Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20021210

Dossier: 2001-4109-IT-I

ENTRE :

JUSTIN SAVARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle concernant les années d'imposition 1994 à 1997.

[2]            La question en litige concerne l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Ces pénalités ont été imposées à cause de déductions réclamées, à titre de perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, sur la base de faits erronés.

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est appuyé pour établir ses nouvelles cotisations, sont décrits aux paragraphes 2, 3 et 7 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) :

2.              Par nouvelle cotisation établie le 10 mai 2001, le Ministre annula dans le calcul du revenu imposable de l'appelant pour l'année d'imposition 1994, la déduction d'une somme de 26 960 $, réclamée à titre de perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.

3.              Par nouvelles cotisations établies le 10 mai 2001, le Ministre annula dans le calcul du revenu imposable de l'appelant pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, des sommes respectives de 15 000 $, de 15 000 $ et de 3 040 $, au titre d'un report d'une perte autre qu'une perte en capital.

...

7.              Pour établir et maintenir les nouvelles cotisations établies le 10 mai 2001, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a)              le dossier origine d'une enquête interne concernant certains employés du Centre fiscal de Jonquière qui avaient mis sur pied un stratagème qui consistait à faire bénéficier, à certaines personnes, de remboursements d'impôt frauduleux en contrepartie d'une commission fondée sur un pourcentage des dits remboursements;

b)             par l'émission d'une cotisation à solde nul datée du 6 janvier 1999, pour l'année d'imposition 1994, le Ministre alloua, à l'égard de l'appelant, une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise totalisant la somme de 60 000 $ (80 000 $ x ¾), et y accordait à ce titre comme déduction, dans le calcul du revenu, une somme de 26 960 $;

c)              par nouvelles cotisations établies le 6 janvier 1999, le Ministre accordait dans le calcul du revenu imposable de l'appelant, pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, les sommes respectives de 15 000 $, de 15 000 $ et 3 040 $, à l'égard d'un report d'une perte autre qu'une perte en capital;

d)             suite à ces nouvelles cotisations, le 6 janvier 1999, l'appelant a reçu un remboursement d'impôt totalisant une somme de 11 054,43 $;

e)              les réclamations d'une déduction à l'égard d'une perte au titre d'un placement d'entreprise quant à l'année d'imposition 1994, et par la suite, celle au titre d'un report d'une perte autre qu'une perte en capital, pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, avaient été rendues possible grâce à l'enregistrement frauduleux dans le système informatique du ministère d'une perte au titre d'un placement d'entreprise totalisant une somme brute de 80 000 $, à l'égard de l'année d'imposition 1994;

f)              l'appelant, aux enquêteurs du Ministre, a avoué, qu'il avait prêté oreille à une suggestion d'un dénommé Jean-Eudes Thériault, une connaissance, qui lui offrait de faire réviser ses déclarations de revenus par une personne qui travaillait au Centre fiscal de Jonquière, et ce fut dans cette optique qu'il lui divulgua son numéro d'assurance sociale;

g)             l'appelant ne connaissait pas la nature de la déduction qui serait réclamée dans ses déclarations de revenus, ni la somme totale du remboursement qui en résulterait;

h)             aux enquêteurs du Ministre, l'appelant a soutenu qu'il n'avait jamais exploité une entreprise;

i)               aux enquêteurs du Ministre, l'appelant a reconnu qu'après avoir reçu un remboursement totalisant la somme de 11 054,13 $, monsieur Thériault lui a demandé, de la part de la personne travaillant au Centre fiscal de Jonquière, de lui remettre une somme de 7 900 $, laquelle somme fut remise en liquide à monsieur Thériault, le 27 janvier 1999;

j)               l'appelant n'a entrepris aucune démarche auprès du Ministre, à savoir :

i)               communiquer avec les autorités du Centre fiscal de Jonquière, ou

ii)              retourner tout simplement le chèque ou les chèques aux dites autorités;

k)              le Ministre est d'avis que la négligence dont l'appelant a fait montre dans cette affaire s'apparente à de la complicité;

l)               à l'égard des années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997, l'appelant a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration pour chacune des dites années ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente Loi;

m)             la réclamation d'une déduction fictive, à l'égard de chacune des années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997, porte le Ministre à croire que l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt à payer pour ces années-là.

[4]            L'avis d'appel explique ce qui suit :

...

Je m'oppose au montant réclamé parce que dans les circonstances, je considère que j'ai été une victime. J'ai déjà fait une déposition auprès d'un enquêteur qui est venu me rencontrer à mon domicile. Je n'ai pas nié les évènements et je lui ai expliqué tous les faits comme ils se sont produits.

                En 1997, une connaissance, M. Jean-Eudes Thériault, me dit qu'il avait un ami qui pouvait refaire les impôts et que j'économiserais; je n'avais qu'à lui donner mon numéro d'assurance sociale. Je me dis, « Si je peux économiser, pourquoi pas? » Les mois passent et je n'ai plus de nouvelles de cette histoire.

                Au mois d'octobre 1997, je vis un divorce très pénible. Je réussis à avoir une garde partagée, mais j'ai dû avoir recours à un avocat et cela m'a coûté des frais. S'en suit une période très douloureuse; je sombre dans l'alcool, des mois très difficiles. Au début de l'année 1998, M. Thériault me contacte et me dit d'aller vérifier dans le compte dans lequel mes retours d'impôt sont déposés, puisqu'un dépôt avait été fait. Je vais voir, et à ma grande surprise un montant d'environ $11,000.00 avait été déposé. Je m'attendais à un montant beaucoup plus modeste, voir quelques centaines de dollars.

                Je communique avec M. Thériault pour lui dire le montant et que c'était impossible. C'est à ce moment que j'ai compris que c'était illégal, puisqu'il me dit qu'il fallait que je lui remette les 2/3 du montant, pour que lui-même le donne à la personne qui a fait les impôts. Je pose quelques questions, mais dans l'état d'esprit que j'étais (divorce, alcool, dépression), je n'étais pas apte à voir la situation clairement ni réfléchir aux conséquences de ma décision.

                Alors, je lui remets les 2/3 de la somme d'argent et il me reste environ $3,000.00. Ma vie continue; je sors et je bois. Lentement j'arrive à me sortir, et j'essaie de refaire ma vie. Pendant ce temps, j'ai en tête l'erreur que j'ai commise; cette erreur me hante, jusqu'au jour où je reçois un appel de l'enquêteur. Enfin, je suis soulagé, et lui raconte le tout.

                Bref, je reconnais avoir fait une erreur. Je crois que les sommes que l'on me demande de rembourser ne sont pas raisonnables, compte tenu du contexte dans lequel l'événement s'est produit. Je demande donc à être acquitté des montants, des intérêts et des amendes.

...

[5]            Au début de l'audience, l'avocate de l'appelant a informé la Cour que différemment de l'avis d'appel, le seul litige concernait l'imposition des pénalités. Pour l'appelant, elle a admis les alinéas 7a) à 7e), 7g), 7h) et 7j) de la Réponse.

[6]            L'appelant travaille comme électricien à Hydro-Québec.

[7]            L'appelant relate qu'il ne sait pas quelle est la nature de la réclamation qui a été faite pour obtenir le remboursement d'impôt. C'est un monsieur Jean-Eudes Thériault qui lui a dit qu'il pouvait obtenir des remboursements d'impôt. Il relate ainsi les circonstances du contact avec monsieur Thériault aux pages 7 et 8 des Notes sténographiques :

Q.             Pouvez-vous expliquer au Tribunal de quelle manière, là, les déductions qui font l'objet de la cause devant nous aujourd'hui ont été demandées? Dans quelles circonstances ça s'est produit?

R.             Bien, je le sais pas du tout, c'est quoi les déductions qui ont été demandées, là, j'en avais aucune espèce d'idée jusqu'au temps de recevoir les documents à la maison.

...

Q.             Comment ça a commencé, dans quelles circonstances vous avez été...

R.             Ah bien, j'étais chez mon père à un feu d'été, là, et puis c'est ça, là, il y a monsieur Thériault qui à un moment donné, on était comme un peu à l'écart ou ...

Q.             Quand vous dites monsieur Thériault, son nom au complet, le savez-vous?

R.             Monsieur Jean-Eudes Thériault. Il m'a dit justement qu'il connaissait, là, quelqu'un qui refaisait les impôts puis qu'on pouvait avoir des retours d'impôt, que je vais dire, là. Puis c'est ça, que j'avais juste à lui donner mon numéro d'assurance sociale. Ça fait que, bon, j'ai dit : « Pourquoi pas ? » Ça fait que je lui ai donné mon numéro d'assurance sociale puis ça a clos la discussion, on a continué à prendre une bière alentour du feu et puis sans plus.

Q.             Depuis quand vous connaissez ce monsieur Thériault-là, vous?

R.             Bien, je le connais, c'est surtout, c'est plus un ami à mon frère parce qu'il joue au hockey avec mon frère puis c'est sûr que par la force des choses, on est seulement deux chez nous, ça fait qu'à un moment donné, j'ai eu à voir monsieur Thériault puis tout ça, c'est comme ça que je l'ai connu, là.

Q.             O.K. Est-ce que ... Qu'est-ce qu'on vous a expliqué sur la nature des déductions qu'on obtiendrait? Est-ce que ...

R.             Bien, rien. Je veux dire, monsieur Thériault m'a expliqué ça aussi en bref que ça, ça c'est ... Ça a clos la discussion puis on a reparlé avec le groupe, je dirais. Puis j'ai jamais reparlé de ça avec personne, ni même monsieur Thériault, je veux dire, j'étais dans une période de divorce au travers de tout ça, ça fait que ...

[8]            Le paiement a été ainsi fait tel que décrit aux pages 12 et 13 des Notes sténographiques :

R.             ... Ça a été, à un moment donné, monsieur Thériault a appelé pour dire que j'avais des dépôts qui avaient été faits dans mon compte. Je suis allé vérifier, j'ai dit : « Bien non, j'ai dit, il y a rien de déposé dans mon compte. » Puis ça reste tel quel.

                Il me rappelle une semaine après pour encore me dire qu'il y avait eu des dépôts, d'aller vérifier. J'ai dit : « Non, j'ai dit, il y en a pas. » Puis la semaine suivante, en tout cas qu'il me rappelle, là, il me dit: « Oui, mais il dit, as-tu un autre compte? As-tu ... » Bien, j'ai dit, oui, quand j'étais avec ma conjointe qui est devenue mon ex, finalement, les impôts, les retours d'impôt étaient déposés dans un compte distinct que c'est elle qui avait, là. Ça fait que, là, bien j'ai dit : « Je vais la rencontrer pour lui demander si on peut aller voir s'il y avait des dépôts. »

...

R.             Suite à ça, bien là j'ai bien vu qu'effectivement, oui, il y avait eu des dépôts. Ça fait que, là, j'ai rappelé monsieur Thériault pour lui dire que oui, il y avait eu un dépôt.

...

R.             Et puis c'est là-dessus que, là, il m'a appris qu'il fallait que j'en remette les deux tiers.

                Me ISABELLE SIMARD :

Q.             Votre réaction à cet égard-là, qu'est-ce qu'elle a été?

R.             Bien, là, j'ai trouvé que c'était beaucoup. J'ai dit : « C'est gros, j'ai dit, bon, les deux tiers ... » Bien, il dit : « C'est ça que ça coûte pour refaire faire les impôts ... » Ça fait que j'ai dit : « C'est beau, de toute façon, c'est des déductions que, bon, H & R Block avait pas vues, que personne avait vues, j'ai dit tant mieux, j'ai dit ... » sans plus, là.

Q.             Puis vous lui avez remis comment, ce montant-là?

R.             Ah bien, là, le temps que j'aille à ...

Q.             Mais de quelle manière vous l'avez versé, là?

R.             Ah, en argent, tout bonnement en argent, là.

[9]            Les notes du médecin traitant ont été produites comme pièce A-1. Ces notes montrent que le 28 octobre 1997 et le 4 novembre 1997, l'appelant a vu un médecin psychiatre pour troubles d'adaptation à la suite de sa séparation d'avec son épouse.

[10]          La conversation avec monsieur Thériault aurait eu lieu à l'été 1998.

[11]          Lors du contre-interrogatoire, voici l'explication que l'appelant donne sur le paiement des deux tiers du montant du remboursement aux auteurs de ce remboursement aux pages 24 à 26 des Notes sténographiques :

Q.             Je présume que vous avez été également très surpris quand il vous a demandé de lui donner les deux tiers du montant.

R.             Oui. Ça, les deux tiers, j'ai dit, ça fait beaucoup, tu sais. Mais, là, j'ai dit : bon, si c'est de même que ça marche, j'ai pas posé, là, cinquante-six (56) questions, j'ai dit : bon, bien, c'est gros mais c'est comme ça. Puis comme je dis, à l'époque, là, ça aurait été, je le sais pas, moi, deux fois plus ou trois fois moins ou ... Bon, c'est beau, c'est comme ça, c'est comme ça, c'est beau.

Q.             Mais dites-moi, quand il vous a demandé ce montant-là, quelle explication il vous a donnée pour justifier le fait que vous deviez lui donner 7 900 $ ou presque 8 000 $?

R.             Ah, c'était pour payer celui qui avait fait les impôts. C'est ce qu'il m'a dit.

Q.             Mais vous, vous saviez que chez H & R Block, ça coûtait 100 $.

R.             Oui, oui, oui.

Q.             Là, ça en coûte 8 000 $.

R.             Oui, mais là c'étaient des déductions auxquelles justement, moi, je pensais même pas d'avoir une cenne. Puis après ça, il dit : c'est une autre personne, je veux dire, j'ai pas ...

Q.             Mais est-ce que ça vous a effleuré l'esprit que ça pouvait être, mettons, illégal ou frauduleux, ça?

R.             Pas au moment, là, que ...

Q.             Non?

R.             Non. Non c'était comme ça, Comme ça, c'est comme ça, je veux dire, c'est comme : je m'achète une livre de beurre à ce prix-là, bon, bien tu sais ... Bon, bien ça, c'est de même. C'est de même.

Q.             Sauf que ça fait déjà combien d'années que vous travailliez rendu en 99? Au moins neuf ans?

R.             Neuf ans, oui.

Q.             Comme électricien?

R.             Oui, oui.

Q.             O.K. et à chaque année, vous avez produit votre déclaration d'impôt?

R.             Oui, oui, oui.

Q.             C'était quelqu'un qui la faisait pour vous?

R.             Oui, oui, oui, c'est ça, il y a eu H & R Block, mon père au début puis ...

Q.             Bien, là, je vais vous le poser une autre fois, parce que j'essaie de comprendre. Vous voyez rien d'anormal entre le fait que H & R Block vous charge 100 $ puis qu'un gars que vous connaissez même pas vous 8 000 $.

R.             Bien, non, je veux dire, moi, c'est de l'argent, c'est des déductions, écoute, je le connais pas, je le fais faire, je le savais pas, moi, là.

Q.             Mais pensiez-vous que c'était à vous cet argent-là? Y aviez-vous droit à ces déductions-là selon vous?

R.             Bien, j'imagine, s'il me les donne, c'est de l'impôt que j'avais payé de trop.

...

[12]          La déclaration solennelle de l'appelant a été déposée comme pièce I-1. À l'égard du paiement je cite deux passages :

...

Par la suite, j'ai donc retiré en argent les 2/3 du remboursement émis le 6 janvier 1999 pour remettre la somme à Jean-Eudes Thériault pour que lui-même remettre la somme à la personne qui s'est occupé de mon remboursement.

Je ne sais pas le nom de la personne qui a traité ma déclaration pour que j'obtienne le remboursement de 11 054,43 $.

...

[13]          L'avocate de l'appelant a fait valoir à la Cour que chaque cas était un cas d'espèce. Elle s'est référée à la décision du juge Tardif de cette Cour dans Houle c. La Reine, [2002] A.C.I. no 24 (Q.L.) et notamment aux passages suivants :

Pour ajouter à l'intérêt, Highway s'occupait de la déclaration de revenus du prospect et réclamait des dépenses fictives et farfelues. Le retour d'impôt allégeait ainsi considérablement l'importance des déboursés requis. De manière à obtenir rapidement le retour d'impôt, Highway, par le biais de son personnel, anti-datait le contrat de manière à produire des effets pour l'année fiscale précédente.

...

L'appelante, comme tous les autres, s'est donc rendu à la place d'affaires de Highway. Suite aux représentations convaincantes, elle a accepté la proposition; elle a complété par sa signature tous les documents requis pour se qualifier comme distributeur.

...

Tous les appelants concernés par la preuve commune, dont évidemment l'appelante, étaient des personnes sans expérience dans le domaine des affaires. Tous faisaient remplir leurs déclarations d'impôt par des tiers et tous étaient intéressés par le concept Highway, en ce qu'ils y voyaient d'abord et avant tout une possibilité de bonifier leur situation financière par l'ajout de revenus additionnels. À cet égard, je n'ai aucun doute quant à la motivation saine, raisonnable et normale des appelants.

...

Quant aux renseignements faux et mensongers transmis pour et au nom de l'appelante, ils ont été transmis par une personne à l'emploi de Highway qui utilisait la voie informatique; conséquemment, dans la plupart des cas, les intéressés ignoraient le contenu exact des données transmises. Quant aux déclarations traitées de manière conventionnelle, une copie leur était remise; lorsque des questions étaient soulevées, il leur était répondu que tout était régulier, conforme et légal, qu'ils avaient désormais leur propre entreprise et que de ce fait, à titre de travailleur autonome, ils avaient le droit de déduire les dépenses indiquées.

...

Le fardeau de preuve, quant à l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, est lourd. Dans l'arrêt Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760 (Q.L.), le juge Bowman (maintenant Juge en chef adjoint) a énoncé une approche fort intéressante en matière de pénalités. Je crois utile de reproduire un extrait de ce jugement :

... Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

[14]          L'avocat de l'intimée fait valoir que l'on ne peut pas parler de naïveté dans le cas d'une personne qui remet les deux tiers du montant remboursé par le Ministre à celui qui lui a obtenu ce remboursement ou par l'intermédiaire duquel le remboursement a été obtenu. S'il croyait avoir droit à ce remboursement ou que ce remboursement était licite, il n'aurait pas payé ce montant pharamineux.

[15]          Il se réfère à une décision que j'ai rendue dans Lévesque, succession c. Canada, [1995] A.C.I. no 469 (Q.L.), et plus particulièrement au paragraphe 14 :

L'ignorance ou le défaut de s'informer adéquatement pourrait, dans certaines circonstances, être un élément suffisant pour constituer une faute lourde, dans les cas surtout où il y a un intérêt économique à demeurer dans l'ignorance. Ici, l'élément qui fait pencher la balance en faveur de l'acceptation de la position du contribuable est qu'il n'y avait aucun intérêt économique à cette omission ou à ce défaut de s'informer adéquatement.

[16]          Il fait aussi valoir qu'au moment du paiement nous sommes en janvier 1999 et non en novembre 1997, date des notes du médecin traitant, pièce A-1.

[17]          L'avocat de l'intimée fait valoir qu'une personne a le choix de faire ou de ne pas faire. L'appelant avait le choix de ne pas payer ce 8 000 $. Il a choisi de le faire.

[18]          L'avocate de l'appelant réplique que c'était la condition du remboursement et qu'il a appris cette condition après le dépôt du remboursement. Elle fait aussi remarquer qu'en même temps que le paiement se fait, l'appelant a reçu des avis de nouvelles cotisations qui donnaient une version officielle au remboursement.

Analyse et conclusion

[19]          Les cotisations dont il y a appel n'ont pas été déposées en preuve. J'avais demandé aux avocats de l'intimée de me faire parvenir un tableau schématique du calcul de l'impôt dû, des intérêts dus sur ces impôts, du montant des pénalités et des intérêts dus sur ces pénalités. J'ai reçu les documents informatisés établissant les montants en litige, environ une trentaine de pages. Malheureusement, ces informations sont trop détaillées pour m'être utiles. J'indiquerai seulement le chiffre total au 12 septembre 2002 le solde est de 28 123,03 $.

[20]          Toutefois je considère utile de reproduire quelques paragraphes de la lettre accompagnant ces relevés informatiques :

Nous précisons que lors de l'émission des nouvelles cotisations annulant les remboursements frauduleux et imposant les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre a calculé les intérêts sur la pénalité à partir de la date d'exigibilité pour chacune des années d'imposition en litige mais les intérêts sur le montant du faux remboursement ne commencent à courir qu'à partir de la date où le remboursement a été effectué.

...

Dans le dossier de Justin Savard (2001-4109(IT)I), il semble s'être glissé une erreur dans le calcul de la pénalité pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, parce qu'on aurait tenu compte du mauvais montant pénalisable lors du calcul.

1995

1 686,25 $ au lieu de 2 284,30 $

1996

1 686,75 $ au lieu de 2 349,77 $

1997

   341,13 $ au lieu de 2 105,38 $

Nous vous demandons de tenir compte de ces nouveaux montants dans votre prise de décision et les modifications appropriées seront effectuées suite à votre jugement. Les intérêts découlant des pénalités seront bien sûr ajustés en conséquence.

[21]          En ce qui concerne la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, dans la décision Jean-Marc Simard, [2002] A.C.I. no 265 (Q.L.), j'avais conclu que la Cour avait discrétion pour doser le montant imposé en fonction de la capacité de payer du contribuable, du degré de son intention coupable et de sa conduite antérieure. Cette décision a été portée en appel par l'intimée.

[22]          En attendant la décision de la Cour d'appel fédérale, je crois plus prudent pour l'instant de suivre la route empruntée par cette cour d'appel dans une décision récente soit dans l'affaire Chabot c. Canada, [2001] A.C.F. no 1829 (Q.L.). Dans cette décision, elle n'a pas évalué le degré de l'intention coupable du contribuable, mais l'a complètement dégagé de toute application du paragraphe 163(2) de la Loi au motif que le contribuable avait été pris dans un guet-apens. Il s'agissait d'un contribuable qui avait réclamé des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance. En 1992, il faisait état d'un don de charité au montant de 10 000 $, pour lequel il avait en fait payé 2 800 $, et en 1993 et 1994 de dons de 15 000 $ et 8 000 $ alors qu'il avait payé en tout 2 500 $.

[23]          Je cite les paragraphe 40 et 41 :

40.            Je note enfin que M. Denis Lemieux, enquêteur à Revenu Canada, a expliqué à la Cour que les fondations en cause n'avaient elles-mêmes fait l'objet d'aucune poursuite parce qu'aux yeux du Ministère,

... elles s'étaient fait prendre dans un guet-apens. Pour eux, ça l'avait pris des proportions incommensurables. Elles se sont réellement ... ce ne sont pas des spécialistes pour ce qui est des oeuvres d'art. Elles ont trouvé l'offre alléchante. ...

C'est des fondations, il n'y avait pas d'intention criminelle de ces personnes-là. Ils se sont aperçus eux autres mêmes qu'ils étaient dans l'erreur.

(annexe 6, pages 25 et 26)

M. Chabot s'est aussi, à sa façon, fait « prendre dans un guet-apens » et il a, lui aussi, à sa façon, « trouvé l'offre alléchante » .

41.            Dans ces circonstances, je m'explique mal que Revenu Canada impose des pénalités à ces petits contribuables qui, de bonne foi, ont cherché à tirer profit d'un crédit d'impôt que Revenu Canada lui-même faisait miroiter à leurs yeux et qui, selon le guide, paraissait si facile à obtenir.

(L'accentué est de moi)

[24]          Je crois que l'appelant est lui aussi tombé dans un guet-apens. Ce n'est pas lui qui a mûri le stratagème. La proposition lui est venue par une personne servant d'intermédiaire à des employés d'une institution fédérale. On ne lui a pas parlé d'actes frauduleux. On lui a dit qu'il était possible qu'il n'ait pas réclamé tous les retours d'impôt auxquels il avait droit. C'est une prémisse à laquelle bien des gens de bonne foi sont tentés de croire. Il reçoit un montant d'argent substantiel qui le surprend. On lui dit qu'il doit en remettre les deux tiers aux auteurs du remboursement. Il hésite mais accepte sans avoir pris le temps de réfléchir à fond. Sa vie personnelle est troublée. Il n'était pas apte à voir la situation clairement. Par la suite, il est englué dans une situation dont il peut difficilement se sortir. Cette erreur le hante jusqu'au jour où il reçoit l'appel de l'enquêteur. Il est soulagé de tout lui raconter.

[25]          L'intimée fait valoir qu'une personne avait la possibilité de choisir et que, même une fois que l'appelant avait choisi, il pouvait encore aller demander la rectification de sa situation auprès des autorités fiscales. Il est vrai que l'appelant a choisi la route de l'ombre et du doute et qu'il n'est pas allé s'ouvrir aux autorités fiscales même si ce doute lui causait beaucoup d'anxiété. On peut penser cependant que l'appelant pouvait difficilement aller consulter les autorités fiscales. Il a trop remis d'argent aux auteurs. Il sent confusément qu'il ne pourra pas récupérer cette part et qu'il devra la remettre ainsi que sa propre part aux autorités fiscales. On peut penser que l'appelant osait espérer à la légitimité de l'opération. C'est une situation confuse où les sentiments ne sont pas clairs, mais qui semble beaucoup plus ressortir au guet-apens qu'à une décision délibérée de la part de l'appelant de contrevenir à la Loi.

[26]          Il y a toujours une part de responsabilité dans les gestes posés à moins qu'il ne s'agisse d'un geste purement accidentel. C'est un geste grave que de remettre de l'argent aux préposés de l'État quand ils sont dans l'exécution de leurs fonctions.

[27]          Le paragraphe 163(2) de la Loi exige toutefois que le faux énoncé ou l'omission ait été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. En d'autres termes ce paragraphe requiert l'intention coupable. Je suis d'avis que le Tribunal doit être d'autant plus certain de cette intention coupable lorsque la pénalité qui s'ensuit est d'un montant extrêmement élevé et d'un effet particulièrement onéreux pour le contribuable, comme c'est le cas ici.

[28]          L'appelant a un bon métier, mais il n'est ni comptable ni juriste. D'après ce qu'il a dit lors de son témoignage, il a toujours produit ses déclarations d'impôt chaque année et a toujours voulu être en conformité avec la Loi. Cette affirmation n'a pas été contredite par l'intimée.

[29]          Je suis d'avis qu'au départ, le geste qu'il a posé relève de l'irréflexion, de l'inconscience ou de l'erreur de jugement et non de l'intention coupable. Par la suite, il a été englué dans une situation de guet-apens. Plus une personne sera instruite plus ce sera difficile pour elle d'éviter l'application du paragraphe 163(2) de la Loi au motif de l'erreur de jugement dans des circonstances comme celles de la présente affaire. Mais ici, je suis d'avis que l'appelant n'a pas formé l'intention coupable requise par le paragraphe 163(2) de la Loi.

[30]          En conséquence, l'appel est accordé pour radier les pénalités et les intérêts y afférents.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-4109(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Justin Savard et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 30 août 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 10 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Avocate de l'appelant :                        Me Isabelle Simard

Avocat de l'intimée :                            Me Martin Gentile

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Isabelle Simard

                                Étude :                     Simard Simard Thibault, Avocats

                                                                                Chicoutimi (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-4109(IT)I

ENTRE :

JUSTIN SAVARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 30 août 2002 à Chicoutimi (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocate de l'appelant :                                                                        Me Isabelle Simard

Avocat de l'intimée :                                                                            Me Martin Gentile

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996 et 1997 sont accordés pour radier les pénalités et les intérêts y afférents, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de décembre 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.