Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-2729(EI)

ENTRE :

NORTH STAR/FAIRMONT PLATING LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 juin 2003 à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocat de l'appelante :

Me Deryk W. Coward

Avocat de l'intimé :

Me Michael Van Dam

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision du ministre est infirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 16e jour de juillet 2003.

« Michael H. Porter »

Juge suppléant Porter

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de janvier 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI477

Date : 20030716

Dossier : 2002-2729(EI)

ENTRE :

NORTH STAR/FAIRMONT PLATING LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Porter

[1]      Le présent appel a été entendu à Winnipeg, au Manitoba, le 16 juin 2003.

[2]      L'appelante a interjeté appel à l'encontre de la décision du ministre du Revenu national (ci-après appelé le « ministre » ) selon laquelle les emplois qu'exerçaient John Santos ( « M. Santos » ) et Lina Jones ( « Mme Jones » ) auprès de l'appelante pendant la période du 1er janvier au 31 décembre 2001 étaient des emplois assurables aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'a.-e. » ) pour le motif suivant :

[Traduction]

[...] John Santos et Lina Jones ont été engagés en vertu d'un contrat de louage de services et, par conséquent, ils étaient des employés. Le ministre est convaincu que vous auriez conclu un contrat de travail à peu près semblable si vous n'aviez eu entre vous aucun lien de dépendance.

Cette décision dont on a fait part aux parties par voie de lettre a été rendue en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. et est fondée sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) de cette même Loi.

[3]      Les faits établis révèlent que, pendant la période en question (et pendant de nombreuses années auparavant), l'appelante exploitait une entreprise offrant des services de réparation, d'application d'un nouveau revêtement métallique et de remise à neuf de pare-chocs. M. Santos et Mme Jones sont frère et soeur. M. Santos, par l'intermédiaire de sa fiducie familiale, contrôle 420 des 1 120 actions ordinaires avec droit de vote émises de l'appelante; quant à Mme Jones, aussi par l'intermédiaire de sa fiducie familiale, elle contrôle 100 actions ordinaires avec droit de vote émises de l'appelante. Les autres actions restantes sont contrôlées par leur père, Acacio Santos, également par l'intermédiaire de sa fiducie familiale. Par conséquent, en vertu de l'effet conjugué de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu et des alinéas 5(2)i) et 5(3)a) de la Loi sur l'a.-e., leurs emplois respectifs, soit directeur général dans le cas de M. Santos et directrice de bureau dans le cas de Mme Jones, étaient automatiquement réputés ne pas être des emplois assurables, sous réserve de l'exception à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e. qui prévoit que l'employeur et l'employé sont présumés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre est convaincu de l'existence des divers critères énumérés dans cet article et qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire afin de leur faire franchir la porte, pour ainsi dire. Le ministre a prétendu le faire, et c'est cette décision qui fait l'objet d'un litige dans le présent appel.

[4]      J'ai mentionné la nature de la situation sur laquelle je suis appelé à me prononcer dans la présente affaire dans la décision Crawford & Company Ltd. et M.R.N., [1999] A.C.I. no 850 (dossiers numéros 98 407(UI), 98-537(UI) et 98-538(UI)). Je reprends ce que j'ai dit dans cette affaire puisque celle en l'espèce constitue encore un cas où le ministre a prétendu exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'inclure des emplois dans le régime d'assurance-emploi alors que, dans le cours normal des choses, la loi les en aurait exclus.

[5]      On demande habituellement au ministre d'accorder l'accès au régime à des demandeurs de prestations pour le motif que l'exception devrait être appliquée. La Cour est constamment saisie d'appels du refus du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. En l'espèce, cependant, comme dans l'affaire Crawford, précitée, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée afin d'inclure, dans la portée du régime d'assurance-emploi, des personnes qui, par l'effet de la loi, en seraient exclues. Par conséquent, par suite de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, on a exigé d'eux le paiement de cotisations. Je suis d'avis que la loi lui permet d'agir ainsi dans les circonstances appropriées, mais que cela est peu conforme à l'esprit des modifications qui ont été apportées à la Loi sur l'assurance-chômage en 1990, lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été accordé pour la première fois. À la Chambre des communes, le député André Plourde, s'exprimant pour le compte du gouvernement d'alors, a dit, au moment où les modifications à la Loi sur l'assurance-chômage ont été proposées, que le projet de loi C-21 contenait des dispositions visant à éliminer les restrictions injustes sur l'admissibilité aux prestations et que :   

Toutes les modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-21 visent essentiellement à rendre ce régime plus efficace et plus équitable, mais aussi à répondre aux besoins des travailleurs et travailleuses. (Voir Hansard, 7 juin 1989, Débats de la Chambre des communes, page 2722)

[6]      Néanmoins, sur le plan de l'interprétation littérale du droit, je suis convaincu que le ministre a effectivement le pouvoir légal d'agir ainsi. Il n'appartient pas à la Cour de se mêler de questions de politiques, mais je signale quand même les différences qui existent entre cette nouvelle pratique, comme en témoignent ces affaires, et ce qui semblait être l'intention du législateur relativement à la disposition en question lorsqu'elle a été proposée, à savoir d'atténuer le préjudice et l'injustice dont seraient victimes des personnes liées n'ayant entre elles aucun lien de dépendance, qui seraient par ailleurs incapables de participer au régime. Personne n'a prétendu que cette disposition visait à donner au ministre le pouvoir de prendre au piège le plus grand nombre possible de personnes en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée.

[7]      En outre, l'interprétation qu'a faite le ministre de la disposition légale en cause semble injuste en soi puisque, si le frère et la soeur n'étaient pas liés aux actionnaires majoritaires et que le ministre avait décidé que, dans les faits, ils n'avaient pas de lien de dépendance avec la société, ils auraient eu droit d'interjeter un appel de novo à la Cour. Les choses étant ce qu'elles sont, parce qu'ils sont liés aux actionnaires majoritaires, et malgré le fait que la loi fondamentale les exclut du régime, ils y sont inclus malgré eux parce que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire et ils ne jouissent que d'un droit d'appel limité. En d'autres termes, leur droit d'appel est restreint par la retenue dont la Cour doit faire preuve à l'égard de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances de la présente affaire.

[8]      Si cette retenue et les droits d'appel limités semblent parfaitement logiques et justes lorsque des personnes qui sont essentiellement exclues par la loi tentent de profiter d'une exemption et que le législateur confie au ministre la responsabilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire, on ne peut en dire autant lorsque le ministre, par l'exercice de ce même pouvoir discrétionnaire, agit de façon anticipée et détermine que le régime s'applique à certaines personnes alors que celles-ci ne souhaitent pas y prendre part.

[9]      Pour être juste envers le ministre, je devrais ajouter que, pendant de nombreuses années avant 2001, M. Santos et Mme Jones ont tous deux versé des cotisations à l'assurance-emploi. Ils ont cessé de verser ces cotisations en 2001, et ont demandé qu'elles leur soient remboursées, ce qui a donné lieu aux présentes procédures.

Le droit relatif à l'examen de la décision du ministre

[10]     Dans le cadre du régime établi par la Loi sur l'a.-e., le législateur a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations lorsqu'ils prennent fin et que d'autres emplois, qui sont « exclus » , ne donnent droit à aucune prestation lorsqu'ils prennent fin. Les conventions d'emploi contractées par des personnes qui ont un lien de dépendance sont des « emplois exclus » . Des frères et des sociétés contrôlées par des personnes liées à eux sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui régit cette situation. Cette disposition légale avait manifestement pour but d'éviter au régime d'avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d'emploi factices ou fictives; voir les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Paul c. Le ministre du Revenu national, [1986] A.C.F. no 682, inédite, où le juge Hugessen a déclaré ceci :

Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [...] et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage [...] visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports « employeur-employé » entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différants [sic]. [...] Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.

[...]

Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé.

[11]     La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans le cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable s'il remplit toutes les autres conditions, si le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

[12]     Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le législateur a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

[13]     Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il exige que :

Le ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées.

[14]     Le ministre est donc tenu de régler la question. La loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il lui est alors loisible de décider que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu'il décide, aux termes de la loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le critère qui s'applique est le même que celui qui s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. (Voir Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-555-93, 25 juillet 1994 (185 N.R. 73), Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N., C.A.F., nos A-172-94, A-173-94, 1er décembre 1994 (178 N.R. 361), Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (215 N.R. 352) et Sa Majesté La Reine et Bayside Drive-in Ltd., C.A.F., nos A-626-96, A-627-96, A-628-96, A-629-96, 25 juillet 1997 (218 N.R. 150).

[15]     Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d'appel, de réviser la décision du ministre et de décider s'il l'a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi sur l'a.-e. et aux principes de la justice naturelle. Dans l'affaire Sa Majesté La Reine et Bayside Drive-in Ltd. précitée, la Cour d'appel fédérale a relevé certains points à considérer par notre cour lorsqu'elle entend de tels appels. Ce sont les suivants : (i) le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, maintenant le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'a.-e.; (iii) le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[16]     La Cour d'appel fédérale a ensuite ajouté ceci :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et [...] le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[17]     Je ne dois pas oublier, à l'examen de cette affaire, qu'il n'appartient pas à notre Cour de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrai alors me demander s'il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant la décision. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si la Cour pouvait ne pas l'agréer, la décision doit être maintenue. Si, par ailleurs, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait, d'un point de vue objectif et raisonnable, légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et la Cour peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision.

[18]     Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour rendre sa décision, c'est à lui qu'il appartient de régler la question et, s'il n'est « pas convaincu » , il n'appartient pas à notre cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n'appartient à la Cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n'aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C'est seulement si la décision est prise d'une manière inappropriée et qu'elle est déraisonnable d'un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[19]     Je puis m'appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses Cours d'appel du Canada et de la Cour suprême du Canada dans des affaires connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été examinées par la suite par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la présente espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d'un mandat de perquisition a été établie par le juge Cory (alors juge de la Cour d'appel) dans l'affaire Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503, (C.A.), où il a dit qu'il n'appartient pas au juge qui fait le contrôle d'examiner ou de considérer de novo l'autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a accordé le mandat. Il s'agit plutôt, au stade du contrôle, de déterminer d'abord s'il existait ou non des éléments de preuve sur la foi desquels un juge de paix pouvait conclure, de façon judiciaire, qu'un mandat de perquisition devait être délivré.

[20]     La Cour d'appel de l'Ontario a repris et développé son point de vue dans l'affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987) 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1989] 1 R.C.S. vii. En indiquant que le tribunal faisant le contrôle devait examiner « l'ensemble des circonstances » , la Cour d'appel a affirmé à la page 492 :

[Traduction]

Évidemment, s'il n'y a pas d'éléments de preuve sur lesquels appuyer une telle conviction (c'est-à-dire qu'une infraction criminelle n'a pas été commise), on ne peut dire que dans ces circonstances le juge de paix doit être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire pour délivrer un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu'il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dit dans de telles circonstances qu'il est convaincu et délivre le mandat, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n'aurait pas dû être convaincu.

[21]     La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans l'affaire R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Le regretté juge Sopinka, traitant de la question de la révision de la délivrance d'une autorisation d'écoute électronique, a affirmé ceci :

[...] Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme [...] :

[traduction]

Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la perquisition, la fouille ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

            Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[22]     Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d'appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983) 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R.; (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989) 74 Sask. R. 204 (C.A.); et R. v. Turcotte (1988) 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990) 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991) 41 Q.A.C. 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991) 104 N.B.R. (2d) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989) 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (K.R.) (1993) 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.). Il me semble s'agir d'une approche très pertinente au contrôle de la décision du ministre, laquelle est une décision quasi judicaire.

Étape I - Examen de la décision du ministre

[23]     Dans la réponse à l'avis d'appel signée à son nom, on a dit que le ministre s'était appuyé sur les hypothèses de fait suivantes (j'ai indiqué entre parenthèses celles qu'a admises ou niées l'appelante) :

[traduction]

a)          l'appelante exploite une entreprise de remise à neuf de pare-chocs; (admise, mais les activités commerciales de l'entreprise ne consistent pas seulement à la remise à neuf de pare-chocs)

b)          les actions ordinaires avec votes émises de l'appelante, soit un total de 1 120 actions, sont détenues de la façon suivante : (admise)

Titulaire                                     Nombre d'actions détenues

Fiducie familiale d'Acacio Santos                        600

Fiducie familiale John Santos                              420

Fiducie familiale Lina Jones                                 100

Total                                                                1 120

c)        Acacio Santos est le père de John Santos et de Lina Jones; (admise)

d)          l'appelante et les travailleurs sont liés entre eux aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), L.R.C. 1985 (5e suppl.) ch. 1, telle qu'elle a été modifiée; (admise)

e)          l'appelante emploie environ 90 employés; (admise, en 2001, l'entreprise comptait environ 100 employés)

f)           les heures d'ouverture de l'appelante sont de 8 h à 17 h du lundi au vendredi; (niée, les heures d'ouverture des diverses divisions de l'entreprise étaient tout à fait différentes)

g)          John Santos est le président et le directeur général de l'appelante dont les tâches consistent : (niée, ces tâches ne faisaient que partie intégrante des autres fonctions que John Santos assumait)

(i)           à superviser les activités quotidiennes de l'appelante,

(ii)          à négocier des contrats,

(iii)         à embaucher et à mettre à pied du personnel,

(iv)         à participer à la résolution de tous les problèmes pouvant survenir,

(v)          s'occuper de l'achat de fournitures et d'équipement;

h)          John Santos perçoit un salaire annuel de 120 000 $ en plus de primes; (admise)

i)           John Santos travaille normalement de 6 h 30 à 17 h pendant l'été et de 8 h 30 à 18 h pendant l'hiver, bien qu'il soit libre d'aller et de venir comme bon lui semble, à condition qu'il en informe l'appelante; (niée)

j)           John Santos est tenu de fournir ses services à l'appelante personnellement; (admise)

k)          Lina Jones exerce les fonctions de directrice de bureau auprès de l'appelante. Ses fonctions consistent : (niée; ces tâches ne faisaient que partie intégrante des autres fonctions que Lina Jones assumait)

(i)          à superviser le personnel de bureau,

(ii)         à engager et à mettre à pied du personnel,

(iii)        à s'occuper de la comptabilité,

(iv)        à résoudre des problèmes,

(v)         à participer à des réunions,

(vi)        à accomplir d'autres tâches, selon ce que lui demande de faire l'appelante;

(l)          Lina Jones perçoit un salaire annuel de 67 500 $ en plus de primes; (admise)

m)         Lina Jones travaille normalement selon les heures normales d'ouverture de l'appelante, soit de 8 h à 17 h du lundi au vendredi, bien que pendant l'hiver elle travaille environ de 12 à 13 heures par jour, alors qu'il y a davantage d'accidents d'automobile; (niée, elle travaillait beaucoup plus d'heures que cela)

n)          Lina Jones n'était pas libre d'aller et de venir comme bon lui semblait; (niée)

o)          l'appelante a engagé les travailleurs en mai 1991; (admise, en fait, ils travaillaient pour le compte de la société bien avant cela)

p)          les travailleurs sont signataires autorisés relativement au compte bancaire de l'appelante; (admise)

q)          les travailleurs ne sont pas rémunérés pour leurs heures supplémentaires; (admise)

r)           les travailleurs sont rémunérés bimensuellement par chèque; (admise)

s)          les travailleurs percevaient toujours leur paye à la date prévue; (admise; toutefois, M. Santos pouvait attendre avant d'encaisser son chèque si la société était à court de fonds)

t)           les travailleurs ne consignent pas leurs heures de travail; (admise)

u)          quelquefois, les travailleurs travaillaient en dehors des heures ou des journées normales de travail; (admise)

v)          étant donné que les travailleurs étaient également actionnaires et directeurs de l'appelante, ils n'étaient pas supervisés dans l'exécution de leurs fonctions; (niée)

w)         relativement à leurs tâches et fonctions, les travailleurs possédaient de l'expérience; (admise)

x)          les travailleurs rendaient compte à un conseil d'administration dont ils étaient membres; (admise)

y)          les travailleurs accomplissaient leurs tâches tant sur le lieu d'affaires de l'appelante qu'à domicile; (admise)

z)          tous les outils et équipement dont avaient besoin les travailleurs pour exécuter leurs fonctions étaient fournis par l'appelante; (niée)

aa)        les travailleurs n'engagent aucune dépense dans l'exécution de leurs fonctions; (niée)

bb)        les travailleurs occupaient des postes nécessaires et importants dans l'entreprise de l'appelante; (admise)

cc)        si les travailleurs avaient cessé d'exécuter leurs fonctions, l'appelante aurait eu à les remplacer; (niée, à leur avis, leur père aurait simplement fermé l'entreprise si celle-ci n'avait plus été exploitée comme une entreprise familiale)

dd)        les travailleurs percevaient le même salaire de base que tout autre travailleur engagé pour occuper un poste semblable; (niée)

ee)        si une urgence survenait au cours d'un jour férié ou d'un congé, les travailleurs pouvaient être tenus de rentrer au travail; (admise)

ff)          les travailleurs, en tant qu'actionnaires de l'appelante, percevaient une part des profits que générait l'appelante; (admise)

gg)        les travailleurs ont tous deux été engagés par l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services; (admise)

hh) et ii)             Ce sont les questions en litige que la Cour est appelée à trancher :

hh)        le ministre a tenu compte de tous les faits pertinents dont il disposait, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli;

ii)          le ministre était convaincu qu'il était raisonnable de conclure que l'appelante et les travailleurs auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient eu entre eux aucun lien de dépendance.

[24]     M. Santos et Mme Jones ont témoigné au nom de l'appelante. Je suis tout à fait convaincu que tous deux ont été parfaitement honnêtes au cours de leur témoignage, et leur crédibilité ne fait aucun doute.

[25]     M. Santos a déclaré qu'il avait commencé à travailler au sein de l'entreprise, qu'exploitait son père, en 1975, alors qu'il était âgé de 19 ans. Il a travaillé dans chacune des divisions de l'entreprise et a acquis des connaissances concernant tous les aspects de l'entreprise, se préparant ainsi à devenir directeur général à mesure que son père se retirait des activités quotidiennes de l'entreprise. Bien que sa tâche principale, pendant la période en question, ait consisté à diriger et à gérer l'entreprise, notamment à s'occuper des ventes et à envisager de nouvelles possibilités, il intervenait tout de même pour faire tout ce qui s'avérait nécessaire relativement à l'exploitation de l'entreprise lorsqu'on était à court de personnel.

[26]     L'entreprise qui, en 1970, comptait six employés travaillant à un seul endroit, est passé à plus de 100 employés répartis dans trois régions, soit à Winnipeg, à Saskatoon et à Regina. Il semble que le ministre ignorait que l'entreprise exploitait ses activités commerciales dans trois régions pendant la période en question. À Winnipeg, l'entreprise comptait une division pour les pièces, une division pour la fabrication de pare-chocs en caoutchouc et un atelier pour le revêtement métallique de pare-chocs, diversifiant ainsi ses activités. La plupart du travail s'effectuait à divers endroits à Winnipeg, un autre fait dont le ministre, semble-t-il, n'était pas au courant. M. Santos ne se limite pas à superviser toutes les activités et divisions de l'entreprise. Lorsque cela s'avère nécessaire, il relève ses manches et met la main à la pâte. Les hypothèses de fait n'indiquent pas clairement que le ministre a tenu compte de ce fait pertinent.

[27]     À cet égard, M. Santos, en tant que président et directeur général, s'occupait également de la planification générale et stratégique de l'entreprise. Celle-ci était exploitée de la même manière que le sont de nombreuses entreprises familiales, c'est-à-dire en engageant au départ une main-d'oeuvre constituée d'immigrants européens peu instruits mais travaillants. Toutefois, dans le cadre des activités quotidiennes de l'entreprise, le père avait une large participation à la prise de décisions importantes et, en tant qu'actionnaire principal, il gardait un oeil sur les livres et les comptes de l'entreprise. Les réunions se tenaient à sa résidence, de façon non officielle, dans le cadre de visites familiales, en prenant un verre de vin. Comme M. Santos l'a mentionné, il était souvent difficile d'établir une distinction entre la famille et l'entreprise. J'ai eu l'impression que tout au long de leur vie professionnelle, M. Santos et sa soeur, Mme Jones, ont toujours travaillé pour leur père dans l'entreprise familiale, et que quoique leur père disait, c'était la façon de faire les choses. Il était quelquefois difficile de s'entendre avec lui parce qu'il était très obstiné. Ils n'ont jamais travaillé ailleurs, et l'entreprise était le prolongement de leur famille. Ils y étaient dévoués parce qu'il s'agissait d'une entreprise familiale, ce qui se reflétait non seulement dans les tâches qu'ils accomplissaient mais aussi dans les avantages financiers qu'ils percevaient. À mon avis, le ministre n'a pas saisi toute la portée de la situation, ce qui manifestement constitue un fait très pertinent.

[28]     En ce qui concerne l'aspect financier, M. Santos a indiqué qu'il percevait un salaire de base annuel de 120 000 $, soit 10 000 $ par mois, montant sur lequel il prélevait l'impôt sur le revenu au même titre que tout autre employé. Il ne fait aucun doute qu'il était à la fois un employé et un actionnaire. Sa soeur, Mme Jones, qui était également une employée, percevait pour sa part un salaire mensuel calculé en fonction de son salaire annuel de 67 500 $. À la fin de l'année, après que toutes les dépenses engagées étaient couvertes, le reste des profits était réparti entre les membres de la famille, en fonction des actions qu'ils détenaient et chaque membre percevait un pourcentage du ratio que rapportaient leurs actions. M. Santos a expliqué qu'il considérait sa part de profits comme une prime et qu'il prélevait de l'impôt sur le montant qui lui était versé au même titre qu'un employé. Il déposait ensuite le montant net dans le compte de la société, et ce montant était ajouté à son compte de prêts aux actionnaires. J'ignore pourquoi il considérait ce montant comme une prime ou un salaire plutôt que comme un dividende à l'actionnaire, mais c'est ce qu'il a dit qu'il faisait. Toutefois, le fait est qu'une fois les impôts payés, tout l'argent était redéposé dans le compte de la société afin de limiter les dettes de l'entreprise et de lui permettre de prendre de l'expansion. Bien entendu, ses capacités en tant que directeur général, employé et actionnaire de la société se chevauchent. Cependant, c'est ce que son père a toujours fait et c'est ce qu'il s'attendait de lui, ce qui n'est guère caractéristique d'une relation sans lien de dépendance. Contrairement à un employé, peu de directeurs généraux travaillant en tant qu'employés réinvestiraient leurs primes dans la société pour laquelle ils travaillent sous forme d'un prêt de manière à ce que la société puisse générer d'autres profits découlant de ces sommes investies. Je déduis que s'il n'avait pas suivi les recommandations de son père à cet égard, cela aurait eu pour effet de mettre toute sa situation en péril. Ici encore, ce sont des faits pertinents dont le ministre n'a pas été saisi et, conséquemment, il n'en a pas tenus compte.

[29]     Je me dois d'ajouter que, de temps à autre, lorsque M. Santos avait besoin de plus d'argent pour acheter une voiture par exemple, il avait accès à son compte de prêt aux actionnaires et pouvait en retirer la somme qui lui était nécessaire. Toutefois, en règle générale, cet argent demeurait dans le compte de la société de manière à ce qu'il lui soit profitable.

[30]     Comme autre indication de la façon dont ses affaires personnelles faisaient partie intégrante de la société, M. Santos a expliqué que, souvent, les dépenses qu'il engageait dans le cadre de voyages d'affaires ne lui étaient pas remboursées. Par contre, dans d'autres occasions, il pouvait profiter de certains avantages, par exemple lorsque la société achetait des billets pour participer à des événements sportifs aux fins de promotion auprès des clients.

[31]     M. Santos a également témoigné au sujet de l'équipement qu'il possédait et qui était utilisé pour le compte de l'entreprise, tel qu'une tondeuse à gazon, un gicleur à haute pression et une souffleuse à neige, équipement pour lequel il n'a jamais perçu une somme. On s'en servait tout simplement lorsque l'entreprise en avait besoin.

[32]     Une autre indication des liens qui existaient entre la famille et la société concerne une réception organisée en l'honneur de sa mère et de son père pour souligner leur 50e anniversaire de mariage. Dans une certaine mesure, il est difficile de dire s'il s'agissait d'une affaire de famille ou d'une affaire concernant la société.

[33]     M. Santos a expliqué plus en détail sa participation dans les activités de l'entreprise. Pendant l'hiver, période beaucoup plus occupée que l'été, en raison du nombre accru d'accidents d'automobile sur la route, il commençait sa journée de travail à 5 h 30 et travaillait jusqu'à 18 h, quelquefois même plus tard. Il répondait aux alarmes qui se déclenchaient sur les lieux d'affaires de l'entreprise pendant la nuit. Il pouvait également s'occuper de la livraison de pare-chocs, au besoin, et ce, même s'il devait conduire à l'extérieur de la ville. Quelquefois, il travaillait entre 14 et 16 heures par jour et souvent, six jours par semaine. Il a expliqué qu'il travaillait ainsi parce que l'entreprise était une entreprise familiale. Il me semble que le ministre, dans ses hypothèses, a omis de tenir compte des heures supplémentaires et des efforts qu'a consacrés M. Santos dans l'entreprise parce qu'il s'agissait d'une entreprise familiale, ce que n'aurait pas fait un directeur général n'ayant aucun lien familial ou du moins, sans être rémunéré.

[34]     De même, les vacances étaient pratiquement quelque chose que M. Santos ne connaissait pas. Il en prenait rarement, contrairement à un employé n'ayant aucun lien de dépendance avec son employeur qui prendrait des vacances régulièrement. Ici encore, il a expliqué que c'était son engagement envers la famille qui le poussait à agir ainsi. Une fois de plus, le ministre a omis de tenir compte de ce fait concernant les vacances, sauf dans la mesure où M. Santos aurait été dans l'obligation de rentrer de vacances s'il y avait eu urgence (point ee)).

[35]     Une autre tâche que M. Santos accomplissait et qu'un directeur général salarié, à son avis, n'aurait pas exécuté, consistait à vérifier le réservoir d'électrodéposition pendant la nuit, tâche qui devait s'accomplir régulièrement, et M. Santos partageait cette responsabilité avec un autre employé salarié.

[36]     Bien que cela ne se soit pas produit fréquemment, selon ce que j'ai saisi, M. Santos a expliqué comment, par le passé, il avait attendu entre sept et dix jours avant d'encaisser son chèque de paye jusqu'à ce que la société dispose de fonds suffisants de manière à ce qu'elle ne dépasse pas sa marge de crédit. Une fois de plus, aussi peu fréquent que cela pouvait être, il s'agit d'un fait important que le ministre n'a pas tenu compte et qui illustre le lien qui existait entre M. Santos et l'appelante relativement à leurs opérations financières.

[37]     Sa soeur, pour sa part s'occupait de la comptabilité. Au cours de son témoignage, Lina Jones a également expliqué comment elle avait consacré toute sa vie professionnelle à la société en travaillant pour le compte de cette dernière. Elle était responsable du bureau et s'occupait de la gestion. Elle supervisait trois employés affectés à la réception, aux commandes et aux comptes créditeurs. Elle tenait les livres comptables et s'occupait des comptes elle-même.

[38]     En 1990, elle a fréquenté le Red River College pour suivre à temps plein un cours de gestion des affaires d'une durée de deux années. Son père, par l'entremise de la société, a pris les dispositions nécessaires pour qu'elle perçoive un salaire à temps plein de manière à ce qu'elle puisse poursuivre ses études au collège. Depuis lors, elle travaille pour le compte de la société. Elle aussi a parlé de l'entreprise comme d'une entreprise familiale. Peu d'employeurs versent un salaire à temps plein à leurs employés n'ayant aucun lien de dépendance pour leur permettre de poursuivre des études, et il s'agit ici aussi d'un autre facteur que le ministre a omis de tenir compte concernant la relation de travail en l'espèce.

[39]     Mme Jones a expliqué que ses heures de travail étaient de 7 h à 17 h ou 18 h, du lundi au vendredi. Les employés réguliers travaillaient cinq jours de 7 h à 16 h ou de 8 h à 17 h. Elle a également travaillé de nombreuses heures pendant les fins de semaine. Peu importait les besoins de l'entreprise, elle n'hésitait pas à travailler parce qu'il s'agissait d'une entreprise familiale. Lorsque le ministre a affirmé qu'elle ne consignait pas ses heures de travail, il a omis de tenir compte des nombreuses heures qu'elle a consacrées à l'entreprise pour assurer le succès de cette dernière. J'ai eu l'impression que de travailler pour le compte de l'entreprise était presque toute sa vie.

[40]     Il semble qu'elle prenait une semaine de congé sous forme de vacances. Elle tentait de ne prendre aucun congé de maladie. Une fois de plus, le ministre n'a pas tenu compte de ce fait.

[41]     Elle voyait ses parents tous les jours, et les discussions avec son père concernant l'entreprise avaient surtout lieu à son domicile. Ici, encore, je constate que les intérêts de la famille et ceux de l'entreprise ne faisaient qu'un seul, ce qui n'est pas caractéristique d'une situation sans lien de dépendance.

[42]     Le ministre, dans son hypothèse n), a affirmé que Mme Jones n'était pas libre d'aller et de venir comme bon lui semblait. Mme Jones a contesté cette allégation affirmant, pour sa part, qu'elle était libre de faire un choix selon ce qu'elle jugeait approprié. Quelquefois, elle travaillait à la maison et ne se rendait pas au bureau. Par conséquent, le ministre a commis une erreur en s'appuyant sur cette hypothèse.

[43]     M. Santos et Mme Jones ont tous deux soutenu que leur salaire de base annuel était le même depuis 1992, c'est-à-dire qu'ils n'ont bénéficié d'aucune augmentation de salaire. Mme Jones, tout comme M. Santos, réinvestissait toutes ses primes après impôt dans la société. En fait, d'année en année, ils vivent avec de moins en moins d'argent puisque l'inflation ronge leurs salaires de base. Il est vrai, bien sûr, que leurs primes ont été augmentées, mais en règle générale, elles ont été réinvesties dans la société. Voilà encore un autre facteur dont le ministre n'a pas tenu compte. Parce qu'il s'agit d'une entreprise familiale, ils travaillent maintenant pour un salaire moindre comparativement à il y a onze ans, si l'on tient compte de l'inflation. Aucune personne n'ayant aucun lien de dépendance n'accepterait cela.

[44]     En examinant la preuve, je conclus que le ministre n'a d'aucune façon agi de mauvaise foi.

[45]     Si je prends en considération tous les facteurs dont le ministre n'a pas tenu compte et qui ont une grande importance aux fins de la décision qu'il devait prendre, je ne peux qu'arriver à la conclusion que, s'il les avait examinés, il n'aurait pu, d'un point de vue objectif, arriver raisonnablement et légalement à la décision qu'il a prise. Notamment, je suis d'avis que le ministre a complètement omis de tenir compte du fait que les vies professionnelles de M. Santos et de Mme Jones étaient intimement liées au succès de la société tout comme l'était leur situation financière. L'entreprise était exploitée comme s'il s'agissait de leur alter ego, comme si elle faisait partie intégrante de leur famille. Le ministre ignorait à quel point ce fait était important et, conséquemment, il n'en a pas tenu compte. Cette décision ne peut donc être maintenue en droit. Je dois maintenant passer à la deuxième étape du processus d'appel et déterminer si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre elles de lien de dépendance, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles qui sont expressément prévues à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e.

Étape II - Examen de la preuve

[46]     Avant toute chose, je ne peux m'empêcher de trouver ironique le fait que, dans la présente affaire, nombre de facteurs sur lesquels le ministre se serait fondé sont précisément le genre de facteurs sur lesquels il se fonde si souvent dans les appels où il refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire, par exemple, pour n'en nommer que quelques-uns, le fait d'établir ses propres horaires de travail, d'établir son propre salaire, de ne pas avoir consigné les heures de travail, de prendre des congés sans avoir à les faire autoriser et d'avoir attendu avant d'encaisser son chèque de paie lorsque la société était à court d'argent. Je ne peux m'empêcher de penser que, si le ministre avait regardé les choses par l'autre bout de la lorgnette, la soeur ou le frère ayant cette fois demandé des prestations d'assurance-emploi dans des circonstances identiques, il serait vite arrivé à une conclusion contraire. Je ne dis pas qu'il y a mauvaise fois ici, mais il semble y avoir en quelque sorte deux poids deux mesures.

[47]     Je n'entends pas exposer encore une fois toute la preuve. J'ai déjà mentionné les faits importants. Il est clair, à mon avis, que le frère et la soeur travaillaient au sein de la société et pour le compte de cette dernière comme si elle faisait partie de la famille. Leurs intérêts économiques étaient inextricablement liés à ceux de la société. De même, ces intérêts étaient liés à ceux de la société et ceux de la société étaient liés aux leurs, dans une telle mesure qu'on ne peut pas dire qu'il existait entre eux des intérêts économiques distincts ou contraires. En fait, M. Santos et Mme Jones étaient les âmes dirigeantes de la société. Ils avaient eux-mêmes un lien de parenté et ils avaient un intérêt économique familial commun qui était inséparable de celui de la société. Ils travaillaient surtout en vue de satisfaire les exigences de leur père, l'actionnaire majoritaire. C'est exactement la situation qu'a envisagée le législateur lorsqu'il a établi le régime d'assurance-emploi de façon à empêcher les personnes qui dirigent ou contrôlent leur propre entreprise d'une façon commerciale de prendre part à ce régime et de demander des prestations si elles se retrouvent sans emploi. Je ne dis pas que, parce qu'il est peu probable qu'ils perçoivent des prestations, qu'ils ne devraient pas participer au régime pour le motif que ce n'est pas ce que prévoit la loi. Cependant, il est clair que c'est exactement ce type d'entente commerciale que le législateur a exclu du régime d'assurance.

[48]     Compte tenu de toutes les circonstances, notamment les longues heures et les nombreuses journées de travail qu'ont consacrées M. Santos et Mme Jones, leur possibilité de prendre congé sans obtenir l'autorisation de quiconque et sans perte de salaire, leur consentement à attendre avant d'encaisser leurs chèques de paie lorsque la société était à court d'argent, leur engagement total à faire tout ce qui était nécessaire au sein de la société sans attente d'une récompense supplémentaire, je suis fermement convaincu qu'il n'y avait pas d'indépendance de pensée ou d'objet entre la société et le frère et la soeur. Il n'y avait pas d'intérêts économiques contraires, et leurs intérêts étaient inextricablement liés. Il n'y avait pas véritablement, dans leur relation, de négociations distinctes de bonne foi du genre de celles auxquelles on s'attendrait entre les négociants au marché dont j'ai déjà parlé assez longuement dans la décision Crawford, précitée. Ce qui était à eux était à la société et vice-versa. Je suis plus que convaincu que les ententes que les parties ont conclues entre elles n'étaient pas à peu près semblables à celles qui auraient été conclues si elles n'avaient eu aucun lien de dépendance avec la société. Par conséquent, je conclus que ni la soeur ni le frère n'occupaient un emploi assurable.

[49]     En conséquence, l'appel est admis et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 16e jour de juillet 2003.

« Michael H. Porter »

Juge suppléant Porter

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de janvier 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.