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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2002-2926(IT)G

ENTRE :

DAN HAMILTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 19 janvier 2004 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Par le juge J.E. Hershfield

Comparutions

Pour l'appelant :

D.E. Graham

Pour l'intimée :

K. Foreman Gear

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de l'avis de cotisation no 17472 établi en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est rejeté avec dépens pour les raisons énoncées dans les motifs ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2004.

« J.E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2004CCI173

Date : 20040603

Dossier : 2002-2926(IT)G

ENTRE :

DAN HAMILTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]      Il s'agit en l'espèce d'un appel à l'encontre d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) selon laquelle l'appelant encourt une responsabilité à l'égard de l'omission, par Best Fresh Holdings Corporation (la « société » ), de verser certains montants au Receveur général au titre des retenues à la source de l'impôt sur le revenu fédéral (retenues salariales) faites par la société.

[2]      Nul ne conteste que l'appelant était administrateur et directeur général de la société du 16 août 1996 au 30 mars 1998. Nul ne conteste que l'appelant, à titre d'administrateur de la société, est solidairement responsable avec les autres administrateurs des montants déduits à la source qui ne sont pas versés par la société comme elle y est obligée par la Loi. L'objet du présent appel consiste à déterminer si l'appelant s'est dégagé de toute responsabilité parce qu'il a agi avec un degré suffisant de soin, de diligence et d'habileté dans l'exercice de ses fonctions d'administrateur conformément au paragraphe 227.1(3) de la Loi.

[3]      Tout d'abord, je soulignerai que les omissions de verser les retenues salariales semblent s'être produites approximativement entre le mois d'avril 1997 et l'année 1998, au cours de laquelle l'entreprise a cessé ses activités. Durant la majeure partie de cette période, la société comptait deux administrateurs : Craig Markovic, le président de la société, et l'appelant. Ce dernier a donné sa démission le 30 mars 1998, tandis que M. Markovic est resté en poste beaucoup plus longtemps. Les deux ont fait l'objet de cotisations, qu'ils ont tous deux contestées en appel. M. Markovic a reçu une cotisation visant un montant plus élevé, probablement en raison de remises non effectuées après le départ de l'appelant. L'appel de M. Markovic a donné lieu à un jugement sur consentement, mais celui-ci ne précise pas si la responsabilité faisant l'objet de l'entente a trait à la période où l'appelant était lui aussi administrateur. Dans l'éventualité où les sommes versées par suite du jugement sur consentement visent la période où l'appelant était lui aussi administrateur et, partant, était solidairement responsable des remises non effectuées (si je conclus en ce sens dans le présent appel), il est clair qu'une question se pose au sujet du recouvrement des montants qui seront exigibles par suite du présent jugement : les paiements effectués en vertu du jugement sur consentement ont-ils dégagé l'appelant de l'obligation de payer? Cependant, je n'ai pas à trancher cette question ici. Sous réserve du moyen de défense qu'il invoque, soit la diligence raisonnable, l'appelant n'a pas contesté le montant de la cotisation pour lequel il est solidairement responsable.

[4]      Afin de bien cerner la défense fondée sur la diligence raisonnable qui est opposée à la cotisation, précisons que l'avis d'appel et la thèse avancée par l'appelant à l'audience s'appuient sur le fait que M. Hamilton ne pouvait prendre aucune mesure pour faire en sorte que les remises exigibles soient effectuées. Il a reconnu qu'il savait que la société était en défaut à l'égard des remises, qu'il participait activement à l'exploitation quotidienne de l'entreprise et qu'il n'était pas un administrateur externe. Lorsqu'il invoque sa diligence raisonnable, l'appelant indique qu'il était en réalité un fantoche, un administrateur sans pouvoir nommé par des actionnaires qui, eux, contrôlaient les activités quotidiennes de la société, au moins en ce qui concerne l'utilisation des fonds et toutes les autres décisions d'affaires importantes.

[5]      Bien que la répartition des actions de la société et les relations entre les actionnaires ne soient pas normalement pertinentes quant à la question dont je suis saisi en l'espèce, le moyen de défense de l'appelant, dans la forme que lui donne son avocat, m'amène à procéder à un examen de ces éléments.

[6]      Trois personnes qui s'étaient liées d'amitié à l'université et qui avaient auparavant mis leurs talents respectifs en commun afin d'exploiter des occasions d'affaires étaient actionnaires de la société. Voici les participations de chacun : Jim Thompson détenait 27,7 %, Fraser Atkinson 21,4 % (y compris ses participations indirectes) et Craig Markovic 3,5 % du capital-actions. Si elles se concertaient, ces trois personnes contrôlaient la société à toutes les dates importantes. Une quatrième personne, Scott Morrice, qui avait déjà fait affaire avec les trois autres, détenait 21,4 % des actions de la société. Une société de capital de risque (la « SCR » ) détenait 26 % des actions. L'appelant était propriétaire d'environ 4 % des actions de la SCR qu'il avait payées 15 000 $[1].

[7]      M. Markovic était ingénieur et siégeait au conseil d'administration tout en étant conseiller technique de la société; il a joué un rôle actif dans la société à ses débuts pour faire avancer les choses. Il est devenu moins actif par la suite, bien qu'il ait occupé les postes de président et de secrétaire de la société à toutes les dates importantes[2]. M. Morrice était avocat, et c'est lui qui s'était occupé de la constitution des sociétés ainsi que du travail de nature juridique. Il ne participait pas activement aux affaires de la société. M. Thompson était un homme d'affaires accompli, tandis que M. Atkinson était comptable agréé, associé chez KPMG. L'un comme l'autre voyaient de près aux affaires de la société, même s'ils n'y exerçaient aucune fonction officielle.

[8]      L'appelant et M. Atkinson ont témoigné à l'audience. M. Atkinson a témoigné pour le compte de l'intimée.

[9]      Les antécédents de l'appelant sont les suivants : avant de se joindre à la société en 1996, il avait occupé plusieurs emplois. Après avoir terminé ses études secondaires en 1975 et travaillé dans la vente au détail pendant environ six ans, il a obtenu son baccalauréat ès arts. Il a étudié l'histoire et les sciences politiques, mais pas le commerce ni la comptabilité. Par la suite, il a été nommé à divers postes dans la vente, le service à la clientèle et le marketing, à des échelons hiérarchiques différents, et a passé trois ans chez Polaris Water Products, où il a commencé sa carrière au service de télémarketing avant d'accéder à un poste de supervision. Il a ensuite fait du travail à contrat dans le domaine de l'édition et de l'impression grâce à ses nouvelles connaissances des logiciels de traitement de texte et d'infographisme. Vers 1996, il a été embauché sur une base contractuelle par M. Thompson, alors président d'une société faisant affaire sous le nom de Glacier Water Products, afin d'aider le service des ventes. Lorsque ce contrat a pris fin, M. Thompson a informé l'appelant d'une nouvelle entreprise qu'il lançait avec M. Atkinson et l'a invité à une réunion d'investisseurs au cours de laquelle on allait faire la démonstration d'une nouvelle technique d'empaquetage des fruits frais en morceaux[3]. Cette nouvelle entreprise, qui allait être lancée par la société, devait concéder des licences d'utilisation de cette technique et exploiter une entreprise d'empaquetage de fruits qui s'occuperait d'acheter, de couper et de vendre des fruits frais spécialement emballés aux épiceries.

[10]     Bien que l'appelant ait commencé à travailler pour la société en tant que directeur général, on lui a demandé sans tarder de se joindre à M. Markovic pour devenir administrateur, parce qu'on estimait qu'il serait utile pour lui d'avoir le titre d'administrateur lorsqu'il serait nécessaire, en l'absence de M. Markovic, de signer des documents exigeant la signature d'un administrateur. Cette situation ne s'est jamais produite, même si M. Markovic se déplaçait fréquemment et se trouvait souvent à l'extérieur du bureau une fois les activités bien enclenchées. L'appelant affirme qu'à sa connaissance aucune responsabilité ni aucun pouvoir supplémentaires ne lui ont été confiés quand il est devenu administrateur. Il signait les résolutions du conseil qu'on lui présentait. De son point de vue, ses patrons étaient MM. Thompson et Atkinson. Il dit qu'il relevait de ces deux hommes, qui participaient régulièrement aux discussions sur les affaires de la société. M. Thompson était au bureau tous les jours (apparemment en tant que président de Glacier Water Products, entreprise avec laquelle la société semblait partager de l'espace), et l'appelant lui faisait rapport chaque jour sur les ventes réalisées par la société. M. Atkinson supervisait toutes les décisions de nature financière et comptable. L'appelant relevait de M. Atkinson pour toutes les questions financières, et ce dernier avait un pouvoir de signature à la banque, non pas l'appelant[4].

[11]     J'accepte que le rôle principal de l'appelant ait été celui de directeur général des activités de la société. À ce titre, il était chargé de passer les commandes, d'effectuer les dépôts bancaires, de tenir les systèmes comptables (à l'aide d'un programme Excel établi par M. Atkinson) et d'entrer les données sur la paye au moyen du logiciel de Revenu Canada. De fait, il était le seul responsable du calcul des déductions et des remises salariales. Cependant, puisqu'il ne pouvait pas signer de chèques, il devait s'en remettre à M. Atkinson pour les paiements. Dans le but de faciliter ce processus, il préparait régulièrement une liste des comptes fournisseurs qu'il envoyait à M. Atkinson ou qu'il conservait à son intention pour examen et paiement[5].

[12]     Il y a lieu de décrire brièvement la procédure d'établissement des chèques. La société a fait affaire avec la banque TD jusqu'en juin 1997 environ, puis avec la banque HK. Le transfert visait apparemment à permettre à la société d'obtenir un prêt garanti en partie par MM. Atkinson et Morrice. Dans le cas des paiements tirés sur la TD, M. Atkinson tenait le carnet de chèques et remettait les chèques signés à l'appelant en indiquant au moyen de notes que certains chèques devaient être « retenus » . Cependant, M. Atkinson se fiait à l'appelant pour ce qui était de l'intégralité de la liste des comptes fournisseurs. Un document télécopié à M. Atkinson par l'appelant en avril 1997 a été déposé à titre d'exemple du genre de liste établie par l'appelant; on y voit un solde négatif après le versement des salaires des travailleurs puis l'énumération d'autres comptes fournisseurs. L'appelant a précisé dans certains cas qu'il s'agissait de comptes à régler [traduction] « sans faute » (p. ex. la facture de téléphone, afin d'éviter le débranchement). Le montant à verser pour son salaire était inscrit à part et portait la mention [traduction] « retenir jusqu'à ce que les fonds soient disponibles » [6]. Les remises à Revenu Canada étaient aussi énumérées séparément, mais l'appelant n'a rien inscrit à leur sujet. Il a déclaré avoir suivi les instructions de M. Atkinson, puisque ce dernier était un comptable agréé d'expérience. L'appelant savait aussi qu'il n'y avait pas d'argent en banque à ce moment-là et que le règlement des factures dépendait des recettes futures, d'avances ou d'ententes de refinancement, mesures qui incombaient toutes à M. Atkinson. Par la suite, il a appris que les déficits ont dû être comblés par les actionnaires[7]. De toute manière, M. Atkinson a répondu au document télécopié concernant les remises salariales comme suit : [traduction] « Il vaut mieux effectuer des versements partiels qu'aucun versement du tout, et ça doit être fait le 15 du mois. » L'appelant a affirmé dans son témoignage qu'il a suivi cette instruction par la suite[8] : il a dit qu'il en a conclu qu'on lui demandait d'effectuer des versements partiels en ce qui a trait aux retenues salariales.

[13]     Même si le document d'avril 1997 dont il est question plus tôt traite des comptes fournisseurs à régler durant la période où la société faisait affaire avec la banque TD, l'appelant a déclaré que le processus n'a pas vraiment changé après le transfert à la banque HK, bien que les chèques aient ensuite été conservés et remplis par l'appelant, puis envoyés à M. Atkinson ou gardés à son intention pour signature. Aucun paiement n'était effectué à moins que M. Atkinson ne l'approuvât en signant les chèques sans enjoindre à l'appelant de ne pas l'envoyer tout de suite.

[14]     Bien que les deux témoins affirment que c'est M. Atkinson qui conservait le carnet de chèques de la banque TD, il ne semble pas que ce soit lui qui ait fait le chèque ayant servi à effectuer un versement partiel en avril 1997 lorsqu'il a donné son instruction par écrit. Personne n'a pu expliquer comment le montant du versement était calculé. Après coup, il semble assez évident que c'est l'appelant lui-même qui a délibérément calculé les remises que la société avait les moyens d'effectuer compte tenu de la nécessité de financer ses activités, conformément à l'instruction reçue par écrit en avril. Autour de juin 1997, il avait en sa possession le carnet de chèques de la banque HK et faisait les chèques que devait signer ensuite M. Atkinson. Il semble qu'il n'ait pas toujours demandé le versement, même partiel, des remises (ni fait de chèque non plus à cette fin) aux dates exigibles. Même s'il m'est possible de soupçonner qu'il y aurait eu davantage de discussions entre les parties à ce sujet, l'audience n'a pu permettre de le confirmer. L'appelant semble avoir en toute loyauté utilisé les montants qui devaient être remis au fisc pour financer les activités de la société de la manière qui lui semblait convenable; d'après ses dires, il se fiait ainsi à l'instruction donnée par M. Atkinson, qui lui avait fait savoir qu'il était acceptable d'agir de la sorte, et était convaincu lui-même que les sommes exigibles seraient versées ultérieurement.

[15]     Il est intéressant de souligner que l'appelant a reconnu qu'après avoir reçu la note de M. Atkinson mentionnée plus haut, il se doutait que les chèques qu'il préparait aux fins de signature par M. Atkinson relativement aux remises partielles étaient « peut-être » irréguliers. En outre, dans les rapports sur la paye qu'il a remplis et envoyés à l'ADRC, il n'a pas inscrit les sommes exigibles jusqu'à ce qu'il ait établi les T4 Sommaires en février 1998 à l'égard de l'année d'imposition 1997[9]. L'appelant a indiqué qu'à son avis les rapports sur la paye étaient remplis de la manière dont M. Atkinson le lui avait demandé. Il était persuadé que ce dernier, en tant qu'expert, savait que c'était la bonne méthode. Il a précisé par ailleurs ne pas en avoir parlé aux autres parce qu'il craignait que ce soit vu comme une façon de [traduction] « passer par-dessus » M. Atkinson, qu'il trouvait intimidant; il était convaincu en outre que des versements bonifiés seraient effectués ultérieurement lorsque la société aurait plus d'argent[10].

[16]     En mars 1998, les problèmes de liquidité qui ont commencé en avril 1997 se sont exacerbés; la société a perdu un gros client au détail et son entente avec Hikari a pris fin. Le 5 mars 1998, l'appelant a écrit à M. Atkinson et à M. Morrice pour leur recommander la prise de mesures immédiates afin de restructurer ou de liquider la société. Il les a informés des sommes qui lui étaient dues à lui et à Revenu Canada. À ce moment-là, l'appelant semblait moins soucieux d'éviter une confrontation avec M. Atkinson, car il voyait bien que la situation ne faisait qu'empirer. Il a donné sa démission peu après cette communication, probablement parce qu'il est devenu évident qu'aucune aide ne serait offerte. C'est à peu près à ce moment-là qu'il aurait appris, pour la première fois, qu'il risquait d'être tenu responsable du non-versement des retenues salariales à la suite d'une conversation avec son oncle, avocat à la retraite.

[17]     Comme je l'ai mentionné, durant une période d'environ deux mois précédant immédiatement son départ, l'appelant a encaissé des chèques qui représentaient environ trois mois de salaire. Aucune remise des retenues salariales n'a été effectuée à cet égard. Il y avait au moins encore cinq mois de salaire en souffrance pour lesquels l'appelant avait signé des chèques, et il y a eu des provisions suffisantes à la banque pour que l'appelant puisse les encaisser à une occasion au moins avant sa démission. À d'autres moments, il y avait assez d'argent pour lui permettre d'encaisser une partie de ces chèques, mais pas tous. Il y aurait alors eu des fonds suffisants pour remettre les retenues salariales. Cependant, l'appelant n'a pas tenté de faire en sorte que les signataires autorisés procèdent au versement et a même omis de les y encourager.

[18]     Le témoignage de M. Atkinson n'a pas été utile, parce qu'il n'était pas crédible; M. Atkinson a clairement minimisé son rôle en tant que responsable des fonds et exagéré le pouvoir que lui et les autres actionnaires avaient l'intention d'accorder à l'appelant lorsqu'ils l'ont nommé administrateur.

[19]     M. Atkinson a précisé qu'il pensait que l'appelant avait un pouvoir de signature à la banque et, lorsqu'on lui a demandé pourquoi M. Hamilton n'avait pas reçu ce pouvoir, il a répondu qu'il n'avait pas d'explication à ce sujet, parce que cette décision appartenait au conseil. Compte tenu des processus bien établis suivant lesquels c'était lui-même qui signait chaque chèque et supervisait les rentrées et les sorties de fonds - y compris les remboursements du prêt bancaire en février et en mars 1998 dont il était personnellement responsable - une telle suffisance dénote une attitude très rusée à mon point de vue. Son témoignage est contredit en plus par des preuves montrant qu'il avait affirmé aux vérificateurs de l'ADRC qu'il possédait un pouvoir de signature afin de protéger son investissement et, à titre d'associé de KPMG, afin de protéger la SCR, cliente du cabinet. Ces propos ne concordent pas avec le fait de confier au conseil d'administration le pouvoir de laisser l'appelant signer des chèques. Bien qu'il n'y ait aucune preuve de l'existence d'une convention unanime d'actionnaires usurpant le pouvoir des administrateurs de gérer les activités quotidiennes de la société, c'est comme s'il y en avait eu une en pratique. D'après M. Atkinson, il avait été décidé dès le début que M. Markovic ne devait s'occuper d'aucun aspect financier même s'il était président et administrateur. Qui avait pris cette décision? L'appelant? Le conseil? Les principaux actionnaires? En pratique, il n'y avait aucun conseil élu qui prenait ce genre de décisions.

[20]     M. Atkinson a nié avoir été informé du fait que les remises effectuées étaient insuffisantes, malgré sa note à l'appelant indiquant que des versements partiels valaient mieux qu'aucun versement du tout. Il a signé tous les chèques de paye et tous les chèques de remise. Est-ce qu'il s'attend sérieusement à ce que je le crois lorsqu'il affirme ne pas avoir été au courant? C'est lui, au nom de KPMG, qui produisait les sommaires et les feuillets T4 préparés pour la société. Il a vu à la fin de février ou au début de mars 1998 le montant des retenues salariales, mais il prétend avoir saisi l'étendue de la non-remise des sommes déduites bien longtemps après. M. Atkinson est un expert-comptable chevronné et compétent; les éléments de preuve me portent à croire qu'il connaissait l'ampleur des insuffisances ou qu'il a intentionnellement choisi de ne pas les voir et utilisé en toute connaissance de cause (puisqu'il détenait un pouvoir de signature à la banque) les fonds de la société d'une manière tout à fait contraire à ses obligations de versement aux dates où l'appelant occupait un poste d'administrateur alors qu'il y avait assez d'argent pour effectuer ces remises et que lui-même connaissait la gravité des problèmes financiers de la société. Il se contente de répondre qu'il aurait signé les chèques de versement si l'appelant les lui avait présentés.

COMMENTAIRES

[21]     Les fonctions de l'appelant à titre de directeur général, telles qu'elles sont décrites au paragraphe 11 ci-dessus, sont distinctes de ses responsabilités en tant qu'administrateur, distinction que l'appelant n'a peut-être jamais faite ou jamais comprise. Dans l'exercice de toutes ces fonctions, il estimait s'être trouvé sous la supervision des dirigeants, plus particulièrement de M. Atkinson, en ce qui concerne les questions réglementaires de nature comptable et financière. À ses yeux, la société appartenait dans le fond à ces hommes, et ce sont eux qui étaient en bout de ligne responsables de tout ce que lui, l'appelant, faisait ou ne faisait pas. L'obligation de rendre des comptes aux actionnaires (qui ne sont ni des dirigeants ni des administrateurs) pour la gestion quotidienne d'une société n'est pas envisagée en droit des sociétés, mais il se peut quand même qu'il s'agisse du contexte réel dans lequel l'appelant travaillait. Dans cette réalité, il était un subalterne des deux patrons de fait, particulièrement de M. Atkinson. L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il était intimidé par ce dernier. J'accepte ce fait. M. Atkinson était un entrepreneur agressif qui, j'en ai aucun doute, se comportait comme le patron de l'appelant. C'est lui qui décidait des systèmes comptables à utiliser et qui supervisait toutes les décisions de nature financière. L'appelant ne pouvait tenir tête à M. Atkinson et n'a jamais tenté de le faire. Il a accepté les directives comme le ferait n'importe quel subalterne puis est allé plus loin en prenant l'initiative de calculer à l'occasion le montant des remises pour lesquelles M. Atkinson signait ensuite des chèques. La conduite de l'appelant pourrait être attribuable simplement à l'insécurité ou à la loyauté injustifiée d'un employé ainsi qu'à la confiance qu'il avait dans les dirigeants de la société. Elle pouvait découler également de sa propre ambition. En effet, ces hommes étaient des gens d'action, capables de le faire participer à d'autres entreprises. En leur plaisant, il pouvait en tirer des avantages. Une lettre de démission rédigée en des termes positifs, que l'appelant a justifiée en disant qu'il souhaitait se garder d'autres possibilités d'emploi au sein du même groupe, montre que ses gestes visaient à faire avancer son propre intérêt. Il ne faut pas oublier en outre que l'appelant possédait un intérêt financier important dans la société, qu'il était donc dans son intérêt économique d'utiliser les fonds de l'entreprise d'une manière qui servait au mieux cet intérêt. D'après l'impression que m'a donnée le témoin, ses actions et ses omissions étaient imputables à tous ces facteurs.

[22]     S'appuyant sur la seule note de M. Atkinson relative au règlement partiel des comptes fournisseurs, l'appelant s'est servi des retenues salariales pour financer les activités quotidiennes de la société. Il n'a pas tenu un compte rendu cumulatif des remises non versées et a délibérément omis de signaler les insuffisances. Je ne doute pas vraiment qu'il ait été encouragé par M. Atkinson à cette fin, soit expressément, soit implicitement. La conduite de l'appelant a permis à M. Atkinson et aux autres dirigeants de ne pas avoir à financer eux-mêmes les activités de la société. J'ai l'impression que M. Atkinson s'est délibérément servi de l'appelant. En effet, aucune raison véritable n'a été donnée à l'audience pour expliquer la nomination de l'appelant au conseil d'administration : il ne jouait pas vraiment le rôle d'un administrateur. Dans les faits, M. Atkinson faisait partie d'un groupe chargé de la gestion des affaires de la société[11]. Malheureusement, je ne connais aucun principe de droit, et l'avocat de l'appelant n'a relevé aucune jurisprudence sur ce point, suivant lequel les administrateurs de droit n'encourent pas la même responsabilité que les autres membres du conseil d'administration malgré les attentes limitées des actionnaires à leur endroit. Un administrateur de droit ne peut déléguer ses responsabilités d'administrateur; sauf si une convention unanime d'actionnaires usurpe son pouvoir, l'administrateur ne peut s'abriter derrière le fait qu'il agit sur les instructions des propriétaires, c'est-à-dire de ceux qui le nomment au conseil d'administration. En plus, même si M. Atkinson peut être considéré comme un administrateur de fait, cela n'aide pas l'appelant : ce n'est pas parce que M. Atkinson peut être tenu solidairement responsable du montant de la cotisation que l'intimée ne peut pas se tourner vers l'appelant en invoquant la responsabilité solidaire de ce dernier.

[23]     En fin de compte, l'appelant s'est laissé manipuler. Il a assumé un rôle dans le cadre de son emploi qui l'empêche d'invoquer, en tant qu'administrateur, sa diligence raisonnable. Compte tenu de son titre d'administrateur, il ne peut prétendre ne pas avoir su ce qui se passait. Il était directement impliqué dans le non-versement des retenues salariales. C'est lui qui était la personne responsable. Quel genre de diligence raisonnable peut-il alors faire valoir? Il n'a jamais demandé les fonds nécessaires pour effectuer les remises; il a obtenu des chèques signés pour son salaire, mais n'en a demandé aucun pour les versements au fisc. Même lorsqu'il a eu conscience de l'irrégularité de la situation, il n'en a parlé à personne. Il aurait pu demander des chèques ou présenter des chèques à M. Atkinson pour les lui faire signer et effectuer les remises, comme il l'a fait pour son propre salaire; à tout le moins, lorsqu'il a commencé à encaisser ses chèques de salaire et qu'il y avait de l'argent, il aurait pu alors présenter des chèques à M. Atkinson pour les versements. Selon l'avocat de l'appelant, il aurait été inutile de présenter les chèques de remise à M. Atkinson pour qu'il les signe, mais son refus de signer ou le fait qu'il demande à l'appelant de les « retenir » auraient pu engager sa responsabilité personnelle. Il semble plausible de croire que M. Atkinson aurait alors agi comme il le prétend et qu'il aurait signé les chèques en question. Il semble plausible aussi qu'il comptait bien que ça ne se produise pas, puisqu'il était évident que l'appelant avait, sur ses conseils, pris l'initiative d'affecter les montants des remises exigibles aux activités de la société. Bien que je ne sanctionne pas, dans les circonstances de la présente affaire, l'attitude qui sous-tend les propos de M. Atkinson lorsqu'il dit qu'il [traduction] « aurait signé » un chèque de versement si on le lui avait demandé, il est vrai aussi que M. Atkinson n'a peut-être aucune obligation de diligence envers l'appelant afin de dégager ce dernier de toute responsabilité. Les gens qui acceptent des postes d'administrateurs acceptent également ce genre de responsabilité, qu'ils en soient conscients ou non. À cause de son titre d'administrateur, l'appelant ne peut affirmer ne pas avoir été au courant de ce qui se passait, et sa prétendue ignorance de la loi ne l'aide pas non plus. En effet, on doit présumer que les administrateurs connaissent l'étendue de leurs obligations; il leur incombe de s'informer des obligations et des responsabilités associées à leur charge. Même si les règles de droit relatives à la diligence raisonnable peuvent permettre une certaine latitude dans l'application de ce principe, il se peut que cette latitude soit à peu près nulle lorsqu'un administrateur a notamment pour tâche de gérer les remises fiscales, ce qui est le cas de l'appelant en l'espèce, comme il l'a admis lui-même. Les administrateurs ne peuvent se cantonner dans un rôle subalterne et se fier à ce conflit pour se soustraire à leurs obligations fiduciaires. Si un administrateur fait valoir que ses mains étaient liées en tant que membre du conseil d'administration parce qu'elles l'étaient en tant qu'employé, il fait fi de ses obligations d'administrateur. En outre, dans le cas qui nous occupe ici, l'appelant a dans une certaine mesure au moins agi dans son propre intérêt lorsqu'il a affecté l'argent disponible comme il l'a fait, ce qui est incompatible avec la diligence raisonnable et lui est même contraire.

[24]     Bien que ces commentaires constituent le fondement des motifs sur lesquels je m'appuie pour rejeter l'appel, il est nécessaire d'analyser les décisions et les dispositions législatives mentionnées par les parties.

ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

[25]     Selon le paragraphe 227.1(1) de la Loi, une société est responsable des retenues non versées et ses administrateurs sont aussi solidairement responsables à cet égard. Cette obligation est modifiée par le paragraphe 227.1(3), qui permet aux administrateurs de se soustraire à leur responsabilité en cas de non-versement s'ils peuvent établir qu'ils ont agi « avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables » .

[26]     Dans l'affaire Soper v. R., [1997] 3 C.T.C. 242, citée par l'intimée, le juge Roberston examine la norme de prudence imposée aux administrateurs à la lumière du moyen de défense fondée sur la diligence raisonnable énoncé au paragraphe 227.1(3). Après avoir confirmé que l'article 227 de la Loi, qui dispose que les montants déduits ou retenus sont réputés être détenus en fiducie et doivent être tenus séparément de l'argent de la société, ne fait pas de l'administrateur un fiduciaire, il a statué que la norme de prudence imposée à l'administrateur est partiellement objective (la norme de la personne raisonnable) et partiellement subjective, étant donné que la personne raisonnable est définie en fonction des connaissances et de l'expérience de l'intéressé[12]. Je dirai tout simplement, d'après mes commentaires précédents, que je ne crois pas que l'appelant a satisfait à cette norme de prudence.

[27]     Lorsqu'il analyse cette norme de prudence, le juge Robertson précise qu'on ne peut guère dire que le droit actuel pose en principe que moins un administrateur en fait, moins il en sait ou moins il se montre prudent, moins il risque d'être tenu responsable[13]. Si l'appelant était dégagé de toute responsabilité en l'espèce, nous n'encouragerions pas l'exercice responsable des obligations imposées aux administrateurs, obligations qui, au nom de l'intérêt public (dont fait partie le fisc), doivent être prises au sérieux par les administrateurs.

[28]     Le juge Robertson souligne également qu'en l'absence de motifs d'avoir des soupçons, l'administrateur peut se fier aux dirigeants de la société pour s'acquitter avec intégrité des fonctions qui leur ont été régulièrement déléguées[14]. Les administrateurs peuvent ainsi se protéger contre les fautes des dirigeants d'une société. Cet énoncé présume toutefois que l'administrateur et le dirigeant auquel cet administrateur peut être en droit de se fier sont des personnes différentes. En l'espèce, il s'agit de la même personne, mais l'appelant affirme que les actionnaires, particulièrement M. Atkinson, étaient des gens à qui il pouvait se fier pour s'acquitter avec intégrité des fonctions qui leur avaient été effectivement déléguées. Si nous appliquions cette notion de la « confiance justifiable » de la manière proposée par l'appelant, nous encouragerions selon moi essentiellement et fondamentalement l'irresponsabilité des administrateurs dans l'exécution de leurs obligations. Les actionnaires peuvent agir dans leur propre intérêt, et l'on s'attend d'ailleurs à ce qu'ils le fassent. Lorsqu'un administrateur de droit se fie à une délégation de fait de ses obligations à un actionnaire en s'attendant à ce que celui-ci s'en acquitte avec intégrité dans l'intérêt de la société plutôt que dans son propre intérêt, il enlève tout son sens au rôle d'un administrateur. Autrement dit, bien que les administrateurs puissent se fier à des conseils donnés honnêtement par les dirigeants de l'entreprise et qu'ils puissent aussi s'appuyer sur des conseils émanant de spécialistes externes, je crois qu'une réserve entre en jeu dans ce dernier cas, c'est-à-dire qu'il doit s'agir de conseils émanant de spécialistes externes désintéressés. Une personne raisonnable possédant les connaissances et l'expérience de l'appelant pourrait faire cette distinction et la ferait effectivement, selon moi. Toutefois, le présent appel n'est pas aussi simple : le conseiller externe est également un comptable de profession, associé d'un important cabinet d'experts-comptables réputé. Une personne raisonnable, peu importe ses connaissances ou son expérience, ne présumerait-elle pas que ce conseiller ne se mettra pas dans une situation de conflit d'intérêts semblable à celle dans laquelle s'est retrouvé M. Atkinson sans au moins user de prudence et répondre à une demande relative aux retenues salariales comme le ferait tout autre professionnel (et non pas comme le ferait un actionnaire)? Voilà une question des plus troublantes. Même si je n'ai pas pour but d'insinuer ici qu'une personne raisonnable doit présumer que des gens en situation de conflit d'intérêts ne sont pas dignes de confiance et bien que j'estime que M. Atkinson a agi de façon inappropriée en se mettant dans une telle situation, je crois que l'appelant savait en l'espèce quel intérêt servait M. Atkinson lorsqu'il s'est occupé des remises : M. Atkinson a réagi alors en tant qu'actionnaire. Le sentiment qu'avait l'appelant d'agir de manière irrégulière le confirme. L'appelant a consenti trop facilement à une approche en matière de remise des retenues salariales qui lui apparaissait inappropriée. Il savait que M. Atkinson n'avait peut-être pas réagi d'une manière professionnelle et désintéressée. L'appelant estimait travailler pour M. Atkinson - le dirigeant de la société. Il en fallait davantage pour que l'appelant puisse atténuer son sentiment d'agir de façon inappropriée. Le fait qu'il se soit appuyé sur M. Atkinson en tant que conseiller professionnel désintéressé dans les circonstances n'est pas raisonnable à mon avis.

[29]     En outre, il ne fait aucun doute que l'appelant était, selon la jurisprudence en matière de responsabilité des administrateurs, un « administrateur interne » . Une partie de ses tâches dans la gestion de la société consistait à s'occuper de la paye et de retenues à la source, et il a pu utiliser avec compétence le logiciel de l'ADRC dans l'exécution de ces fonctions. Il était au courant de l'insuffisance des remises des retenues salariales effectuées et, compte tenu des normes subjective et objective de prudence, je trouve qu'il est difficile de conclure qu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir les manquements à l'égard des remises. En ce qui concerne les administrateurs internes, le juge Robertson a fait la remarque suivante au paragraphe 33 :

[...] Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

En l'espèce, non seulement présume-t-on que l'appelant, en tant qu'administrateur interne, était au courant de l'existence d'un problème, mais il avoue lui-même qu'il savait que quelque chose ne tournait pas rond[15].

[30]     On a signalé que le paragraphe 227.1(3) a pour objet de prévenir un manquement et non pas de réparer un manquement après coup[16]. Par conséquent, je n'accorderai pas trop d'importance à mes conclusions suivant lesquelles l'appelant aurait pu faire davantage pour réparer les manquements qui s'étaient déjà produits entre décembre 1997 jusqu'à son départ en 1998, alors qu'il semblait y avoir des fonds suffisants dans les comptes bancaires pour régler au moins en partie certaines des remises en souffrance. Toutefois, la réponse est la même en l'espèce selon qu'on se demande ce que l'appelant aurait pu faire pour prévenir les manquements à l'obligation de versement dès le début ou ce qu'il aurait pu faire pour empêcher que les manquements se poursuivent entre décembre 1997 et son départ en 1998. Il aurait pu prendre des mesures concrètes lorsqu'il a commencé à se douter que le non-versement des retenues salariales était inapproprié. Il aurait pu présenter des chèques pour signature. Si le défaut de versement persistait, il aurait pu demander conseil à des tiers désintéressés, comme il l'a fait lorsqu'il en a discuté avec son oncle, avocat à la retraite. Il aurait pu en parler à M. Morrice, avocat de profession également autorisé à signer des chèques[17]. Il semble peu probable qu'on lui aurait reproché de demander conseil alors qu'il continuait de travailler sans salaire. Une personne raisonnable dans la situation de l'appelant, qui est présumée connaître la loi, n'aurait pas selon moi simplement accepté que les retenues salariales ne soient pas versées afin de permettre à la société de survivre. Les administrateurs qui « sanctionnent » de tels manquements le font à leurs risques et périls.

[31]     L'avocat de l'appelant a soutenu que ce dernier avait fait tout ce qu'une personne raisonnable était censée faire dans les circonstances. Il s'appuie à cette fin sur une décision rendue par le juge Bowman (maintenant juge en chef adjoint) dans l'affaire Cloutier et al. v. M.N.R., 93 DTC 544. Dans cet arrêt, deux appelants avaient été tenus responsables personnellement de l'impôt de la partie VIII en tant qu'administrateurs en vertu de l'article 227.1. Le juge en chef adjoint Bowman a statué que les deux administrateurs n'auraient pu rien faire en pratique pour empêcher la société d'omettre de verser l'impôt de la partie VIII exigible. Leur démission du conseil d'administration en guise de protestation n'aurait rien donné. Ils ont agi sur les conseils d'un important cabinet de comptables agréés et n'avaient essentiellement aucun pouvoir pour influer sur les événements qui ont mené à l'échec de l'entreprise. Dans de telles circonstances, le juge en chef adjoint Bowman a conclu que la responsabilité d'un administrateur en vertu de l'article 227.1 ou son exonération en vertu du paragraphe 227.1(3) ne dépend pas de la mise en oeuvre de mesures qui n'auraient objectivement eu aucun effet véritable sur la tournure des événements.

[32]     Je ne crois pas que l'arrêt Cloutier s'applique parfaitement au présent appel. Les experts-comptables à qui les administrateurs se sont fiés dans cette affaire étaient des conseillers externes désintéressés. Il est aussi important de souligner que rien dans l'arrêt Cloutier ne porte à croire que les administrateurs en question exerçaient des fonctions qui leur faisaient jouer effectivement le rôle de personnes responsables des retenues à la source et du versement de ces retenues. En outre, une pratique administrative permettant de repousser la date d'exigibilité de l'impôt de la partie VIII jusqu'à la fin de l'année semble avoir été jugée pertinente. Par conséquent, le juge en chef adjoint Bowman en était venu à la conclusion que les appelants étaient en droit de présumer que l'impôt de la partie VIII pouvait être reporté, ce qui laissait à l'entreprise le temps et l'argent nécessaires pour réaliser les travaux de recherche qui étaient prévus et qui, d'après les appelants, allaient véritablement être menés à bien. Cette situation est différente des tactiques de report utilisées de sa propre initiative par un contribuable qui croit que des fonds seront disponibles dans l'avenir.

[33]     Indépendamment de ces distinctions, l'avocat de l'appelant a fait valoir, comme on l'a souligné dans l'affaire Cloutier, que des administrateurs n'ayant aucun pouvoir ne peuvent jouer le rôle d'assureurs pour les autorités fiscales et qu'en pratique l'appelant a fait tout ce qu'il pouvait pour empêcher la non-remise des retenues salariales. Il rappelle que, dès le début, peut-être à la première occasion où il s'est rendu compte que les versements ne se faisaient pas, l'appelant a demandé à M. Atkinson, comptable d'expérience, ce qu'il devait faire. Lorsqu'il s'en remet à M. Atkinson comme à un comptable chevronné, l'appelant fait abstraction du conflit d'intérêts évident dont j'ai traité ci-dessus. En tant qu'actionnaire qui risquait d'avoir à verser de ses propres poches les retenues exigibles, M. Atkinson n'était pas un conseiller désintéressé. L'appelant le savait et, en se fiant à une telle personne, qu'il craignait de défier de quelconque façon malgré les irrégularités qu'il pressentait, il n'a tout simplement pas agi de façon raisonnable compte tenu du fait qu'il avait accepté de siéger au conseil d'administration de la société.

[34]     Comme je l'ai déjà mentionné, le problème ici vient du fait que l'appelant ne comprenait pas quelles étaient ses obligations en tant qu'administrateur. Il ne s'est pas rendu compte qu'il lui incombait de prendre des mesures additionnelles pour empêcher le non-versement des retenues salariales une fois qu'il a reçu ses premières instructions. Par la suite, il a pris les choses en main. Il n'a pas informé les intéressés du non-versement des retenus sur une base régulière et n'a pas non plus fourni de total cumulatif des montants en souffrance. Il n'a pas présenté de chèques pour signature. Il n'a pas demandé de directive ni de conseils supplémentaires. Aucune mesure concrète de ce genre n'a été prise, alors qu'une seule d'entre elles aurait pu changer la tournure des événements.

[35]     Par conséquent, je dois rejeter l'appel dans la présente affaire. La défense de diligence raisonnable ne dégage pas l'appelant de l'obligation qui lui incombait compte tenu des faits en l'espèce. L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2004.

« J.E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


RÉFÉRENCE :

2004CCI173

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2926(IT)G

INTITULÉ :

Dan Hamilton c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 janvier 2004

MOTIFS DU JUGEMENT:

Le juge J.E. Hershfield

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 juin 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

D.E. Graham

Pour l'intimée :

K. Foreman Gear

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

D.E. Graham

Cabinet :

Koffman Kalef

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] L'appelant a déclaré que MM. Thompson, Atkinson, Markovic et Morrice avaient aussi constitué une société faisant affaire sous le nom de « Glacier Water Products » et une autre, appelée « Pacific Northwest Herb Company » , qui avaient également recours à une SCR pour recueillir des capitaux. Cette affirmation n'a pas été contestée à l'audience.

[2] Des extraits du livre des procès-verbaux de la société montrent que M. Markovic n'a pas assumé le rôle de président entre le 19 février 1998 et le 30 mars 1998, période où l'on voit que l'appelant exerçait ces fonctions. L'appelant a nié avoir accepté ce poste, mais il a reconnu qu'il avait reçu le titre de vice-président, titre qui ne figure pas dans le livre des procès-verbaux. L'appelant a déclaré dans son témoignage qu'à sa connaissance aucune responsabilité ni aucun pouvoir supplémentaires quelconques ne lui avaient été confiés lorsqu'il a été nommé à ce poste.

[3] Cette réunion visait à promouvoir l'investissement dans la SCR qui devait acquérir une participation dans la société en vertu d'un programme parrainé par le gouvernement de la Colombie-Britannique dans le but d'offrir un certain allégement fiscal aux investisseurs. Comme nous l'avons précisé plus haut, l'appelant est devenu actionnaire de la SCR; il a affirmé avoir été encouragé à le faire après s'être joint à la société à titre de directeur général. Il a finalement perdu sa mise de 15 000 $.

[4] M. Atkinson a témoigné que M. Morrice avait aussi le pouvoir de signer des chèques mais, d'après le témoignage des deux hommes, il n'a jamais eu à le faire. C'est M. Atkinson qui gardait le contrôle total et véritable des comptes bancaires de la société.

[5] Au sujet des remises salariales, je souligne que la société comptait deux employés salariés (l'appelant et un directeur du contrôle de la qualité qui travaillait sous sa supervision) ainsi que trois ou quatre travailleurs rémunérés à l'heure. Aucun des actionnaires ne touchait de salaire, peu importe sa contribution. La société établissait aussi la paye d'une entreprise sans lien de dépendance qu'on a appelée « Hikari » à l'audience. Celle-ci louait de l'espace auprès de la société, et les coupeurs de légumes dont elle avait besoin étaient ajoutés à la feuille de paye de la société. Hikari payait à celle-ci le taux horaire qu'elle avait versé à ces travailleurs plus 10 %. La société s'occupait des retenues, des remises et de la préparation des feuillets T4 ainsi que de tout autre document relatif à l'emploi pour ces travailleurs. Les remises non effectuées qui ont donné lieu à la cotisation visée par le présent appel incluent le non-versement des sommes concernant les travailleurs embauchés par la société pour fournir des services à Hikari. L'avocat de l'appelant a convenu avec l'intimée que la responsabilité assumée par l'appelant était la même qu'il s'agisse du manquement à l'égard des employés qui fournissaient des services à la société ou à l'égard de ceux qui fournissaient des services à Hikari.

[6] D'avril à décembre 1997, l'appelant n'a pas tiré son salaire mensuel de 3 500 $. Les inscriptions au grand livre pour le mois de juin 1997 montrent que, jusqu'au 16 décembre, les seuls montants qui lui ont été versés constituaient des remboursements des dépenses. Il réglait de sa poche les sommes que devait la société pour des produits et autres articles, puis se faisait rembourser. À la mi-décembre 1997, l'appelant a encaissé quatre chèques représentant deux mois de salaire. Il a par la suite encaissé deux autres chèques pour un autre mois de salaire. D'autres chèques de paye ont été émis au nom de l'appelant, mais il ne les a jamais encaissés. Il a dit qu'il s'agissait de sa contribution à la société.

[7] À la fin de juillet et au début d'août 1997, MM. Atkinson et Morrice, par exemple, ont avancé respectivement 2 000 $ et 5 000 $. Les avances totales des actionnaires de la fin juillet à la mi-décembre 1997 ont totalisé quelque 20 000 $.

[8] Je comprends bien que le document ne constitue qu'un exemple du traitement des comptes fournisseurs, mais le commentaire qui y figure à l'égard des versements destinés à Revenu Canada semble être la seule communication expresse sur laquelle l'appelant s'appuie lorsqu'il affirme avoir suivi les instructions de M. Atkinson.

[9] L'appelant a refusé de signer les sommaires T4 en question, ce qui prouve aussi qu'il était conscient des irrégularités.

[10] Le fait qu'il craignait de passer par-dessus la tête de M. Atkinson montre encore une fois que l'appelant était conscient des irrégularités. En revanche, je crois l'appelant lorsqu'il dit avoir été convaincu qu'il y aurait un jour plus d'argent : il était persuadé qu'il travaillait avec des gens très habiles à recueillir des capitaux, car il avait été témoin de leurs talents à cet égard et leur faisait confiance pour régler la situation.

[11] Il est regrettable, selon moi, que l'intimée ait abandonné la position initiale qu'elle avait adoptée dans la cotisation, c'est-à-dire traiter M. Atkinson en tant qu'administrateur de fait. Bien qu'il puisse être risqué d'essayer de deviner l'issue d'un appel à l'encontre d'une telle cotisation, d'après les éléments de preuve qui ont été produits à l'audience en l'espèce, il semble clair que la situation aurait justifié le partage de la responsabilité à l'égard des remises insuffisantes.

[12] Paragraphe 16, à la page 255, et paragraphe 30.

[13] Paragraphe 16, aux pages 255 et 256.

[14] Paragraphe 16, à la page 256, et paragraphes 41 à 44.

[15] Le juge Robertson souligne au paragraphe 36 qu'un administrateur interne peut faire valoir sa diligence raisonnable lorsqu'il a été une partie innocente induite en erreur ou trompée par d'autres administrateurs. En l'espèce, même si nous acceptions que M. Atkinson en tant qu'administrateur de fait a induit l'appelant en erreur, je ne peux conclure que ce dernier était innocent, puisqu'il admet lui-même avoir senti que quelque chose n'allait pas. Il participait activement au processus de retenues salariales, mais il n'a rien fait, malgré qu'il ait perçu des irrégularités, en raison d'une loyauté injustifiée et, dans une certaine mesure, par intérêt personnel.

[16] Soper, paragraphe 37.

[17] S'il est vrai que M. Morrice se trouvait dans la même situation de conflit d'intérêts que M. Atkinson, la recherche d'une deuxième opinion par l'appelant aurait pu changer radicalement mon analyse de la question.

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