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Dossier : 2003-88(EI)

ENTRE :

MARK TOBIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu le 27 mai 2003 à St. John's (Terre-Neuve)

Devant : L'honorable juge suppléant M. F. Cain

Comparutions

Représentant de l'appelant :

Paul Brown

Avocate de l'intimé :

Me Susan McKinney

_______________________________________________________________

JUDGMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de juillet 2003.

« M. F. Cain »

Juge suppléant Cain

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI503

Date : 20030721

Dossier : 2003-88(EI)

ENTRE :

MARK TOBIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Cain

[1]      L'appelant interjette appel à l'encontre de la décision de l'intimé datée du 23 octobre 2002 selon laquelle l'emploi qu'il exerçait auprès de l'entreprise Spy Glass Ltd. (la « payeuse » ) pendant la période du 13 août au 19 octobre 2001 (la « période en question » ) n'était pas un emploi assurable pour le motif que l'appelant et la payeuse avaient entre eux un lien de dépendance et qu'il était raisonnable de conclure qu'un contrat de travail à peu près semblable n'aurait pas été conclu si les parties n'avaient eu entre elles de lien de dépendance. Pour appuyer sa décision, l'intimé s'est fondé sur l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[2]      Pour rendre sa décision, l'intimé s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

[Traduction]

a)          Stan Tobin est l'unique actionnaire de la payeuse;

b)          Stan Tobin est le père de l'appelant;

c )        la payeuse a engagé l'appelant pour réduire la dimension des stalles d'une étable déjà existante afin de loger des veaux plutôt que des vaches et des moutons;

d)          pendant la période qui fait l'objet du présent appel, l'appelant a terminé les travaux de restauration à l'étage inférieur de la structure;

e)          l'appelant n'était pas un charpentier;

f)           le salaire de l'appelant était calculé en fonction d'un taux horaire de 12 $;

g)          les tâches qu'accomplissait l'appelant consistaient en des travaux de charpenterie brute, et le salaire déclaré était excessif si l'on tient compte des exigences de la payeuse et des compétences de l'appelant;

h)          l'appelant a épuisé ses prestations d'assurance-emploi qui lui étaient versées suivant une demande qu'il avait déposée antérieurement;

i)           la payeuse a délivré, à l'appelant, un relevé d'emploi qui indiquait qu'il avait cumulé 500 heures d'emploi assurables et généré des gains assurables s'élevant à 6 000 $;

j)           l'appelant n'a pas perçu les salaires qui ont été déclarés sur son relevé d'emploi;

k)          l'appelant était lié à la payeuse aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu;

l)           l'appelant et la payeuse avaient entre eux un lien de dépendance;

m)         compte tenu de toutes les circonstances de l'emploi, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient eu entre eux de lien de dépendance.

L'appelant a admis les hypothèses a) à d) inclusivement ainsi que celles énoncées aux points f), h), i) et k) mais a nié toutes les autres hypothèses énoncées ci-dessus.

LES FAITS

[3]      La payeuse est la propriétaire d'une exploitation agricole située à Ship's Cove, à Terre-Neuve-et-Labrador. Stan Tobin, le père de l'appelant, est l'unique actionnaire de la payeuse, et sa famille est la seule famille résidente de la collectivité.

[4]      En 1988 ou vers cette période, le père a construit une étable sur l'exploitation agricole qui, à l'origine, avait été conçue pour abriter des moutons. L'élevage de moutons a pris fin durant les années 90. La payeuse et Stan Tobin avaient éprouvé des difficultés financières, et les activités d'élevage d'animaux aux fins de vente ont été suspendues puis, à toutes fins utiles, interrompues.   

[5]      En 2000 ou vers cette période, l'appelant occupait un emploi dans une laiterie et avait cumulé un nombre d'heures assurables suffisant pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi. Il a cessé de percevoir des prestations au milieu de l'été 2001.

TÉMOIGNAGE DE L'APPELANT

[6]      L'appelant a témoigné que la payeuse l'avait engagé pour rénover les stalles de l'étable afin d'abriter des veaux destinés à l'élevage et à la vente.

[7]      Lorsque la température le permettait, il devait également creuser un fossé et étendre du gravier sur une chaussée menant à l'exploitation agricole.

[8]      Son père, Stan Tobin, était l'unique actionnaire de la payeuse.

[9]      Quoique le taux horaire qu'il a déclaré était de 10 $, il s'agissait du taux horaire net qu'il percevait après retenues. Il était en fait rémunéré selon un taux horaire de 12 $. Son horaire de travail correspondait à huit heures de travail par jour, du lundi au vendredi. Certaines journées, il travaillait moins de 8 heures, mais il compensait les heures perdues en travaillant quelques heures supplémentaires le jour suivant.

[10]     Stan Tobin supervisait, de temps à autre, le travail qu'accomplissait l'appelant, mais celui-ci consignait ses propres heures de travail sur des bouts de papier et rendait compte de ses heures de travail à la payeuse.

[11]     L'appelant percevait une rémunération hebdomadaire de 500 $ qui lui était versée le vendredi ou le samedi. Il était rémunéré en espèces parce que son père avait des problèmes avec sa banque et qu'il ne voulait pas qu'elle soit au courant de ses activités commerciales. L'appelant n'a jamais calculé son salaire brut et ignorait quel en était le montant. On lui a délivré un feuillet T-4 qui indiquait les sommes qu'il avait perçues. Le feuillet T-4 en question n'a pas été présenté en preuve.

[12]     L'appelant a été engagé parce que l'élevage de veaux lui était familier. En effet, depuis qu'il était un tout jeune garçon, il s'en occupait et les soignait.

[13]     Il a démonté les stalles existantes et en a construit environ 40 autres de plus petite dimension qui mesuraient 7 pieds de long, 3 pieds de large et 4 pieds de haut. La construction de chaque stalle lui prenait entre une demi-journée et une journée complète de travail. Lorsque la température était clémente, il creusait un fossé et étendait du gravier sur une courte chaussée menant à l'exploitation agricole.

[14]     La payeuse avait exigé que les travaux soient réalisés avant le mois d'octobre, puisque c'est à cette période que l'on faisait entrer les veaux dans les stalles. On les élevait, les soignait et les nourrissait jusqu'en février de l'année suivante, puis on les vendait. Les veaux étaient achetés au prix de 65 $, les médicaments qui étaient administrés à chaque veau s'élevaient à 75 $ et la vente d'un veau pouvait rapporter entre 200 et 700 $.

TÉMOIGNAGE DE L'INTIMÉ

[15]     L'intimé a appelé à témoigner Scott Nightingale, un agent des appels qui possède dix années d'expérience.

[16]     Développement des ressources humaines Canada lui a fait parvenir les dossiers financiers de la payeuse pour qu'il les examine.

[17]     Il s'est entretenu au téléphone avec Stan Tobin et l'appelant, et il a consigné les renseignements qu'ils lui ont transmis à l'insu.

[18]     Il a informé l'appelant et Stan Tobin qu'il n'avait pas été en mesure d'obtenir une preuve quelconque d'activité qui aurait généré un revenu suffisant pour rémunérer l'appelant. Stan Tobin a confirmé que les veaux avaient été achetés, élevés puis vendus, mais il n'avait pas déclaré ses revenus à sa banque ou à l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

[19]     En outre, M. Nightingale a constaté que l'élevage de veaux n'avait pas été viable pendant plusieurs années et qu'à l'époque où l'appelant avait été engagé, on n'élevait sur l'exploitation agricole que quelques têtes de bétail.    

[20]     L'appelant lui a affirmé qu'il possédait une certaine expérience dans le domaine de la construction et il estimait que la construction d'une stalle lui prenait environ une journée de travail.

[21]     La voie d'accès mesurait 250 pieds de long, et l'appelant n'a pas été en mesure d'indiquer combien de temps il lui avait pris pour étendre le gravier. M. Nightingale a donc conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de travail pour tenir l'appelant occupé pendant les 10 semaines déclarées.

DÉCISION

[22]     L'intimé s'appuie sur les alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

5(2)i)

(2) N'est pas un emploi assurable :

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

5(3)a) et b)

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[23]     Ainsi, selon les alinéas ci-dessus, il s'ensuit qu'il est nécessaire de procéder à un examen des circonstances de l'emploi plus approfondi lorsqu'il s'agit d'une personne liée à son employeur que lorsqu'il s'agit d'un employé non lié.   

[24]     Lorsque l'intimé rend une décision en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 5(3)b) de la Loi, il est tenu de tenir compte de certains critères. La Cour d'appel fédérale a, dans l'affaire Canada (Procureur général du Canada) (Requérant) c. Jencan Ltd. (intimée), [1998] 1 C.F. 187, énoncé les critères en fonction desquels la Cour canadienne de l'impôt doit exercer sa compétence à l'égard d'appels relatifs à des prestations d'assurance-emploi refusées par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) lorsque le payeur et l'appelant sont des personnes liées et que le ministre détermine qu'il y avait un lien de dépendance. Ces critères peuvent être résumés comme suit :

[25]     En exerçant sa compétence, la Cour de l'impôt doit faire preuve d'un degré élevé de retenue judiciaire dans l'examen du règlement de la question qu'a fait le ministre. Bien que la Cour ait le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait, sa compétence est circonscrite.

[26]     Quoique la procédure soit désignée par le terme « appel » , en réalité elle s'apparente plus à un contrôle judiciaire, la Cour devant déterminer non pas si le règlement du ministre était bien fondé, mais plutôt s'il résultait d'un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[27]     L'omission de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exige la Loi sur l'assurance-chômage ou la Loi sur l'assurance-emploi ou la prise en considération de faits non pertinents représenterait un exercice inapproprié de ce pouvoir discrétionnaire. Si le ministre avait agi de mauvaise foi ou pour un motif inapproprié, le résultat serait le même.

[28]     La Cour n'a pas le droit de substituer sa propre décision à celle du ministre du simple fait qu'elle serait arrivée à une conclusion différente sur la foi des faits sur lesquels le ministre s'était fondé.

[29]     Toutefois, comme la partie appelante n'est pas dans le secret de la décision du ministre et a la charge de prouver le bien-fondé de sa cause, elle a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve pour contester les hypothèses de fait invoquées par le ministre. Si, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la Cour conclut que les faits sur lesquels le ministre s'était appuyé sont insuffisants en droit pour étayer le règlement fait par le ministre, la Cour est fondée à scruter ce règlement et, si elle le juge juridiquement défectueux, elle est fondée à intervenir.

[30]     Une hypothèse de fait réfutée au procès ne représente pas nécessairement un défaut rendant le règlement du ministre contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse du reste de la preuve. La Cour doit franchir une autre étape et se demander si, sans la ou les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il y a suffisamment d'éléments de preuve pour étayer le règlement du ministre.

[31]     Bref, pour qu'il soit conclu que le règlement du ministre est insuffisant en droit, l'appelant doit établir que le ministre a agi de mauvaise foi ou dans un but ou pour un mobile illicites, qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exige le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage ou qu'il a tenu compte d'un facteur non pertinent.   

[32]     Dans l'affaire Candor Enterprises Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 2110, décision qu'a rendue la Cour d'appel fédérale à Ottawa, en Ontario, le 15 décembre 2000, le juge d'appel Sharlow, qui a rendu jugement pour la majorité, a discuté des principes émanant de l'arrêt Jencan (précité) et de ses prédécesseurs, notamment l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-555-93, 25 juillet 1994 ((1994) 185 N.R. 73) et l'arrêt Bayside Drive-In Ltd. c. Ministre du Revenu national - M.R.N., C.A.F., nos A-626-96, A-627-96, A-628-96, A-629-96, 25 juillet 1997 ((1997), 218 N.R. 150), et particulièrement de la procédure en deux étapes que doit suivre la Cour canadienne de l'impôt à la page 14 du jugement original. Ainsi :

On peut se demander s'il est exact de qualifier de « discrétionnaire » un règlement pris par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) et si la procédure en deux étapes proposée dans ces affaires est nécessaire ou utile. Lorsqu'une loi exige que le ministre soit « convaincu » d'une question factuelle, les délibérations du ministre peuvent uniquement donner lieu à une décision factuelle. Je citerai la décision que le juge Marceau a rendue dans l'affaire Légaré c. Ministre du Revenu national, (1999), 246 N.R. 176 (C.A.F.), au paragraphe 4 :

[4] La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[37]     Dans l'arrêt Pérusse c. Canada (Ministre du Revenu national), [2000] A.C.F. no 310, au paragraphe 15, le juge Marceau a donné des précisions au sujet de cette remarque (c'est moi qui souligne) :

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus. Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[33]     Le renvoi au sous-alinéa 3(2)c)(ii) dans les notes susmentionnées fait référence à la Loi sur l'assurance-chômage, sous-alinéa qui est identique à l'alinéa 5(3)b) de la Loi.

[34]     Il incombe à l'appelant de produire une preuve qui détruit les hypothèses sur lesquelles le ministre s'est appuyé pour rendre sa décision. Les règles de la preuve ne sont pas rigides, et un appelant peut présenter une preuve sous une forme que la cour, avec tous les signes extérieurs, peut ne pas admettre. Toutefois, un appelant est tout de même tenu de présenter devant la Cour la meilleure preuve dont il dispose. Bien que son propre témoignage puisse être crédible, il s'agit d'un témoignage intéressé et lorsqu'une preuve corroborante existe, il devrait la soumettre devant la cour.

[35]     Dans l'affaire Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la Cour suprême du Canada a décrit les principes qui sont applicables quand une personne conteste les hypothèses du ministre. Dans cette affaire, la cour traitait d'hypothèses faites par le ministre dans l'établissement d'une cotisation d'impôt. Les principes s'appliquent également à des hypothèses faites par le ministre relativement à une décision rendue en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. Le juge d'appel L'Hereux-Dubé,déclarait ceci à la page 378 :

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités [...] et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve [...]. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions [...] et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable [...]. Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus [...]

L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie [...]. Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre [...].

Lorsque l'appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [...]passe [...] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l'appelant et prouver les présomptions [...]

Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause [...]

[36]     Une preuve prima facie est étayée d'éléments soulevant un tel degré de probabilité en sa faveur que, si elle est jugée digne de foi, elle doit être acceptée par la cour, à moins qu'elle ne soit réfutée ou que le contraire ne soit prouvé. Par contraste, une preuve concluante exclut la possibilité de la véracité d'une conclusion autre que celle qui est établie par cette preuve.

[37]     Pour satisfaire à l'obligation de démolir les hypothèses de l'intimé, l'appelant devait présenter suffisamment d'éléments de preuve pour établir une preuve prima facie. D'après une règle de preuve bien établie, l'omission de la part d'une partie ou d'un témoin, de présenter une preuve que cette partie ou ce témoin était en mesure de présenter, et qui aurait pu permettre d'élucider les faits, fonde la cour à conclure que la preuve de cette partie ou de ce témoin aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée. La partie contre qui joue cette conclusion peut cependant faire état de circonstances ayant empêché la présentation d'une telle preuve (voir la décision Murray v. Saskatchewan, [1952] 2 D.L.R. 499, aux pages 05 à 506).

[38]     Dans l'affaire en l'espèce, aucun document n'a été produit en preuve pour montrer l'existence d'un contrat de louage de services ou le paiement de salaires, à l'exception du témoignage de vive voix qu'a présenté l'appelant. Quant à M. Stan Tobin, il n'a pas été appelé à témoigner. En dépit du fait qu'il a pu inventer un stratagème pour éviter que sa banque ou l'ADRC ne soit mise au courant de ses activités d'élevage de veaux, l'appelant aurait tout de même dû l'appeler à témoigner de manière à ce que la Cour puisse évaluer sa crédibilité.

[39]     Au cours de son témoignage, l'appelant a fourni peu de détails. Selon ce que la Cour a compris, il travaillait huit heures par jour, cinq jours par semaine. Apparemment, de temps à autre, il travaillait moins de huit heures, mais compensait les heures perdues le jour suivant en travaillant quelques heures supplémentaires. Il a témoigné que son relevé d'emploi indiquait un taux horaire de 10 $, ce qui correspondait à son taux horaire net, l'écart étant les retenues à la source que prélevait la payeuse. La période en question s'échelonne du 13 août au 19 octobre 2001 inclusivement, ce qui correspond à une période de 10 semaines ou à 400 heures d'emploi. À un taux horaire de 12 $, l'appelant n'aurait dû percevoir que 480 $ par semaine. Son revenu brut aurait donc dû s'élever à 4 800 $. Toutefois, son relevé d'emploi indiquait qu'il a cumulé 500 heures de travail et qu'il a tiré un revenu de 6 000 $.

[40]     L'appelant a témoigné que la construction d'une stalle lui prenait entre une demi-journée et une journée complète de travail. Bien qu'il ait omis de fournir des détails concernant le travail réel qu'il avait accompli, il semble que l'étable contenait des stalles et que tout ce qu'il avait à faire consistait à réduire leur dimension et à ériger de nouveaux mûrs pour que les stalles soient conformes aux exigences. Son allégation selon laquelle la construction d'une nouvelle stalle lui prenait une journée complète de travail me semble déraisonnable. En consacrant une demi-journée à la construction de 40 stalles, cela représenterait 20 jours ou environ trois semaines de travail, ce qui lui aurait laissé sept semaines pour construire une route. Toutefois, peu d'éléments de preuve crédibles, sinon aucun, n'ont été présentés à la Cour.

[41]     L'intimé a présenté des éléments de preuve pour démontrer que la payeuse ne s'est livrée à aucune activité récente d'élevage de bétail. De plus, la Cour ne dispose d'aucun document financier de la payeuse qui montrerait qu'elle s'est livrée à ce genre d'activités pour lesquelles l'embauche de l'appelant était justifié, comme l'affirment les parties. Cette preuve met en doute le témoignage de l'appelant et, à cet égard, il lui incombait de produire des éléments de preuve qui auraient eu pour effet de dissiper un tel doute. Il aurait été logique d'appeler Stan Tobin à témoigner pour appuyer le témoignage de l'appelant. S'il est vrai que la payeuse s'est livrée à des transactions au comptant viables relativement à l'élevage et à la vente de veaux, alors Stan Tobin aurait pu témoigner du nombre de têtes de bétail élevées ainsi que des revenus bruts tirés de ces activités de manière à ce que la Cour puisse conclure que les dépenses engagées pour générer de tels revenus étaient raisonnables. S'il craignait des mesures de représailles de la part des autorités, il aurait pu témoigner, tout en se prévalant de la protection de la présente Cour. Cependant, la Cour peut conclure et conclut d'ailleurs que le témoignage de Stan Tobin, le père de l'appelant, aurait été défavorable à son égard. Aucune explication n'a été fournie quant à savoir pourquoi Stan Tobin n'a pas été appelé à témoigner.

[42]     Le témoignage de l'appelant n'a permis ni d'établir une preuve prima facie ni de démolir les hypothèses de l'intimé.

[43]     La Cour est convaincue, compte tenu des circonstances, que les hypothèses du ministre étaient raisonnables et, par conséquent, il incombe à l'appelant de montrer, après avoir tenu compte de toutes les circonstances de l'emploi, qu'il était raisonnable de conclure que l'appelant et la payeuse auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient eu entre eux de lien de dépendance. Toutefois, il a omis de s'acquitter de ce fardeau en présentant un témoignage crédible.

[44]     Par conséquent, l'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de juillet 2003.

« M. F. Cain »

Juge suppléant Cain

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de février 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


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