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Dossier : 2002-2058(IT)G

ENTRE :

JOANNE DUCHARME,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 5 mai 2004 à Prince George (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Glen R. Nicholson

Avocate de l'intimée :

Me Karen A. Truscott

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JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis du 15 novembre 2000 porte le numéro 26526, est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte des motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28 e jour de mai 2004.

« D. W. Beaubier »

Juge Beaubier

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de septembre 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2004CCI391

Date : 20040528

Dossier : 2002-2058(IT)G

ENTRE :

JOANNE DUCHARME,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Beaubier

[1]      Le présent appel interjeté selon la procédure générale a été entendu à Prince George, en Colombie-Britannique, le 5 mai 2004. L'appelante a témoigné et a appelé à témoigner Douglas Ward Allen, titulaire d'un doctorat, qui possédait les qualités requises pour témoigner en qualité d'expert quant à la juste valeur marchande des services domestiques d'une maîtresse de maison dans un mariage traditionnel. La partie intimée a appelé à témoigner Tracy Head, une personne-ressource de l'Agence du revenu du Canada ( « l'ARC » ) dans le dossier.

[2]      L'avocat de l'appelante a demandé que la question des dépens soit débattue après la décision et il est ordonné que le greffier organise une conférence téléphonique afin que ce débat ait lieu dans un délai de 30 jours après cette décision-ci.

[3]      Les paragraphes 8 à 11 de la Réponse à l'avis d'appel précisent les motifs du différend. Ils se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

8.          Dans un avis de cotisation portant le numéro 26526 en date du 15 novembre 2000, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a cotisé l'appelante pour 61 878,94 $, à titre d'obligation fiscale découlant de transferts de biens à l'appelante par son conjoint de fait, au sens de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

9.          En établissant ainsi la nouvelle cotisation de l'appelante, le Ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)          à toutes les époques pertinentes, Donald Vienneau ( « M. Vienneau » ) était le conjoint de fait de l'appelante;

b)          à toutes les époques pertinentes, M. Vienneau et l'appelante avaient entre eux un lien de dépendance;

c)          le ou vers le 19 octobre 1987, l'appelante a reçu un bien-fonds (le « Bien » ) sis au 8507, rue 78A, à Fort St. John (C.-B.), qui lui a été donné par ses parents en contrepartie de la somme de 1 $;

d)          à toutes les époques pertinentes, l'appelante était la seule propriétaire du Bien en common law et elle était inscrite au registre des titres fonciers;

e)          à toutes les époques pertinentes, le Bien était occupé comme domicile familial par M. Vienneau et par l'appelante;

f)           lorsqu'elle a reçu le Bien, l'appelante en a endossé l'hypothèque auprès de la banque;

g)          pendant la période du 2 janvier 1992 au 2 septembre 1997, M. Vienneau a effectué un transfert de biens à l'appelante, étant donné qu'il faisait tous les versements hypothécaires du Bien, qui se sont élevées à 61 878,94 $ (les « versements » );

h)          M. Vienneau a devancé l'échéance des versements afin de rembourser l'hypothèque plus rapidement et de dégrever le titre de propriété, et le dernier versement a été un montant global à la banque de 25 452,94 $, le 2 septembre 1997;

i)           l'appelante n'a touché aucun revenu d'emploi entre le 2 janvier 1992 et le 2 septembre 1997;

j)           la juste valeur marchande de la contrepartie fournie par l'appelante à l'égard des versements faits en son nom était égale à zéro;

k)          M. Vienneau a omis de produire des déclarations de revenus jusqu'en 1996, alors qu'il a produit des déclarations pour 10 années d'imposition à la fois;

l)           M. Vienneau a déclaré faillite personnelle le 27 novembre 1998;

m)         le 2 janvier 1992, la dette fiscale fédérale de M. Vienneau au titre de l'impôt fédéral, des pénalités et des intérêts s'élevait à 86 047,28 $ au moins, ventilés comme suit :

            impôt fédéral :    54 842,79 $

            intérêts :                         23 129,04 $

            pénalités :                      8 075,45 $

n)          la somme des dettes fiscales de M. Vienneau en application de la Loi, relativement aux années d'imposition au cours desquelles les versements ont été faits, ou à toute année d'imposition précédente, s'élevait à 564 628,08 $ le 2 septembre 1997.

B.         POINT EN LITIGE

10.        L'appelante est-elle tenue de payer, conformément aux dispositions de l'article 160 de la Loi, le montant de 61 878,94 $ en raison des transferts de biens effectués à son compte par son conjoint de fait.

C.         DISPOSITIONS LÉGISLATIVES INVOQUÉES

11.        Le Ministre invoque les articles 160 et 251, ainsi que le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), chap. 1 (suppl. 5), ainsi modifiée (la « Loi » ).

[4]      Les hypothèses 9 a) à i) inclusivement et k) à n) inclusivement n'ont pas été réfutées par la preuve déposée.

[5]      Sont admis le rapport et le témoignage de M. Allen, selon lesquels les services de Mme Ducharme dans le cadre d'un ménage classique où celle-ci demeurait à la maison pour s'occuper des enfants et du ménage ont une valeur annuelle de 55 000 $, compte tenu du revenu de M. Vienneau et de l'éloignement de son lieu de travail de leur domicile à Fort St. John qui le faisait se livrer couramment à une consommation personnelle en dehors du mariage. Les éléments de preuve démontrent qu'en réalité, Mme Ducharme n'a touché aucun revenu entre 1992 et 1997 et que M. Vienneau n'accomplissait aucune tâche domestique.

[6]      Selon la preuve, à l'exception du versement global de 25 452,94 $ à titre de remboursement hypothécaire le 2 septembre 1997 et d'un versement de 3 000 $, tous les autres paiements en question étaient simplement les versements hypothécaires mensuels réguliers sur le capital, les intérêts et les impôts fonciers, d'environ 500 $ par mois, alors que le loyer d'une maison familiale équivalente (et apparemment, moyenne) à Fort St. John variait entre 1 200 $ et 1 500 $ par mois.

[7]      Mme Ducharme a déclaré que M. Vienneau voulait qu'elle reste à la maison avec les enfants et qu'il gagnerait l'argent nécessaire pour subvenir aux besoins du ménage en fonction de cela. Ils en avaient discuté une douzaine de fois au fil des ans et avaient convenu d'adopter cette ligne de conduite. M. Vienneau travaillait et vivait à l'extérieur de Fort St. John environ 80 p. 100 du temps.

[8]      La fraction de l'emprunt hypothécaire imputable au capital qui était exigible le 2 juin 1988 se montait à 34 508 $ (pièce A-1, onglet 3). Le 2 août 1997, Mme Ducharme a hypothéqué à nouveau la maison pour obtenir 95 250 $ (pièce A-1, onglets 9 à 11). De cette somme, un montant de 25 452,94 $ a servi à rembourser l'emprunt hypothécaire initial et un montant de 5 413,14 $ constituait une pénalité anticipée, de sorte que le solde du capital réellement exigible et remboursé le 2 août 1997 était de 20 029,80 $. Par conséquent, la fraction de l'emprunt hypothécaire imputable au capital qui a été effectivement remboursée par M. Vienneau entre le 2 juin 1988 et le 2 août 1997 s'élevait à 14 468,20 $ d'après les dossiers de la société de prêt hypothécaire. À l'onglet 3, il est démontré que la fraction imputable au capital du prêt hypothécaire initial qui a été effectivement remboursée au cours de cette période était la suivante :

Solde au 2 janvier 1992 :

31 824,84 $

Solde au 1er août 1997 :

20 595,57 $

Remboursement net au titre du capital :

                                                11 229,27 $

à l'exception du montant global de 25 452,94 $.

[9]      La souscription d'une nouvelle hypothèque auprès de la Banque Royale du Canada le 2 août 1997 par Mme Ducharme, avec l'aval de M. Vienneau, visait à obtenir un solde net d'emprunt hypothécaire, soit 68 846,56 $, que M. Vienneau pourrait affecter à une proposition de transaction à l'ARC en liquidation de la réclamation de celle-ci dans sa faillite. La somme a été déposée dans l'un de leurs deux comptes conjoints à la Banque Royale du Canada, à l'égard desquels la cour n'a été saisie d'aucune autre preuve. Finalement, il semble que M. Vienneau ait transigé avec à l'ARC pour une somme supérieure à 68 846,56 $.

[10]     L'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu est libellé comme suit :

160.(1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

(a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait,

(b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

(c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent:

(d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

(e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

.

L'idée maîtresse de l'argumentation de l'appelante concerne la question qui procède du sous-alinéa 160(1)e)(i), à savoir si la juste valeur marchande des biens que M. Vienneau a transférés excède la juste valeur marchande de la contrepartie fournie par Mme Ducharme à cette époque. Pour étayer cet argument, l'avocat de l'appelante a examiné les articles 88 et 89 de la Family Relations Act, R.S.B.C., 1996, chapitre 128, dont voici le libellé :

                   [TRADUCTION]

88 (1) Le père et la mère d'un enfant ont l'obligation de pourvoir aux besoins et aux aliments, légitimes et nécessaires, de leur enfant.

     

      (2) La prise d'une ordonnance alimentaire contre un parent en faveur d'un enfant ne limite pas l'obligation de l'autre parent de subvenir aux besoins de l'enfant et ne fait pas obstacle à la prise d'une ordonnance contre l'autre parent.

89 (1) Un époux a une obligation alimentaire au profit de l'autre époux compte tenu :

(a) du rôle de chaque époux dans la famille;

(b) d'une entente expresse ou tacite entre les époux en vertu de laquelle l'un des époux est tenu de fournir des aliments à l'autre époux;

(c) des obligations de garde concernant un enfant;

(d) de la capacité de l'un ou l'autre des époux ou des deux à la fois, de subvenir à leurs besoins et des efforts raisonnables qu'ils déploient en ce sens;

(e) des circonstances économiques.

     

      (2) Sous réserve des dispositions du paragraphe (1), un époux ou un ex-époux est tenu d'être économiquement indépendant de son conjoint ou ex-conjoint.

[11]     La Cour reconnaît le caractère obligatoire de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Medland c. Canada, [1998] A.C.F. no 708, selon lequel la fraction imputable au capital de l'emprunt hypothécaire sur le bien de Mme Ducharme que M. Vienneau a remboursée au cours de cette période constitue un transfert de biens à Mme Ducharme. D'après les dossiers hypothécaires, ce montant était le suivant :

   20 029,80 $

+11 229,27 $

    31 259,07 $

Par conséquent, le montant de 31 259,07 $ est la juste valeur marchande exacte de la contrepartie transférée par M. Vienneau à Mme Ducharme au cours de cette période.

[12]     Cependant, la Cour admet comme véridique l'assertion de Mme Ducharme selon laquelle le refinancement hypothécaire a été effectué pour obtenir l'argent dont M. Vienneau s'est servir pour payer l'ARC. C'est à cette fin qu'un montant de 20 029,80 $ a été versé à même le produit du nouveau prêt hypothécaire. Cette opération annule le gain réalisé par Mme Ducharme sur le solde de la dette hypothécaire.

[13]     En outre, le 29 août 1997, un montant de 68 846,56 $ a été versé à M. Vienneau et Mme Ducharme conjointement comme produit net de l'hypothèque que Mme Ducharme avait souscrite le 27 août 1997 afin d'aider M. Vienneau à payer l'ARC. Par conséquent, l'avoir net de Mme Ducharme dans la maison a été réduit de 98 250 $, moins le remboursement du reliquat du prêt hypothécaire initial de 20 029,80 $, ce qui représente une perte de 78 220,20 $. Même si la dette était garantie en partie par l'aval de M. Vienneau, la banque saisirait en cas de défaillance la maison dont Mme Ducharme était la propriétaire.

[14]     Après avoir fait ces calculs, il n'en demeure pas moins que Mme Ducharme et ses deux filles ont reçu la contrepartie des impôts impayés que M. Vienneau a dépensées pour la famille au fil des ans et qui constitue une partie de la preuve. Ainsi, M. Vienneau a remboursé progressivement 11 229,27 $ sur la fraction imputable au capital de l'emprunt hypothécaire de Mme Ducharme, au cours de la période pour laquelle la cotisation a été établie. Il n'y a aucune preuve que M. Vienneau aurait reçu à l'époque de Mme Ducharme une augmentation correspondante de la valeur de ses biens ou un transfert estimable de juste valeur marchande. Au contraire, cette période s'est achevée pour lui par une faillite.

[15]     La preuve dont la Cour est saisie indique qu'en échange de ces versements de 11 229,27 $ au titre du capital, Mme Ducharme s'est endettée de 78 220,20 $ de plus afin d'acquitter à l'ARC la transaction sur les impôts de M. Vienneau. Ainsi, d'après le raisonnement suivi dans l'affaire Medland, Mme Ducharme a subi une perte personnelle sur ses immobilisations, en conséquence de ses échanges de contrepartie avec M. Vienneau. Tout compte fait, au cours de la période en question Mme Ducharme a perdu une fraction de la valeur nette de sa maison qui se monte à :

    78 220,20 $

- 11 229,27 $

Perte nette

      66 900,93 $

[16]     Le reliquat de l'emprunt hypothécaire de 68 846,56 $ a été déposé dans le compte conjoint de M. Vienneau et Mme Ducharme, ce qui suppose que Mme Ducharme a conservé la moitié de cette somme et laisse théoriquement un déficit net. Néanmoins, la totalité de cet argent a été tirée du bien de Mme Ducharme afin de régler la réclamation de l'ARC à contre M. Vienneau, et c'est à cela qu'il a servi.

[17]     Au vu des éléments de preuve dont la Cour est saisie, Mme Ducharme a fourni une contrepartie plus grande que celle qu'elle a reçue.

[18]     La Cour a eu le privilège de lire le jugement rendu par la juge Lamarre-Proulx dans l'affaire Michaud c. Canada, [1998] A.C.I. no 908, entendue selon la procédure informelle et, en sus des motifs qui précédent, elle adopte le raisonnement de la juge Lamarre-Proulx qui s'applique aussi bien à l'union de fait de l'appelante en l'espèce.

[19]     Par conséquent, au vu des faits et en tenant compte des concepts distincts exposés dans les arrêts Medland et Michaud, l'appel est accueilli. La cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, ce qui permet d'accueillir l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28 e jour de mai 2004.

« D. W. Beaubier »

Juge Beaubier

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de septembre 2004.

Nancy Bouchard, traductrice

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