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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1404(EI)

ENTRE :

ALAN SOMERVILLE s/n VALLEY LOCKSMITH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Alan Somerville s/n Valley Locksmith (2001-1422 (CPP)) le 16 novembre 2001

à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Kenneth A. Paterson

Avocat de l'intimé :                              Me David Jacyk


JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 25e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1422(CPP)

ENTRE :

ALAN SOMERVILLE s/n VALLEY LOCKSMITH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Alan Somerville s/n Valley Locksmith (2001-1404(EI)) le 16 novembre 2001

à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Kenneth A. Paterson

Avocat de l'intimé :                              Me David Jacyk


JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 25e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010125

Dossiers: 2001-1404(EI)

2001-1422(CPP)

ENTRE :

ALAN SOMERVILLE s/n VALLEY LOCKSMITH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelant a interjeté appel à l'encontre d'une décision en date du 30 janvier 2001 rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) et indiquant que le ministre a déterminé que des cotisations selon le Régime de pensions du Canada (le « Régime » ) et selon la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) étaient payables sur la rémunération versée à Mark Bourget (le « travailleur » ) pour la période allant du 31 mai 1999 au 7 avril 2000, parce que le travailleur exerçait un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et qu'il est donc considéré comme ayant été un employé de l'appelant, ce dernier faisant affaire sous le nom de Valley Locksmith. Les parties ont convenu que le résultat de l'appel relatif à la Loi s'appliquerait à l'appel 2001-1422(CPP), interjeté à l'encontre de la décision rendue par le ministre conformément au Régime.

[2]      Alan Somerville a témoigné qu'il habitait à Mission (Colombie-Britannique) et qu'il exploitait, en tant que propriétaire unique, une entreprise de serrurerie sous la raison sociale de Valley Locksmith et parfois appelée Fraser Valley Locksmith. Il a déclaré qu'il avait appris l'existence d'une brochure intitulée Employé ou travailleur indépendant? - pièce A-1 - que Revenu Canada avait établie à l'intention de personnes oeuvrant dans le marché du travail, pour les aider à déterminer le statut d'un travailleur eu égard aux conditions propres à l'emploi exercé par ce dernier. Après avoir lu la brochure, il avait commencé à cocher les réponses appropriées dans les espaces prévus à cette fin. Il a dit qu'il était d'accord sur les hypothèses suivantes du ministre, énoncées au paragraphe 3 de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse » ) :

[TRADUCTION]

a)          l'appelant exploitait une entreprise de serrurerie;

b)          M. Bourget avait été embauché par l'appelant pour fournir des services de serrurerie aux clients de l'appelant;

c)          pour exploiter une entreprise de serrurerie, l'appelant avait dû obtenir un permis du ministère appelé Ministry of the Attorney General (ministère du Procureur général) de la Colombie-Britannique (le « ministère » );

d)          pour fournir des services de serrurerie, M. Bourget était tenu d'avoir deux permis, c'est-à-dire :

            (i) un permis appelé Security Employee License (permis d'employé de sécurité) délivré par le ministère et indiquant de façon générale que M. Bourget était un serrurier autorisé;

            (ii) une carte d'identité appelée Security Employee Identification Card (carte d'identité d'employé de sécurité) qui indiquait que M. Bourget était un serrurier travaillant auprès d'une entreprise particulière;

e)          pour obtenir les permis mentionnés à l'alinéa d) ci-devant, M. Bourget avait dû suivre des cours, subir une vérification de casier judiciaire et de sécurité et être cautionné;

f)           les services que fournissait M. Bourget étaient généralement fournis dans les locaux des divers clients, c'est-à-dire dans des immeubles commerciaux ou résidentiels ou dans des véhicules;

g)          l'appelant fournissait à M. Bourget une camionnette de l'entreprise, qui arborait la raison sociale de l'entreprise et dans laquelle il y avait du matériel;

h)          l'appelant payait les frais relatifs à la camionnette, y compris les frais d'assurance, les frais de réparation, et ainsi de suite, sauf les frais d'essence, qui étaient payés par M. Bourget;

k)          la rétribution habituelle de M. Bourget était de 50 p. 100 du prix de la main-d'oeuvre, mais M. Bourget était payé selon un pourcentage plus élevé pour le travail accompli en fin de semaine ou en soirée;

l)           M. Bourget avait la garantie de recevoir un minimum de 80 $ par jour si sa commission était inférieure à ce montant;

m)         M. Bourget présentait une facture à l'appelant et était payé par chèque à toutes les deux semaines;

n)          M. Bourget fournissait ses propres outils à main, ainsi qu'un téléphone portable et un téléavertisseur, pour lesquels il n'a pas été remboursé;

o)          M. Bourget fournissait personnellement les services;

[3]      L'appelant a expliqué que son entreprise comprenait un magasin de détail - vendant des serrures et des dispositifs de sécurité pour des locaux résidentiels et commerciaux - et un service de serrurerie à domicile répondant aux demandes des clients. Les services fournis consistaient notamment en ce qui suit : changer des serrures, assurer la sécurité de locaux, accéder à des véhicules fermés à clé et modifier les combinaisons de coffres-forts. M. Somerville a déclaré que M. Bourget avait commencé à travailler pour lui à Valley Locksmith en 1998, comme employé, et que les retenues à la source habituelles étaient faites sur son chèque de paye. L'appelant a dit que, en mai 1999, M. Bourget avait fait savoir qu'il voulait avoir la possibilité de travailler pour d'autres et avait demandé une modification de la nature de leur relation de travail de manière à pouvoir fournir des services continus à Valley Locksmith en tant qu'entrepreneur indépendant. M. Somerville avait accepté cette proposition et, dès lors, M. Bourget, au lieu de se présenter au magasin chaque matin et de travailler comme employé à temps plein s'occupant des ventes et du service, téléphonait au magasin chaque matin pour déterminer si ses services étaient requis pour la journée. L'appelant informait M. Bourget de la nature et du lieu de tout travail, et M. Bourget se rendait ensuite à l'endroit en question pour accomplir le travail. L'entente conclue par M. Somerville et M. Bourget stipulait que M. Bourget recevrait 50 p. 100 du prix de la main-d'oeuvre pour chaque travail accompli, mais elle excluait tout partage du revenu relatif aux pièces ou au matériel. M. Bourget présentait à Valley Locksmith des factures - pièce A-2 - en se servant du papier à en-tête et du logo d'une entité appelée Guardian Locksmith. La facture indiquait les numéros de téléphone portable et de téléavertisseur de M. Bourget. L'appelant a expliqué que le système d'établissement des prix dépendait dans une large mesure de ce que le travailleur avait déterminé sur place selon les circonstances auxquelles il faisait face. M. Somerville a déclaré que la pratique courante n'était pas de faire un prix ferme à un client sans être allé examiner les locaux. Il y avait un prix minimal de 45 $ pour tout déplacement, mais M. Bourget pouvait faire payer des frais supplémentaires, comme bon lui semblait, selon la nature du travail accompli sur place. L'appelant a déclaré que, pour avoir constamment accès aux services de M. Bourget, il avait accepté de lui verser un minimum de 80 $ par jour - une espèce d'acompte - et il a dit que, si Valley Locksmith n'avait pas besoin de M. Bourget pour l'exécution d'un travail quelconque, il était libre de travailler pour d'autres. M. Somerville a déclaré qu'une limite de temps était rarement imposée à M. Bourget relativement à un déplacement et que cela n'était fait que si un client insistait là-dessus. M. Bourget était un serrurier autorisé et l'appelant ne l'était pas, de sorte que l'appelant n'exerçait pas de contrôle ou de supervision sur le travail de M. Bourget et ne procédait à aucune inspection une fois le travail terminé. La relation de travail permettait à M. Bourget de prendre des congés comme bon lui semblait, et M. Somerville a dit qu'il trouvait alors un serrurier suppléant ou qu'il retenait occasionnellement les services d'un concurrent pour répondre aux besoins d'un client. Après les heures normales de travail, il n'y avait pas beaucoup d'appels de demande d'intervention d'urgence, mais, s'il y en avait, M. Bourget pouvait être contacté grâce à son téléphone portable ou son téléavertisseur et, s'il se rendait à un endroit et fournissait le service demandé, le montant exigé était généralement fixé selon un taux supérieur au taux applicable pour un travail semblable accompli pendant les heures normales. Le client choisissait généralement le type de serrure à installer, et le prix de la main-d'oeuvre était habituellement le même, sauf si du temps supplémentaire était nécessaire pour l'installation en cause. Si un travail était exécuté incorrectement, M. Bourget devait régler le problème à ses frais, mais, si le problème était attribuable à une serrure défectueuse, M. Somerville et M. Bourget s'entendaient sur un montant satisfaisant à verser à M. Bourget pour qu'il retourne sur place. Une fois un travail terminé, M. Bourget dressait la facture de Valley Locksmith; il en laissait une copie au client et, le même jour ou le lendemain, il laissait l'autre copie au magasin de l'appelant. Pour les services qu'il fournissait, M. Bourget présentait ses propres factures à toutes les deux semaines et il était payé régulièrement, sur cette base. M. Somerville reconnaissait qu'il aurait exercé le droit d'approuver le choix de M. Bourget quant à un remplaçant, mais il a dit que la question ne s'était jamais posée. Le matériel nécessaire au travailleur incluait une camionnette appartenant à Valley Locksmith qui avait été dotée d'étagères, d'armoires et d'une coûteuse machine à tailler les clés. Comme M. Bourget avait utilisé la camionnette à l'époque où il était un salarié, on avait convenu qu'il pouvait continuer à l'utiliser, car sa propre camionnette n'était pas équipée de façon semblable. M. Bourget utilisait en outre ses propres outils à main, y compris des scies, des perceuses et des outils spécialisés comme des crochets de serrurier, qui sont en général coûteux. M. Bourget et M. Somerville avaient convenu que chacun serait responsable de l'achat et de la réparation de ses propres outils. M. Somerville estimait à environ 16 000 $ la valeur de la camionnette et de l'équipement, lequel comprenait une source d'électricité et des convertisseurs de courant électrique. La camionnette était assurée par M. Somerville - faisant affaire sous la raison sociale Valley Locksmith - à un coût annuel de près de 1 000 $, et il y avait en outre une assurance-responsabilité pour les réclamations liées à des services fournis par l'intermédiaire de l'entreprise. M. Somerville fournissait aussi à M. Bourget des carnets de factures au nom de Valley Locksmith pour qu'il fasse les factures aux clients, mais le travailleur payait tous les frais relatifs à son téléphone portable et à son téléavertisseur. Les articles requis étaient livrés dans la camionnette dans une proportion d'au moins 95 p. 100, et une entente prévoyait que M. Bourget payerait tous les frais d'essence liés au fonctionnement de la camionnette, parce qu'il s'en servait aussi pour se rendre au travail et en revenir. Toutes les créances irrécouvrables concernant un service de Valley Locksmith fourni par M. Bourget étaient prises en charge par l'entreprise de l'appelant, ainsi que toutes les sommes relatives à une garantie portant sur la qualité d'un produit installé. M. Somerville a déclaré que, malgré le fait qu'il avait accepté de verser à M. Bourget une rémunération minimale de 80 $ par jour, il ne demandait jamais au travailleur de remplir d'autres tâches ou de fournir d'autres services. Conformément à l'entente qu'ils avaient conclue, l'appelant considérait que M. Bourget pouvait fournir ses services à d'autres - comme il l'avait fait notamment quand il avait changé les serrures dans un immeuble d'habitation - ce qui servait à confirmer, dans l'esprit de l'appelant, la raison pour laquelle le travailleur avait voulu changer de statut pour être non plus un employé, mais un entrepreneur indépendant. Durant la période pertinente, une serrurière qualifiée travaillait également à Valley Locksmith, et cette travailleuse avait le statut d'employée. M. Somerville a déclaré que c'était seulement après avoir bien examiné la brochure de Revenu Canada et après en avoir rempli toutes les sections et avoir compilé les résultats que lui et son comptable avaient pu arriver à la conclusion que ce serait comme entrepreneur indépendant que M. Bourget fournirait ses services à l'entreprise de M. Somerville après le 31 mai 1999.

[4]      Lors du contre-interrogatoire, l'appelant, Alan Somerville, a reconnu que le revenu provenant du service de serrurerie à domicile était supérieur au revenu provenant des ventes et services en magasin. La serrurière exécutait également certains travaux ailleurs qu'au magasin, mais le plus gros de son travail était accompli au magasin de détail. L'appelant a déclaré que, pour exploiter Valley Locksmith, il détenait un permis particulier conformément à une loi provinciale. Chaque serrurier détenait un permis spécial et portait en outre une carte d'identité indiquant son nom et celui de son employeur. Avant le 31 mai 1999, a dit l'appelant, le travailleur était un employé de Valley Locksmith gagnant 15 $ l'heure, et les retenues à la source habituelles étaient faites sur ses chèques de paye. Par la suite, M. Bourget présentait à Fraser Valley Locksmith des factures - pièce A-2 - et la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) n'était pas incluse dans les montants indiqués dans ces factures, mais Valley Locksmith incluait la TPS et la taxe de vente provinciale ( « TVP » ), s'il y avait lieu, dans les factures qu'elle faisait aux clients par l'intermédiaire de M. Bourget. L'appelant a expliqué que, à un moment donné dans leur relation de travail, M. Bourget avait envisagé de quitter Valley Locksmith et de travailler pour une autre entreprise de serrurerie, Bell Locksmith Ltd. ( « Bell Locksmith » ), exploitée par l'ancien associé de M. Somerville, où il avait travaillé en 1997. M. Somerville a déclaré qu'il avait vendu à l'autre actionnaire, M. Harder, les actions qu'il détenait dans cette société et qu'il avait ensuite lancé Valley Locksmith à titre de propriétaire unique. En fin de compte, M. Bourget n'a travaillé pour l'entreprise de M. Harder que pendant une partie d'une journée, et M. Somerville voulait que M. Bourget continue à travailler comme serrurier pour Valley Locksmith. Avant le 31 mai 1999, M. Bourget était payé à un taux différent pour s'occuper du service à domicile après les heures normales de travail. L'appelant a déclaré que, au cours de cette période précédente, le travailleur devait accomplir des travaux selon les directives, mais avait le droit de refuser d'exécuter un travail après les heures normales, auquel cas un autre serrurier était contacté pour faire le travail. M. Somerville reconnaissait qu'il y avait certains taux fixes pour les services, par exemple le taux de 45 $ demandé pour changer une serrure résidentielle ou pour aller déverrouiller une voiture, et que ces taux étaient établis par une association de serruriers dont faisait partie Valley Locksmith. L'appelant a déclaré que le travailleur pouvait consacrer à un travail autant de temps que nécessaire et pouvait fixer un taux horaire à demander à un client, puis remettre une facture en conséquence. M. Somerville a dit que, un soir, il était allé d'urgence à un endroit et avait essayé de régler le problème, mais avait dû envoyer M. Bourget à cet endroit le lendemain pour qu'il finisse le travail de façon satisfaisante. Vu la diversité du travail à exécuter, le taux horaire demandé au client était sujet à modifications. Autant que possible, on faisait en sorte que ce soit M. Bourget qui reçoive les appels de service après les heures normales ainsi que les appels d'urgence, et ce, sur son téléphone portable, mais, s'il n'était pas disponible, M. Somerville recevait ces appels et essayait de s'organiser pour que le travail puisse être accompli le lendemain, lorsque M. Bourget pourrait se rendre sur place. Avant le 31 mai 1999, le travailleur n'était pas autorisé à travailler pour d'autres, mais il pouvait refuser de faire un travail pour une raison valable; par exemple, il pouvait refuser de déverrouiller une voiture à une personne en état d'ivresse. M. Somerville a expliqué que tous les serruriers, indépendamment de leur statut comme travailleurs, doivent prendre des décisions sur place quant aux méthodes à utiliser pour fournir le service nécessaire. M. Somerville reconnaissait qu'il avait congédié M. Bourget le 7 avril 2000 - avant que, en juin 2000, l'entreprise ne soit vendue - et il a reconnu qu'un travailleur à temps partiel embauché en avril 2000 peut avoir également accompli certains travaux à domicile. M. Somerville a déclaré qu'il n'avait jamais reçu de factures sur le papier à en-tête de Guardian Locksmith au titre des services de M. Bourget avant le 31 mai 1999.

[5]      Lors du réinterrogatoire, M. Somerville a dit que le travailleur était tenu de porter la carte d'identité d'employé de sécurité fournie par Valley Locksmith parce qu'il était considéré comme un employé. L'appelant a expliqué que, si M. Bourget avait été considéré comme un travailleur indépendant, il lui aurait fallu avoir un permis de sécurité, ce qui aurait représenté des frais annuels de 500 $. Le permis détenu par Valley Locksmith avait été délivré par le ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique et permettait à M. Somerville, par l'intermédiaire de son entreprise, d'exploiter une entreprise de serrurerie, mais il devait embaucher un serrurier autorisé, et il y avait aussi une serrurière autorisée, qui travaillait surtout au magasin. Quand il établissait des factures à l'intention de Valley Locksmith, le travailleur ne faisait pas payer de TPS, mais, de l'avis de M. Somerville, il n'avait pas à en faire payer puisque ses ventes annuelles étaient inférieures à 30 000 $.

[6]      Mark Bourget a témoigné qu'il habite à Langley (Colombie-Britannique) et qu'il est actuellement employé comme serrurier autorisé. Il a terminé son cours collégial de 30 semaines, comportant des travaux pratiques, au début de 1995. Pendant l'exécution de ces travaux pratiques, il avait trouvé deux entreprises de serrurerie qui étaient disposées à l'embaucher comme bénévole dans le contexte du programme d'études et, en 1996, il avait commencé à travailler pour une entreprise de serrurerie de Vancouver. Après une période de supervision de deux ans, il avait reçu son permis d'employé de sécurité, dont une photocopie est reproduite sur la première des deux feuilles déposées ensemble sous la cote R-1. En plus de ce permis, il fallait une carte d'identité indiquant le nom de l'entité dûment autorisée qui fournissait le service. M. Bourget a déclaré que, en août 1997, il était allé travailler pour Bell Locksmith, entreprise exploitée par M. Somerville et M. Harder, et qu'il y avait travaillé jusqu'à ce que ces derniers se séparent, après quoi il était allé travailler comme employé pour M. Somerville, faisant affaire sous la raison sociale Valley Locksmith. Jusqu'au 31 mai 1999, il était payé au taux de 15 $ l'heure et recevait 60 p. 100 du prix de la main-d'oeuvre facturé à un client pour le travail accompli après les heures normales de travail. Il a reconnu qu'il pouvait refuser du travail s'il était par ailleurs occupé, mais il a dit qu'il le faisait rarement. Les appels des clients étaient reçus par M. Somerville, qui fixait les taux à demander pour les services, mais M. Bourget a déclaré qu'il faisait parfois un prix aux clients selon la façon dont il comprenait la situation et selon la nature du travail à accomplir. La serrurière était également une employée de Valley Locksmith, mais, à la connaissance de M. Bourget, elle n'accomplissait jamais de travail relatif au service à domicile. M. Bourget a dit que, au printemps 1999, M. Somerville s'était adressé à lui pour qu'il achète Valley Locksmith. M. Bourget avait alors commencé à examiner diverses questions, y compris le financement et l'évaluation des stocks; certains documents avaient été établis et des mesures avaient été prises en vue de conclure l'opération d'achat-vente, lesquelles mesures comprenaient l'enregistrement du nom commercial « Guardian Locksmith » devant être utilisé dans l'exploitation de sa propre entreprise. Il avait fini par décider de ne pas acheter l'entreprise de M. Somerville et, face à une réduction du travail qui lui était disponible, il s'était adressé à M. Somerville pour discuter d'un nouvel arrangement de travail, que l'appelant a accepté et qui est entré en vigueur le 31 mai 1999. M. Bourget a déclaré que, après cette date-là, il était en droit de recevoir 50 p. 100 du revenu attribuable au prix de la main-d'oeuvre facturé pour le service à domicile, laquelle proportion passait à 60 p. 100 dans le cas de travaux accomplis après les heures normales de travail. Il se rendait au magasin de Valley Locksmith, qui était à 45 minutes de voiture de chez lui, pour déterminer la nature du travail devant être exécuté, car il y avait toujours au moins un travail qui l'attendait. Ultérieurement en 1999, M. Somerville avait accepté de verser à M. Bourget une somme garantie de 80 $ par jour, mais la somme obtenue grâce au partage du revenu attribuable au prix de la main-d'oeuvre dépassait presque toujours ce montant, quoique les factures 016 à 020, inclusivement, figurant dans la pièce A-2 contiennent de nombreuses inscriptions faisant état de journées facturées au taux minimal garanti. Les factures que M. Bourget présentait à toutes les deux semaines pour se faire payer étaient des factures sur le papier à en-tête de Guardian Locksmith que M. Bourget avait fait imprimer en vue d'exploiter sa propre entreprise sous ce nom. M. Bourget a déclaré qu'il n'avait jamais détenu de permis de sécurité à son nom ou sous la raison sociale Guardian Locksmith et que, tout au long de sa relation de travail avec M. Somerville, il avait toujours porté la carte d'identité indiquant qu'il était un employé de Valley Locksmith. M. Bourget a dit que, après deux ans de travail comme serrurier, il avait fini par recevoir un permis n'indiquant plus qu'il était un « serrurier travaillant sous supervision » et indiquant plutôt qu'il était un serrurier pleinement qualifié. Ses dernières factures - 025 et 026 - avaient été envoyées à « Bell Lock » , à la même adresse que Valley Locksmith, car sa relation avec M. Somerville s'était détériorée lorsque, le jour précédent, il avait remarqué que M. Somerville avait un nouveau serrurier qui travaillait dans le magasin. M. Bourget a dit que, le 7 avril 2000, il avait été informé par M. Somerville que leur relation de travail était terminée, après quoi il avait sorti ses outils de la camionnette et était parti. M. Bourget a déclaré qu'après que, le 31 mai 1999, les nouveaux arrangements eurent été conclus, il payait les frais d'essence - de 10 $ par jour en moyenne - pour l'utilisation de la camionnette appartenant à Valley Locksmith et que, même avant l'introduction du minimum garanti de 80 $ par jour en septembre 1999, il n'aurait guère pu perdre de l'argent, car ses dépenses totales n'étaient que de 22,50 $ par jour et il n'avait qu'à facturer 45 $ en main-d'oeuvre pour que sa part de 50 p. 100 couvre ses dépenses. M. Bourget a dit que, à un moment donné en novembre 1999, il avait travaillé un jour pour l'entreprise exploitée par M. Harder et qu'il avait donné à M. Somerville un préavis de deux semaines quant à son intention de partir, mais que M. Somerville l'avait exhorté à rester. M. Bourget a déclaré que, pendant la période pertinente, il avait exécuté un travail pour une autre entité, ce qui lui avait pris environ trois heures, et que M. Somerville était au courant de cela.

[7]      Lors du contre-interrogatoire auquel il a été soumis par le représentant de l'appelant, Mark Bourget a déclaré que le cours collégial de serrurerie lui avait coûté environ 5 000 $. Il a reconnu que, après le 31 mai 1999, les chèques qu'il recevait de Valley Locksmith en paiement de services rendus n'indiquaient plus de retenues à la source. Il a en outre reconnu que les frais d'essence relatifs au fonctionnement de la camionnette représentaient entre 2 500 $ et 3 000 $ par année. M. Bourget estimait que ses outils valaient entre 3 000 $ et 4 000 $; la plupart avaient été achetés à l'époque où il suivait son cours, tandis que d'autres avaient été ajoutés de temps en temps, selon les besoins. La nouvelle relation de travail avait été conclue parce que les affaires tournaient au ralenti et que M. Bourget considérait qu'il était juste envers M. Somerville de passer à un arrangement dans le cadre duquel ils partageraient les revenus générés par son travail. Ce dernier a reconnu que, conformément aux nouvelles modalités de paiement, il pouvait gagner plus qu'avant, c'est-à-dire plus que 120 $ par jour selon un taux de 15 $ l'heure pour une journée de huit heures, ou qu'il pouvait gagner moins, de sorte que ces nouvelles modalités relatives à la rémunération de ses services comportaient un risque. Quoique de nombreux travaux aient été facturés selon un tarif fixe, M. Bourget a reconnu que certains travaux étaient facturés en fonction de la complexité, mais que, même dans ces cas-là, le montant de la facture faite au client était basé sur un prix de main-d'oeuvre de 60 $ l'heure établi par Valley Locksmith. Par ailleurs, quand il fournissait des services pour Valley Locksmith, il n'avait pas à payer de frais de caution. Il a reconnu qu'il avait accompli certains travaux, à la demande de sa mère, concernant un immeuble d'habitation et qu'il avait en outre fourni certains services à une autre entreprise en échange de produits. Malgré le fait que M. Somerville n'insistait pas pour qu'il se présente à Valley Locksmith chaque jour, M. Bourget a déclaré qu'il ne faisait jamais payer le minimum de 80 $ s'il ne s'était pas effectivement rendu au magasin cette journée-là. M. Bourget a renvoyé à une lettre en date du 11 mai 2000 - pièce R-2 - qu'il avait reçue du titulaire du poste appelé Licensing Supervisor ( « chef d'équipe du groupe des permis » ) du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique et dans laquelle on lui demandait de rendre le permis d'employé de sécurité parce qu'il n'était plus employé par (Fraser) Valley Locksmith et que, en vertu de l'article 12 de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Private Investigators and Security Agencies Act (Loi sur les enquêteurs privés et les agences de sécurité, « Security Act » ), [RSBC 1996] ch. 374, ledit permis et la carte d'identité devaient être immédiatement remis à son employeur. M. Bourget a déclaré qu'il s'était conformé à la demande formulée dans cette lettre, qu'il avait renvoyé son permis au chef d'équipe en question et que, quand il avait trouvé un nouvel emploi, il avait demandé et reçu un nouveau permis.

[8]      Le représentant de l'appelant, Ken Paterson, C.A., soutenait que la preuve indiquait que, après le 31 mai 1999, l'appelant et M. Bourget avaient participé à une coentreprise. En exécutant des travaux pour d'autres personnes ou pour des entités autres que Valley Locksmith, M. Bourget peut avoir enfreint l'article 3 de la Security Act, mais cette loi avait pour objet de protéger le public en réglementant le secteur de la sécurité et de la serrurerie et non pas de régir la relation entre les payeurs et les travailleurs oeuvrant dans ce domaine d'activité. M. Paterson soutenait que, sur la foi de l'ensemble de la preuve, le cas de l'appelant était conforme à la jurisprudence et que l'application des divers critères indiquait clairement que M. Bourget avait fourni des services à l'appelant comme entrepreneur indépendant travaillant à son compte.

[9]      L'avocat de l'intimé soutenait qu'un degré important de contrôle était exercé sur le travailleur, car M. Bourget était tenu de porter en tout temps une carte d'identité certifiant qu'il travaillait pour l'entreprise de l'appelant, laquelle avait de son côté été tenue d'obtenir un permis spécial de sécurité conformément à certaines dispositions d'une loi provinciale. L'avocat faisait remarquer que, même avant le 31 mai 1999, M. Bourget et M. Somerville partageaient les revenus relatifs aux travaux accomplis après les heures de travail normales. À un moment donné après le 31 mai 1999, le travailleur recevait de l'appelant un minimum garanti de 80 $ par jour et il n'a jamais eu de véritable risque de perte. Les principaux instruments de travail étaient la camionnette et l'équipement spécial qui appartenaient à l'appelant et qui valaient cher; en outre, le travailleur utilisait des outils de nature personnelle qu'il avait pour la plupart obtenus à l'époque où il suivait son cours. L'avocat soutenait que la preuve établissait clairement que M. Bourget n'avait jamais été à son compte durant la période pertinente et qu'il avait toujours été tributaire de l'entreprise de l'appelant pour ce qui était de la production de revenus et pour ce qui était du droit effectif de fournir des services comme serrurier en vertu du permis spécial détenu par Valley Locksmith.

[10]     Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, [1986] 2 C.T.C. 200, la Cour d'appel fédérale a approuvé le fait d'assujettir la preuve aux critères suivants, en disant bien que ces critères doivent être considérés comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut l'appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments entrant dans le cadre des opérations. Les critères sont les suivants :

1. le contrôle;

2. la propriété des instruments de travail;

3. les chances de bénéfice et les risques de perte;

4. l'intégration.

Contrôle

[11]     La preuve démontrait que le travailleur était un serrurier qualifié, capable de travailler seul, sans supervision. L'appelant n'était pas suffisamment qualifié ou expérimenté pour contrôler la qualité des travaux accomplis par le travailleur. Toutefois, le travailleur effectuait le travail attribué par M. Somerville, s'acquittait de ses fonctions et présentait des factures de Valley Locksmith aux clients conformément à des taux fixés par l'appelant. Le travailleur pouvait travailler à son propre rythme, en se servant de son jugement, et n'était pas tenu de se présenter chaque jour à Valley Locksmith pour avoir droit au paiement minimal de 80 $ par jour.

Instruments de travail

[12]     Les outils utilisés par le travailleur étaient ses propres outils, évalués à environ 4 000 $, mais il n'est pas inhabituel que des hommes de métier qualifiés soient propriétaires d'outils à main qu'ils ont personnellement choisis selon ce qu'ils préféraient. Dans le présent appel, le principal instrument de travail lié à la production de revenus était la camionnette de Valley Locksmith, qui était dotée d'étagères et dans laquelle il y avait les éléments d'inventaire et la machine à tailler les clés nécessaires pour la prestation du service à domicile. Exception faite des frais d'essence, l'appelant était responsable des coûts liés à l'utilisation du véhicule dans le cadre de l'entreprise. Le travailleur était propriétaire d'un téléphone portable et d'un téléavertisseur qu'il avait lui-même payés, mais c'était son choix personnel et non une exigence qui lui avait été imposée par l'appelant.

Chances de bénéfice et risques de perte

[13]     Après le 31 mai 1999, le travailleur et l'appelant avaient convenu de partager le revenu provenant du travail accompli par le travailleur. M. Bourget avait normalement droit à 50 p. 100 de ce revenu, mais, s'il avait gagné de l'argent après les heures normales de travail, il avait droit à 60 p. 100 du prix de la main-d'oeuvre. Ultérieurement - probablement en septembre 1999 - les parties avaient convenu que le travailleur recevrait un paiement minimal de 80 $ par jour, que du travail ait été accompli ou non. Le travailleur n'était pas tenu de fournir d'autres services pour obtenir ledit paiement, mais il choisissait de ne pas faire payer ce montant garanti s'il ne s'était pas effectivement présenté au magasin. Le travailleur payait les frais d'essence relatifs à la camionnette, mais il avait accepté cela parce qu'il pouvait utiliser le véhicule pour aller au travail et en revenir, de même que pour ses besoins personnels. Bien qu'il y ait eu des cas après le 31 mai 1999 où le travailleur a tiré moins d'argent du nouveau mode de paiement fondé sur un partage des revenus que ce qu'il aurait gagné selon le taux horaire qu'il avait quand il était considéré comme un employé, tel n'est pas le critère qu'il convient d'appliquer concernant les chances de bénéfice et les risques de perte. Le travailleur a concédé que, même avant la mise en oeuvre du paiement minimal garanti de 80 $ par jour, il lui suffisait de générer des revenus de 45 $ par jour pour que sa part de 50 p. 100 couvre ses frais quotidiens relatifs à l'exécution de son travail. Toutes les garanties relatives aux produits étaient la responsabilité de l'appelant, et le travailleur était remboursé conformément à une entente entre lui et l'appelant, au cas par cas, s'il devait retourner à un endroit à cause d'un problème attribuable à du matériel défectueux plutôt qu'à l'exécution de son travail. Quand il n'avait pas à accomplir une tâche pour Valley Locksmith, le travailleur avait le droit d'exécuter des travaux pour d'autres, selon l'appelant, mais il ne l'a fait qu'en deux occasions, une fois dans le cadre d'arrangements pris par sa mère et, l'autre fois, quand il a fourni un service en échange de certains produits. Les coûts du cautionnement et de l'assurance-responsabilité étaient payés par Valley Locksmith, ainsi que les coûts - autres que les frais d'essence - relatifs à la camionnette.

Intégration

[14]     Ce critère est l'un des plus difficiles à appliquer. Aux pages 563 et 564 (C.T.C. : à la page 206) de ses motifs du jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge d'appel MacGuigan disait :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[15]     Dans une décision récente, 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 274 N.R. 366, la Cour suprême du Canada a traité d'un cas de responsabilité du fait d'autrui et, au cours de l'examen de diverses questions pertinentes, elle a également dû se pencher sur la question de savoir ce qui fait qu'une personne est un entrepreneur indépendant. Une analyse de la décision de la Cour suprême du Canada sur cette dernière question a été faite par Joel Nitikman, un associé dans le cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c., de Vancouver (Colombie-Britannique). Dans un article intitulé 671122 Ontario Ltd. v. Sagaz Industries Canada Inc.: Employee vs. Independent Contractor, publié dans Canadian Current Tax, décembre 2001, volume 12, no 3, à la p. 30, Me Nitikman a traité de l'évolution de la jurisprudence dans ce domaine et a notamment traité de l'arrêt Wiebe, précité, qui a suivi la décision du Conseil privé dans Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161 (C.P.), aux pp. 169 et 170, confirmant [1945] 4 D.L.R. 225 (C.S.C.). À la p. 31, Me Nitikman écrit :

[TRADUCTION]

La Cour suprême du Canada a suivi l'arrêt Montreal Locomotive, notamment les quatre facteurs cités par lord Wright, dans une affaire comportant des faits presque identiques, Regina Industries Ltd. v. Regina (City). Dans une cause plus récente, qui concernait non pas la question « employé ou entrepreneur » , mais une question s'apparentant à ce qu'il en était dans les affaires Montreal Locomotive et Regina Industries, la Cour suprême du Canada a dit au sujet de ces deux dernières affaires qu'il s'agissait simplement de cas « très spéciaux » relatifs à des questions constitutionnelles. Cela permettait d'entrevoir la possibilité que, dans un arrêt ultérieur, la Cour suprême du Canada puisse infirmer le critère comprenant quatre facteurs qui a été énoncé dans l'arrêt Montreal Locomotive.

Quoiqu'il ait été dit que ceci s'appliquait seulement dans certains cas, l'élément essentiel du critère énoncé dans l'affaire Montreal Locomotive et adopté dans l'affaire Wiebe tenait à la question suivante : à qui appartient l'entreprise? En travaillant pour le payeur, le travailleur exploite-t-il sa propre entreprise, ou fait-il simplement partie de l'entreprise du payeur? Il y a eu de nombreuses causes dans lesquelles les tribunaux sont passés à côté de cette question essentielle et se sont concentrés sur les quatre facteurs comme s'il s'agissait d'un critère en soi, mais il est clair qu'il s'agit (ou devrait s'agir) simplement de facteurs pouvant être utilisés pour répondre à la question sous-jacente : à qui appartient l'entreprise?

Cela a été confirmé dans l'affaire Geophysical Engineering Limited v. The Minister of National Revenue. La question était de savoir si un prospecteur minier travaillait comme employé ou comme entrepreneur pour un consortium minier. La Cour d'appel a statué que le prospecteur n'était pas un employé et elle a fait référence, en l'approuvant, au jugement Market Investigations, qui a ensuite été suivi par l'arrêt-clé Wiebe Door. En appel, la Cour suprême a maintenu cette décision et a entièrement adopté le jugement de la Cour d'appel. Dans cette affaire, la Cour suprême a, à mon avis, confirmé l'utilisation de Market Investigations en tant que jugement établissant le principal critère pour déterminer si quelqu'un est un employé ou un entrepreneur.

Outre les quatre facteurs énoncés dans Montreal Locomotive, on dit très souvent que la question de l' « intégration » est un facteur important, c'est-à-dire la question de savoir si le travailleur est intégré à l'entreprise du payeur. Il est toutefois clair que ce facteur n'est pas simplement un élément à prendre en compte, mais représente en fait toute la question : si le travailleur est intégré à l'entreprise du payeur, il n'est pas à son compte. En répondant à cette question, les tribunaux ont établi clairement qu'elle doit être examinée du point de vue du travailleur plutôt que de celui du payeur, parce qu'évidemment, du point de vue du payeur, toutes les personnes qu'il embauche sont embauchées aux fins de son entreprise. Encore là, la question se résume donc à ceci : du point de vue du travailleur, ce dernier est-il à son compte ou fait-il simplement partie de l'entreprise de quelqu'un d'autre?

L'affaire 671122

La Cour suprême a confirmé cette analyse dans l'affaire 671122. En bref, la question était de savoir si, en matière délictuelle, une société était responsable des actions d'une autre personne. La Cour a déterminé que cette question dépendait de la question de savoir si cette autre personne était un employé de la société ou un entrepreneur. La Cour a ensuite traité du critère à utiliser pour déterminer cela. Il semble clair d'après le passage suivant que la Cour considérait ce cas comme applicable non seulement en matière délictuelle, mais même en matière fiscale ou autre :

Les tribunaux ont établi divers critères pour aider à décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est utile non seulement en matière de responsabilité du fait d'autrui mais aussi lorsqu'il s'agit d'appliquer diverses lois sur l'emploi, de déterminer si une action pour congédiement injustifié peut être intentée, d'établir des cotisations en matière d'impôt sur le revenu ou de taxe d'affaires, de dresser l'ordre de collocation dans le cas où un employeur devient insolvable ou d'appliquer des droits contractuels [...]. Il s'ensuit qu'une bonne partie des décisions en la matière ne sont pas moins utiles du fait qu'elles n'ont pas été rendues dans le contexte de la responsabilité du fait d'autrui.

Après avoir examiné le pour et le contre concernant le critère initial du « contrôle » , le critère ultérieur comprenant « quatre facteurs » et le critère de l' « intégration » , la Cour a fini par statuer que, fondamentalement, le critère clé est celui qui a été énoncé dans l'affaire Market Investigations [...] : « à qui appartient l'entreprise? » :

Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan [dans Wiebe] que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations [...] est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

Ainsi, il est maintenant clair que, quand il s'agit de trancher la question de savoir si une personne était un employé ou un entrepreneur, les facteurs habituels cités sont non pas des critères en soi, mais simplement des éléments de preuve auxquels on peut accorder plus ou moins de poids dans une situation particulière pour déterminer si le travailleur fait simplement partie de l'entreprise du payeur ou s'il travaille réellement à son compte. [Notes de bas de page omises]

[16]     Si la question cruciale est de savoir si la personne embauchée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte, les autres facteurs ou critères mentionnés dans l'affaire Wiebe, précitée, conservent leur valeur et leur pertinence en tant qu'éléments faisant partie intégrante du processus global consistant à déterminer le statut du travailleur. J'aurais toutefois tendance à souscrire à l'opinion de Me Nitikman selon laquelle les divers facteurs ont été libérés du cadre strict des anciennes catégories, bien que, dans l'arrêt Wiebe, la Cour d'appel fédérale ait clairement dit que les critères devaient être utilisés comme un seul critère composé de quatre parties intégrantes plutôt que comme une simple compilation arithmétique de facteurs positifs, de facteurs négatifs et de facteurs neutres. À mon avis, il y a maintenant une distinction entre le fait de considérer les divers facteurs comme des moyens à utiliser pour déterminer l'ultime question du statut - la question cruciale - et l'ancienne procédure habituelle consistant à accorder au facteur d'intégration la même importance qu'aux autres critères. Il semble que, au pire, le facteur d'intégration devrait maintenant occuper la position de primus inter pares (le premier entre ses égaux) et que, au mieux, il pourrait être considéré comme égal aux autres critères uniquement dans un contexte à la Orwell dans lequel il est accepté que, bien que tous les facteurs doivent être considérés comme égaux, certains sont manifestement plus égaux que d'autres. Pour déterminer si une personne travaille à son compte, les critères concernant le contrôle, l'utilisation des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte semblent maintenant faire partie du processus d'examen, d'analyse, de réduction et d'épuration qu'il faut utiliser pour répondre à cette question, et l'ancien critère d'intégration doit être considéré comme le produit de cette distillation au terme de laquelle le véritable statut du fournisseur de services finit par être déterminé.

[17]     Dans le présent appel, quand on pose la question de savoir à qui appartient l'entreprise, il faut aussi examiner la nature du travail accompli dans le contexte des dispositions sur les permis régissant le travailleur et l'appelant en tant que personnes fournissant des services dans le domaine de la sécurité. Précédemment, le travailleur avait été un employé de la société Bell Locksmith, dont M. Somerville avait été un actionnaire. M. Bourget avait ensuite choisi de suivre M. Somerville dans la nouvelle entreprise, Valley Locksmith, et y avait travaillé comme employé jusqu'au 31 mai 1999. À ce stade-là, le travailleur et M. Somerville avaient décidé de modifier la structure de leur relation de travail, et l'appelant avait pris soin dans une certaine mesure de déterminer le statut probable de M. Bourget selon leur nouvelle relation. Après avoir fait ses devoirs et rempli le questionnaire de la brochure de Revenu Canada (pièce A-1), l'appelant considérait que M. Bourget fournirait des services à Valley Locksmith comme entrepreneur. M. Bourget présentait des factures à Valley Locksmith à toutes les deux semaines et utilisait le papier à en-tête de « Guardian Locksmith » , raison sociale qu'il avait fait enregistrer quand il avait envisagé d'acheter à l'appelant l'entreprise de serrurerie. Les locaux appartenaient à M. Somerville, tout comme l'entreprise comprenant le magasin de détail, où travaillait une serrurière, et le service à domicile, aux fins duquel on utilisait une camionnette munie de tout le matériel nécessaire, y compris l'équipement pour tailler les clés. Les appels de clients étaient acheminés au numéro de téléphone de Valley Locksmith figurant dans l'annuaire et étaient, après les heures normales de travail, automatiquement transmis au téléphone portable ou au téléavertisseur du travailleur. L'appelant, par l'intermédiaire de Valley Locksmith, faisait partie d'une association commerciale et, en tant que membre, se conformait à une structure tarifaire générale devant être appliquée dans la plupart des situations. Le travailleur, bien qu'ayant droit à un partage des revenus générés grâce à ses propres efforts, ne recevait aucune part de la vente de serrures, pièces ou autres dispositifs utilisés pour une installation dans un local résidentiel ou commercial. Un point important à considérer est le type de permis délivré au cours de la période pertinente concernant à la fois le travailleur et l'appelant. La nature du permis d'employé de sécurité (pièce R-1) détenu par M. Bourget était telle que M. Bourget ne pouvait exercer le métier de serrurier s'il n'avait pas aussi une carte valide d'identité d'employé de sécurité (deuxième page de la pièce R-1) délivrée par une entreprise de sécurité ayant un permis d'exploitation. L'appelant, faisant affaire sous le nom de Valley Locksmith, détenait un tel permis, à l'égard duquel il payait des frais annuels de 500 $. Lorsqu'il a été mis un terme à la relation de travail, le chef d'équipe du groupe des permis du ministère du Procureur général a, par voie de lettre (pièce R-2), exigé que M. Bourget rende le permis d'employé de sécurité parce qu'il ne travaillait plus pour l'entreprise de sécurité autorisée de l'appelant. Je conviens avec le représentant de l'appelant que la loi provinciale pertinente n'était pas conçue en vue de régir des relations de travail, mais il demeure important de reconnaître que la capacité de M. Bourget de gagner un revenu comme serrurier - durant la période pertinente où il était encore assujetti à une supervision - dépendait totalement de son statut d'employé de Valley Locksmith. Le travailleur n'avait pas le permis nécessaire pour exploiter sa propre entreprise à ce stade dans sa carrière. Une personne ne devient pas un entrepreneur simplement parce qu'elle a conclu un arrangement prévoyant une rétribution basée sur un partage des revenus, avec ou sans garantie de paiement minimal quotidien.

[18]     Le présent appel illustre les difficultés auxquelles se heurtent des particuliers cherchant à définir la nature de leur relation de travail. Souvent, les problèmes se posent parce que les parties ne comprennent pas qu'elles ne peuvent, par consentement, s'attribuer simplement un statut destiné à régir leur relation de travail future. Dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992, 147 N.R. 238, le juge Stone a dit, à la page 2 (N.R. : aux pages 239 et 240) :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[19]     Le présent appel concernait la même question qu'avait examinée un préposé aux décisions qui avait déterminé que le travailleur avait le statut d'un employé. Cette décision avait ensuite été confirmée par le ministre, qui avait communiqué sa propre décision à l'appelant. Au départ, l'appelant et son représentant, un comptable agréé, avaient pris le temps de remplir le questionnaire contenu dans la brochure, puis avaient procédé à une espèce de compilation globale pour arriver à la conclusion que, en définitive, M. Bourget était un entrepreneur indépendant. Je les félicite de leurs efforts. Comme on le dit souvent dans ce genre de causes, il n'y a pas de solution facile, et les distinctions sont souvent extrêmement subtiles. Il arrive que les parties fassent erreur dès le départ quant au statut pertinent du travailleur fournissant le service. Il arrive aussi que les parties aient cherché de bonne foi à modifier une relation existante dans l'intention de faire en sorte que les rouages du nouveau régime modifient l'ancien statut du travailleur. Avec le temps, l'intention initiale quant à cette soi-disant nouvelle relation peut subsister, mais la véritable structure sous-jacente - observée dans le cadre normal des opérations de l'entreprise - peut demeurer essentiellement inchangée, comme cela a été le cas en l'espèce. Malgré une certaine modification de la structure de rémunération et des conditions de travail, c'était encore l'entreprise de l'appelant, et le travailleur fournissait des services à cette entreprise conformément à un contrat de louage de services.

[20]     En tenant compte de l'ensemble de la preuve et en appliquant la jurisprudence pertinente, j'ai conclu que la décision du ministre était exacte, et l'appel est par les présents motifs rejeté. Conformément à ce dont les parties avaient convenu au début, l'appel 2001-1422(CPP) est également rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 25e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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