Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2001-1712(IT)G

ENTRE :

AMBULANCES B.G.R. INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 16 février 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Serge Fournier

Avocate de l'intimée :

Me Susan Shaughnessy

____________________________________________________________________

JUGEMENT

Les appels à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


Référence : 2004CCI168

Date : 20040415

Dossier : 2001-1712(IT)G

ENTRE :

AMBULANCES B.G.R. INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bédard, C.C.I.

[1]      Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé à l'appelante la déduction de bonis de 161 639 $, 125 000 $ et 75 000 $ pour les années d'imposition se terminant respectivement le 31 mars 1995, le 31 mars 1996 et le 31 mars 1997 parce qu'il a estimé, en s'appuyant sur l'alinéa 18(1)a) et l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), que ces bonis ne constituaient pas des dépenses engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu de l'entreprise et qu'ils n'étaient pas des dépenses raisonnables dans les circonstances. L'appelante en appelle de ces cotisations.

Exposé des faits

[2]      Pendant les années d'imposition qui se terminaient le 31 mars 1995 et le 31 mars 1996, l'appelante exploitait une entreprise de services ambulanciers à Saint-Hyacinthe, Acton Vale et Drummondville. Au cours de cette période, elle employait environ 85 personnes et possédait 12 ambulances.

[3]      Monsieur Roger Fontaine était le seul actionnaire de l'appelante. Il avait deux enfants, Eve et Patrice. Ils travaillaient pour l'appelante.

[4]      Madame Eve Fontaine recevait de l'appelante un salaire de 38 025 $ par année (soit 731,26 $ par semaine) en date du 22 février 1996. Monsieur Patrice Fontaine n'a reçu aucune somme de l'appelante sous forme de salaire durant la période en litige.

[5]      L'appelante a vendu son fonds de commerce le 1er avril 1996. Par conséquent, l'appelante n'a pas exploité l'entreprise durant l'année d'imposition 1997, qui s'est terminée le 31 mars 1997.

[6]      Les Ambulances G.M.R. Inc. ( « G.M.R . » ), société détenue à 100 % par la conjointe de monsieur Roger Fontaine, exploitait une entreprise de services ambulanciers dans la région de Granby. G.M.R. possédait quatre ambulances et employait environ 15 personnes. La gestion de G.M.R. se faisait au siège social de l'appelante.

[7]      Durant les années en litige, l'appelante a versé les sommes suivantes sous forme de bonis :

1995

1996

1997

Eve Fontaine

136 639 $

50 000 $

Patrice Fontaine

50 000 $

100 000 $

75 000 $

Roger Fontaine

80 000 $

200 000 $

300 000 $

Total :

266 639 $

350 000 $

375 000 $

[8]      Le ministre a refusé la déduction des bonis suivants :

1995

1996

1997

Eve Fontaine

136 639 $

50 000 $

Patrice Fontaine

25 000 $

75 000 $

75 000 $

Roger Fontaine

           0 $

           0 $

          0 $

Total refusé :

161 639 $

125 000 $

75 000 $

Analyse et conclusion

[9]      Dans sa réponse à l'avis d'appel, l'intimée a allégué que les bonis ne constituaient pas des dépenses engagées ou effectuées par l'appelante en vue de tirer un revenu de l'entreprise et qu'ils n'étaient pas des dépenses raisonnables pour les motifs suivants :

i)         l'appelante a versé des bonis aux enfants de Roger Fontaine pour faire en sorte que le revenu net de l'appelante soit de moins de 200 000 $ afin de bénéficier du taux d'imposition réduit accordé aux petites entreprises;

ii)        l'appelante n'a déterminé le montant des bonis payables aux enfants de monsieur Roger Fontaine qu'à la fin de chaque exercice pour chacune des années en litige;

iii)       les enfants n'étaient pas actionnaires de l'appelante durant les années en litige;

iv)       durant les années en litige, monsieur Patrice Fontaine a consacré 50 % de ses efforts aux affaires de l'appelante, 45 % de ses efforts aux affaires de Granites William Inc. et 5 % de ses efforts aux affaires de Monuments Daudelin Inc.;

v)        durant les années en litige, l'appelante a versé des bonis uniquement aux membres de la famille de monsieur Roger Fontaine et non pas aux autres employés, notamment le directeur général et les superviseurs de l'entreprise.

[10]     De plus, lors de sa plaidoirie, l'avocate de l'intimée a allégué que le boni de 136 000 $ versé en 1995 à madame Eve Fontaine était déraisonnable compte tenu que celui versé à son père, le seul actionnaire de l'appelante, n'était que de 80 000 $ pour la même période. Elle a aussi allégué que le boni de 70 000 $ versé en 1997 par l'appelante à monsieur Patrice Fontaine était déraisonnable puisque ce dernier n'avait travaillé que l'équivalent d'un quart d'année. Enfin, elle a soutenu que le caractère raisonnable des bonis devait être examiné à la lumière du critère élaboré dans la cause Gabco Ltd. v. Minister of National Revenue, 1968 CarswellNat 285, [1998] C.T.C. 313, [1968] 2 Ex. C.R. 511, qui se lit ainsi :

It is not a question of the Minister or this Court substituting its judgment for what is a reasonable amount to pay, but rather a case of the Minister or the Court coming to the conclusion that no reasonable business man would have contracted to pay such an amount having only the business consideration of the appellant in mind. ...

[11]     Je tiens d'abord à souligner que monsieur Roger Fontaine et ses deux enfants ont témoigné avec beaucoup de conviction et d'émotion. Leur témoignage m'est apparu crédible et vraisemblable.

[12]     Premièrement, l'appelante m'a convaincu que les services pour lesquels les bonis ont été versés étaient réels. La preuve a révélé que madame Eve Fontaine était contrôleur de l'appelante et qu'à ce titre elle s'occupait de la facturation et de la perception des comptes à recevoir. Elle était la seule personne autorisée à signer les chèques de l'appelante. Elle gérait aussi les relations de travail de l'appelante. À ce titre, elle veillait à l'application de deux conventions collectives qui s'avéraient très complexes en l'espèce. Elle établissait les horaires de travail des ambulanciers et gérait le transport de patients entre les hôpitaux. De plus, elle était souvent appelée à gérer les situations de crise, qui survenaient habituellement lors de graves accidents routiers. L'appelante pouvait compter sur sa disponibilité 24 heures par jour, sept jours par semaine. D'ailleurs, madame Eve Fontaine a témoigné que l'appelante avait régulièrement fait appel à ses services en dehors des heures normales de travail et qu'elle avait accouché avec son télé avertisseur. Elle travaillait de 50 à 70 heures par semaine.

[13]     La preuve a aussi révélé que monsieur Patrice Fontaine était également disponible 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il s'occupait principalement de la gestion de l'équipement, c'est-à-dire de l'achat et de la réparation des ambulances. Il voyait à ce que les ambulances soient en bon état et qu'elles aient l'équipement requis à bord en tout temps. Il s'occupait aussi des relations publiques de l'appelante. Tout comme sa soeur, il était régulièrement appelé à gérer des situations de crise qui pouvaient survenir à l'occasion d'accidents majeurs. Enfin, il a joué un rôle important dans les relations avec les employés de l'appelante lorsqu'ils ont appris, au cours de l'année 1996, que l'appelante négociait la vente de son fonds de commerce. Il a été celui qui calmait et rassurait les employés. La preuve a aussi révélé que monsieur Roger Fontaine a représenté en 1997 l'appelante lors des discussions et des négociations relatives aux réclamations faites par l'acheteur suite à l'achat du fonds de commerce de l'appelante. Il s'était aussi occupé de percevoir les comptes à recevoir de l'appelante et de régler les griefs en cours lors de la vente du fonds de commerce.

[14]     Monsieur Roger Fontaine et ses deux enfants m'ont aussi convaincu que la performance de madame Eve Fontaine et de son frère Patrice a joué un rôle déterminant dans les succès financiers de l'appelante. Les enfants n'étaient pas de simples employés. Ils étaient des dirigeants-clés de l'entreprise au même titre que leur père, bien qu'ils ne soient pas actionnaires de l'appelante. Ils géraient l'appelante en l'absence de leur père. En effet, la preuve a révélé que le père devait s'absenter fréquemment pour s'occuper de ses autres entreprises, de la Corporation des Ambulances du Québec, dans laquelle il était particulièrement impliqué, et de la négociation en 1996 de la vente du fonds de commerce de l'appelante. Les enfants constituaient la relève de l'appelante. Enfin, il convient de souligner qu'ils n'étaient aucunement sous le contrôle ou la direction du directeur général.

[15]     À mon avis, le ministre a jugé que les bonis versés en 1995 et 1996 aux enfants de monsieur Roger Fontaine étaient déraisonnables parce qu'il a omis, à tort, de considérer le rapport entre la rémunération qu'ils ont reçue pendant ces années et les années antérieures et leur effort exceptionnel, et ce, même si le fils de monsieur Roger Fontaine ne consacrait que 50 % de ses efforts à l'entreprise de l'appelante et si sa soeur gérait gratuitement la société G.M.R. Il convient de rappeler que le salaire annuel de madame Eve Fontaine pour les années 1995 et 1996 n'était que de 38 000 $ et que son frère Patrice n'a reçu aucune somme de l'appelante sous forme de salaire durant les années 1995, 1996 et 1997. Toutefois, la preuve a révélé que le directeur général recevait de l'appelante un salaire annuel de 70 000 $, bien que sa charge de travail et ses responsabilités étaient moindres que celles des enfants. Je suis aussi d'avis, que le ministre a eu tort de ne pas considérer qu'il y avait un élément de rattrapage dans le versement de ces bonis. Les enfants s'attendaient à recevoir des bonis importants. Durant les années antérieures, les enfants avaient contribué de façon exceptionnelle aux succès financiers de l'entreprise sans recevoir de compensation adéquate. Le père avait promis à ses enfants de remédier à la situation dès que la situation financière de l'appelante serait saine. Il les avait persuadés que l'appelante devait d'abord payer ses dettes avant de verser des bonis.

Conclusion

[16]     L'appelante m'a convaincu des faits suivants :

i)         les services pour lesquels les bonis ont été versés étaient réels;

ii)        la performance de madame Eve Fontaine et de son frère Patrice a joué un rôle déterminant dans les succès financiers de l'appelante;

iii)       la rémunération qu'ils ont reçue par ailleurs durant les périodes en litige ne tenait pas compte de leur apport exceptionnel durant cette même période;

iv)       les bonis représentaient une récompense attendue et méritée pour leur apport exceptionnel durant les années antérieures qui n'avait pas été rémunéré à sa juste valeur.

je conclus donc que l'appelante s'est acquittée de son obligation de démontrer, selon la balance des probabilités, que les bonis qu'elle a versés à madame Eve Fontaine et à son frère Patrice pour les exercices se terminant le 31 décembre 1995, 1996 et 1997 étaient des dépenses effectuées en vue de tirer un revenu de l'entreprise et qu'ils étaient raisonnables dans les circonstances. En effet, je ne pouvais pas arriver à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable n'ayant à l'esprit que les intérêts commerciaux de l'appelante ne se serait engagé par contrat à verser de tels bonis.

[17]     Les appels à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont admis et les cotisations déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'avril 2004.

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :

2004CCI168

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1712(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ambulances B.G.R. Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 16 février 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Paul Bédard

DATE DU JUGEMENT :

le 15 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

Me Serge Fournier

Pour l'intimée :

Me Susan Shaughnessy

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Serge Fournier

Étude :

Brouillette Charpentier Fortin

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.