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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-3861(GST)I

ENTRE :

410812 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 mars 2002 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelante :      Me Robert G. Ackerman

Avocat de l'intimée :         Me Bobby Sood


JUGEMENT

          La Cour ordonne que l'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 26 juillet 2001 et porte le numéro 08GP-117220723, soit accueilli, sans dépens, et que la cotisation soit déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin d'annuler la pénalité imposée en vertu de l'article 285 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2004.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020409

Dossier: 2001-3861(GST)I

ENTRE :

410812 ONTARIO LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation de taxe sur les produits et services ( « TPS » ) établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise pour la période du 1er mai 1993 au 30 avril 1999.

[2]      L'avis d'appel soulève des questions telles la pénalité et les intérêts en vertu de l'article 280, le montant de la taxe, l'imposition d'une pénalité pour faute lourde en vertu de l'article 285 et l'opportunité de la cotisation.

[3]      À l'ouverture de l'audience, l'avocat de l'appelante a déclaré que sa cliente renonçait à toute contestation de la cotisation sauf à l'égard de la pénalité pour faute lourde en vertu de l'article 285, libellé à l'époque comme suit :

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente partie, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse - appelés « déclaration » au présent article - établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d'une pénalité égale au plus élevé de 250 $ et de 25 % de l'excédent suivant :

a) s'il s'agit de la taxe nette d'une personne pour une période, l'excédent de cette taxe nette sur le montant de cette taxe si celle-ci était déterminée d'après les renseignements indiqués dans la déclaration;

b) s'il s'agit de la taxe payable par une personne pour une période ou une opération, l'excédent de cette taxe sur le montant de cette taxe si celle-ci était déterminée d'après les renseignements indiqués dans la déclaration;

c) s'il s'agit d'une demande de remboursement, l'excédent du remboursement qui serait payable à la personne si le remboursement était déterminé d'après les renseignements indiqués dans la déclaration sur le remboursement payable à la personne.

[4]      Le critère applicable est le même que celui qui s'applique en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui a fait l'objet d'un grand nombre d'affaires. L'avocat de l'appelante a déposé un recueil comprenant trente décisions, et je soupçonne qu'il ne s'agit là que du sommet de l'iceberg.

[5]      Je n'ai pas à renvoyer à chacune d'elles. Les arrêts de principe ont été traités dans l'arrêt Findlay c. La Reine, C.A.F., no A-424-97, 12 mai 2000, 2000 D.T.C. 6345, dans lequel la Cour d'appel fédérale a adopté le raisonnement du juge Strayer dans le jugement Venne c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984, 84 D.T.C. 6247, et celui du juge Cattanach dans l'arrêt Udell v. M.N.R., 70 D.T.C. 6019.

[6]      La Cour d'appel fédérale, à la page 11 (D.T.C. : à la page 6349), a fait sien le raisonnement suivant du juge Strayer dans l'arrêt Venne :

Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et, comme je l'ai fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n'allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

À l'égard du revenu commercial, je puis reconnaître facilement que le demandeur aurait eu des difficultés à exercer une surveillance effective; il lui aurait fallu faire de nombreux calculs des recettes, des dépenses, de l'actif et du passif, et les réviser. Autrement dit, les erreurs dans le revenu commercial, qui étaient moindres certaines années mais importantes à d'autres moments, n'auraient pas nécessairement sauté aux yeux d'une personne ayant la formation et les capacités du contribuable. Bien qu'il ait peut-être été naïf de sa part de faire confiance à son teneur de livres en pensant qu'il en savait beaucoup plus que lui, je ne pense pas qu'il y ait eu faute lourde de sa part, parce qu'il n'a pas mis en doute les calculs commerciaux de ce dernier. Quel que soit le caractère évident des erreurs commises par le teneur de livres à cet égard, il est tout à fait concevable qu'elles n'aient pas été en fait remarquées par le demandeur, et sa négligence, comme il ne les a pas remarquées, est loin de constituer une faute lourde.

[7]      La Cour a aussi cité en l'approuvant la décision du juge Cattanach dans l'affaire Udell selon laquelle la faute lourde du comptable du contribuable ne peut être imputée à ce dernier en ce qui concerne les pénalités imposées en vertu du paragraphe 56(2) (maintenant le paragraphe 163(2)) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8]      Ces principes sont fondamentalement ceux en vertu desquels ont été décidées les 28 autres affaires citées.

[9]      Si l'on peut dégager un principe général des nombreuses affaires décidées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est que les tribunaux hésitent à sanctionner l'imposition de pénalités pour faute lourde à moins que l'existence d'un degré important de négligence n'ait été clairement établie.

[10]     Voici ce que l'on a dit dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, C.C.I., no 92-2597(IT)G, 16 septembre 1994, 95 D.T.C. 200, aux pages 12 et 13 (D.T.C. : aux pages 205 et 206) :

Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses3. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

_______________________________________________________

3               Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562-564; C.P.C. 75-77). Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al. v. M.N.R., 90 D.T.C. 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

4            Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au-delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit - j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances - cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

[11]     La décision de la Cour canadienne de l'impôt a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (C.A.F., no A-542-94, 18 janvier 1996, 96 D.T.C. 6085), qui a dit qu'elle était convaincue que le juge de première instance avait appliqué les principes de droit pertinents aux faits dont il était saisi dans cette affaire, ce qui lui a permis de tirer les conclusions appropriées et, finalement, de parvenir à la décision qui convenait.

[12]     Je veux mentionner un autre point avant d'étudier les faits. L'avocat de l'intimée n'a renvoyé qu'à deux décisions, à savoir SDC Sterling Dev. Corp. c. La Reine, C.C.I., no 97-826(GST)I, 19 novembre 1997, [1997] G.S.T.C. 103, et Roberts c. La Reine, C.C.I., no 96-3668(GST)I, 7 août 1997, [1997] G.S.T.C. 58.

[13]     Ces affaires ne traitaient pas de la faute lourde. Il y était question de la contestation infructueuse de l'imposition de pénalités en vertu de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise au motif que le fait, pour les appelants, de s'en être remis à leurs comptables témoignait d'une « diligence raisonnable » (Pillar Oilfield Projects Ltd. c. La Reine, C.C.I., no 93-614(GST)I, 19 novembre 1993, [1993] G.S.T.C. 49, Canada (Procureur général) c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209, [1998] G.S.T.C. 91).

[14]     Ces affaires ne sont pratiquement d'aucune utilité dans un appel contre les pénalités pour faute lourde imposées en vertu de l'article 285. Aussi bien le fardeau de la preuve que la norme applicables sont différents. Dans les cas de faute lourde, le fardeau de la preuve appartient à la Couronne et la norme est élevée, comme on en discute dans les affaires susmentionnées. Dans les affaires visant la diligence raisonnable, le fardeau de la preuve appartient au contribuable et la norme est aussi relativement élevée, mais pas autant que celle qui est requise pour établir la faute lourde. Il n'est peut-être pas juste de tenter de comparer l'une à l'autre les normes de preuve dans les deux types d'affaires parce que, d'une certaine façon, ce serait comparer des pommes et des oranges. Toutefois, une chose ne fait aucun doute : la simple incapacité du contribuable à établir une défense de diligence raisonnable ne signifie pas qu'il devrait être pénalisé en vertu de l'article 285. Je crois que cela est évident.

[15]     Puisque le fardeau de la preuve appartenait à la Couronne en ce qui concerne le seul point en litige, l'intimée a ouvert le débat et a fait témoigner M. William Brown, vérificateur d'expérience auprès de l'ADRC. Il a effectué la vérification, et c'est sur sa recommandation que la pénalité a été imposée. Je l'ai considéré comme un témoin imposant et consciencieux.

[16]     Sa recommandation à l'égard de l'imposition d'une pénalité en vertu de l'article 285 se fondait en partie sur le travail d'un vérificateur antérieur. Il suffit de brosser les grandes lignes des faits. 410812 Ontario Limited (la « 410 » ) appartient à M. David Crittenden, un avocat qui n'a pas exercé le droit depuis 1983, et est sous son contrôle. Il est un homme d'affaires et un investisseur. En 1989, la 410 a acheté un terrain et un immeuble au 111, rue Forsythe, à Oakville (Ontario).

[17]     Le bien-fonds a été loué par Riverside Joint Venture, dont M. David Crittenden était un dirigeant, à un locataire sans lien de dépendance, qui exploitait un restaurant. La société versait directement au créancier hypothécaire le montant du capital de l'hypothèque et des intérêts et versait les taxes foncières directement à la municipalité. En 1993, on a effectué une vérification relativement à la TPS de Riverside Joint Venture. La TPS n'avait pas été perçue sur les paiements aux tiers. Revenu Canada a imposé la TPS sur ces paiements et la cotisation a été payée sans donner lieu au dépôt d'une opposition ni d'un appel.

[18]     En 1992, le bail conclu avec le locataire sans lien de dépendance a pris fin, et l'appelante, la 410, a loué le bien-fonds à Shark Bytes Inc. pendant cinq ans à compter du 1er décembre 1992. Il ne s'agissait pas d'une opération sans lien de dépendance. L'article 3 du bail était libellé comme suit :

                   [TRADUCTION]

3.          LOYER

Le locataire verse en guise de loyer, au cours de chaque année du bail, tous les débours liés au bien-fonds donné à bail, notamment l'intérêt hypothécaire et les taxes foncières, ainsi que la somme annuelle de un dollar.

[19]     M. Crittenden a rédigé le bail.

[20]     Aucune somme n'a été versée directement à l'appelante. Le locataire payait le capital de l'hypothèque et les intérêts au créancier hypothécaire, les taxes foncières à la municipalité et les primes d'assurance à l'assureur.

[21]     Aucune TPS n'a été versée relativement à ces paiements.

[22]     Une chose est claire au-delà de tout doute. Les paiements effectués aux tiers constituaient un loyer et ils représentaient des fournitures taxables assujetties à la TPS. M. Crittenden a tenté d'établir une distinction entre les paiements aux tiers faits en vertu de l'entente antérieure et ceux effectués aux termes du bail conclu avec un lien de dépendance le 1er décembre 1992 au motif que, selon l'entente antérieure, le locataire faisait les paiements aux tiers unilatéralement pour garantir que le bien-fonds ne serait pas perdu à la suite d'une forclusion ni vendu dans le cadre d'une vente forcée pour non-paiement des taxes, alors que les paiements effectués aux termes du bail du 1er décembre 1992 assuraient le maintien du bien au sein d'un groupe de sociétés. Je ne puis absolument pas accueillir cet argument.

[23]     Néanmoins, une pénalité est-elle justifiée à l'égard de l'omission de l'appelante de déclarer la TPS sur les sommes versées en vertu de l'article 3 du bail dans les déclarations relatives à la TPS produites pour la période allant du 1er mai 1993 au 31 juillet 1998? M. Crittenden a déclaré qu'il avait discuté de la question avec le comptable agréé de l'appelante, M. Jenkins, qui s'est dit d'avis qu'aucune TPS n'était due.

[24]     M. Crittenden a aussi déclaré qu'il avait l'impression qu'aucune déclaration concernant la TPS n'avait à être produite. Lorsque l'ADRC a demandé à l'appelante de produire des déclarations, on a dit à l'examinateur de la fiducie, M. Sicoli, qui effectuait la vérification du livre de paie, que la 410 n'était qu'une société de portefeuille, qu'elle ne recevait aucun loyer et n'avait aucun revenu. L'ADRC a suggéré, selon M. Crittenden, que l'appelant produise des déclarations indiquant « néant » . Je mentionne en passant que ce que M. Sicoli peut avoir dit à M. Crittenden ne constitue pas un moyen de défense. Il effectuait la vérification du livre de paie et ses observations se fondaient sur la déclaration de M. Crittenden selon laquelle la 410 n'était qu'une société de portefeuille sans aucun revenu.

[25]     Plus tard, des déclarations modifiées d'impôt sur le revenu de la société ont été produites et seuls les paiements du capital de l'hypothèque ont été inclus dans le revenu. Les déclarations relatives à la TPS n'indiquaient rien. Pourquoi la différence? Les comptables ont préparé les déclarations d'impôt sur le revenu, alors que M. Crittenden a signé et, je suppose, produit les déclarations de la TPS.

[26]     L'inclusion dans le revenu uniquement des paiements du capital de l'hypothèque répond à une sorte de logique rudimentaire, qui est la suivante : en théorie, tous les paiements aux tiers auraient dû être inclus dans le revenu et les intérêts hypothécaires, les taxes foncières et les primes d'assurance auraient été déductibles, ce qui aurait produit le même résultat net que celui obtenu par la seule inclusion des paiements du capital de l'hypothèque. Le comptable a simplement emboîté les deux opérations en utilisant les chiffres nets.

[27]     Cela ne marche cependant pas dans le cas de la TPS, sauf dans la mesure où il existe des crédits de taxe sur les intrants.

[28]     M. Brown a soumis en preuve son rapport très complet sur la recommandation d'une pénalité. Il s'agissait là d'un travail approfondi et méticuleux, et en conclusion son auteur recommandait l'imposition d'une pénalité. Ses observations ont une valeur considérable. Essentiellement, il se fonde sur cinq facteurs :

(a)       les montants sont substantiels;

(b)      au cours de la période antérieure, de 1991 à 1993, il y a également eu omission de déclarer la TPS sur les paiements aux tiers;

(c)      M. Crittenden est un avocat et il connaît l'obligation de payer la TPS;

(d)      l'appelante, par le biais de M. Crittenden, participait directement à la préparation des déclarations;

(e)       M. Crittenden était engagé dans les affaires financières de l'appelante et connaissait la situation financière de l'appelante et les obligations de cette dernière à l'égard de la TPS, ou aurait dû les connaître.

[29]     À la conclusion du témoignage de M. Brown, l'avocat de l'intimée a indiqué qu'il n'avait pas l'intention de citer M. Crittenden comme témoin, mais qu'il était prêt à le faire si l'avocat de l'appelante ne le faisait pas.

[30]     Me Ackerman, l'avocat de l'appelante, a alors demandé un non-lieu et il a soutenu qu'aucun élément de preuve admissible n'avait été produit à l'appui de l'imposition d'une pénalité. Il a fait valoir qu'une partie essentielle de la preuve de la Couronne était la vérification antérieure, que le vérificateur qui l'avait effectuée n'avait pas été cité à témoigner et que la partie du rapport de M. Brown qui en traitait était du ouï-dire. Je suis d'accord. Dans les affaires mettant en cause une pénalité, je m'attends à ce que la Couronne suive les règles de la preuve, bien que l'instance se déroule selon la procédure informelle.

[31]     J'ai dit à Me Ackerman qu'il devait choisir de présenter une preuve ou pas. S'il décidait de ne pas le faire, je statuerais immédiatement sur sa requête. Si, au contraire, il choisissait de présenter une preuve, je prendrais la requête en délibéré, en attendant que tous les éléments de preuve soient produits. En fin de compte, il a cité M. Crittenden à témoigner. Je doute que l'on puisse dire qu'aucune preuve n'a été présentée et j'aurais probablement rejeté la requête, que ce soit à la conclusion du témoignage de M. Brown ou de celui de M. Crittenden. Toutefois, le point sur lequel l'affaire a finalement été plaidée consistait à savoir s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier une pénalité.

[32]     Notre cour est de plus en plus souvent saisie de requêtes en non-lieu. Les juges de la Cour ont convenu de la procédure applicable aux non-lieux (dans la mesure où l'on peut dire que vingt-deux juges sont capables d'en arriver à un consensus sur quoi que ce soit), et je crois qu'il pourrait être utile que j'expose les lignes directrices que j'ai élaborées et distribuées aux juges de la Cour. Elles n'ont naturellement pas de force obligatoire, mais elles témoignent d'un effort de formuler la procédure en matière de non-lieu devant notre cour dans un libellé relativement compréhensible et organisé. Dans l'élaboration des lignes directrices, j'ai consulté quatre sources :

1.        The Law of Evidence in Canada, 2e édition, Sopinka, Lederman et Bryant.

2.        The Trial of An Action, 2e édition, Sopinka, Houston et Sopinka.

3.        Cross and Tapper on Evidence, 9e édition.

4.        Phipson on Evidence, 14e édition.

[33]     Plusieurs observations préliminaires s'imposent.

(a)       Le droit applicable aux non-lieux semble être en évolution.

(b)      Dans la mesure où nous pouvons tirer profit de l'expérience ou des pratiques d'autres tribunaux, ce doit être en matière d'instances civiles sans jury.

(c)      La procédure applicable doit convenir à cette cour. Ce qui pourrait convenir, par exemple, dans une action matrimoniale ou une action en diffamation sans jury, ou dans une affaire de négligence professionnelle devant un tribunal dans une province pourrait ne pas convenir à un appel en matière d'impôt.

(d)      Certains aspects particuliers aux appels en matière d'impôt sur le revenu devant la Cour canadienne de l'impôt peuvent exiger une façon différente d'aborder les non-lieux. Parmi les points qui distinguent ces appels des autres actions civiles, notons :

(i)       L'existence de deux procédures, l'une informelle et l'autre générale. Dans la première, il arrive souvent que les appelants ne soient pas représentés.

(ii)       Dans un appel en matière d'impôt sur le revenu, les règles régissant le fardeau de la preuve sont un peu compliquées. Ainsi, l'appelant a l'obligation de « démolir » ce qu'on appelle les hypothèses de l'intimée, mais le fardeau de la preuve peut se déplacer et la Couronne peut être tenue d'établir un nouveau fondement qui permettrait de maintenir la cotisation. De plus, le fardeau de la preuve appartient à la Couronne en matière de pénalités et lorsqu'il s'agit de mettre en cause des années frappées de prescription (ce dernier fardeau pouvant se déplacer).

[34]     Compte tenu de la nature plutôt particulière d'un appel devant cette cour à l'encontre d'une cotisation d'impôt, les lignes directrices suivantes semblent pouvoir s'appliquer.

1.        La Cour, de façon générale, ne devrait pas traiter d'une requête en non-lieu selon la procédure informelle. Je dis cela non d'un point de vue formel ou juridique, mais parce que je ne crois pas qu'un appelant non représenté devrait faire face à une requête technique du genre d'un non-lieu. Naturellement, cela ne s'applique pas lorsque la Couronne a le fardeau de la preuve, comme dans le cas des pénalités.

2.        Lorsqu'une partie - généralement l'intimée - demande un non-lieu, son avocat devrait être tenu de décider s'il a l'intention de présenter une preuve avant que la Cour ne statue sur la requête.

3.        Si l'avocat décide de présenter une preuve, le juge devrait prendre la requête en délibéré jusqu'à ce que tous les éléments de preuve soient produits. Lorsqu'elle décide s'il y a absence de preuve, la Cour peut évidemment tenir compte de tout élément de preuve soumis par la partie qui demande le non-lieu.

4.        Si l'avocat choisit de ne pas présenter de preuve, la Cour devrait statuer immédiatement sur la requête en non-lieu.

5.        Si le juge statue qu'il n'y a aucune preuve à l'appui de l'appel de l'appelant, il devrait, avant de rejeter l'appel, inviter les avocats à débattre la question de savoir si les hypothèses figurant dans la réponse à l'avis d'appel appuient la cotisation. Si tel est le cas, le juge devrait rejeter l'appel. Si ce n'est pas le cas, l'une des possibilités qui s'offrent au juge est d'accueillir l'appel. Si la Couronne a plaidé un moyen subsidiaire de maintien de la cotisation, la Cour devrait demander à la Couronne si elle a l'intention de présenter une preuve. Il n'est pas possible de formuler des règles absolues dans cette situation inusitée. Ce que fera la Cour dépendra des circonstances particulières.

6.        Si le juge rejette la requête au motif qu'il existe quelques éléments de preuve à l'appui de la cause de l'appelant, il devrait en résulter deux choses :

(i)       L'avocat qui a présenté la requête en non-lieu (habituellement l'avocat de l'intimée) devrait être lié par son choix et ne devrait pas, après le rejet de sa requête, avoir le droit de retirer son choix et de présenter une preuve.[1]

(ii)       L'avocat qui a présenté la requête devrait alors avoir le droit de soutenir que, même si le juge a statué qu'il existe quelques éléments de preuve à l'appui de la cause de l'appelant (ou celle de la partie sur qui repose le fardeau de la preuve), la preuve ne suffit pas à satisfaire au fardeau de la preuve. (C'est là la distinction entre l'absence de preuve - une question de droit réservée au juge - et l'insuffisance de preuve (une question de fait)).

7.        Les choses peuvent devenir un peu compliquées lorsque le fardeau de la preuve est partagé comme, par exemple, lorsque l'appelant a l'obligation de démontrer que la cotisation est mal fondée et que la Couronne doit établir le bien-fondé d'imposer une pénalité ou de s'attaquer à une année frappée de prescription, ou encore lorsque la Couronne fait valoir un fondement nouveau ou subsidiaire à l'appui de la cotisation. La question se pose de savoir si une requête en non-lieu devrait être recevable au milieu d'un procès quand une partie a présenté sa preuve et qu'elle estime avoir présenté une preuve prima facie de sorte que le fardeau de la preuve s'est déplacé pour reposer désormais sur l'autre partie. Je ne vois aucune raison de compliquer les choses davantage en encombrant la procédure par des requêtes au milieu de l'audience. La partie qui souhaite présenter une requête en non-lieu devrait être tenue de choisir si elle veut présenter une preuve sur tous les aspects de l'affaire et courir sa chance. En d'autres termes, la règle ordinaire devrait s'appliquer. En fin de compte, cependant, l'affaire relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance.

8.        Le juge de première instance ne devrait jamais, de sa propre initiative, prononcer le non-lieu. Il ne devrait le faire qu'à la requête d'une partie. C'est le point de vue exprimé par le juge en chef de l'Ontario, le juge Rowell, dans l'arrêt McKenzie v. Bergin, [1937] O.W.N. 200 (C.A. Ont.). Il n'est pas conforme à l'opinion du juge Riddell dans la décision Martin v. Canadian Pacific Railway, [1932] O.R. 571 (C.A. Ont.). Sauf sur ce point, le jugement du juge Riddell dans l'affaire Martin est un très bon résumé de la règle que cette cour devrait suivre, à mon avis.

Les passages pertinents des jugements du juge Riddell dans la décision Martin et du juge en chef Rowell dans l'arrêt McKenzie sont très succincts, et il peut être utile de les citer ici.

Dans l'affaire Martin, le juge Riddell a dit aux pages 573 et 574 :

[TRADUCTION]

            À la clôture de la preuve du demandeur, le juge de première instance peut prononcer le non-lieu, de son propre chef; il s'agit là d'une procédure si rare que je n'en ai vu qu'un exemple au cours de presque un demi-siècle de pratique; et on ne peut dire qu'il existe une pratique établie dans une telle situation. Dans le seul cas que je connaisse, la Cour divisionnaire de la cour appelée « Court of Common Pleas » a statué que le défendeur qui ne soulève pas d'objections mais qui s'oppose à un appel à l'encontre du non-lieu était dans la même situation que s'il avait demandé le non-lieu. Cela ne nous lie évidemment pas, et si la Cour divisionnaire actuelle devait être saisie d'une affaire d'une telle rareté, elle la jugerait sans être liée par des arrêts.

            La situation usuelle, et même universelle, est une requête du défendeur; trois possibilités s'offrent alors au juge.

            Il peut, (1) accueillir la requête et accorder le non-lieu. Dans ce cas, en appel, le défendeur doit s'en tenir à la preuve qui a été présentée comme si elle était la seule disponible, et il sera statué sur l'appel sur ce fondement.

            Ou le juge peut, (2) rejeter la requête, ou (3) prendre la requête en délibéré jusqu'à la fin du procès; dans l'un ou l'autre de ces cas, le défendeur peut, a) mettre fin à sa plaidoirie sans présenter de preuve, ce qui le place dans la même situation que le défendeur dans le cas que je viens de mentionner; ou, b) présenter une preuve, et dans ce cas l'affaire est jugée d'après tous les éléments de preuve soumis, et le défendeur en appel n'a droit à aucun redressement au motif que le non-lieu aurait dû être prononcé - en d'autres termes, il ne peut avoir aucun redressement s'il a lui-même fourni les éléments de preuve qui donnent au demandeur un droit d'action.

            Voilà les règles de la pratique stricte devant nos tribunaux, mais elles n'entravent nullement l'action de la Cour « dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire » .

Dans l'arrêt McKenzie, le juge en chef Rowell a dit à la page 201 :

[TRADUCTION]

            Il est possible qu'il ne serait pas déplacé, étant donné la façon dont il a été statué sur cette action au procès, de proposer une procédure qu'il serait souhaitable que les juges adoptent lorsqu'ils traitent de la question du non-lieu, et qui permettrait aussi bien aux plaideurs qu'aux comtés de réaliser des économies, particulièrement dans les affaires avec jury :

            (1)         Le juge de première instance ne devrait pas, de son propre chef, prononcer le non-lieu, mais dans tous les cas il devrait être laissé à l'avocat du défendeur de demander le non-lieu s'il le désire.

            (2)         Même si l'avocat du défendeur demande le non-lieu, il serait sage et à propos de la part du juge de première instance de prendre la requête en délibéré et de demander au défendeur s'il souhaite présenter une preuve. Si tel est le cas, l'affaire devrait se poursuivre et le jury rendre son verdict. Si le juge de première instance décidait alors qu'il faut accorder le non-lieu, il pourrait rejeter l'action et, s'il y avait appel, notre cour disposerait de tous les faits, notamment l'évaluation des dommages-intérêts, et si elle estimait que le non-lieu n'aurait pas dû être accordé, il pourrait être statué sur l'action de façon définitive.

            (3)         Si, d'autre part, le défendeur disait qu'il ne voulait pas présenter de preuve et qu'il fondait sa cause sur la faiblesse de celle du demandeur, le juge de première instance pourrait alors régulièrement statuer sur la requête en non-lieu.

9.        Aux pages 155 à 158 de l'ouvrage The Trial of An Action, il est question des requêtes en non-lieu lorsqu'il y a plus d'un défendeur. Dans le contexte d'un appel en matière d'impôt sur le revenu, lorsque les causes de deux appelants ou plusieurs sont jugées ensemble, une requête en non-lieu devrait-elle être accueillie à l'encontre de l'une des parties et non des autres? Quelle que soit la justification théorique que l'on puisse trouver pour une telle façon d'agir, je crois que, question de principe, une telle requête devrait être rejetée. Si la Cour accueillait la requête à l'encontre d'un appelant et permettait ensuite à la Couronne de produire des éléments de preuve à l'égard de l'autre appelant, il est possible que la preuve de la Couronne appuie la cause de l'appelant contre qui le non-lieu a été prononcé. Ce serait une anomalie. Si la Couronne présentait une requête en non-lieu contre l'un des appelants, elle devrait être tenue de décider si elle présentera des éléments de preuve contre l'un quelconque des appelants.

10.      Les avis sont partagés, comme en discute Phipson à la page 223 ( ¶ 11-36), au sujet du critère à appliquer à la requête en non-lieu : devrait-il consister à savoir s'il existe une parcelle de preuve, auquel cas la requête devrait être rejetée, ou devrait-il plutôt consister à savoir s'il existe des éléments de preuve qui permettraient raisonnablement au tribunal de donner gain de cause à la partie chargée du fardeau de la preuve? Je me rends compte que Phipson discute de la question dans le contexte d'un procès avec jury, dans lequel la décision est plus importante parce qu'elle implique la mesure assez lourde de conséquence qu'est le retrait de l'affaire au jury. Phipson favorise la seconde approche : existe-t-il certains éléments de preuve permettant au tribunal de raisonnablement donner gain de cause à l'appelant? En toute déférence, je ne suis pas d'accord. S'il existe la moindre preuve à l'appui des prétentions de l'appelant, j'estime que la requête devrait être rejetée. Il est prématuré, à la clôture de la présentation de la preuve de l'appelant, d'étudier la question de savoir si les éléments de preuve soumis appuient raisonnablement une décision favorable à l'appelant.

[35]     J'espère que ces lignes directrices seront de quelque utilité lorsque cette Cour est saisie de requêtes en non lieu.

[36]     Pour en revenir à la question de la pénalité imposée à l'appelant en vertu de l'article 285, la position de M. Brown me semble bien fondée, c'est-à-dire que M. Crittenden savait ou aurait dû savoir que la TPS s'appliquait aux paiements aux tiers et que le défaut de déclarer la TPS équivalait à une faute lourde. Cette hypothèse est raisonnable et pourrait bien réussir, mais la preuve est tout aussi conforme à une autre hypothèse raisonnable et qui pourrait réussir, c'est-à-dire que M. Crittenden s'est fié - peut-être de façon déraisonnable ou négligente - à l'opinion de son comptable qu'aucune TPS n'était payable, ou qu'il s'est peut-être fait une opinion erronée du droit applicable. Je crois que M. Crittenden a été négligent, mais la preuve est conforme avec l'hypothèse qui n'implique pas de faute lourde telle que décrit dans les arrêts cités au début des présents motifs. Conséquemment, l'appelant a droit au bénéfice du doute.

[37]     L'appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin d'annuler la pénalité imposée en vertu de l'article 285 de la Loi.

[38]     Je ne crois cependant pas que je puisse adjuger de dépens en vertu du paragraphe 18.3009(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2004.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           C'est l'opinion traditionnelle courante. Il en existe cependant une autre qui semble obtenir une certaine faveur, à savoir que suivre cette règle de façon rigide ne sert aucune fin utile et que la partie qui demande le non-lieu a le droit de voir le juge décider s'il existe des éléments de preuve, et si la requête est rejetée, il est dans l'intérêt de la justice qu'il ne soit pas interdit à cette partie de présenter des éléments de preuve. Cette façon de voir n'est pas sans bien-fondé et il serait certainement loisible au juge de première instance de l'adopter.

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