Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-3915(EI)

ENTRE :

SATNAM DHEENSHAW,

appelant,

Et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

HARBHAJAN DHEENSHAW,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 mai 2003 à Victoria (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Représentante de l'appelant :

Subjit Dheenshaw

Avocat de l'intimé :

Me Michael Taylor

Pour l'intervenant :

Personne n'a comparu

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 18e jour de juillet 2003.

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de janvier 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI490

Date : 20030718

Dossier : 2002-3915(EI)

ENTRE :

SATNAM DHEENSHAW,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

HARBHAJAN DHEENSHAW,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe

[1]      L'appelant (et le travailleur) Satnam Dheenshaw, interjette appel à l'encontre de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datée du 9 mai 2002 selon laquelle il a été décidé que l'emploi qu'il exerçait auprès de Harbhajan Dheenshaw, le payeur et l'intervenant, pendant la période du 15 mai au 30 novembre 2001 n'était pas un emploi assurable pour le motif que l'appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance et que le ministre n'était pas convaincu qu'ils auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient eu entre eux de lien de dépendance. La décision du ministre, qu'il a rendue en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), s'appuyait sur les alinéas 5(3)b) et 5(2)i) de ladite Loi.

[2]      Subjit Dheenshaw, la fille de l'intervenant et la soeur de l'appelant, a mené l'appel au nom de l'appelant.

[3]      Subjit Dheenshaw a témoigné qu'elle vit présentement à North Vancouver, en Colombie-Britannique, et qu'elle occupe un emploi à titre d'agente de vente auprès d'une société pharmaceutique. Elle a grandi sur la propriété Gobind Farms située sur la péninsule de Saanich sur l'île de Vancouver, en C.-B., près de Victoria. Cette exploitation agricole faisait partie d'une terre d'environ 70 acres que possédait ou louait son père dans le cadre de l'exploitation d'une exploitation agricole de marché à titre d'entreprise à propriétaire unique. Après que l'appelant (son frère) a été informé de la décision selon laquelle l'emploi qu'il avait exercé auprès du payeur était considéré comme un emploi non assurable aux fins d'application de la Loi, Subjit Dheenshaw a déclaré qu'elle avait communiqué avec un agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) pour tenter d'obtenir des renseignements quant à savoir quel était le genre de preuve nécessaire pour démontrer au ministre que les parties traitaient entre elles sans lien de dépendance. Bien qu'elle ait quitté l'exploitation agricole en 1994, elle a continué à s'occuper de la tenue de livres jusqu'en 1999 et elle a déclaré qu'elle était encore très au courant de certains aspects de l'entreprise du payeur, notamment le montant du salaire mensuel, soit 3 800 $, que versait son père à l'appelant. Selon les livres et les registres que le payeur, faisant affaire sous le nom de Gobind Farms, tenait à jour, l'appelant était le seul employé salarié et, avant 2001, il avait été rémunéré selon un taux horaire ou à la pièce. Subjit Dheenshaw a déclaré que, selon son expérience qu'elle avait acquise à la ferme, il était normal d'avoir plus de 30 personnes qui travaillaient pendant la saison des fraises tandis qu'à d'autres périodes de la saison, le payeur pouvait, selon les besoins, n'engager que trois ou quatre travailleurs. Subjit Dheenshaw a déclaré qu'avant d'en arriver au montant de 3 800 $ par mois, soit le montant de la rémunération versée à l'appelant, elle avait discuté avec son père et sa mère afin de tenter d'établir un salaire raisonnable et adéquat pour un gestionnaire d'exploitation agricole dans le contexte de l'industrie agricole locale. Elle a déclaré qu'à quelques occasions, les travailleurs non salariés avaient dû attendre avant de percevoir leur salaire en raison d'un manque de liquidités, mais qu'ils avaient toujours été payés en totalité dès que l'entreprise Gobind Farms générait des profits grâce à la vente de la dernière récolte de citrouilles. Selon son expérience, ce genre de situation n'était pas inhabituel dans l'industrie agricole. Subjit Dheenshaw a déclaré que l'appelant n'assumait aucune responsabilité relativement à l'administration découlant de l'exploitation de l'entreprise, ni n'était investi d'un pouvoir de signature relativement au compte bancaire, ni n'avait droit à des primes quelconques ou à une participation aux bénéfices. Pendant la période pertinente, les seuls signataires du compte bancaire étaient Subjit et son père. Présentement, son père est la seule personne visée relativement audit compte bancaire. Avant 2001, c'est l'intervenant qui, en tant que propriétaire unique, s'occupait de la gestion de l'exploitation agricole tandis que l'appelant, qui auparavant avait travaillé pour le compte de l'entreprise Save-On Foods, n'était qu'un simple travailleur. Divers produits sont étalés dans un kiosque installé sur la propriété agricole et vendus à des clients, et l'argent que la vente des produits rapporte sert souvent à couvrir des frais imprévus. De l'avis de Subjit Dheenshaw, pour avoir pris part aux activités commerciales de l'exploitation agricole pendant de nombreuses années, son père a toujours considéré le paiement des salaries à ses employés comme une priorité allant même jusqu'à emprunter les sommes nécessaires dues consignées dans le livre de paye, et ce, même s'il n'avait établi aucune marge de crédit particulièrement pour l'entreprise.

[4]      Lorsque l'avocat de l'intimé a contre-interrogé Subjit Dheenshaw, celle-ci a expliqué en quoi consistaient les procédures à mettre en oeuvre pendant la saison de croissance. Ainsi, en avril, on répare la machinerie, on commande des fournitures, puis on procède à la plantation. Ensuite, se déroule la saison de croissance qui comprend le processus d'irrigation pour aboutir finalement à la récolte et à la vente des produits. Quoique son frère, l'appelant, n'ait pas été responsable d'engager ou de congédier des travailleurs, il était tout de même responsable de mener des entrevues avec des travailleurs occasionnels ou à temps partiel. Selon elle, c'est son père qui prenait les décisions puis transmettait des directives à l'appelant aux fins de leur mise en oeuvre. En 2001, pendant la saison de la récolte, les cueilleurs occasionnels étaient rémunérés à la journée, responsabilité qui relevait d'un employé de l'entreprise Gobind Farms à qui l'on avait assigné cette tâche. En ce qui concerne le salaire mensuel de 3 800 $ versé à l'appelant, Subjit Dheensaw a déclaré qu'elle avait effectué certaines recherches et avait conclu, compte tenu des longues heures de travail nécessaires pendant l'été, que ce montant était raisonnable. En raison du fait que l'appelant percevait un salaire mensuel, elle ne croyait pas qu'il était nécessaire de consigner ses heures de travail. Toutefois, selon elle, il n'était pas rare que l'appelant travaille entre cinq et sept jours par semaine, particulièrement pendant les mois de juillet et d'août qui sont des mois toujours très occupés. Le relevé d'emploi (RE), déposé en preuve sous la cote R-1 et qui a été délivré à l'appelant le 7 décembre 2001, indique que ses gains assurables totalisent 21 000 $, ce qui représente 1 030 heures d'emploi assurables. L'appelant a commencé à travailler le 15 mai 2001 et a été mis à pied le 30 novembre 2001. Ces heures assurables ont été calculées en fonction de 28 semaines de travail totalisant moins de 40 heures par semaine. Quant au montant des gains assurables, il a été calculé en fonction de 5,5 mois de salaire à un taux de traitement mensuel de 3 800 $. L'avocat de l'intimé a fait valoir que l'appelant avait travaillé au total 6,5 mois, ce à quoi Subjit Dheenshaw a répondu qu'en mai 2001, les fonds disponibles dans le compte bancaire n'avaient pas été suffisants pour couvrir le salaire qui lui était dû. Elle a admis qu'elle n'avait pas une connaissance directe des paiements que percevait l'appelant du payeur. On a présenté à Subjit Dheenshaw deux photocopies de chèques (pièce R-2), et elle a reconnu que le libellé des chèques nos 1509, 1510 et 1511 comportait son écriture. La note au bas desdits chèques indiquait qu'il s'agissait de paiements de salaire. Le chèque no 3083 daté du 15 avril 2002 au montant de 1 400 $ représentait un paiement partiel du salaire dû à l'appelant pour le mois d'octobre 2001. Subjit Dheenshaw a déclaré qu'à son avis, le chèque no 3062, daté du 15 mars 2002 au montant de 2 300 $ devait représenter le paiement du salaire dû à l'appelant pour le mois de novembre 2001. Toujours selon son expérience, il n'était pas rare que l'appelant ainsi que les autres travailleurs perçoivent, de temps à autre, des avances en espèces dont le payeur tenait compte ultérieurement au moment de leur délivrer un chèque pour couvrir la totalité des salaires impayés. Bien qu'elle ait rédigé les chèques nos 1509, 1510 et 1511, Subjit Dheenshaw n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi ils étaient tous datés du 14 septembre 2001. Elle a toutefois affirmé qu'elle avait pris trois semaines de vacances après le 1er juillet. Elle s'est rappelée que l'année 2001 avait été particulièrement difficile, mais elle n'a pas été en mesure de produire en preuve un document quelconque pour établir qu'il avait été nécessaire d'obtenir des prêts afin de couvrir les coûts opérationnels de l'exploitation agricole. En 1994, lorsque Subjit Dheenshaw a quitté la ferme, celle-ci avait réduit ses activités. Par la suite, elle ne passait qu'une semaine par année à l'exploitation agricole, mais demeurait tout de même régulièrement en communication avec l'appelant et le payeur puisqu'ils se téléphonaient assez souvent.

[5]      Satnam Dheenshaw a déclaré qu'il est un gestionnaire d'exploitation agricole, qu'il vit à Brentwood Bay, en Colombie-Britannique, et que pendant sa carrière, il avait occupé plusieurs emplois. Au cours des nombreuses années pendant lesquelles il a travaillé pour le compte de l'entreprise agricole Gobind Farms, il a acquis des compétences en matière de gestion et il a admis que ses tâches consistaient à commander des plants et des semences, à préparer la terre aux fins de plantation, à cultiver et à arroser les plants, à installer le système d'irrigation, à entretenir l'équipement agricole, à communiquer avec des clients pour vendre des produits, à sélectionner des contrats pour l'année suivante, à livrer des produits et à gérer le personnel. En ce qui concerne son salaire mensuel de 3 800 $, il a déclaré qu'au début de la saison, il percevait un salaire moindre et que, dans une certaine mesure, ce salaire était calculé en fonction de sa charge de travail et des fonds disponibles. Cependant, à l'approche de la fin de la saison, son salaire mensuel était de 3 800 $. Après avoir examiné les photocopies des chèques annulés (pièce R-2) qui lui ont été délivrés, l'appelant a expliqué qu'à son avis, son taux de traitement semblait dépendre de la quantité de travail qu'il accomplissait. Il a déclaré qu'il n'avait jamais perçu de salaire en espèces, mais il s'est rappelé que l'exploitation agricole avait subi une perte importante à la suite de dommages causés à la récolte de choux, ce qui avait entraîné un manque de fonds. Conséquemment, le payeur n'avait pas été en mesure de lui verser son plein salaire, contrairement à la plupart des autres travailleurs. Les récoltes de choux, qui croissent pendant l'hiver, sont habituellement vendues avant le printemps, générant ainsi des revenus qui permettent de cumuler un capital d'exploitation pour la saison à venir. Il a confirmé qu'il n'était investi d'aucun pouvoir de signature relativement au compte bancaire de l'entreprise agricole Gobind Farms. En ce qui concerne ses arriérés de salaire pour les mois d'octobre et de novembre, l'appelant a déclaré que cela pouvait être dû à des dommages causés à d'autres récoltes, notamment aux récoltes de citrouilles, en raison d'une humidité excessive et d'un manque d'ensoleillement. À son avis, les paiements qui lui ont été versés en retard sous forme de trois chèques - chacun daté du 14 septembre 2001, représentant un certain pourcentage de ses salaires accumulés pendant les mois de mai, de juin et d'août - étaient causés par un manque de liquidités pendant ces mois à la suite d'une mauvaise récolte de fraises. Il s'était entretenu avec son père à ce sujet, et tous deux avaient convenu qu'il serait payé en septembre. Il était également au courant qu'à quelques reprises, d'autres employés avaient dû attendre avant de percevoir le paiement de leurs salaries. Toutefois, l'appelant et les autres employés finissaient toujours par percevoir la totalité de leurs salaires. Avant 2001, il n'assumait aucune responsabilité en matière de gestion et il n'était pas tenu de traiter avec les grossistes. Il a travaillé sur l'exploitation agricole en 1997 et en 1998 et après avoir terminé ses études collégiales en 1996, il a occupé divers emplois pour le compte de différentes entités qui faisaient affaire dans la vente en gros de produits agricoles. Il a déclaré qu'il ne perçoit aucune part des profits que réalise l'entreprise Gobind Farm, ni aucune prime. Avant 2001, il a rempli une demande de prestations d'assurance-emploi et a perçu des prestations. Présentement, il occupe encore son emploi de gestionnaire auprès de l'entreprise Gobind Farms, mais il vit avec son épouse dans leur propre résidence qui est située à un autre endroit.

[6]      Lorsque l'avocat de l'intimé l'a contre-interrogé, Satnam Dheenshaw a confirmé que c'est en 2001 que son père, le payeur, l'avait désigné pour occuper un poste de gestionnaire et accomplir des tâches administratives particulières. Son père l'avait informé de l'ampleur des tâches qui lui seraient assignées et du salaire qu'il percevrait à titre de gestionnaire. L'appelant a déclaré qu'il était au courant que d'autres gestionnaires gagnaient entre 50 000 $ et 60 000 $ par année, notamment depuis que certaines exploitations agricoles plus importantes étaient exploitées à l'année longue. Sur 90 acres, l'entreprise Gobind Farms exploite environ 70 acres de terre productive. On a renvoyé l'appelant aux photocopies des chèques annulés (pièce R-2), et ce dernier a déclaré qu'à son avis, son salaire mensuel avait pu varier quelque peu pendant l'année 2001, puisqu'il ne s'était pas attendu à percevoir chaque mois la totalité de son salaire, soit 3 800 $. Présentement, en tant que gestionnaire, il perçoit le même salaire tous les mois. Il a admis que le montant total des chèques qu'il a perçus en 2001 s'élevait à 9 010,28 $. Il a reçu trois chèques datés du 14 septembre 2001 qu'il a attribués à ses salaires cumulés en mai et en juin qui lui étaient dus, tandis que le chèque daté du 5 août 2001 au montant de 2 200 $ s'appliquait probablement à ses salaires cumulés pendant le mois de juillet. Outre les chèques déposés en preuve sous la cote R-2, l'appelant a déclaré qu'il n'était pas en mesure de prouver les autres paiements perçus en 2001. Il a demandé à son père qu'il lui verse ses salaires impayés [Traduction] « le plus tôt possible » à la suite de quoi il a perçu un chèque au montant de 2 800 $ daté du 15 mars 2002, suivi d'un dernier chèque daté du 15 avril 2002 au montant de 1 400 $. Après avoir été informé de la décision du ministre concernant l'assurabilité de l'emploi qu'il avait occupé auprès de l'entreprise Gobind Farms, l'appelant s'est opposé à cette décision par voie d'une lettre (pièce R-3). L'appelant a déclaré qu'après avoir été mis à pied le 30 novembre 2001, il avait aidé sa mère qui vit à la ferme mais qui est confinée dans un fauteuil roulant. Cependant, il n'a accompli aucune autre tâche à titre bénévole pour le compte de l'entreprise Gobind Farms. Sa résidence est située à environ 10 minutes en voiture de l'exploitation agricole.

[7]      Subjit Dheenshaw, la représentante de l'appelant, a soutenu que d'autres chèques avaient dû être délivrés à l'appelant, mais il semble que, pour l'instant, il ne soit pas possible de les produire en preuve devant la Cour. Selon son témoignage, l'appelant fournissait des services de gestion et, à son avis, il percevait un taux de traitement raisonnable, bien qu'il soit arrivé à quelques reprises qu'il n'ait pas perçu son salaire au moment opportun en raison d'un manque de liquidités.

[8]      L'avocat de l'intimé a soutenu que la décision du ministre était justifiée et que, par conséquent, il n'était pas nécessaire que la Cour intervienne.

[9]      La disposition pertinente de la Loi est énoncée à l'alinéa 5(3)b) et est ainsi rédigée :

(3)    Pour l'application de l'alinéa (2)i),

[...]

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[10]     Dans l'affaire Adolfo Elia c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1998] A.C.F. no 316, une décision de la Cour d'appel fédérale datée du 3 mars 1998, le juge d'appel Pratte, à la page 2 de la traduction certifiée conforme, a déclaré ceci :

Contrairement à ce qu'a pensé le juge, il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[11]     Dans l'affaire Légaré c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878, une autre décision qu'a rendue la Cour d'appel fédérale, le juge d'appel Marceau, parlant au nom de la Cour, a déclaré ceci à la page 2 de la traduction certifiée :

            La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judicaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

            Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

            La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[12]     Le ministre s'est appuyé sur certaines hypothèses de fait avant de conclure que l'emploi qu'exerçait l'appelant, lorsqu'il a fourni des services au payeur pendant la période pertinente, était un emploi exclu. Les hypothèses reproduites ci-dessous, telles qu'elles sont énoncées aux points g) à r) inclusivement du paragraphe 4 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ), sont celles qui, à mon avis, représentent l'essentiel de la position du ministre :

[traduction]

g)          pendant la période pertinente, l'appelant a travaillé de longues heures de travail, commençant souvent à 6 h 30 et travaillant jusqu'à 23 h, et ce, six ou sept jours par semaine;

h)          l'appelant était responsable de libeller des chèques et de s'occuper des écritures avant que le comptable ne prenne la relève;

i)           pendant la période pertinente, l'appelant travaillait environ 100 heures par semaine à l'exploitation agricole;

j)           l'appelant établissait son propre taux de traitement;

k)          l'appelant a perçu les chèques suivants : un chèque daté du 5 août 2001 au montant de 2 200 $, un chèque daté du 14 septembre 2001 au montant de 3 400 $; un chèque daté du 14 septembre 2001 au montant 2 160 $; un chèque daté du 14 septembre 2001 au montant de 1 250 $; un chèque daté du 15 mars 2002 au montant de 2 800 $ et un chèque daté du 15 avril 2002 au montant de 1 400 $;

l)           l'appelant n'était pas rémunéré pour ses heures de travail supplémentaires;

m)         le relevé d'emploi de l'appelant était fondé sur une semaine de travail de 40 heures;

n)          le taux de traitement que percevait l'appelant était établi à 3 800 $ par mois, conformément au taux qu'avait déterminé l'appelant;

o)          lorsque l'appelant avait besoin d'argent, il se servait à même la caisse enregistreuse. Toutefois, il ne consignait pas les sommes qu'il percevait ainsi;

p)          l'appelant n'a pas été en mesure de se souvenir s'il avait perçu tous les salaires qui lui étaient dus;

q)          l'appelant a perçu deux chèques de paye après avoir interjeté appel à l'encontre de la décision du ministre et après avoir été interrogé par l'agent des appels;

r)           l'appelant a fourni des services à l'entreprise Gobind en dehors de la période qui figure sur son relevé d'emploi sans rémunération.

[13]     La preuve n'appuie pas l'hypothèse de fait énoncée au point h) du paragraphe 4 de la Réponse selon laquelle il était responsable de libeller des chèques et de s'occuper des écritures. Il est également évident que l'appelant n'a pas établi son propre taux de traitement, comme l'a affirmé le ministre au point j) du paragraphe 4 et que, curieusement, il réaffirme, de façon légèrement différente au point n) de ce même paragraphe. L'appelant n'a pas nié l'allégation énoncée au point o) du paragraphe 4 selon laquelle « lorsqu'il avait besoin d'argent, il se servait à même la caisse enregistreuse. Toutefois, il ne consignait pas les sommes qu'il percevait ainsi » . Cependant, il a nié avoir fourni des services à l'entreprise Gobind Farms en dehors de la période qui figurait sur son RE, tel que l'a supposé le ministre au point r) du paragraphe 4 de la Réponse.

[14]     Les autres hypothèses de fait qui n'ont pas été niées et la preuve qui m'a été présentée m'amènent à conclure ce qui suit :

1.        l'appelant travaillait pendant de très longues heures de travail, soit peut-être environ 100 heures par semaine. Pourtant, son RE était fondé sur une semaine de travail de moins de 40 heures;

2.        le RE de l'appelant indiquait qu'il avait perçu la somme de 21 000 $ pendant la période du 15 mai au 30 novembre 2001;

3.        il a été montré que la somme que le payeur a versée à l'appelant pendant la période pertinente totalise un montant de 9 010,28 $;

4.        la rémunération totale prétendument attribuable aux services qu'a fournis l'appelant au payeur en 2001, y compris la somme de 4 200 $ qui lui a été versée en 2002 sous forme de deux chèques libellés à son nom, ne s'élève qu'à 13 210,28 $;

5.        les salaires dus et payables à l'appelant au taux de traitement de 3 800 $ par mois pour la période de travail de 6,5 mois auraient dû totaliser un montant de 24 700 $;

6.        le salaire réel qu'a perçu l'appelant en 2001 est de 15 689,72 $ inférieur au montant déclaré dans son RE, et, après avoir inclus les paiements perçus en 2002, il reste encore un écart de 11 489,72 $.

[15]     Sauf si certaines conditions particulières s'appliquent, mais qui ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent appel, pour qu'un travailleur puisse percevoir des prestations d'a.-e. calculées en fonction d'un certain montant de gains assurables qui représentent un certain nombre d'heures assurables, il doit, en vertu de la Loi, avoir perçu une rémunération à l'égard de l'emploi qu'il exerçait, conformément au paragraphe 10(1) du Règlement.

[16]     Outre les allégations qu'a présentées Subjit Dheenshaw au cours de son témoignage selon lesquelles elle avait effectué certaines recherches concernant la rémunération à verser à l'appelant, aucune preuve ne montre que le taux de traitement mensuel de 3 800 $ représente un taux raisonnable dans l'industrie de l'agriculture de marché dans la région de l'île de Vancouver. Il se peut fort bien qu'un tel taux soit équitable si l'on tient compte des longues heures de travail nécessaires pendant les mois d'été et des diverses tâches qui doivent être accomplies, y compris la supervision d'employés pendant la saison de la cueillette de différentes récoltes. Cependant, il est difficile d'imaginer qu'une personne non liée consentirait à travailler entre cinq et sept jours par semaine, jusqu'à 100 heures de travail par semaine, pendant les mois occupés sans être rémunérée régulièrement. L'appelant a travaillé à titre de gestionnaire à compter du 15 mai jusqu'au 15 septembre 2001, soit pendant quatre mois, et a perçu au total la somme de 9 010,28 $ pendant la période en question dont le premier paiement au montant de 2 200 $ ne lui a été versé que le 5 août 2002. En règle générale, un gestionnaire s'attendrait à recevoir un salaire brut de 15 200 $ pour cette période de quatre mois calculés selon le taux de traitement mensuel de 3 800 $. Ainsi, la question que l'on peut se poser est la suivante : est-il raisonnable de s'attendre à ce qu'un étranger, n'ayant perçu aucun salaire pendant trois mois et qui, après avoir travaillé durement pendant quatre mois, est toujours en attente de percevoir des arriérés de salaire de plus de 5 000 $, continue de fournir ses services à son employeur pendant une autre période de deux mois et demi et qu'il soit disposé à attendre par la suite jusqu'en mars et en avril 2002 pour percevoir le paiement partiel de ces arriérés de salaire tout en ayant encore à son actif un solde important de salaires impayés cumulés pendant l'année 2001? À cette question, je ne peux répondre que par la négative.

[17]     L'appelant ignorait quel était le fondement de la rémunération que sa soeur avait établie conjointement avec ses parents à son égard. Il s'agit là d'une méthode propre à la négociation d'un régime salarial qui n'est pas recommandé pour les néophytes qui s'apprêtent à occuper un poste exécutif au sein d'une entreprise familial. On peut comprendre la confusion de l'appelant parce que, d'une part, son prétendu salaire de 3 800 $ par mois n'avait aucun rapport avec les montants qu'il a réellement perçus et parce que, d'autre part, les notes inscrites sur les chèques pour indiquer la raison des paiements n'ont aucun lien avec le montant précis des salaires réellement gagnés. Si le chèque daté du 14 septembre 2001 au montant de 1 250 $ était censé représenter le paiement de 15 jours de salaires cumulés en mai, alors le salaire de l'appelant aurait dû être d'environ 2 500 $ par mois. Un autre chèque aussi daté du 14 septembre 2001 d'environ 2 160,28 $ est censé représenter le paiement de salaires dus cumulés en juin. Cette somme est peut-être fondée sur un salaire mensuel de 2 500 $, mais elle n'est certainement pas fondée sur le salaire mensuel de 3 800 $. Le dernier chèque, aussi daté du 14 septembre 2001, au montant de 3 400 $ semble représenter le paiement des salaires cumulés en août, ce qui est plus près au salaire mensuel établi. Toutefois, si l'on prélève les retenues appropriées, on devrait obtenir un montant moindre, et ce, même si l'on tient compte des réductions d'impôt sur le revenu qu'ont récemment annoncées le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique.

[18]     Le RE représente faussement le montant des gains assurables, laissant un écart considérable à combler. Si des prestations d'a.-e. avaient été accordées à l'appelant, elles auraient été calculées en fonction de ce montant. À ce taux, les prestations d'a.-e. se seraient presque élevées au montant total des rémunérations réellement versées à l'appelant en 2001. Le système n'est pas conçu pour accorder des prestations fondées sur des reconnaissances de dettes ou sur toute autre forme de rétribution théorique selon la dynamique particulière propre aux relations qui existent entre les membres d'une famille. Ce système exige une conformité à la Loi et à l'un ou l'autre de ses règlements pertinents.

[19]     Bien que la preuve n'appuie pas certaines hypothèses de fait sur lesquelles s'est appuyé le ministre, il subsiste, à mon avis, suffisamment de faits pertinents qui justifient sa décision selon laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient eu entre elles de lien de dépendance. Ainsi, si l'on tient compte des circonstances de la relation de travail qui existait entre l'appelant et le payeur, la décision du ministre est fondée puisqu'elle s'appuie sur une évaluation adéquate des faits qu'il a déduits ou sur lesquels il s'est appuyé directement. Par conséquent, la décision du ministre est raisonnable et j'ordonne qu'elle soit maintenue.

[20]     L'appel est donc rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 18e jour de juillet 2003.

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de janvier 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.