutions

Avocat de l'appelante :

Me Russell A. Flint

Avocate de l'intimée :

Me Galina M. Bining

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations relatives à l'impôt établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000 sont rejetés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'avril 2004.

« M.A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

Ce    e jour de juin 2004

Louise-Marie LeBlanc, traductrice


Référence : 2004CCI288

Date : 20040413

Dossiers : 2003-72(IT)I

2003-73(IT)I

ENTRE :

JANET FEDORVICH et DANIEL FEDORVICH,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan

[1]      Les appels de Janet Fedorvich (dossier de la Cour 2003-72) et de Daniel Fedorvich (dossier de la Cour 2003-73) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les deux appelants se sont mariés en 1972 et ont présenté ces appels en tant que conjoints. Pour des raisons de commodité, je ferai référence aux deux appelants par leur nom, soit Daniel et Janet. Les appels visent les années d'imposition 1999 et 2000. Pour ces deux années, chaque appelant a déclaré une perte relative à une entreprise agricole qu'ils exploitaient en partenariat. Les pertes agricoles liées au partenariat ont été allouées dans une mesure de 75 p. 100 - 25 p. 100 comme indiqué ci-dessous :

1999

2000

Daniel

50 622 $

52 839 $

Janet

16 874 $

17 613 $

[2]      Daniel et Janet sont des enseignants qualifiés occupant un emploi à temps plein dans la province d'Alberta. Dans le calcul de leur revenu pour les années faisant l'objet du présent appel, leur perte agricole a été déduite de leur revenu d'enseignants en vertu de la Section B (articles 3 à 108) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'il a établi les nouvelles cotisations des appelants pour les années 1999 et 2000, le ministre du Revenu national a rejeté certaines dépenses que les appelants avaient associées à l'entreprise agricole et a attribué les dépenses non permises dans une mesure de 75 p. 100 à Daniel et de 25 p. 100 à Janet. Il a également limité les montants déductibles à titre de perte agricole en vertu de l'article 31 de la Loi. On peut résumer les nouvelles cotisations de la manière suivante :

1999

Daniel

Janet

Perte agricole déclarée

50 622 $

16 874 $

Dépenses non permises

8 583 $

2 861 $

Perte agricole nette

42 039 $

14 013 $

Perte agricole restreinte (article 31)

8 750 $

8 256 $

Perte non admissible

33 289 $

5 757 $

2000

Daniel

Janet

Perte agricole déclarée

52 839 $

17 613 $

Dépenses non permises

14 767 $

4 923 $

Perte agricole nette

38 072 $

12 690 $

Perte agricole restreinte (article 31)

8 750 $

7 595 $

Perte non admissible

29 322 $

5 095 $

[3]      Selon l'article 31 de la Loi, si une condition particulière s'applique relativement à la « source principale de revenu » , on limite la perte déductible liée à une entreprise agricole selon la formule indiquée. L'article 31 a fait l'objet de bien des litiges et la partie pertinente est rédigée en ces termes :

31. (1) Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, pour l'application des articles 3 et 111, ses pertes pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants:

                   a) la moins élevée des sommes suivantes :

Selon la formule présentée après le paragraphe susmentionné, on peut calculer une perte agricole « réputée » maximale de 8 750 $ dépendamment du montant de la perte véritable. Si le revenu principal du contribuable provient de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, il n'y a aucune restriction sur le montant de la perte agricole dont on peut tenir compte aux fins de l'impôt sur le revenu. Par contre, si le contribuable ne répond pas aux critères du « revenu principal » , alors sa perte agricole sera restreinte selon la formule présentée à l'article 31. En ce qui concerne les nouvelles cotisations faisant l'objet de l'appel, le ministre a admis que les appelants exploitaient une entreprise agricole (c'est-à-dire que ce n'est pas un passe-temps). Par conséquent, la seule question en litige vise à savoir si les appelants répondent au critère relatif au « revenu principal » .

Les faits

[4]      Daniel est né à Edmonton vers 1948. Son père exploitait une entreprise d'élevage de porc de race et il (Daniel) a travaillé sur une ferme depuis l'âge de trois ou quatre ans. Il a monté des chevaux et a participé à la fenaison. Il a quitté le domicile familial à l'âge de dix-huit ans afin de poursuivre des études universitaires et il a commencé à enseigner en 1967 après deux ans de formation des enseignants. Il a rencontré Janet en 1969 et ils se sont mariés en 1972. Elle est née vers 1954 à Fairview, en Alberta (juste à l'ouest de la rivière de la Paix), mais a vécu sur une ferme près de Worsley. Son père était producteur de céréales et éleveur de bovins, et plus tard, uniquement producteur de céréales. En grandissant, elle a appris à accomplir les tâches agricoles habituelles. Ses grands-parents étaient également éleveurs de bovins. Les appelants ont deux filles qui sont mariées. Une d'entre elles vit à Edmonton avec ses deux fils et l'autre vit à Dawson Creek avec ses deux filles.

[5]      Après leur mariage, les appelants ont vécu à Worsley et à d'autres endroits, mais ils sont arrivés dans le comté de Leduc en 1982 et y vivent depuis. Daniel a commencé à enseigner à temps plein en 1967 et était toujours enseignant à temps plein en 2003. Il a obtenu son diplôme universitaire en 1979 en prenant des cours d'été. Janet a obtenu son baccalauréat en éducation en 1988 et enseigne les mathématiques, les sciences et la biologie à temps plein à l'école secondaire. En 1986, les appelants ont acquis une parcelle de terre de trois acres à l'extérieur de Devon, au sud-ouest de Edmonton. En 1988, Daniel a entrepris l'élevage de poulets sur leur terre de trois acres. Il vendait les poulets et les oeufs à des amis et des voisins grâce au bouche à oreille. Le règlement de zonage de Spruce Grove ne permet qu'un nombre limité de poulets par acre alors en 1994, Daniel et Janet ont changé leur entreprise pour un élevage des vaches et des veaux.

[6]      Lorsque les appelants ont commencé à faire l'élevage de vaches et de veaux, ils ne pouvaient pas acheter de terres parce qu'en 1994, un quart de section se vendait 850 000 $. Le fait que les terres se trouvaient près d'Edmonton constituait peut-être un facteur du prix élevé des terres près de Devon. En 1995, ils ont loué 80 acres situés à environ 30 minutes de leur résidence, et ont acheté 23 têtes de bétail. Ils voulaient acquérir ces acres afin de garantir la nourriture pour leur bétail. Ils ont abandonné les 80 acres de terres louées lorsque le propriétaire de la terre voisine a fait sauter son barrage et qu'ils ont ainsi perdu leur source d'eau. En 1996, ils ont loué 35 acres près de la réserve Enoch à environ 20 minutes de leur domicile, et ils ont emmené leurs 23 têtes de bétail à ce nouvel endroit. Ils ont voulu louer des terres pour cultiver du foin, mais les entrepreneurs n'étaient pas toujours disponibles lorsque venait le temps des récoltes, et ils risquaient de perdre du foin si on ne le récoltait pas à temps. Après 1996, ils ont décidé d'acheter le foin à 20 $ le ballot.

[7]      Les appelants ont eu leur part de malchance. En 1995, ils ont acheté un taureau pur sang, mais le printemps suivant, seulement la moitié des vaches étaient enceintes. Ils ont échangé le taureau pur sang parce qu'il n'était pas bon pour l'accouplement, mais leur deuxième taureau a été tué par la foudre. En 1997, ils ont eu 27 veaux, mais cinq d'entre eux sont morts de diarrhée, une maladie causant la déshydratation du bétail. Un de leurs meilleurs veaux est également mort soudainement, apparemment après avoir consommé de la grande ciguë. En 1997 et 1998, ils ont dû transporter de l'eau parce que les mares artificielles étaient à sec.

[8]      En 1999, les appelants ont installé leur entreprise d'élevage de bovins à un nouvel endroit et l'exploitait toujours à cet endroit au moment de leur audience en 2003. Au paragraphe 12 des Avis d'appel, on décrit l'endroit comme une terre agricole de 300 acres. Le témoin des appelants, Pascal Hamel, le décrit comme du pâturage loué et un terrain sur lequel se trouvaient deux granges. Selon le témoignage de Daniel, en 1999, ils possédaient 50 vaches, dix génisses et quatre taureaux, et en 2000, 75 vaches, aucune génisse et quatre taureaux.

[9]      La pièce A-3 consiste en une lettre que les appelants ont envoyée à l'Agence du revenu du Canada en mars 2002 comme pièces justificatives de leur Avis d'opposition. Dans la lettre, on décrit les nombreuses activités agricoles ayant nécessité l'attention des appelants pendant cinq périodes de l'année civile. De janvier à avril, c'est la principale période de vêlage à laquelle après l'école Daniel et Janet essayaient de consacrer toute leur attention lorsque cela était nécessaire, soit de 16 h 30 jusqu'au lendemain matin (7 h 30) lorsqu'ils partaient travailler à l'école, et bien sûr les fins de semaine. Pendant les mois de mai et juin, c'est la période de fertilisation des pâturages et des champs de foin, on cultive la terre et on ensemence les plantes de couverture telles que l'avoine et l'orge, on procède à la vaccination des bovins et on répare les clôtures. De juillet à septembre, on procède à la fenaison de la première et de la deuxième récoltes. En octobre et novembre, c'est la période du vêlage automnale, de la mise en balles du foin, du transport de la pâture et du début de l'alimentation de stabulation. En décembre, ils étaient occupés à nourrir les animaux, surtout les fins de semaine.

[10]     Il ne fait aucun doute que 60 à 70 têtes de bétail nécessitent beaucoup d'attention constante. En plus des efforts doivent faire Daniel et Janet, ils doivent également acheté d'importantes pièces d'équipement énumérées dans la pièce A-1 et décrit oralement par Daniel dans son témoignage. Voici une liste de l'équipement et des prix.

1995

Tracteur Case 1070

25 000 $

Auges

4 900 $

Camionnette Chevrolet de une demi tonne

41 200 $

Remorque pour le bétail

6 900 $

1998

Remorque à foin

3 000 $

2000

Tracteur Case 5088

21 700 $

(l'autre tracteur a été détruit par le feu)

Lieuse (foin)

31 600 $

Botteleuse mécanique

4 500 $

[11]     Malgré les efforts des appelants et l'équipement qu'ils ont acheté, leur exploitation agricole n'a produit que des pertes. Dans la pièce A-2, on trouve un tableau indiquant les renseignements financiers de l'entreprise agricole des appelants pour les années 1994 à 2002 inclusivement. Dans la colonne B, on indique les revenus bruts et dans la colonne E les revenus nets. Aucune colonne n'indique les dépenses totales et l'amortissement comptable qui pourraient chaque année convertir le revenu brut en une perte nette. J'ai établi le total des dépenses et l'amortissement comptable pour chaque année en calculant la différence entre le revenu brut (un résultat positif) et une perte nette (un résultat négatif). Vous trouverez ces trois montants pour chaque année dans le tableau présenté ci-dessous.

Revenu brut

Dépenses et amortissement comptable

Perte nette

1994

2 610 $

14 663 $

12 ,053 $

1995

8 978

52 599

           43 621

1996

11 011

39 872

           28 861

1997

10 111

38 899

           28 788

1998

17 620

64 209

           46 589

1999

25 608

93 104

           67 496

2000

45 931

116 356

           70 425

2001

45 560

84 909

           39 349

2002

37 319

89 463

           52 144

[12]     Dans sa Réponse à l'avis d'appel des appelants, l'intimée, a indiqué au sous-paragraphe 11(d) les pertes agricoles déclarées par les appelants pour les années 1990 à 1993 inclusivement. Ces pertes sont déclarées dans une mesure de 75 p. 100 par Daniel et de 25 p. 100 par Janet pour les années 1990, 1991 et 1993. Les montants pour 1992 n'ont pas été calculés selon la même formule et l'un de ces montants pourrait être erroné. En comparant les pertes et les revenus, j'ai encore une fois extrapolé et calculé le total des dépenses et l'amortissement comptable pour les années 1990, 1991 et 1993, je ne l'ai pas fait pour 1992 puisque à mon avis les montants ne sont pas sûrs.

Revenu brut

Perte - Daniel

Perte - Janet

Dépenses et amortissement comptable

1990

7 600 $

11 012 $

3 670 $

22 282 $

1991

9 350

11 009

3 669

24 028

1992

11 581

8 670

3 879

-     

1993

7 452

11 229

3 743

22 424

Le tableau ci-dessus et celui du paragraphe 11 permettent une comparaison entre les revenus et les dépenses. Les deux années faisant l'objet du présent appel sont 1999 et 2000. Au cours de la période de quatre ans entre 1996 et 1999, les pertes agricoles étaient trois fois et demie plus élevées que les revenus agricoles. En 2000, les dépenses agricoles étaient deux fois et demie plus élevées que les revenus agricoles.

Analyse

[13]     La jurisprudence en ce qui concerne « la principale source de revenu » au sens de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu est fondée sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213). Le juge Dickson (tel était alors son titre), s'exprimant au nom de la cour, a indiqué à la page 5216 que la Loi envisage trois catégories d'agriculteurs :

1)          le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

2)          le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

3)          le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1re catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.

[14]     Depuis 1977, il y a eu beaucoup de cas où l'on a voulu appliquer l'affirmation de la Cour suprême dans l'arrêt Moldowan. En 1985, la Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel d'un contribuable dans la décision Graham c. La Reine, [1985] 2 C.F. 107 (85 DTC 5256). Cette décision semble être ce qu'on pourrait appeler l'objectif ultime des contribuables. Dans d'autres décisions de la Cour d'appel fédérale, entre autre les arrêts Morrissey [1989] 2 C.F. 418 (89 DTC 5080), Roney C.F. 1re inst., no A-1086-88, 11 mars 1991 (91 DTC 5148), Connell C.A.F., no A-341-88, 16 janvier 1992 (92 DTC 6134), Poirier c. Canada, C.A.F., no A-132-86, 25 mars 1992 (92 DTC 6335), Timpson (93 DTC 5281) et Donnelly ([1998] 1 C.F. 513 (97 DTC 5499) on a interprété la décision Moldowan de façon plus restreinte en ce qui concerne la déductibilité des pertes agricoles. Par exemple, dans Moldowan, on tient compte de trois facteurs pour comparer les différentes sources de revenu : le temps consacré, les fonds investis et la rentabilité. Dans la décision Poirier, la Cour d'appel fédérale s'est exprimée en ces termes à la page 6336 :

6       Il faut se rappeler que tous les facteurs doivent être appréciés dans leur ensemble et qu'il n'y a pas lieu de les dissocier: Morrisey c. La Reine, [1989] 2 C.F. 418 (C.A.F.) et Connell, précité (C.A.F.).

[15]     Si nous devons examiner l'incidence cumulative de tous les facteurs et non seulement chaque facteur individuellement, à mon avis, il va sans dire qu'aucun des facteurs en soi ne peut être considéré décisif. Dans la décision rendue contre le contribuable dans l'arrêt Donnelly, le juge d'appel Robertson, s'est exprimé en ces termes au nom de la cour :

L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes « expectative raisonnable de profit » et « expectative de bénéfices raisonnables » ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices « considérables » en provenance de l'agriculture.

[16]     Dans l'affaire Kroeker v. La Reine, 2002 CAF 392 (2002 DTC 7436), le juge d'appel Desjardins, s'exprimant au nom de la cour, a commenté la décision Donnelly (paragraphe 21) quant aux bénéfices considérables en indiquant que la contribuable dans l'affaire Donnelly élevait des chevaux de course afin de les faire courir. Dans la décision Kroeker, l'intimée avait admis que l'agriculture constituait le « le centre de [l]a vie [de l'appelante] » , faisant référence à la contribuable. Dans la décision Taylor c. La Reine, 2002 CAF 425 (2002 DTC 7596), la Cour d'appel fédérale a rejeté le qualificatif « considérables » pour décrire les bénéfices qu'on pouvait attendre des activités agricoles. Je remarque également dans la décision Taylor que la Cour d'appel fédérale a brièvement formulé (au paragraphe 2) la question exacte que je dois trancher dans les appels en l'espèce à savoir si les appelants peuvent raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de leurs revenus ou à ce que ce soit leur principal travail habituel (agriculteurs de la catégorie 1) ou si ce sont des personnes s'adonnent à des activités agricoles comme passe-temps (agriculteurs de la catégorie 2).

[17]     Je vais tout d'abord examiner le facteur du temps consacré à l'agriculture. Daniel et Janet enseignent à temps plein, ils sont donc très pris pendant l'année scolaire. Ils doivent également nourrir et prendre soin de leur bétail, surtout pendant la saison du vêlage. Ils doivent équilibrer ces obligations. Daniel et Janet enseignent dans différentes écoles. Leur domicile est situé sur une terre de trois acres près de Devon. Daniel doit parcourir 36 kilomètres pour se rendre à l'école où il travaille et la distance entre son lieu de travail et leur pâturage (300 acres) est de 51 kilomètres. Par conséquent, il y a 36 kilomètres entre le domicile de Daniel et son lieu de travail et 15 kilomètres de son domicile au pâturage. Daniel part de chez-lui à 8 h et l'école finit à 15 h 35. Il arrive à la maison vers 16 h, se change, mange une pomme ou une banane et se rend au pâturage où il arrive vers 16 h 30. Il a indiqué qu'il travaillait au pâturage jusqu'à la tombée de la nuit, mais cette affirmation peut être trompeuse parce que, près d'Edmonton en décembre la noirceur arrive à 16 h 30, mais en juin il fait encore jour à 22 h.

[18]     Les distances que doit parcourir Janet sont différentes. Elle enseigne à l'école secondaire de Gunn, en Alberta, près d'une réserve autochtone. L'école où elle travaille est à environ 100 kilomètres de son domicile et le pâturage est à environ 85 kilomètres de son lieu de travail. Le pâturage est situé entre l'école où elle travaille et son domicile, par conséquent, (comme c'est le cas pour Daniel) le pâturage est situé à quinze kilomètres de son domicile. Janet part travailler vers 7 h 30 chaque matin. Après l'école, elle s'arrête fréquemment au pâturage puisque c'est sur sa route. Elle essaie d'être présente pour la naissance de chaque veau, mais elle ne peut être là si un veau vient au monde pendant les heures de classe. Elle a indiqué qu'elle se rendait fréquemment au pâturage, mais le troisième témoin, Pascal Hamel, qui habite sur la terre attenant au pâturage des appelants, a indiqué qu'il voyait plus souvent Daniel au pâturage que Janet. Il se souvenait y avoir vu Janet seulement une à trois fois par semaine.

[19]     En plus de ses activités régulières en enseignement, Janet donnait également des cours du soir (un soir par semaine) en 1999 et en 2000. Au cours de ces mêmes années, elle donnait aussi des cours d'été de 8 h à midi. Daniel donnait des cours d'été en 2000. Dans des cas comme ceux-ci, tous les contribuables ont tendance à optimiser (et peut-être à exagérer) le temps consacré aux activités agricoles et de minimiser le temps consacré à d'autres activités rémunératrices. À mon avis, Daniel et Janet sont des personnes responsables. Il m'est facile de croire qu'ils se dévouent tout autant à leur profession d'enseignant qu'à l'élevage de leur bétail. En plus des heures de cours régulières, ils doivent préparer leur cours, des tests et des examens qu'ils doivent corriger, assister aux réunions du personnel et être disponibles pour rencontrer des parents ou d'autres enseignants. Malgré qu'ils devaient nourrir le bétail et en prendre soin (surtout en période de vêlage), je ne suis pas convaincu que Daniel et Janet consacraient plus de temps aux activités d'agriculture qu'à l'enseignement.

[20]     Quant au deuxième facteur, les fonds investis, on trouve au paragraphe dix du présent document une liste de pièces d'équipement achetées par les appelants pour une somme totale d'environ 138 000 $, y compris un deuxième tracteur pour remplacer celui qui avait été détruit par le feu. J'ignore si le premier tracteur était assuré. On n'a présenté aucun document indiquant la valeur du bétail en 1999 et en 2000, mais Daniel a indiqué qu'en 2000, la valeur d'une vache adulte était d'un peu plus de 1 000 $ l'unité. Par conséquent, 75 vaches auraient une valeur d'environ 80 000 $. Daniel a affirmé que les trois acres de terre dont ils étaient propriétaires près de Devon étaient évalués à environ 250 000 $ ou 83 000 $ l'acre.

[21]     On peut considérer que Devon est une banlieue d'Edmonton. Par conséquent, la valeur des terres près de Devon n'est pas fondée sur leur zonage agricole, mais sur leur proximité d'une grande ville. Au cours du contre-interrogatoire, on a demandé à Daniel si lui et Janet avaient déjà songé à la possibilité de trouver du travail comme enseignant près de Drayton Valley (environ 100 kilomètres à l'ouest de Devon) où on peut acheter des terres agricoles à un prix inférieur à celui des terres aux environs de Devon ou de Spruce Grove. Daniel a répondu qu'il n'y avait jamais songé. Les appelants ont investi un capital important pour acheter de l'équipement et du bétail, mais leur désir d'habiter près d'Edmonton élimine la possibilité d'y acquérir des terres pour leur bétail. Il semble qu'en 2000, la valeur des trois acres où est situé leur domicile était beaucoup plus élevée que celle de leur équipement et de leur bétail.

[22]     Examinant le troisième facteur, celui de la rentabilité, les tableaux présentés aux paragraphes 11 et 12 du présent document indiquent que les appelants ont déclaré des pertes agricoles pour chaque année de 1990 à 2002 inclusivement. En 1994, ils ont remplacé leur exploitation d'élevage de poulets pour une entreprise d'élevage de vaches et de veaux. À partir de 1995, les pertes sont plus élevées qu'au début des années 1990. En huit ans, entre 1995 et 2002, les appelants ont subi des pertes agricoles totales de 377 000 $ ou en moyenne de 40 000 $ par année. Étant donné que Daniel enseigne depuis plus longtemps que Janet, je suppose que son salaire annuel d'enseignant en 1999 et en 2000 était plus de 50 000 $.

[23]     Pour revenir à la décision Moldowan, le juge Dickson a commencé en décrivant un agriculteur de catégorie 1 par ces termes :

[...] le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel.

Cette description ne s'applique pas à Daniel et à Janet pour les années 1999 et 2000. Je conclus que pour ces années, les appelants ne pouvaient raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de leur revenu, et que cette activité ne constituait pas le centre de leur travail habituel. L'avocat des appelants m'a vivement conseillé d'adopter les décisions de la présente Cour dans les décisions Martin c. La Reine, C.C.I., no 94-1025(IT)G, 21 septembre 1995 (96 DTC 1915) et Finch c. La Reine, C.C.I., no 98-1593(IT)G, 23 août 2000 (2000 DTC 2382). Dans la décision Martin, le juge Bowman a accueilli l'appel des contribuables, toutefois M. Martin avait acheté sa première entreprise agricole en 1964 et en avait ensuite acheté deux autres en 1978 et 1981 respectivement. Lorsque M. Martin a interjeté appel à l'encontre des cotisations de 1989, 1990 et 1991 en ce qui concerne la question du « revenu principal » , il cultivait ses propres terres depuis vingt-cinq ans.

[24]     Dans la décision Finch, le juge Beaubier a accueilli l'appel du contribuable car M. Finch avait entrepris des activités agricoles à temps plein en 1979. Vers la fin des années 1980, Financement agricole Canada en Saskatchewan menaçait de saisir l'hypothèque sur la ferme de M. Finch à moins que ce dernier ne trouve un emploi à temps plein dans un autre domaine que l'agriculture. M. Finch a accepté un tel emploi afin de payer les intérêts de l'hypothèque sur sa ferme. Lorsqu'on a établi les nouvelles cotisations de M. Finch pour les années 1992, 1993 et 1994 en se fondant sur le fait que l'agriculture ne constituait pas « son principal revenu » , il a interjeté appel à l'encontre de cette décision, et son appel a été accueilli. Il était agriculteur à temps plein (il n'occupait pas d'autre emploi) de 1979 à 1989 et s'était trouvé un emploi autre que l'agriculture afin d'échapper à la saisie de l'hypothèque par le créancier hypothécaire.

[25]     Je reconnais le fait que dans chacune des décisions Martin et Finch, le domicile du contribuable a été intégré a la terre utilisée aux fins d'agriculture. Bien que M. Martin, comme les appelants, était enseignant, il était aussi agriculteur depuis longtemps, était propriétaire de toutes ses terres agricoles et pouvait accomplir ses tâches agricoles directement à son domicile. Je conclus que pour les années faisant l'objet du présent appel, l'agriculture constituait pour Daniel et Janet un travail secondaire. Les appels sont rejetés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'avril 2004.

« M.A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

Ce    e jour de juin 2004

Louise-Marie LeBlanc, traductrice

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