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Dossier : 2002-2958(IT)I

ENTRE :

CHANTAL DUBUC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 3 octobre 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Goyette

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté, le tout sans frais, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2004CCI164

Date : 20040528

Dossier : 2002-2958(IT)I

ENTRE :

CHANTAL DUBUC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      L'appelante fait appel d'une nouvelle cotisation établie en date du 5 novembre 2001 par laquelle le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) a ajouté au revenu total de l'appelante, pour l'année d'imposition 1998, la somme de 20 775 $ au titre de revenu non déclaré provenant d'un Régime enregistré d'épargne-retraite ( « REER » ).

[2]      Pour établir et maintenir la cotisation en litige, le Ministre a tenu pour acquis les hypothèses de fait suivantes :

a)          le 30 avril 1999, l'appelante a produit sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1998;

b)          l'appelante a alors déclaré pour l'année d'imposition en litige les revenus suivants :

Revenu d'emploi

5 700 $

Pension alimentaire

8 067 $

Revenu total

13 767 $

Revenu imposable

13 767 $

c)          en date du 28 mai 1998, dans le cadre d'un partage du patrimoine, le régime de pension de retraite de la fonction publique de M. Richard Radziszewski, ex-conjoint de l'appelante, fut partagé officiellement avec cette dernière et, la somme de 20 906,70 $ fut versée dans un régime enregistré d'épargne-retraite immobilisé, identifié par le numéro « CRI 175495 » et géré par les « Placements Banque Nationale » (ci-après le « REER » );

d)          en vertu de la législation québécoise, l'appelante ne pouvait pas retirer les fonds de ce REER;

e)          le ou vers le 31 août 1998, l'appelante fit transférer au « Trust La Laurentienne » ledit REER évalué à 20 930,27 $ au moment du transfert;

f)           en date du 3 septembre 1998, Georges Doualan a fait acheter à l'appelante avec l'argent de son REER, 831 actions de la société 9066-1000 Québec Inc. au coût de 25 $ l'unité pour une somme totale de 20 775 $;

g)          au moment de cette transaction, Georges Doualan, détenait un permis de conseiller en placement avec la société « Maxima Capital Inc. » ;

h)          le 3 septembre 1998, M. André Rousseau, dirigeant de la société 9066-1000 Québec Inc. confirme au « Trust La Laurentienne » que l'appelante a acheté 831 actions de catégorie « B » de la société 9066-1000 Québec Inc.;

i)           la totalité ou presque de la juste valeur marchande des éléments d'actif de 9066-1000 Québec Inc. ne sont pas utilisés principalement dans une entreprise exploitée activement ni ne sont constitués d'actions ou de dettes d'une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise;

j)           la totalité ou presque des biens de 9066-1000 Québec Inc. ne sont ni utilisés dans une entreprise admissible exploitée activement ni des actions d'une société admissible exploitant activement une entreprise;

k)          le 3 septembre 1998, Yvan Laniel CA, remit au « Trust La Laurentienne » un rapport de vérificateur, mentionnant entre autres que la société 9066-1000 Québec Inc. est une « petite entreprise faisant l'objet de l'acquisition » et que « 9066-1000 Québec Inc. constitue une société admissible au sens du paragraphe 4900(6)/4900(12) du règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada » ;

l)           le 16 septembre 1998, l'appelante obtient un prêt de 16 620 $ de la société « Financière Telco Inc. » ;

m)         Jean Tremblay est l'actionnaire majoritaire de la société 9066-1000 Québec Inc. et de la société « Financière Telco Inc. » ;

m.1)      la société 9066-1000 Québec Inc. détient 9156 actions « G » dans Financière Telco Inc.;

n)          la société « Financière Telco Inc. » est liée à la société 9066-1000 Québec Inc,;

n.1)       Financière Telco Inc. n'a que des activités de prêt;

o)          il ressort des faits mentionnés précédemment que l'appelante a mis son REER en garantie;

p)          l'appelante n'a jamais remboursé la société « Financière Telco Inc. » et ne semble pas avoir payé des intérêts sur ce prêt;

q)          les prétendus arrangements de prêts étaient offerts seulement en retour de l'achat d'actions dans 9066-1000 Québec Inc. par l'entremise du REER de l'appelante;

r)           grâce au stratagème décrit ci-haut, l'appelante pouvait retirer son REER sans payer d'impôt;

s)          selon l'appelante, elle n'a pas averti le « Trust La Laurentienne » qu'elle avait mis son REER en garantie de l'emprunt et cela explique pourquoi Le Trust n'a pas émis de feuillet T4RSP pour l'année d'imposition 1998;

t)           la juste valeur marchande (JVM) du REER de l'appelante était de 20 775 $ au moment où elle a mis son REER en garantie pour obtenir le prêt de 16 620 $;

u)          le Ministre a alors ajouté la somme totale de 20 775 $ au revenu total de l'appelante pour l'année d'imposition 1998;

v)          le Ministre a également considéré l'application de la disposition générale anti-évitement en tant que position alternative.

[3]      La question en litige est bien formulée au paragraphe 4 de la Réponse modifiée à l'avis d'appel :

La question en litige consiste à déterminer si le Ministre est justifié d'ajouter au revenu de l'appelante la somme de 20 775 $ pour l'année d'imposition 1998.

[4]      L'appelante cherchait à devenir financièrement autonome. Ayant appris qu'il était possible d'encaisser son REER ou un montant équivalent sans avoir à faire face à une cotisation fiscale, elle entreprend des démarches auprès des autorités fiscales pour obtenir plus de renseignements sur la façon de faire.

[5]      D'après son témoignage, elle aurait obtenu tous les renseignements requis pour toucher son REER rapidement, et ce, sans incidence fiscale.

[6]      Un employé de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ), un certain Pierre Gariepy, lui aurait fourni les renseignements obtenus lors de conversations téléphoniques.

[7]      Dans un premier temps, elle a transféré le montant de son REER dans un REER autogéré auprès du « Trust La Laurentienne » ; l'appelante a ensuite communiqué avec une entreprise offrant ses services dans les journaux.

[8]      Étant quelque peu méfiante, elle a effectué certaines vérifications; elle s'est rendue à la place d'affaires du groupe offrant les services qui l'intéressaient. Elle a obtenu les réponses aux questions qu'elle a soulevées. Étant donné l'envergure de l'entreprise, ses hésitations et son scepticisme se sont rapidement dissipés. Au surplus, on a fourni des réponses rassurantes à toutes ses questions.

[9]      Comme l'entreprise lui semblait professionnelle, fiable et sérieuse, l'appelante a accepté la proposition qui lui a été faite. Par ailleurs, cette proposition cadrait avec les renseignements obtenus auprès de monsieur Gariepy.

[10]     Elle a alors donné comme directives au « Trust La Laurentienne » d'acheter 831 actions de la société 9066-1000 Québec Inc., d'une valeur de 20 775,41 $, en utilisant les fonds de son REER.

[11]     La société 9066-1000 Québec Inc. susmentionnée était contrôlée par un certain Jean Tremblay. À l'époque où a eu lieu l'achat des actions, une société faisant affaires sous la raison sociale « Financière Telco Inc. » , également contrôlée par le même Jean Tremblay, octroyait un prêt à l'appelante.

[12]     L'appelante a ainsi obtenu un prêt de 16 620 $ de « Financière Telco Inc. » . Dans les faits, cependant, elle n'a obtenu que 13 419,25 $, La différence, soit plus de 3 200,75 $, a été versée, sous forme d'honoraires, à la société « Financière Telco Inc. » pour services rendus dans le cadre du prêt en question.

[13]     Bien qu'il s'agissait d'un prêt, l'appelante n'a jamais remboursé quoi que ce soit, ni été tenue de payer des intérêts. La question du remboursement ne préoccupa pas l'appelante; d'ailleurs, elle n'avait pas l'intention de procéder à un tel remboursement.

[14]     Je prête foi aux propos de l'appelante lorsqu'elle affirme avoir consulté une personne censément qualifiée pour répondre à ses questions.

[15]     Eu égard à la bonne foi de l'appelante, il y a lieu de décider dans un premier temps si les démarches qu'elle a effectuées auprès de l'ADRC peuvent avoir un impact quant au bien-fondé de la cotisation qu'elle conteste en appel.

[16]     La personne qui aurait renseigné l'appelante était-elle à l'emploi de l'ADRC ou de Revenu Québec? La preuve ne me permet pas de répondre à cette question. D'autre part, j'ignore le sens précis des questions posées des éléments de réponse obtenus.

[17]     Je retiens de la preuve que l'appelante a entamé des démarches pour savoir s'il était possible de tirer profit de son REER sans avoir à faire l'objet d'une cotisation.

[18]     La preuve a révélé qu'il n'y avait pas de Gariepy à l'emploi de l'intimée au moment où les démarches furent initiées; l'identité de la personne qu'a consultée l'appelante est donc demeurée nébuleuse. L'appelante a indiqué que la personne en question lui a fait part des conditions requises pour pouvoir utiliser de son REER sans avoir à payer d'impôt; elle a affirmé avoir pris des notes pour être en mesure de respecter les instructions reçues.

[19]     Dans l'hypothèse où l'appelante a bel et bien obtenu des renseignements auprès d'un agent de l'ADRC et qu'elle a suivi les instructions, pourrais-je faire droit à son appel?

[20]     Pour répondre à cette question, il est nécessaire de se référer à la doctrine de la préclusion résultant de certains comportements de personnes en autorité; cette doctrine a été traitée sous tous les angles par la jurisprudence. En d'autres termes, peut-on appliquer, en l'espèce, la doctrine de l'estoppel?

[21]     La Cour suprême du Canada, dans Canadian Superior Oil Ltdc. Paddon-Hughes Development Co., [1970] R.C.S. 932,réitère les conditions requises afin d'appliquer la doctrine de la préclusion résultant du comportement :

Je n'ai pas l'intention de pousser plus avant l'étude de cet aspect de l'affaire puisque, en tout cas, je suis d'accord avec les conclusions concordantes des tribunaux d'instance inférieure qu'une fin de non-recevoir n'a pas été prouvée. Dans leur plaidoirie, les appelantes ont fait état des principes de droit énoncés dans Greenwood v. Martins Bank [1933] A.C. 51, à la p. 57 :

[TRADUCTION] Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir sont, je pense, les suivants :

(1) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d'inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

(2) Une action ou une omission résultant de l'affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l'affirmation est faite.

(3) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

(Je souligne.)

[22]     À la lumière de cette décision, il appert que l'intention constitue une dimension fort importante dans l'application de la doctrine de la préclusion résultant du comportement. En d'autres termes, l'intention d'exprimer une ligne de conduite constitue un fondement de la doctrine de « l'estoppel by representation » .

[23]     En l'espèce, il n'y a eu aucune preuve directe ou même secondaire de la présence d'une intention. D'ailleurs, il s'agit là d'une dimension complètement absente de la preuve.

[24]     Les tribunaux ont également énoncé à plusieurs reprises qu'une erreur de droit ne saurait lier la Couronne. Dans Guerriero c. Canada IN RE la Loi de 1971 sur l'assurance-emploi, [1987] A.C.I. no 821, l'honorable juge Miller de cette Cour a rejeté l'appel du contribuable au motif que ce dernier ne s'était pas acquitté du fardeau de la preuve et qu'une erreur de droit ne pouvait lier la Couronne. Le juge Miller s'est référé au passage suivant de l'arrêt Blackmore :

Dans l'arrêt Blackmore c. M.R.N., NR 519, le savant juge a statué ainsi sur cette question:

« En droit, je suis tenu de dire qu'en dépit de toute erreur ou de tout avis erroné donné par le personnel de la Commission, celle-ci est tenue d'appliquer les dispositions de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Cela a été jugé à maintes reprises par les juges-arbitres. Il existe un principe bien établi selon lequel on ne peut opposer de fin de non-recevoir lorsque les conditions de la loi n'ont pas été respectées. Autrement dit, on ne peut opposer de fin de non-recevoir à la Couronne et de plus, toutes les fins de non-recevoir sont assujetties au principe général selon lequel elles ne peuvent renverser le droit du pays. »

[25]     L'honorable juge Cattanach dans Stickel c. M.R.N., [1972] C.F. 672 (Q.L.), résume bien l'état du droit sur cette question :

69.        En bref, les fins de non-recevoir sont soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.

[26]     En vertu de ces principes, même si l'appelante prouvait que le ministère du Revenu national ou le ministère des Finances avait confirmé que la structure du groupe de sociétés respectait la définition prévue à l'alinéa 70(10)b), cela ne pourrait dégager la Cour de son obligation d'appliquer la Loi telle que rédigée.    Ces faits ne sont donc pas pertinents dans les circonstances de cette cause.

[27]     Dans l'affaire Goldstein c. Canada, [1995] A.C.I. no 170 (Q.L.), l'honorable juge Bowman devait examiner l'exactitude en droit de l'interprétation donnée à l'alinéa 146(1)c) de la Loi, de même que répondre à la question de la préclusion. Cette décision du juge Bowman est l'une des principales décisions abordant la question de la préclusion en matière fiscale. Le juge Bowman y a affirmé ce qui suit :

La préclusion n'est plus simplement une règle de preuve. C'est une règle de droit positif. Lord Denning en parle comme d'un « principe de justice et d'équité » .

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

La question de l'interprétation de l'alinéa 146(1)c) est une question de droit, et je dois la trancher conformément au droit tel que je le comprends. Je ne saurais éviter cette obligation parce que le ministère du Revenu national peut avoir adopté antérieurement une interprétation différente de celle qu'il avance maintenant. La question n'est pas de savoir si la Couronne est liée par une interprétation antérieure sur laquelle un contribuable s'est fondé. Il est plus exact de dire que les tribunaux, qui sont tenus de trancher les litiges conformément au droit, ne sont pas liés par des déclarations, opinions ou aveux relatifs au droit de la part des parties.

[28]     Dans Hawkes c. Canada, [1995] A.C.I. no 1507 (Q.L.), le juge Margeson cite un passage de l'ouvrage de droit intitulé Phipson On Evidence, qui se lit comme suit : [TRADUCTION] « Les préclusions de toutes sortes, néanmoins, sont assujetties à une règle générale : elles ne sauraient l'emporter sur les lois du pays. Ainsi, lorsqu'une formalité particulière est exigée par la loi, aucune préclusion ne remédiera au problème » .

[29]     Dans l'affaire Holitzki c. Canada, [1998] A.C.I. no 1146, au paragraphe 7, (Q.L.), le juge Rowe expliquait que « [l]e droit est clair : La préclusion ne permet pas de passer outre à une disposition législative, en l'espèce, la Loi de l'impôt sur le revenu » .

[30]     Le juge en chef adjoint Bowman, dans Moulton c. Canada, [2002], A.C.I. no 80, au paragraphe 11 (Q.L.), affirmait récemment ce qui suit :

L'appelant fait valoir avec beaucoup de conviction qu'il devrait avoir le droit de se fier aux conseils fournis par l'ACDR, lesquels conseils il a suivis de bonne foi. Je reconnais que le résultat peut sembler légèrement difficile à avaler pour les contribuables qui demandent des conseils aux fonctionnaires et s'attendent à ce que ces derniers soient en mesure de les conseiller correctement. Malheureusement, ces fonctionnaires ne sont pas infaillibles, et un juge ne peut être lié par les interprétations erronées du ministère. Toute autre conclusion aboutirait à un manque de cohérence et à de la confusion.

[31]     Puisque la présente cause a été entendue au Québec, il importe de mentionner les affaires Alameda Holdings Inc. c. Canada, [1999] A.C.I. no 839 (Q.L.) et Houde c. Canada, [2001] A.C.I. no 130 (Q.L.). Il se dégage de ces décisions que la doctrine de la préclusion résultant du comportement ne trouve pas application dans les litiges entendus devant les tribunaux de la province de Québec. Par ailleurs, il existe, au Québec, un moyen de défense fondé sur l'article 1457 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. » ), la fin de non-recevoir, ayant sensiblement le même effet que la doctrine de préclusion résultant du comportement. Au paragraphe 70 de l'affaire Alameda Holdings Inc., précitée, l'honorable juge Dussault, sur cette question, s'exprimait comme suit :

L'avocat de l'appelante a invoqué la doctrine de l'estoppel et celle des fins de non-recevoir. Selon lui, les caractéristiques et les conditions d'application de ces deux institutions sont semblables tout comme devraient l'être leurs effets. Selon moi, il s'agit d'une simplification abusive. J'estime que la doctrine de l'estoppel ne peut être invoquée dans la présente affaire et que c'est le Code civil du Québec qui s'applique. Dans l'affaire Soucisse (précitée), le juge Beetz de la Cour suprême du Canada distingue les deux concepts tout en reconnaissant qu'il y a souvent eu confusion entre les deux et l'utilisation des deux vocables. Il se réfère notamment à l'opinion du J. Mignault dans l'affaire Grace and Company (précitée) selon laquelle le concept d'estoppel tel qu'il est appliqué dans le système anglais est inconnu en droit civil. Toutefois, il y reconnaît expressément l'existence des fins de non-recevoir en droit civil et que l'un des fondements possibles d'une fin de non-recevoir puisse être le comportement fautif d'une partie par référence aux articles 1053 et suivants du Code civil du Bas Canada (actuels articles 1457 et suivants du Code civil du Québec).

[32]     Étant donné que la doctrine de la préclusion ne peut pas s'appliquer aux litiges québécois, il y a lieu de regarder le dossier à la lumière de l'article 1457 du C.c.Q., qui se lit comme suit :

1457.    Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

            Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

            Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

[33]     Pour déterminer si ledit agent Gariepy, avec lequel l'appelante aurait conversé, a commis une faute, il aurait été nécessaire dans un premier temps de savoir précisément quelles furent les questions posées et les réponses fournies. En second lieu, il aurait fallu établir en quoi les réponses obtenues constituaient une faute ou une négligence répréhensible. Pour faire une telle analyse, il aurait été nécessaire d'avoir beaucoup plus de détails et surtout le témoignage de l'agent Gariepy.

[34]     Sur cette question, l'appelante n'a pas fourni beaucoup d'explications, si ce n'est qu'elle voulait utiliser son REER immédiatement sans avoir à payer d'impôt et que ledit agent Gariepy lui aurait indiqué la façon de faire. Elle aurait alors pris des notes pour être en mesure de bien respecter les exigences.

[35]     De tels faits ne sont évidemment pas suffisants pour tirer des conclusions sur une possible responsabilité découlant d'une faute. Bien plus, même si la preuve avait établi que l'agent Gariepy avait fourni une opinion erronée, cela n'aurait pas nécessairement constitué une faute pour autant.

[36]     Même si l'appelante avait clairement établi la présence d'une faute, encore là, je ne pourrais pas conclure au bien-fondé de son appel puisque la fin de non-recevoir vise essentiellement le recouvrement de la créance fiscale et non le bien-fondé de la cotisation. En effet, la Cour canadienne de l'impôt n'a pas compétence en cette matière. Sa compétence se limite à déterminer si la cotisation a été correctement établie selon les dispositions de la Loi.

[37]     L'honorable juge Paris de cette Cour a récemment traité de la compétence de la Cour canadienne de l'impôt en matière de recouvrement de créances fiscales dans l'affaire Pintendre Autos Inc. c. Canada, [2003], A.C.I. no 717 (Q.L.) :

En cherchant à opposer une fin de non-recevoir, l'appelante ne conteste pas le montant des cotisations. Dans l'avis d'appel modifié, l'appelante ne conteste pas le fait que « Les Services de personnel » a fait défaut de remettre les retenues à la source qui devaient être remises au nom de l'appelante.

L'appelante n'allègue pas que le ministre a commis une erreur, d'une manière quelconque, dans l'application des dispositions de la LIR ou de la LAE à l'égard de sa situation ou relativement à tout autre élément constitutif de la cotisation. L'appelante conteste seulement la conduite des représentants du ministre au cours de la période visée par les cotisations et elle soutient qu'en vertu du Code civil, cette prétendue conduite devrait empêcher le ministre de recouvrer les retenues à la source non remises. Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée que la fin de non-recevoir invoquée par l'appelante vise la possibilité de recouvrer les montants visés par les cotisations, plutôt qu'un défaut ou une erreur dans les cotisations. L'appelante cherche à empêcher le ministre de recouvrer la créance fiscale établie dans les cotisations.

[...]

On a conclu que les questions liées au recouvrement de l'impôt ne relèvent pas de la compétence de cette cour. Dans la décision Liu c. La Reine [[1995] A.C.I. no 1507 (Q.L.)], le juge Bowman (tel était alors son titre) a considéré la compétence de cette cour relativement à un crédit au titre des retenues à la source non remises par l'employeur et a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 :

Même si j'en étais venu à une conclusion différente, la Cour n'aurait pas eu la compétence voulue pour déclarer qu'en déterminant le solde que M. Liu doit au gouvernement du Canada, il faudrait tenir compte du montant retenu sur les commissions, mais non versé. La compétence de la Cour, en l'espèce, consiste à entendre les renvois et les appels sur les questions découlant de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Essentiellement, les appels fondés sur la Loi de l'impôt sur le revenu visent à déterminer si une cotisation est exacte ou si une perte a été subie. En l'espèce, l'exactitude de la cotisation n'est pas en cause. La question du montant du solde de l'impôt dû par le contribuable relève peut-être de la compétence de la Cour fédérale, mais si cette dernière interprète la question de fond de la même façon que moi, je doute qu'elle puisse accorder un redressement à l'appelant.

[38]     Pour conclure sur cet aspect du dossier, il y a lieu de rappeler une fois de plus que tout renseignement ou affirmation erroné ou inexact en droit ne saurait lier la Couronne puisque cette dernière a l'obligation d'appliquer la Loi.

[39]     Le témoignage de l'appelante est à l'effet qu'elle aurait exprimé ses préoccupations à un certain Gariepy. Sensible et sympathique à ses attentes, il lui aurait fait part des conditions et exigences requises. L'appelante dit avoir suivi à la lettre les instructions.

[40]     Si le bien-fondé de l'appel de l'appelante reposait essentiellement sur sa bonne foi, je n'hésiterais pas à lui donner raison; malheureusement, la bonne foi de l'appelante ne la met pas à l'abri de l'obligation de respecter les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[41]     Pour ce qui est de la doctrine de la préclusion résultant du comportement, elle ne peut être d'aucun recours à l'appelante puisque, peu importe ce qu'a pu lui dire l'agent Gariepy, cela est sans effet quant au bien-fondé de l'appel puisque le tribunal doit s'en remettre aux seules dispositions de la Loi pour disposer de l'appel et ce, peu importe ce qu'un fonctionnaire a pu lui fournir comme renseignements à l'appelante.

[42]     Je dois donc disposer de l'appel en me demandant essentiellement si la cotisation est bien fondée en vertu des dispositions de la Loi. À cet égard, l'appelante n'a soumis aucune preuve, ses seules allégations étant à l'effet qu'elle avait suivi les instructions de Gariepy.

[43]     Quant au bien-fondé de la cotisation, l'intimée a soumis une imposante preuve documentaire disposée lors du témoignage de monsieur Gino Vita.

[44]     La preuve a révélé que le dossier de l'appelante était un dossier parmi plusieurs ayant fait l'objet d'une vérification dans le cadre d'une méga-enquête initiée auprès des diverses compagnies avec lesquelles l'appelante avait fait des affaires. Compte tenu de l'importance du dossier, l'intimée a autorisé monsieur Gino Vita à mener une enquête très minutieuse qui a duré plusieurs mois.

[45]     Monsieur Vita a fait un travail impeccable; il a fait ressortir lors de son témoignage les diverses astuces et trompe-l'oeil mis en place par l'organisation regroupant des individus sans scrupules qui voulaient s'enrichir au détriment de contribuables dans le besoin.

[46]     L'entreprise avec laquelle l'appelante a fait affaire n'était rien d'autre qu'une organisation mise sur pied par des personnes sans scrupules pour flouer les moins incapables de détecter l'arnaque.

[47]     La preuve de l'intimée a établi d'une manière non équivoque qu'il s'agissait d'individus ayant investi énergie et ressources pour créer diverses entités corporatives de manière à convaincre tout incrédule ou sceptique quant à la légalité des transactions.

[48]     Pour justifier le bien-fondé de la cotisation, l'intimée a fait valoir plusieurs arguments, notamment les suivants :

·         l'investissement dans 9066-1000 Québec Inc. était un placement non admissible;

·         le REER dont l'appelante était propriétaire a été mis en garantie pour l'obtention de ce qui s'est avéré être un prêt;

·         par le biais de diverses opérations, l'appelante a contourné le but des dispositions de la Loi relatives au REER.

[49]     L'argument voulant que le retrait de cotisations d'un REER doive être affecté par un coût fiscal étant donné qu'il a été acquis ou accumulé à l'abri de l'impôt n'est pas très convaincant. En effet, un REER est constitué d'argent non imposé; les impôts payables sur les montants investis dans un REER sont en quelque sorte différés ou répartis lors des retraits totaux ou partiels éventuels.

[50]     Dans certains cas, il est possible d'utiliser les fonds placés dans un REER sans avoir à débourser quelque montant d'impôt que ce soit; il suffit d'imaginer le cas où un contribuable décide de retirer des fonds de son REER jusqu'à la limite de ses revenus non-imposables. Par contre, de façon générale, le législateur a voulu encourager les contribuables à se constituer un fond leur permettant de s'assurer une retraite à l'abri de soucis financiers.

[51]     Pour encourager les contribuables à préparer leur retraite, le législateur leur permet de mettre des économies à l'abri de l'impôt et d'en reporter l'imposition jusqu'au jour où le REER doit être liquidé.

[52]     Le second argument de l'intimée est plus déterminant.

[53]     Monsieur Vita, enquêteur, a longuement expliqué et décrit le stratagème mis en place par Jean Tremblay et la compagnie qu'il contrôlait. Il a également exposé en détail le cheminement suivi dans le dossier de l'appelante aux termes de quoi elle a obtenu un montant de 12 419,25 $.

[54]     Il s'agissait essentiellement d'un prêt consenti par la Financière Telco Inc. à l'appelante. L'appelante a elle-même reconnu la nature de la transaction. En d'autres termes, elle savait que son REER serait liquidé à moins qu'elle ne rembourse le montant obtenu à titre de prêt.

[55]     En substance, la Financière Telco Inc. a consenti un prêt à l'appelante; son REER a été donné en garantie du prêt obtenu. Le REER de l'appelante fut investie dans une société liée à Telco pour l'achat d'actions dans la compagnie 9066-1000 Québec Inc., ce qui permettait à Tremblay de toucher l'argent du REER.

[56]     Le but visé par l'appelante était d'obtenir des liquidités provenant de son REER sans avoir à payer d'impôt. Pour ce faire, Tremblay a inventé et créé une organisation pour permettre à tout intéressé, dont l'appelante, d'acheter des actions de la compagnie qu'il contrôlait au moyen de leur REER, après quoi un déboursé sous forme de prêt, dont le montant était de beaucoup inférieur à celui du REER investi dans des actions, était avancé au détenteur du REER.

[57]     De manière à rendre le dossier en apparence cohérent aux yeux du fisc, il était stipulé que l'argent qu'obtenait l'appelante ne provenait pas de son REER mais plutôt d'un emprunt; le prêt était assujetti à l'obligation préalable de faire l'acquisition d'actions de la compagnie 9066-1000 Québec Inc.

[58]     Si l'appelante voulait racheter les actions qu'elle avait acquises, elle devait préalablement rembourser le prêt. À cet égard, l'appelante a exprimé son acceptation du scénario proposé puisqu'elle a affirmé savoir que son REER servait à rembourser indirectement le prêt obtenu et y avoir consenti.

[59]     Les opérations étaient maquillées de façon à ce que l'on puisse croire que tout était fait en conformité avec la Loi. Dans les faits, il s'agissait essentiellement d'un prêt garanti par un REER.

[60]     L'intimée a d'ailleurs bien résumé la suite d'opérations « Pas de transfert de REER, pas de prêt et pas de remboursement de prêt, impossible de ravoir le REER » .

[61]     Finalement, l'intimée a aussi fait valoir, et il s'agissait là de son principal argument, que l'investissement de l'appelante, soit l'acquisition d'actions de la compagnie 9066-1000 Québec Inc., n'était pas un placement admissible.

[62]     En d'autres termes, l'achat d'actions dans la compagnie 9066-1000 Québec Inc. était-il un « placement admissible » au sens du paragraphe 146(1)?

[63]     Pour répondre à cette question, je me limiterai à relever un seul aspect du dossier. La volumineuse preuve documentaire préparée par l'enquêteur a permis de constater que le stratagème utilisé était un montage financier théorique fondé surtout sur des écritures bidon pour démontrer une cohérence apparente.

[64]     En 1999, les états financiers de la compagnie Telco Inc. font état de revenus d'intérêts et de contrats pour un total de 18 926,53 $, soit 6 796,31 $ au titre des revenus d'intérêts et 12 130,22 $ au titre des revenus de contrats. Cependant, l'examen par monsieur Vita des registres comptables relatifs aux intérêts a permis d'établir que les revenus d'intérêts s'élevaient à 59 704,92 $. Quant aux revenus de contrats, il s'agissait de revenus fictifs.

[65]     À partir de ces constats, il m'apparaît inapproprié d'analyser tous les éléments mis en place par monsieur Tremblay pour donner l'impression que tout était conforme.

[66]     Dans les faits, il s'agissait essentiellement d'un montage financier artificiel dont le seul but était de rassurer les détenteurs de REER qui voulaient procéder à un retrait total ou partiel sans avoir à payer d'impôt. Pour justifier une commission exorbitante, monsieur Tremblay avait mis sur pied des entreprises qui s'échangeaient des données comptables, soit totalement fictives ou grossièrement exagérées.

[67]     Dans les faits, au-delà des diverses apparences et qualifications de certaines transactions, les propriétaires de REER, dont l'appelante, obtenaient les fonds de leur REER moyennant une indécente commission.

[68]     Bien que l'appelante soit sympathique et bien qu'elle ait été possiblement une innocente victime d'un véritable professionnel de l'arnaque, l'appel doit être rejeté puisque la cotisation est bien fondée.

[69]     Pour conclure ainsi, l'intimée a fait une analyse très méticuleuse des faits et a pris en considération toutes les dispositions législatives pertinentes. Les fondements de la cotisation à l'effet que l'investissement de l'appelante n'était pas un placement admissible sont bien fondés.

[70]     L'appel est rejeté, le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mai 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2004CCI164

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2958(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Chantal Dubuc et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 3 octobre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 28 mai 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée:

Me Nathalie Goyette

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Pour l'intimée:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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