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Dossier : 2002-3892(GST)I

ENTRE :

MARY ANN JANITSCH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 mai 2004 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions :

Pour    l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :

Me Jason J. Wakely

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation portant sur la taxe sur les produits et services, établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, et dont l'avis est daté du 8 juin 2001, est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2004.

« Gordon Teskey »

Juge Teskey

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d'août 2004.

Ingrid B. Miranda, traductrice


Référence : 2004CCI378

Date : 20040526

Dossier : 2002-3892(GST)I

ENTRE :

MARY ANN JANITSCH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Teskey

[1]      L'appelante interjette appel à l'encontre de la nouvelle cotisation dont elle a fait l'objet pour la période allant du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2000 (la « période » ), sur le fondement de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) et, plus particulièrement, des dispositions de la Loi désignées ci-après les dispositions sur la taxe sur les produits et services ( « TPS » ).

[2]      L'intimée admet que l'appelante est artiste qui se consacre aux beaux-arts visuels et qu'elle a fourni tous les renseignements financiers nécessaires. L'intimée est convaincue de l'exactitude des chiffres que l'appelante a présentés.

[3]      Par conséquent, la seule question dont la Cour est saisie est de savoir si l'appelante se consacre à sa profession artistique de manière à ce que ses activités dans le domaine puissent être qualifiées de commerciales. Si tel est le cas, elle serait donc admissible aux crédits de taxe sur les intrants en vertu des dispositions sur la TPS de la Loi.

[4]      Le paragraphe 169(1) se trouvant sous le titre général « Sous-section b - Crédit de taxe sur les intrants » commence avec l'expression : « Règle générale pour les crédits [de taxe sur les intrants] » . La seule partie qui nous intéresse se trouve dans les deux dernières lignes de la disposition : « pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales. »

[5]      La Loi définit ainsi l'expression « activité commerciale » , au paragraphe 123(1) :

(a)         l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), [...]

[6]      La Loi donc fait appel au critère de common law pour décider s'il existe une attente raisonnable de profit.

[7]      Dans l'arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, la Cour suprême du Canada a statué que le critère de l'existence d'une attente raisonnable de profit n'est pas applicable aux affaires concernant l'impôt sur le revenu qui ne comportent pas d'élément personnel. Cependant, en raison du caractère législatif de la définition, la portée de l'arrêt Stewart ne s'étend pas aux appels en matière de TPS.

[8]      Dans les motifs qu'ils ont rédigés au nom de la Cour dans le cadre de cette affaire, les honorables juges Iacobucci et Bastarache ont cité le paragraphe suivant de l'arrêt Moldowan c. Canada, [1978] 1 R.C.S. 480, rédigé par l'honorable juge Dickson :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : La Reine c. Matthews, [(1974), 74 D.T.C. 6193]. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[9]      Bien sûr, il est bien établi qu'il incombe à l'appelante de prouver que l'activité à laquelle elle se consacre comporte une attente raisonnable de profit.

[10]     Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits (pièce A-1), qui est ainsi rédigé :

ANNÉE

REVENU D'ENTREPRISE BRUT

REVENU D'ENTREPRISE NET

1990

0

- 23 104

1991

0

- 13 072

1992

0

0

1993

6 000

- 4 583

1994

0

- 13 338

1995

817

- 11 730

1996

130

- 14 631

1997

0

- 15 878

1998

0

- 33 127

1999

5

- 21 788

2000

8

- 25 784

2001

43

- 21 867

2002

0

- 22 476

[11]     L'appelante a précisé que le revenu d'entreprise brut de 6 000 $ de l'année 1993 provenait de la vente d'une oeuvre d'art au Musée des beaux-arts. Elle n'a pas été capable de préciser la provenance de la somme de 817 $ en 1995; elle a suggéré qu'elle provenait probablement de droits d'auteur du Musée des beaux-arts, tout comme tous ses autres revenus.

[12]     L'appelante a présenté à la Cour beaucoup d'oeuvres de sa création. Puisque l'intimée avait reconnu que l'appelante est une artiste, il n'était pas nécessaire de présenter comme pièces toute cette quantité d'oeuvres.

[13]     Les oeuvres de l'appelante ont été exposés dans une galerie d'Ottawa jusqu'en 1990 ou 1991, année de la mort du propriétaire de la galerie. Depuis, elle n'a pas de galerie ni d'agent qui la représentent.

[14]     Vers la fin des années 1980, l'appelante a reçu des bourses du Conseil des Arts du Canada. Elle a demandé de l'aide financière dans les années 1990 et 1991, mais on la lui a refusée. Elle n'en a plus fait demande.

[15]     La création artistique de l'appelante constitue le centre de ses activités de travail. Elle n'est aucunement employée par quiconque.

[16]     Pendant environ dix ans, l'appelante a vécu et créé ses oeuvres au-dessus d'une succursale de la Banque Canadienne Impériale de Commerce ( « CIBC » ) dans la ville de Tweed, en Ontario. Elle a abandonné cet appartement en 1995 et depuis, elle n'a pas payé de loyer à la CIBC. Elle prétend y détenir, dans une chambre verrouillée, des oeuvres d'art de sa création dont la valeur s'élèverait à un million de dollars. Puisque nous sommes en 2004, je ne peux reconnaître aucune valeur aux oeuvres qu'elle a laissées à Tweed, surtout en raison du fait qu'elle n'a réalisé aucune vente entre 1996 et 2002. Par conséquent, je ne peux que conclure que, si effectivement il y a encore des oeuvres à Tweed, celles-ci n'ont aucune valeur commerciale.

[17]     L'appelante prétend qu'elle détient un inventaire d'oeuvres d'art dont la valeur s'élève à sept millions de dollars. La valeur d'un objet dépend du montant qu'un acheteur désireux de l'acheter est disposé à payer à un vendeur désireux de le vendre. En ce moment, il n'y a pas d'acheteur prêt et disposé à acheter des oeuvres de l'appelante. Je ne reconnais pas que l'inventaire de l'appelante ait une valeur de sept millions de dollars.

[18]     Il est clair que l'appelante est frappée d'une certaine incapacité causée par une blessure. Une grande partie de son témoignage semble suspecte.

[19]     En 1999, elle a subi une blessure à la tête à la suite de laquelle elle a dû rester à la maison, qui se trouvait alors à Toronto. Elle s'y est consacrée à l'étude des pigeons. Elle croit que tout pigeon nouveau-né naît avec une mémoire et qu'ils font des choses pour les être humains. Elle croit que les terroristes sont en train de tuer les pigeons. Elle sait que les pigeons morts ont été assassinés et elle les emmène à la messe. Quand on lui a demandé en contre-interrogatoire si les pigeons occupaient une place importante dans son travail, elle a répondu négativement. Elle a dit qu'ils l'aidaient mais qu'ils ne faisaient pas partie de son travail.

[20]     Elle dit que la communauté artistique de Toronto l'a rejetée et que la plupart des conservateurs d'art de sa connaissance sont décédés. Elle se considère comme une vieille artiste.

[21]     Lorsqu'on lui a demandé comment elle comptait commercialiser ses oeuvres à l'avenir, il ne semblait pas y avoir de bons plans pour réussir à le faire. Elle n'a pas réussi à me convaincre que le volume de ses ventes changerait par rapport aux années antérieures.

[22]     Voici les paragraphes 5, 6 et 7 du Bulletin IT-504R2, qui n'a cependant pas force de loi :

5. Les éléments pris en considération par le Ministère pour déterminer s'il y a une attente raisonnable de profit comprennent les suivants :

a)         le temps consacré aux entreprises artistiques ou littéraires;

b)         la mesure dans laquelle l'artiste ou l'écrivain a présenté ses oeuvres lors de lancements publics ou privés, y compris, mais non exclusivement, des expositions, des publications et des séances de lecture, selon la nature du travail;

c)         la mesure dans laquelle l'artiste est représenté par un négociant en oeuvres d'art ou un agent et l'écrivain, par un éditeur ou un agent;

d)         le temps consacré à la promotion et à la commercialisation des oeuvres de l'artiste ou de l'écrivain, et le genre d'activités qui s'y rapportent normalement;

e)          le montant du revenu reçu se rapportant au travail même de l'artiste ou de l'écrivain, y compris, mais non exclusivement, le revenu provenant des ventes, des commissions, des redevances, des droits, des subventions et des récompenses, qui peut raisonnablement être incluse dans le revenu d'entreprise;

f)          l'historique du dossier, couvrant un bon nombre d'années, des pertes et des bénéfices annuels reliés à l'exploitation de ses oeuvres par l'artiste ou l'écrivain;

g)          la variation, sur une période de temps, de la valeur ou de la popularité des oeuvres de l'artiste ou de l'écrivain;

h)         le genre de dépenses déduites et leur rapport avec les entreprises de l'artiste ou de l'écrivain (p. ex., dans le cas d'un écrivain, il y aurait une indication claire de l'existence d'une activité commerciale si une partie importante des dépenses était consacrée à la recherche);

i)          les compétences de l'artiste ou de l'écrivain dans son domaine respectif, démontrées par ses études et reconnues du public et de ses pairs par des distinctions honorifiques, des récompenses, des prix et des critiques;

j)          l'adhésion à une association professionnelle d'artistes ou d'écrivains qui est réservée à certains membres ou à certaines catégories de membres selon des normes établies par cette association;

k)         l'importance du revenu brut que l'artiste ou l'écrivain tire de l'exploitation de ses oeuvres et la croissance de ce revenu brut au cours des années; l'examen de ce facteur doit tenir compte des influences externes comme la conjoncture économique, l'évolution des goûts du public, etc., qui peuvent influencer la vente des oeuvres artistiques ou littéraires;

l)          la nature des travaux littéraires entrepris par l'écrivain; on considère qu'une oeuvre littéraire comme un roman, un poème, une nouvelle ou toute oeuvre non fictive rédigée pour la vente générale ou la vente par l'intermédiaire d'un syndicat de distribution offre normalement une meilleure perspective de profit qu'un travail entrepris en vue d'une distribution limitée.

6. Aucun des éléments mentionnés au numéro 5 ci-dessus n'est plus important qu'un autre, ni ne détermine en lui-même si une activité constitue une entreprise qui est exploitée en vue de réaliser des bénéfices ou qui présente une attente raisonnable de profit. Tous les critères pertinents sont considérés au moment de la détermination, et le défaut de satisfaire à un critère particulier n'empêche pas les activités artistiques ou littéraires du contribuable d'être considérées comme une entreprise.

7. Il est possible qu'un artiste ou un écrivain ne réalise pas de bénéfices durant sa vie, mais que son travail présente quand même une attente raisonnable de profit. Toutefois, pour présenter une « attente raisonnable de profit » , les entreprises artistiques ou littéraires, selon le cas, doivent être exercées de manière à pouvoir, selon les éléments énumérés au numéro 5 ci-dessus, être considérées, aux fins de l'impôt sur le revenu, comme l'exploitation d'une entreprise plutôt que comme un passe-temps.

[23]     Sans entrer dans les détails, je dois conclure que l'appelante en l'espèce ne satisfait aucun des critères énumérés ci-dessus.

[24]     La pièce A-1 est très significative. Pendant une période de 13 ans, l'appelante a subi des pertes d'entreprise nettes s'élevant à environ 221 300 $, tout en réalisant un revenu total brut de 7 003 $ dont 6 000 $ proviennent d'une seule vente au Musée des beaux-arts du Canada en 1993.

[25]     Je suis convaincu que les activités de travail de l'appelante se concentrent sur la création artistique. Cependant, son travail artistique ne peut, sur cette base, être qualifié d'activité commerciale après avoir appliqué aux faits le critère de l'attente raisonnable de profit.

[26]     L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Partridge c. Canada, 2003 CAF 91, est l'arrêt de principe en la matière.

[27]     La question de savoir si la totalité ou une partie des oeuvres de l'appelante sera un jour commercialisée de façon appropriée, ou si aucune d'entre elles ne le sera, et si elles ont une valeur quelconque sont des questions purement spéculatives. Peut-être un jour et peut-être même après sa disparition.

[28]     Malgré l'ensemble de la preuve produite par l'appelante, celle-ci n'a pas réussi à me convaincre qu'elle se consacrait à une activité commerciale aux termes de la Loi.

[29]     Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2004.

« Gordon Teskey »

Juge Teskey

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d'août 2004.

Ingrid B. Miranda, traductrice

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