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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1695(IT)I

ENTRE :

MARNI DANGERFIELD,

appelante,

et

Sa Majesté La Reine,

intimée.

Appel entendu le 18 décembre 2001 à Winnipeg (Manitoba) par

l'honorable juge J. E. Hershfield

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                  Me Thor Hansell

Avocate de l'intimée :                                    Me Angela Evans


JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2002.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de janvier 2004.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20020501

Dossier : 2001-1695(IT)I

ENTRE :

MARNI DANGERFIELD,

appelante,

- et -

Sa Majesté La Reine,

intimée.

Motifs Du Jugement

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]      L'appel en l'instance porte sur l'année d'imposition 1999 de l'appelante.

[2]      L'intimée a établi une nouvelle cotisation pour l'appelante et a inclus dans le revenu de celle-ci la somme de 3 182 $ qu'elle a reçue durant l'année à titre de pension alimentaire pour sa fille Kirsten. L'appelante n'avait pas inclus cette somme dans son revenu, mais le père de Kirsten, qui l'avait versée durant l'année, l'avait déduite de son revenu.

[3]      Un exposé conjoint des faits a été déposé au dossier de la Cour au début de l'audience ce qui a permis de circonscrire la question en litige à ce qui suit : est-ce qu'une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine (Division de la famille) du centre de Winnipeg, ordonnant le versement de la pension alimentaire pour enfants qui fait l'objet du litige, a été « établie » le 21 avril 1997 (ou à une date ultérieure au 30 avril 1997) et, si elle a été établie le 21 avril 1997, est-ce que la « date d'exécution » aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) est le 1er mai 1997? Si l'ordonnance a été « établie » le 21 avril 1997 sans qu'il y soit précisé le 1er mai 1997 comme « date d'exécution » aux fins de la Loi, les versements de pension alimentaire seraient imposables tel que le prétend l'intimée et l'appel serait rejeté; autrement, l'appel serait admis.

LES FAITS

[4]      Comme les faits, pour la plupart, ne sont pas contestés, je vais les résumer uniquement dans la mesure où cela est nécessaire pour trancher la question mentionnée précédemment.

[5]      Bien que Kirsten, née en 1991, soit l'enfant naturelle de l'appelante et de Paul John Mountney, l'appelante et M. Mountney n'ont jamais été mariés et ont cessé de faire vie commune en mars 1992. Aucune ordonnance de pension alimentaire n'a été rendue ni avant ni après celle qui fait l'objet du présent appel.

[6]      En février 1997, l'appelante, qui cherchait à obtenir une mesure de redressement à l'encontre de M. Mountney, a présenté une requête devant la Cour du Banc de la Reine. Cette requête visait à obtenir une ordonnance de garde, une pension alimentaire au profit de l'enfant, la divulgation de renseignements financiers et les dépens, de même qu'une déclaration de filiation. Les mesures de redressement étaient demandées en vertu de lois provinciales citées dans la requête, soit la Loi sur l'obligation alimentaire (la « L.O.A. » ), les Règles de la Cour du Banc de la Reine (les « Règles du B.R. » ) et la Loi sur la Cour du Banc de la Reine.

[7]      Au moment où la requête a été présentée, M. Mountney vivait en Colombie-Britannique. La requête signifiée à M. Mountney, qui était conforme à la formule prescrite par les Règles du B.R., indiquait qu'elle visait à obtenir une pension alimentaire pour enfants et confirmait que la Cour pourrait accéder à cette demande s'il faisait défaut d'y répondre. Il n'y avait dans la requête aucune mention d'une mesure de redressement particulière relativement aux conséquences fiscales de la pension alimentaire qui était demandée.

[8]      Avant de déposer la requête, l'avocate de l'appelante à l'époque a écrit à M. Mountney en décembre 1996 et a demandé qu'un montant de 250 $ par mois soit versé à titre de pension alimentaire pour enfants, et ce, à compter du 1er janvier 1997. La lettre spécifiait que le montant demandé était fixé en fonction des lignes directrices du gouvernement fédéral élaborées dans le cadre de la mise en oeuvre, à compter du 1er mai 1997, des nouvelles lois relatives aux obligations alimentaires pour enfants et que le montant ne serait ni déductible pour lui, ni imposable pour la requérante.

[9]      La requête a été entendue le 21 avril 1997. M. Mountney n'était pas présent. On a fourni à la juge des pièces, dont la lettre susmentionnée de décembre 1996 à M. Mountney, ainsi que d'autres lettres provenant de M. Mountney (qui indiquaient, selon la transcription de l'audience, qu'il avait l'intention de retenir les services d'un avocat au Manitoba). Toutefois, cette dernière lettre n'a pas été incluse dans le recueil de l'exposé conjoint des faits soumis dans le présent litige, ni d'autres lettres (déposées comme pièces lors de l'audition de la requête) qui auraient pu expliquer pourquoi M. Mountney n'était pas représenté lors de l'audition de la requête. Les faits admis révèlent que l'avis de requête a été signifié à M. Mountney, qu'il n'a pas déposé de réponse à la requête et qu'il ne s'est pas présenté pour s'opposer aux mesures de redressement demandées. Tel que nous l'avons noté précédemment, la requête elle-même ne faisait aucune mention d'une « date d'exécution » aux fins fiscales.

[10]     Une copie de la transcription de l'audience a été jointe à l'exposé conjoint des faits. Ce qui suit est extrait de cette transcription :

                   [TRADUCTION]

Me KATZ (avocate de la requérante) : [...] Nous demandons une pension alimentaire de 250 $ par mois, à être versée par le biais de la Cour à compter du 1er mai, et ensuite le 1er de chaque mois.

            LA COUR : Je reconnais que j'ai un problème avec la date d'exécution et c'est seulement à cause des nouvelles lignes directrices et -

            Me KATZ : Oui.

            LA COUR : - les règlements indiquent que je dois avoir une quantité étonnante de renseignements avant de pouvoir rendre une ordonnance.

            Me Katz : En vertu des nouvelles -

            LA COUR : Oui.

            Me Katz : Oui, mais il s'agit d'une requête en vertu de la -

            LA COUR : - En vertu de la L.O.A.?

            Me KATZ : - L.O.A.

            LA COUR : D'accord.

            Me Katz : Donc, je ne crois pas que nous fassions face à ce problème.

            LA COUR : Eh bien, alors, cela ne me pose aucun problème. Très bien. D'accord.

            Me Katz : Cela règle donc le problème que -

            LA COUR : Cela règle en effet cette question.

            Me Katz : - nous allons tous avoir.

            LA COUR : Il y aura une déclaration de paternité. Il y aura une ordonnance de garde exclusive. Il y aura une ordonnance de pension alimentaire pour enfants pour un montant de 250 $ par mois à verser à compter du 1er mai. M. Mountney aura l'occasion de faire réviser la pension alimentaire pour enfants lorsqu'il aura procédé à la divulgation de sa situation financière, ce qui, dans les circonstances, inclura l'information relative au revenu de son épouse.

                                                                           

            L'ordonnance alimentaire sera payable, je présume, par le biais de l'exécution des ordonnances alimentaires?

Me Katz : Oui.

LA COUR : Très bien. Il y aura une ordonnance en vertu de la partie VI de la L.O.A. Autre chose?

Me Katz : Non, ce sera tout. Merci, Madame le juge.

LA COUR : Merci.

(FIN DE L'AUDIENCE)

[11]     Le jugement de la Cour a été préparé par l'avocate de l'appelante et signé par le registraire adjoint le 5 mai 1997. La première page du jugement est datée du 21 avril 1997 ce qui, conformément à la formule des jugements utilisée par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, est la date où le jugement a été rendu. Le jugement ne fait aucune mention d'une « date d'exécution » à des fins fiscales. La seule disposition du jugement qu'on puisse considérer comme pertinente est celle relative au versement d'une pension alimentaire, qui se lit comme suit :

                   [TRADUCTION]

(c)    que l'intimé paie à la requérante à titre de pension alimentaire pour ladite enfant la somme de 250 $ par mois le 1er jour de chaque mois à compter du 1er mai 1997;

[12]     Comme je l'expliquerai plus loin dans les motifs du présent jugement, les Règles du B.R., contrairement aux Règles de la Cour canadienne de l'impôt, portent que la date à laquelle une ordonnance ou un jugement est « rendu » est la date à laquelle la décision en question est prononcée, ce qui, soutient l'intimée, est la date à laquelle l'ordonnance a été prononcée par la juge, soit, dans le présent cas, le 21 avril 1997. Durant l'audition de l'instance, aucun argument n'a été soulevé selon lequel aucun jugement ou ordonnance n'a été prononcé le 21 avril 1997. Au contraire, l'exposé conjoint des faits précise que le jugement en question a été « prononcé le 21 avril 1997 et signé le 5 mai 1997 » . Toutefois, après avoir pris mon jugement en délibéré et après avoir noté que la juge elle-même n'avait pas prétendu rendre jugement (puisqu'elle a utilisé le futur, « Il y aura une ordonnance de pension alimentaire pour enfants pour un montant de 250 $ par mois à verser à compter du 1er mai » ) et qu'il y avait des détails qui restaient à préciser ( « le premier jour de chaque mois » ), j'ai convoqué les parties de nouveau le 14 février 2002 et j'ai lu l'ébauche des motifs du jugement de la présente cause fondés sur la conclusion préliminaire que la Cour du Banc de la Reine n'avait pas rendu ou établi de jugement ou d'ordonnance tant qu'il n'ait pas été signé en mai 1997. J'ai informé les parties que je ne me considérais pas lié par leur entente selon laquelle le jugement a été prononcé le 21 avril 1997 puisqu'il s'agissait d'une question mixte de droit et de fait. Cependant, comme les parties n'avaient pas abordé la question du temps des verbes ni le degré d'achèvement, le 21 avril, des énoncés de la juge, j'ai invité les parties à me soumettre leurs observations sur cette question avant que je ne finalise mon jugement.

[13]     À la demande de l'avocate de l'intimée, une audience par voie de conférence téléphonique a été tenue le 1er mars 2002. L'intimée a alors présenté une requête visant le dépôt d'une pièce supplémentaire au dossier de la Cour (un feuillet de résumé d'ordonnance) relative à l'inscription du jugement qu'on prétend avoir été prononcé en avril 1997. J'ai indiqué que comme j'avais soulevé cette nouvelle question, je permettrais le versement au dossier de ce nouvel élément de preuve. L'avocat de l'appelante a accédé à mon ordonnance autorisant le dépôt de cette nouvelle pièce comme faisant partie d'observations écrites, c'est-à-dire qu'il a renoncé à tout témoignage ou contre-interrogatoire relativement à cette nouvelle pièce comme si elle avait été incluse dans l'exposé conjoint des faits dès le départ.

[14]     Le feuillet de résumé d'ordonnance est daté du 21 avril 1997 et est censé avoir été signé par la juge à cette date. Le feuillet fait notamment état d'une pension alimentaire pour enfants de 250 $ par mois à compter du 1er mai 1997. Comme type de cause, on y indique la L.O.A. et on y réfère à la « partie VI » relativement à la pension alimentaire pour enfants. Il y a également une note sur le feuillet portant que M. Mountney pourra demander la révision de la pension alimentaire pour enfants suite à la divulgation de la situation financière.

LA POSITION DES PARTIES

[15]     Les parties ont fait référence aux règles qui suivent de la Cour du Banc de la Reine :

59.01 L'ordonnance, à moins qu'elle ne contienne une disposition contraire, prend effet à compter de la date à laquelle elle est rendue.

1.04.1 Dans les présentes règles :

a) toute mention de la date à laquelle une ordonnance ou un jugement est « rendu » vaut mention de la date à laquelle la décision en question est prononcée;

b) toute mention de la date à laquelle une ordonnance ou un jugement est « inscrit » vaut mention de la date à laquelle la décision en question est signée.

59.02(1) Chaque ordonnance doit,au moment où elle est rendue, être inscrite sur un feuillet de résumé d'ordonnance et ce feuillet est signé par le juge ou l'auxiliaire de la justice qui rend l'ordonnance sauf si, selon le cas :

a) l'ordonnance elle-même est signée par le juge ou l'auxiliaire de la justice qui la rend;

b) une telle action est irréalisable compte tenu des circonstances.

[...]

59.03(3) L'ordonnance est rédigée selon la formule 59A (ordonnance) ou 59B (jugement) et comprend :

a) le nom du juge ou de l'auxiliaire de la justice qui l'a rendue;

b) la date à laquelle elle a été rendue;

c) les précisions nécessaires à sa compréhension, y compris la date de l'audience, les parties qui y étaient présentes ou qui étaient représentées par un avocat et celles qui ne l'étaient pas, ainsi que les engagements pris par une partie à titre de condition de l'ordonnance.

[16]     Je remarque également que la note introductive de l'article 59 des Règles du B.R. explique la façon dont les formules d'ordonnance (y compris les jugements) doivent être préparées après que les jugements ont été rendus. Dans la plupart des cas, les juges ou les auxiliaires de la justice doivent consigner ou endosser leurs décisions par écrit sur le dossier au moment où l'ordonnance est rendue, mais la partie qui a eu gain de cause doit préparer une ébauche de l'ordonnance formelle. Les ordonnances sont ensuite soumises au registraire pour qu'il les signe.

[17]     L'avocate de l'intimée a affirmé qu'aucune affaire du Manitoba ne traite de la date à laquelle une ordonnance ou un jugement est prononcé, mais elle a mentionné l'affaire Succession May c. M.R.N., C.C.I., no 87-1425(IT), 4 août 1989. À la page 13 de ce jugement, la Cour cite l'ouvrage Canadian Abridgment, 2e éd., vol. R31C, p. 1025 :

[TRADUCTION] 6804. Le principe selon lequel l'ordonnance, au moment de sa rédaction et de son inscription, porte la date du jour auquel elle est prononcée par la Cour, est conforme aux principes de la procédure judiciaire, voulant que l'ordonnance est en vigueur à partir du moment de son prononcé par le juge [...]

[18]     Ainsi, selon l'avocate de l'intimée, la date à laquelle le jugement de la Cour du Banc de la Reine a été « établi » est la date à laquelle il a été prononcé par la juge et inscrit sur le feuillet de résumé d'ordonnance, deux événements qui sont survenus le 21 avril 1997.

[19]     La pertinence de la date à laquelle le jugement de la Cour du Banc de la Reine a été « établi » découle de ce qu'en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi, les paiements de pension alimentaire pour enfants sont exclus du revenu du bénéficiaire seulement si la pension alimentaire devait être versée aux termes d'une ordonnance « à la date d'exécution ou postérieurement » , ce qui inclut la date à laquelle l'ordonnance a été « établie » , à condition que cette date soit postérieure à avril 1997. L'alinéa 56(1)b) exclut les montants qui devaient être versés à la date d'exécution ou postérieurement en utilisant une formule qui soustrait un montant décrit à la définition « B » de cet alinéa. Cette définition se lit comme suit :

B           le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement [...]

[20]     Il est clair que s'il n'y a pas de « date d'exécution » d'une ordonnance, aucun montant n'est tenu d'être versé « à la date d'exécution ou postérieurement » . C'est invariablement cette interprétation que la Cour a donné à l'alinéa 56(1)b)[1].

[21]     L'expression « date d'exécution » est définie comme suit au paragraphe 56.1(4) de la Loi :

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a)     si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)     si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

        (i) le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrites,

        (ii) si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

        (iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

        (iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

[22]     L'avocate de l'intimée soutient que la date à laquelle l'ordonnance qui fait l'objet du litige a été « établie » étant préalable à mai 1997, il ne s'agit pas de la « date d'exécution » , et également que, conformément à cette définition, il n'y a pas d'autre « date d'exécution » à l'égard de l'ordonnance qui fait l'objet du litige; par conséquent, les montants de pension alimentaire pour enfants ne sont pas exclus du revenu de l'appelante en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi.

[23]     L'avocat de l'appelante soutient que les Règles du B.R. ne devraient pas constituer le facteur clé pour déterminer la date à laquelle l'ordonnance en cause a été « établie » aux fins de l'application de la Loi et que cette date devrait être la date à laquelle l'ordonnance prend effet. Subsidiairement, en se fondant principalement sur la date où doivent commencer les paiements en vertu de l'ordonnance, l'appelante soutient qu'il y a effectivement une « date d'exécution » précisée aux fins de la Loi dans l'ordonnance qui fait l'objet du litige, soit le 1er mai 1997. Puisque j'ai conclu que la date à laquelle une ordonnance a été « établie » aux fins de la Loi est la date à laquelle elle est rendue selon les règles de la Cour qui l'a rendue, je suis d'avis que les meilleures chances de succès de l'appelante se limitent aux trois arguments suivants : (1) il convient de tenir pour acquis que la juge siégeant en matière familiale a prévu que la date où l'ordonnance prendrait effet serait le 1er mai 1997, ce qui a pour conséquence de repousser la date à laquelle l'ordonnance a été rendue aux fins de la règle 59.01 au 1er mai 1997; (2) il convient de tenir pour acquis que la juge siégeant en matière familiale a prévu que la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance serait le 1er mai 1997 avec l'intention que cette date soit la « date d'exécution » aux fins du sous-alinéa b)(iv) de la définition de l'expression « date d'exécution » ; (3) même si la date à laquelle l'ordonnance a été « établie » n'est pas le 1er mai 1997, la date à laquelle devaient débuter les versements de pension alimentaire pour enfants était le 1er mai 1997, et cette date devrait, dans les circonstances du présent litige, être traitée comme la « date d'exécution » aux fins du sous-alinéa b)(iv) de la définition de « date d'exécution » . Eu égard à tous ces arguments, l'appelante soutient que tant la juge que les parties comprenaient que la date d'exécution serait le 1er mai 1997 aux fins de la Loi et avaient l'intention qu'il en soit ainsi, puisqu'ils comprenaient tous que les montants de pension alimentaire ne seraient pas imposables pour l'appelante bénéficiaire et souhaitaient tous qu'il en soit ainsi. Elle soutient qu'il ne faudrait pas considérer que l'ordonnance contenait une lacune eu égard à cet état de fait présumément clair.

ANALYSE

[24]     L'article 1.04.1 des Règles du B.R. porte qu'une ordonnance est « rendue » lorsqu'elle est prononcée et l'affaire Succession May revêt une autorité suffisante, à mon avis, pour confirmer la conclusion selon laquelle la date où une ordonnance ou un jugement est rendu est la date à laquelle il est prononcé par le juge. Toute autre conclusion romprait la cohésion des dispositions applicables des Règles du B.R. susmentionnées et semblerait porter atteinte à l'économie des Règles du B.R. en ce qui a trait aux jugements et ordonnances rendus par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. À titre d'exemple, conformément au paragraphe 59.02(1) des Règles du B.R., une ordonnance doit être inscrite par le juge qui la rend sur un feuillet de résumé d'ordonnance « au moment où elle est rendue » . J'admets que le feuillet de résumé d'ordonnance qui porte la date du « 21 avril 1997 » a été signé par la juge à cette date. Selon les Règles du B.R., une telle inscription est une preuve supplémentaire que l'ordonnance doit avoir été rendue à cette date, puisque l'inscription doit être faite au moment où l'ordonnance est rendue. Même si le fait que le prononcé de la juge du 21 avril ait été au futur fait en sorte qu'il ne s'agissait pas encore d'une ordonnance à ce moment-là, la signature du feuillet de résumé d'ordonnance à cette date est suffisante pour déterminer que l'ordonnance a été « rendue » le 21 avril. De plus, il ressort du paragraphe 59.03(3) des Règles du B.R. que l'ordonnance doit comprendre le nom du juge qui l'a rendue et la date à laquelle elle a été rendue. Le nom de la juge en l'espèce de même que la date (le 21 avril 1997) apparaissent sur la première page du jugement en cause.

[25]     L'avocat de l'appelante soutient que la date à laquelle l'ordonnance a été rendue ou prononcée devrait être la date où elle prend effet, ce qui, dans la présente affaire, est le 1er mai 1997. Il soutient qu'aucun élément de l'ordonnance n'a à prendre effet avant cette date et que tout ce qui en découle se met en branle à compter de cette date.

[26]     Les Règles du B.R. ne permettent pas d'appuyer cet argument. Premièrement, il n'y a aucune raison d'affirmer qu'une ordonnance ne peut pas avoir été « rendue » à une date antérieure, même si elle n'entre en vigueur qu'après la date à laquelle elle a été rendue. Deuxièmement, on ne peut pas prétendre que l'ordonnance dont il est question ici prend effet à une date ultérieure uniquement parce que le seul élément qu'elle contient qui fait mention d'une date, soit la date du premier versement de pension alimentaire pour enfants, est prévu pour une date future. La date du premier versement mensuel prévu par l'ordonnance ne détermine pas la date à laquelle l'ordonnance elle-même entre en vigueur. De toute façon, c'est la date à laquelle l'ordonnance a été « rendue » qui importe ici et il ne s'agit pas de la même date que celle à laquelle l'ordonnance prend effet. La date à laquelle l'ordonnance en question a été « rendue » est le 21 avril 1997. La question est maintenant close, à moins qu'il n'y ait une « date d'exécution » conformément au sous-alinéa b)(iv) de la définition de cette expression. Ce sous-alinéa porte que la « date d'exécution » est le jour postérieur à avril 1997 « précisé dans [...] l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi » . L'intimée soutient qu'aucun jour n'est « précisé » dans l'ordonnance « pour l'application de la présente loi » , du moins pas expressément.

[27]     Le deuxième argument de l'avocat de l'appelante vise à tirer une inférence nécessaire relative à la date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance. Comme l'ordonnance ne produit aucun effet avant mai 1997 et comme toutes les parties, y compris la juge, étaient d'avis ou comprenaient que les conséquences fiscales qui devraient découler de l'ordonnance feraient en sorte que les versements de pension alimentaire pour enfants ne seraient pas imposables pour la bénéficiaire, il y a en fait une date d'exécution précisée dans l'ordonnance aux fins de la Loi. Autrement dit, l'appelante affirme que l'article 59.01 des Règles du B.R. permet, dans les circonstances, que le 1er mai 1997 soit reconnu comme la date d'exécution de l'ordonnance aux fins fiscales, même si l'ordonnance ne le précise pas expressément et même si la Loi ne réfère pas à la « date d'exécution » d'une ordonnance aux fins fiscales. Cette position a un certain fondement, mais elle repose, en l'espèce, sur un trop grand nombre d'inférences à tirer des faits. Si j'accepte qu'une date peut être « précisée » dans l'ordonnance du fait de la date à laquelle on souhaite qu'elle entre en vigueur, alors le présent appel pourrait être couronné de succès dans la mesure où je conclurais également que la date souhaitée d'entrée en vigueur découlait du souhait que les paiements effectués en vertu de l'ordonnance se soient pas imposables pour la bénéficiaire en application du régime applicable aux ordonnances alimentaires après avril 1997 en vertu de la Loi. Cela signifierait que je devrais conclure que l'ordonnance avait une date d'entrée en vigueur aux fins fiscales qui devait constituer la « date d'exécution » de l'ordonnance, bien que l'on n'ait pas utilisé ces termes. Bien que cette position, qui consiste à donner effet à des intentions apparentes, soit attrayante, elle ne cadre pas aisément avec le libellé de la Loi et ne peut pas, à mon avis, être utilisée dans le cas où la partie qui la fait valoir doit non seulement se fonder sur une suite d'inférences, mais n'a pas fait la preuve qu'il s'agit effectivement d'inférences nécessaires. En l'espèce, il n'est pas nécessaire d'inférer que l'ordonnance visait à faire du 1er mai la date d'entrée en vigueur. La date à laquelle les versements de pension alimentaire doivent débuter, à elle seule, ne permet pas d'inférer de la sorte. L'ordonnance ne précise pas de date d'entrée en vigueur et ne mentionne pas les conséquences fiscales. La juge s'est enquise au sujet d'une « date d'exécution » et il lui a été répondu qu'il n'était pas nécessaire d'en prévoir une. Si elle avait été adéquatement informée du contraire, nous ne pouvons qu'émettre des hypothèses sur ce qu'elle en aurait fait étant donné que, dans son ordonnance, elle ne mentionne nullement le traitement fiscal des versements de pension alimentaire pour enfants. Bien que la lettre adressée au père de l'enfant mentionnait que ces paiements ne devaient pas être imposables pour la bénéficiaire, la juge n'y a pas fait référence dans la transcription de l'instance. De plus, il était mentionné dans cette lettre que les versements devraient commencer en janvier 1997 et la lettre était donc en erreur quant aux conséquences fiscales qui y étaient énoncées[2]. Il semble que tout le monde était mal informé et le fait de tirer des inférences nécessaires dans de telles circonstances est dangereux dans le meilleur des cas. Je serais tenté d'adopter cette position si la juge avait dit expressément quoi que ce soit pour confirmer son intention ou sa compréhension du fait que la pension dont elle a ordonné le versement devait être exempte d'impôt en vertu du nouveau régime fiscal applicable aux pensions alimentaires pour enfants. Si tel avait été son intention et qu'elle ne s'en était pas remis à l'avocate qui a préparé l'ébauche de l'ordonnance pour atteindre cet objectif, j'ai dit à l'avocat de l'appelante que l'avenue la plus appropriée pour obtenir un résultat équitable en l'espèce aurait pu être de retourner devant la juge qui a rendu l'ordonnance. Il semble que cette suggestion n'ait pas été suivie.

[28]     Quant au troisième argument de l'avocat de l'appelante, il requiert que j'en vienne à la conclusion que la date à laquelle les versements de pension alimentaire pour enfants devaient débuter soit considérée comme la date d'exécution de l'ordonnance « précisée » aux fins de la Loi. Il a été soutenu qu'il existait une présomption selon laquelle le fait de commencer les paiements le 1er mai soumettrait l'ordonnance à l'application du nouveau régime, ce qui, j'en conviens, était l'intention de l'appelante. Je reconnais également qu'il est fort probable que l'avocate de l'appelante à l'époque croyait que le fait de commencer les paiements le 1er mai 1997 était suffisant pour satisfaire aux exigences de la Loi afin de soumettre l'appelante au nouveau régime et qu'elle croyait que l'ordonnance de la juge serait assujettie au nouveau régime. Il est même possible que la juge le percevait également ainsi, en dépit du fait qu'elle avait été dissuadée de poser davantage de questions quant à la date d'exécution[3]. Toutefois, cela n'est pas suffisant pour que la Cour ajoute à l'ordonnance des termes qui, selon la Loi, doivent être précisés dans l'ordonnance elle-même. De plus, le sous-alinéa b)(ii) de la définition de l'expression « date d'exécution » porte que, si l'ordonnance fait l'objet d'une modification, la « date d'exécution » est la date où le montant modifié est à verser pour la première fois. L'accent qui est mis sur la date du premier versement ne se retrouve ni à l'alinéa a) ni au sous-alinéa b)(iv) de la définition de l'expression « date d'exécution » . Il faut considérer qu'une telle distinction est intentionnelle. Par conséquent, la date à laquelle les versements de pension alimentaire doivent commencer ne peut pas être considérée comme la « date d'exécution » de l'ordonnance elle-même dans le cadre du sous-alinéa b)(iv) de la définition de l'expression « date d'exécution » .

[29]     Une fois que le feuillet de résumé d'ordonnance eut été signé par la juge, je n'ai pas de doute que le jugement ordonnant le versement de la pension alimentaire était complet. On ne m'a rien signalé dans les Règles du B.R. qui laisse entendre le contraire. Le fait que l'avocate ait eu à rédiger le jugement ultérieurement et que le registraire de la Cour ait eu l'obligation d'approuver le jugement (l'ordonnance) ainsi rédigé n'a pas d'effet sur la date à laquelle il a été « établi » ou sur la date où il a pris effet. Bien que les Règles du B.R. qui m'ont été mentionnées n'indiquent pas ce qui aurait pu se produire si on avait tenté de faire exécuter l'ordonnance avant qu'elle ne soit présentée selon la formule requise et finalement signée, par exemple le 1er mai, les formalités de l'exécution forcée de l'ordonnance constituent une étape procédurale distincte qui ne peut pas déterminer la date à laquelle l'ordonnance a été rendue. Ainsi, le moment où l'on pourrait demander l'exécution forcée d'une ordonnance n'a aucun rapport avec la détermination de la « date d'exécution » en vertu de la Loi. Même si les paiements prévus par l'ordonnance ne pouvaient être exigés aussi longtemps que l'ordonnance n'avait pas été signée et inscrite conformément à l'alinéa 1.04.1b) des Règles du B.R. le 7 mai 1997, il n'y a toujours pas de date d'exécution dans l'ordonnance elle-même. Qu'il ait pu ne pas y avoir de créance en vertu de l'ordonnance avant le 7 mai ne signifie pas que les paiements en question n'étaient pas exigibles ce jour-là (le 7 mai) en vertu d'une ordonnance rendue le 21 avril.

[30]     Je ne suis pas sans savoir que le nouveau régime qui exempte d'impôt les versements de pension alimentaire pour enfants vise à aider le parent avec la garde comme l'appelante en l'espèce. Si l'on avait été préoccupé devant la Cour du Banc de la Reine des exigences relatives à la date des paiements sous ce régime (ce qui n'était pas le cas), alors il serait plus clair que le traitement fiscal prévu par ce régime devrait s'appliquer. Dans un tel cas, l'ordonnance aurait vraisemblablement traité expressément de la date d'exécution aux fins de l'application de la Loi, ou encore, il serait plus aisé de tirer les inférences nécessaires qui vont dans ce sens. Toutefois, dans les circonstances, les dispositions de la Loi font en sorte que le nouveau régime ne s'applique pas à l'appelante en l'espèce.

[31]     En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2002.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de janvier 2004.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Voir à titre d'exemple Hickson c. Canada, C.C.I., no 2000-4046(IT)I, 25 mai 2001, [2001] 3 C.T.C. 2174.

[2]           En vertu de la définition de « date d'exécution » , il n'est pas possible qu'une telle date soit antérieure au 1er mai 1997. En conséquence, la lettre qui affirme que les versements de pension alimentaire pour enfants qui devaient débuter en janvier 1997 étaient exempts d'impôt pour la bénéficiaire et non déductibles pour le payeur était incorrecte si elle suggérait qu'il y aurait une ordonnance antérieure.

[3]           Étant donné le contexte dans lequel la question posée par la juge au sujet de la date d'exécution apparaît dans la transcription, il est possible qu'elle avait uniquement l'intention de référer au montant de la pension alimentaire requise, mais même cette question est nécessairement liée à une prise de position présumée eu égard à la question fiscale. Ainsi, les paiements de pension alimentaire pour enfants prévus en vertu du nouveau régime sont présumés n'être ni déductibles pour le payeur ni imposables pour le bénéficiaire et les montants sont fixés en fonction de cette situation. Le fait d'informer la Cour qu'il n'y avait pas de litige quant au montant de la pension alimentaire aurait pu suggérer que le nouveau régime fiscal ne s'appliquait pas aux versements. En fin de compte, je ne dispose de rien qui puisse me permettre de déterminer ce que la juge pensait eu égard au traitement fiscal des versements de pension alimentaire pour enfants. La représentante de l'appelante avait la responsabilité de traiter clairement et expressément de cette question pour le bénéfice des parties et de l'ADRC.

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