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Dossier : 2002-467(IT)G

ENTRE :

EASTERN SUCCESS CO. LTD., EN SA QUALITÉ

DE FIDUCIAIRE DE LA EASTER LAW TRUST,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 août 2004, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Max J. Weder

Avocate de l'intimée :

Me Susan Wong

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 15 août 2000 et porte le numéro NRH813756, est accueilli, et la cotisation est annulée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« M. A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de janvier 2006.

Mario Lagacé, réviseur


Référence : 2004CCI689

Date : 20041015

Dossier : 2002-467(IT)G

ENTRE :

EASTERN SUCCESS CO. LTD., EN SA QUALITÉ

DE FIDUCIAIRE DE LA EASTER LAW TRUST,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan

[1]      La partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) prévoit l'application de l'impôt aux personnes non-résidentes pour certains types de revenu (p. ex. les intérêts, les loyers, les redevances, les frais d'administration, etc.) qu'elles reçoivent de personnes résidant au Canada. Les mots clés du paragraphe 212(1) sont les suivants :

212(1) Toute personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel :

            a)          [...]

S'ensuit une liste d'environ 20 différents types de revenu assujetti à l'impôt de la partie XIII. Pour que l'impôt soit perçu, la personne qui réside au Canada et qui paie le revenu (au non-résident) doit le retenir et le remettre :

215(1) La personne qui verse, crédite ou fournit une somme sur laquelle un impôt sur le revenu est exigible en vertu de la présente partie [...], ou qui est réputée avoir versé, crédité ou fourni une telle somme, doit, malgré toute disposition contraire d'une convention ou d'une loi, en déduire ou en retenir l'impôt applicable et le remettre sans délai au receveur général au nom de la personne non-résidente, à valoir sur l'impôt, et l'accompagner d'un état selon le formulaire prescrit.

[2]      Le 1er mars 1997, l'appelante a payé un montant total d'intérêts de 3 430 899 $ à une société non résidente du Canada. Le ministre du Revenu national a conclu qu'une partie (soit 2 421 059 $) de ce montant d'intérêts était assujettie à l'impôt de la partie XIII. Il a donc appliqué un impôt de 25 %, soit 605 264,75 $, à cette partie. La cotisation a été établie à l'égard de l'appelante pour avoir omis de retenir et de remettre l'impôt applicable malgré le paragraphe 215(1). L'appelante a interjeté appel de la cotisation. La seule question en litige est de savoir si l'appelante (compte tenu de toutes les circonstances en l'espèce) devait retenir et remettre l'impôt de 25 %, soit 605 264,75 $, qui a été établi en vertu de la partie XIII.

[3]      Au début de l'audience, les avocats des deux parties ont produit un exposé conjoint des faits indiquant qu'ils n'appelleraient pas de témoins parce que tous les faits pertinents étaient présentés dans l'exposé conjoint des faits ou dans un recueil conjoint des documents. Par conséquent, le recueil conjoint des documents (contenant les onglets 1 à 11) a été présenté sous la cote 1, et l'exposé conjoint des faits (ECF) a été présenté sous la cote 2. Étant donné que l'ECF est bref, je vais le citer intégralement ici.

[TRADUCTION]

Exposé conjoint des faits

Pour les besoins du présent appel, les parties s'entendent sur les faits présentés dans cet exposé conjoint des faits. Les parties conviennent qu'elles peuvent présenter d'autres éléments de preuve, dans la mesure où ces éléments de preuve ne viennent pas contredire les faits suivants :

1.          Pour les besoins du présent exposé conjoint des faits, Eastern Success Company Ltd. sera désignée comme la « fiduciaire » , The Easter Law Trust sera désignée comme la « fiducie » et la fiduciaire et la fiducie seront désignés collectivement comme l' « appelante » .

2.          Pendant toute la période en cause, la fiduciaire était la fiduciaire de la fiducie et agissait au nom de la fiducie.

3.          Pendant toute la période en cause, la fiduciaire était une société résidant à Hong Kong et était une non-résidente du Canada.

4.          La fiducie est une non-résidente du Canada dont le seul bénéficiaire est la Society for the Promotion of Hospice Limited.

5.          Depuis le 5 décembre 1988, l'appelante mène des activités d'aménagement immobilier au Canada en coentreprise afin de construire et de vendre des immeubles résidentiels à Vancouver, en Colombie-Britannique (l' « entreprise immobilière » ). La coentreprise est un projet d'habitations condominiales appelé « Yacht Harbour Pointe » (la « coentreprise » ).

6.          Depuis au moins le 30 juin 1993, l'appelante détenait 63,25 % des intérêts de la coentreprise avec deux autres coentrepreneurs : HCH Land Co. Ltd. et Edivin Limited.

7.          Le 30 janvier 1992, dans le cadre de cette coentreprise, l'appelante a conclu une convention de prêt écrite avec Sparkling Tiara Limited (le « prêteur » ) pour emprunter de l'argent (la « convention » ).

8.          Le prêteur est une société constituée dans les îles Vierges britanniques et est un non-résident du Canada.

9.          La convention contenait une limite maximale d'emprunt qu'on appelle une « facilité de prêt » . La facilité de prêt, selon la convention, était de 6 000 000 $CAN.

10.        Selon la convention, l'appelante avait le droit d'utiliser la facilité de prêt dans le mois suivant la date de conclusion de la convention, et les intérêts s'accumuleraient sur le montant prélevé (le « prêt » ) au taux de 12 % [TRADUCTION] « pour la période allant de la date où le montant est prélevé à la date d'achèvement de la construction des immeubles condominiaux, et de 6 % par la suite, jusqu'à ce que le prêt soit remboursé en entier » .

11.        La convention a été modifiée par une lettre datée du 15 février 1992 (la « lettre de modification » ) dans le but d'augmenter le montant de la facilité de prêt à 7 000 000 $CAN et de faire passer la date d'échéance du prêt à deux ans après la date d'achèvement de la construction.

12.        La construction a été achevée en mars 1995.

13.        Les intérêts qui correspondaient à la période de construction de l'aménagement immobilier, et qui faisaient partie du coût des marchandises vendues de l'appelante, s'élevaient à 1 127 941 $ pour l'année d'imposition 1995 de l'appelante, à 937 508 $ pour son année d'imposition 1996, et à 355 610 $ pour son année d'imposition 1997.

14.        De 1988 à la date d'achèvement de la construction en mars 1995, des intérêts d'un montant de 2 850 637 $ se sont accumulés sur le prêt (les « intérêts de construction » ).

15.        Dans l'établissement de ses déclarations pour les années 1995, 1996 et 1997 conformément à la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu et dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada concernant l'entreprise immobilière, l'appelante a calculé ses bénéfices tirés de l'entreprise immobilière en fonction du fait qu'aucun montant n'était déductible en ce qui a trait aux intérêts, étant donné qu'ils étaient liés à la période de construction au sens où cette expression s'entend au paragraphe 18(3.1) de la Loi.

16.        Pendant la période de construction, les intérêts de construction ont été compris dans le coût des stocks par l'appelante pour les besoins de son bilan et du calcul de ses bénéfices, ainsi que conformément au paragraphe 18(3.1) de la Loi.

17.        Le 1er mars 1997, l'appelante a payé au prêteur 3 430 899 $ au titre des intérêts. Cette somme était constituée des intérêts de construction et des intérêts postérieurs à la construction.

18.        Des intérêts de construction, le montant de 2 421 059 $ a été finalement inclus par l'appelante dans les années 1995, 1996 et 1997 en tant que coût des marchandises vendues dans le calcul des bénéfices lorsque certaines des unités condominiales ont été vendues.

19.        Cette partie des intérêts de construction a été payée ou créditée au prêteur le 1er mars 1997.

20.        Par son avis de cotisation daté du 15 août 2000, le ministre du Revenu national a établi à l'égard de l'appelante un impôt de 605 264,75 $ (soit l'équivalent de 25 % de 2 421 059 $) et des intérêts de 204 533,42 $ en vertu de la partie XIII de la Loi pour les intérêts payés ou crédités par l'appelante au prêteur et pour avoir contrevenu à la partie XIII en omettant de retenir l'impôt sur ces paiements.

21.        Le ministre a établi la cotisation selon l'hypothèse que l'appelante pouvait déduire ces intérêts dans le calcul de son revenu et que, par conséquent, le montant était assujetti à l'impôt de la partie XIII en vertu des dispositions du paragraphe 212(13.2) de la Loi.

22.        Par son avis d'opposition daté du 31 octobre 2000, l'appelante s'est opposée à l'avis de cotisation.

23.        Par son avis de ratification daté du 8 novembre 2001, le ministre du Revenu national a ratifié son avis de cotisation.

[4]      L'ECF renvoie aux deux dispositions de la Loi qui entrent en jeu dans le règlement de cet appel. Le paragraphe 18(3.1) prévoit la capitalisation de certaines dépenses qui seraient par ailleurs déductibles pour l'année au cours de laquelle elles ont été engagées ou effectuées.

18(3.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a)          aucune déduction n'est faite à l'égard d'une dépense engagée ou effectuée par le contribuable [...] qu'il est raisonnable de considérer soit comme un coût attribuable à la période de construction, de rénovation ou de transformation d'un bâtiment par le contribuable [...] et lié à cette construction, rénovation ou transformation, soit comme un coût attribuable à cette période et lié à la propriété, pendant cette période, d'un fonds de terre qui :

(i)          soit est sous-jacent au bâtiment;

(ii)         [...]

b)          dans la mesure où il serait déductible par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, le montant d'une telle dépense est inclus dans le calcul du coût ou du coût en capital, selon le cas, du bâtiment pour le contribuable [...]

Le paragraphe 212(13.2) est particulier parce que, dans certains cas, il prévoit qu'une personne non résidente peut être une personne qui réside au Canada pour l'application de la partie XIII. Le ministre s'est appuyé sur les dispositions du paragraphe 212(13.2) pour déterminer que l'appelante était assujettie à l'impôt en application de la partie XIII.

212(13.2) Pour l'application de la présente partie, lorsque, au cours d'une année                               d'imposition, l'une des personnes suivantes paie ou crédite une somme [...] à une autre personne non-résidente, cette personne est réputée, à l'égard de la fraction de ce paiement qui était déductible dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition, être une personne qui réside au Canada :

a)          une personne non-résidente dont l'entreprise est exploitée principalement au Canada;

b)          [...]

[5]      En ce qui a trait aux conditions qui doivent être respectées pour l'application du paragraphe 212(13.2), les parties s'entendent pour dire que l'appelante était une personne non résidente pendant toute la période en cause (ECF, paragraphes 1, 2, 3 et 4). Également, dans son argumentation, l'avocat de l'appelante a admis que les activités de l'appelante étaient menées principalement au Canada. Finalement, les deux avocats ont convenu que l'interprétation du libellé cité ci-dessous, tiré de la dernière partie du paragraphe 212(13.2), est important pour ce qui est de rendre une décision concernant l'appel :

[...] à l'égard de la fraction de ce paiement qui était déductible dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition [...]

L'article 115 de la Loi contient des règles précises pour déterminer le revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition par une personne non-résidente.

[6]      L'ECF est éloquente, mais, au risque de commettre une erreur, je considère qu'il serait utile de reformuler certains faits dans un autre ordre afin de créer des liens plus directs avec les dispositions applicables de la Loi. Les renvois faits à des paragraphes précis désignent les paragraphes de l'ECF et non des présents motifs du jugement :

(i)       La convention de prêt conclue avec Sparkling Tiara est datée du 30 janvier 1992, et la construction des immeubles condominiaux « Yacht Harbour Pointe » a été achevée en mars 1995. (Paragraphes 5, 7 et 12)

(ii)       En vertu de la convention de prêt, des intérêts de 2 850 637 $ s'étaient accumulés jusqu'à la date d'achèvement de la construction en mars 1995. (Paragraphes 10 et 14)

(iii)      L'appelante a payé un total de 3 430 899 $ en intérêts le 1er mars 1997, mais, de ce montant, seulement 2 850 637 $ avaient été capitalisés au titre du coût des immeubles condominiaux en application du paragraphe 18(3.1) de la Loi. Aucune partie des 2 850 637 $ n'a été déduite à titre d'intérêt dans le calcul des revenus imposables gagnés par l'appelante au Canada pendant la période de construction. (Paragraphes 14, 15, 16 et 17)

(iv)      L'appelante a commencé à vendre des unités condominiales du complexe d'habitations en 1995 et a continué d'en vendre en 1996 et en 1997. Les parties conviennent que le montant de 2 421 059 $ est la partie calculée au prorata des intérêts de construction capitalisés (2 850 637 $) qui étaient liés aux unités réellement vendues au cours des années 1995, 1996 et 1997. (Paragraphes 13, 14 et 18)

(v)      La principale question en litige en l'espèce est de savoir si le montant de 2 421 059 $ était déductible dans le calcul du revenu imposable gagné au Canada par l'appelante pour une année d'imposition au sens du paragraphe 212(13.2) de la Loi. (Paragraphes 18, 19, 20 et 21)

Analyse

[7]      Je considère que les intérêts de construction (2 850 637 $) ont été « capitalisés » conformément à l'alinéa 18(3.1)b) parce qu'ils ont été inclus dans le calcul du coût du bâtiment qui, dans les circonstances de l'espèce, était un complexe d'immeubles condominiaux. Quand un montant d'intérêts (qui serait par ailleurs déductible dans le calcul du revenu en application de l'alinéa 20(1)c) de la Loi) est ainsi capitalisé, il perd sa nature « d'intérêt » et s'amalgame au coût général du bâtiment, comme le coût de la fondation en béton, du parement en briques, des fenêtres, du toit et de l'installation de chauffage. Chacun des éléments énumérés perd sa nature de béton, de brique ou de fenêtre, etc., et le coût total de tous les éléments semblables devient un coût des stocks quand le bâtiment devient un complexe d'immeubles condominiaux dont des unités sont à vendre.

[8]      Si on lie les faits convenus au libellé du paragraphe 212(13.2), l'appelante, en tant que non-résidente, a payé un montant de 3 430 899 $ à une autre personne non-résidente en 1997. Entre l'appelante (le payeur) et l'autre personne non-résidente (le bénéficiaire), le montant total représentait les intérêts. Voir le paragraphe 17. Est-ce qu'une partie (soit 2 421 059 $) de ce montant total était déductible dans le calcul du revenu imposable gagné au Canada par l'appelant pour une année d'imposition? En pratique, et sans tenir compte de la jurisprudence, je dirais que non, et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, il se peut que le montant de 2 421 059 $ ait été qualifié d'intérêts par le payeur et le bénéficiaire, parce qu'il faisait partie d'un montant plus important (3 430 899 $) que chacun d'eux considérait comme des intérêts. Cependant, pour l'application de la Loi, le plus petit montant, soit 2 421 059 $, a perdu sa qualité « d'intérêts » parce qu'il était compris dans un montant plus important (2 850 637 $) qui a été capitalisé en tant que partie du coût des unités condominiales et, par conséquent, faisait partie du coût des stocks de l'appelante.

[9]      Ensuite, en vertu de la partie I de la Loi, il existe une importante différence entre le calcul du revenu (section B, articles 3 à 108) et le calcul du revenu imposable (section C, articles 109 à 114.2). Il y a une disposition distincte (section D, articles 115 à 116) permettant de déterminer le revenu imposable gagné au Canada par des personnes non résidentes. À mon avis, les parties suivantes du paragraphe 115(1) entrent en jeu ici :

115(1) Pour l'application de la présente loi, le revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition d'une personne qui ne réside au Canada à aucun moment de l'année correspond à l'excédent éventuel du montant qui représenterait son revenu pour l'année selon l'article 3 :

a)          si elle n'avait pas de revenu autre :

(i)          [...]

(ii)         que les revenus tirés d'entreprises exploitées par elle au Canada [...]

b)          [...]

d)          les déductions permises par le paragraphe 111(1) et, dans la mesure où elles se rapportent à des montants inclus dans le calcul du montant déterminé selon l'un des alinéas a) à c), les déductions permises par l'un des alinéas 110(1)d) à d.2) et f) ou par le paragraphe 110.1(1);

e)          [...]

Je tiens pour acquis que l'appelante ne tirait un revenu d'entreprise au Canada que de la coentreprise se rapportant au projet d'immeubles condominiaux. Le préambule du paragraphe 115(1) incorpore par renvoi le « revenu pour l'année selon l'article 3 » qui représente l'article principal de la partie I. L'article 3 est tout à fait général, étant donné qu'il comprend les revenus de toutes provenances, y compris les revenus d'entreprises. Le calcul du revenu d'entreprise est principalement déterminé par la sous-section b (articles 9 à 37.3), ce qui comprend bien sûr les articles 9, 12, 18 et 20. Comme le montant (2 421 059 $) que je considère « capitalisé » n'est pas déductible en vertu de l'alinéa 20(1)c) (voir l'alinéa 18(3.1)a)), il ne peut pas être considéré comme étant déductible dans le calcul du revenu imposable gagné au Canada par l'appelante pour une année.

[10]     La jurisprudence vient appuyer l'appelante. Dans la décision Oryx Realty Corp. v. M.N.R., 74 DTC 6352, la Cour d'appel fédérale avait tenu compte du paragraphe 12(3) de la Loi de 1952 tel qu'il s'appliquait à l'année d'imposition 1960.

12(3)     Dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, il n'est opéré aucune déduction à l'égard d'une somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée et payable par le contribuable à une personne avec laquelle il ne traitait pas à distance, si le montant n'en a pas été versé avant le jour survenant un an après la fin de l'année d'imposition; mais, si un montant qui n'était pas déductible dans le calcul du revenu d'une année d'imposition en vertu du présent paragraphe a été payé subséquemment, il peut être déduit dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition où il a été payé.

[11]     En 1959, Oryx avait acheté une parcelle de terrain pour 174 000 $ d'un vendeur avec qui elle avait un lien de dépendance. Elle avait payé seulement 1 000 $ en espèces et avait 10 ans pour payer le reste. Le 21 juillet 1960, après que certaines actions d'Oryx ont été vendues, Oryx n'avait alors plus de lien de dépendance avec le vendeur. Plus tard, le 21 juillet, Oryx a vendu la parcelle de terrain pour 373 000 $. Oryx soutenait que le bénéfice tiré de la revente était de 199 000 $ (soit 373 000 $ moins 174 000 $). Le ministre du Revenu national a établi la cotisation d'Oryx en fonction du fait que le bénéfice tiré de la vente était de 354 000 $, soit le produit de la vente (373 000 $) moins le montant (18 500 $) qu'avait payé Oryx pour le coût du terrain tel qu'il était au moment de la vente. Le ministre du Revenu national a fondé sa cotisation sur le paragraphe 12(3) tel qu'il est cité ci-dessus.

[12]     Devant la Cour d'appel fédérale, Oryx a soutenu que le paragraphe 12(3) ne s'appliquait pas pour deux raisons : (i) le prix de l'achat n'était pas « une somme, autrement déductible, déboursée ou dépensée » ; (ii) le prix de l'achat n'était pas payable à un vendeur avec qui Oryx avait un lien de dépendance. La Cour d'appel fédérale a accepté de façon unanime le deuxième argument d'Oryx voulant que : a) le prix de l'achat n'est pas devenu déductible avant que le terrain soit vendu en juillet 1960; b) à ce moment-là, le prix d'achat n'était plus payable à un vendeur avec qui Oryx avait un lien de dépendance. Bien qu'il n'était pas nécessaire de considérer le premier argument d'Oryx, une majorité des juges de la Cour (juge en chef Jackett et juge Thurlow) ont formulé une opinion. Le passage suivant, rédigé par le juge en chef Jackett, est important.

Ce qui nous intéresse en l'espèce est le « profit brut » . [TRADUCTION] « D'après la Loi, il est clair ... qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, dans le cas d'une entreprise consistant à acquérir des biens et les revendre, le profit brut est composé de l'excédent du prix de vente sur le coût ... » (Voir l'arrêt Le ministre du revenu national c. Irwin, [1964] R.C.S. 662, le juge Abbott prononçant le jugement de la Cour aux pp. 664 et 665.) On peut obtenir le profit brut d'exploitation pour une année d'imposition en additionnant les bénéfices tirés de différentes opérations, effectuées durant l'année ou en additionnant les montants des ventes de l'année et en en déduisant le coût total des différentes marchandises vendues. L'une ou l'autre de ces méthodes convient à une entreprise qui effectue relativement peu d'opérations. Dans l'entreprise commerciale ordinaire, cependant, l'usage, qui est devenu un principe de droit, veut qu'on calcule le profit d'une année en déduisant du « produit » total des ventes le « coût des ventes » , calculé en ajoutant la valeur attribuée aux stocks au début de l'année au coût des acquisitions faites durant cette année et en en déduisant la valeur attribuée aux stocks à la fin de l'année.

En considérant comment s'applique l'article 12(3), il ne fait aucun doute qu'il faut calculer le « profit brut » avant de pouvoir déterminer le revenu et qu'au moins en ce qui concerne la seconde méthode de calcul du « profit brut » susmentionnée, le prix d'achat du bien en question est « déductible » lors de son calcul. Par contre, si le calcul du « revenu » pour une année d'imposition est fondé uniquement sur le « profit brut » , le « coût » du bien acheté n'est alors pas un montant « déductible » lors du calcul du revenu. Si, en outre, l'on songe à appliquer l'article 12(3) à un commerçant dont les opérations sont tellement nombreuses ou d'une nature telle qu'elles imposent l'utilisation de la formule produits des ventes moins le coût des ventes, on ne peut alors déduire, du moins à ce titre, le coût des marchandises vendues durant l'année dans le calcul du « revenu du contribuable pour une année d'imposition » . Il est probable, cependant, que l'article 12(3) ait le même effet sur le calcul du revenu d'un contribuable pour une année, quelle que soit la méthode qu'on doive utiliser pour calculer le « profit brut » . Avec bien des hésitations, je conclus qu'on doit interpréter l'article 12(3) dans le cas d'un revenu d'entreprise, comme se rapportant au calcul du « revenu » ou « profit » tiré, durant une année, du « profit brut » pour ladite année; cet article ne s'applique donc pas aux circonstances de l'espèce. En concluant de la sorte, je suis conscient du fait que, dans des contextes différents, depuis plus d'un siècle, les arrêts qui font autorité en matière de profits d'entreprise, ont généralement considéré le calcul du profit d'entreprise comme incluant le calcul du profit brut. Cette conclusion opposée quant à l'interprétation de l'article 12(3) m'est imposée par la nécessité de donner à ce paragraphe une signification telle qu'il puisse s'appliquer de façon uniforme aux différents cas qui peuvent se présenter dans le cours normal des affaires.

[13]     Quand une opération identique avait été portée devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire M.N.R. v. Shofar Investments Corporation, 79 DTC 5347, le juge Martland avait rédigé le jugement de la Cour en faveur du contribuable et, après avoir cité le passage ci-dessus du juge en chef Jackett de la Cour d'appel fédérale, il a indiqué qu'il (le juge Martland) approuvait la conclusion tirée par le juge en chef Jackett.

[14]     À mon avis, les décisions rendues par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Oryx et par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shofar sont concluantes et appuient la position de l'appelante. Plus précisément, je m'appuie sur les affirmations suivantes tirées du passage de l'affaire Oryx cité ci-dessus :

[...]Par contre, si le calcul du « revenu » pour une année d'imposition est fondé uniquement sur le « profit brut » , le « coût » du bien acheté n'est alors pas un montant « déductible » lors du calcul du revenu. Si, en outre, l'on songe à appliquer l'article 12(3) à un commerçant dont les opérations sont tellement nombreuses ou d'une nature telle qu'elles imposent l'utilisation de la formule produits des ventes moins le coût des ventes, on ne peut alors déduire, du moins à ce titre, le coût des marchandises vendues durant l'année dans le calcul du « revenu du contribuable pour une année d'imposition » . [...]

[15]     Si je comprends bien le principe établi par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Oryx et confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Shofar, lorsqu'on calcule le revenu d'un commerçant, toute dépense engagée ou effectuée qui est incluse dans le coût des stocks doit être comprise dans le calcul du « profit brut » , mais n'est pas déductible dans le calcul du revenu. Tel qu'il est décrit dans la décision Oryx, le profit brut est déterminé en déduisant du total des produits de ventes pour l'année le « coût des ventes » , qui est calculé en ajoutant la valeur du stock d'ouverture au coût des achats pour l'année, et ensuite en soustrayant la valeur du stock de fermeture à la fin de l'année.

[16]     Dans cet appel, les parties ont convenu que le montant de 2 421 059 $ était la partie calculée au prorata des intérêts capitalisés (2 850 637 $), qui se rapportent aux unités condominiales vendues en 1995, en 1996 et en 1997. Le montant de 2 421 059 $ faisait donc partie du coût des marchandises vendues et faisait également partie du coût soustrait lors du calcul du profit brut pour les années 1995, 1996 et 1997. Selon ce qui est indiqué au paragraphe 13 de l'ECF, les montants soustraits chaque année au titre du coût des marchandises vendues de l'appelante étaient les suivants :

1995

1 127 941 $

1996

937 508 $

1997

355 610 $

2 421 059 $


[17]    Si les montants indiqués ci-dessus faisaient partie du coût des marchandises vendues (tel qu'il est indiqué au paragraphe 13 de l'ECF), alors ils ont été déduits dans le calcul du profit brut, et, conformément aux décisions rendues dans Oryx et Shofar, ils n'ont pas été déduits (ou n'étaient pas déductibles) dans le calcul du revenu ou du revenu imposable. Pour en revenir au libellé du paragraphe 212(13.2), les montants en litige n'étaient pas « déductible[s] dans le calcul » du « revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition » de l'appelante. L'appel est accueilli, avec dépens, et la cotisation de l'impôt de la partie XIII est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d'octobre 2004.

« M. A. Mogan »

Juge Mogan

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de janvier 2006.

Mario Lagacé, réviseur


RÉFÉRENCE :

2004CCI689

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-467(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Eastern Success Co. Ltd., en sa qualité de fiduciaire du Easter Law Trust

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 12 août 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge M. A. Mogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Max J. Weder

Avocat de l'intimée :

Me Susan Wong

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Max J. Weder

Cabinet :

Borden Ladner Gervais

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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