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Dossier : 2002-2250(IT)I

ENTRE :

MEICHLAND OLIVER BLACKBURN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 16 février 2004, à Windsor (Ontario)

Devant : l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Marlyse Dumel

________________________________________________________________


JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2000 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant peut déduire des frais juridiques de 8 770 $ aux termes de l'alinéa 8(1)b) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2004.

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juillet 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2004CCI180

Date : 20040224

Dossier : 2002-2250(IT)I

ENTRE :

MEICHLAND OLIVER BLACKBURN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      Dans sa déclaration de revenus de l'an 2000, M. Blackburn a cherché à déduire de son revenu, en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), des frais juridiques qu'il avait payés relativement à une accusation de conduite dangereuse déposée contre lui le 31 octobre 1997. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé cette déduction, d'où l'appel.

[2]      En octobre 1997, M. Blackburn était membre du service policier Niagara Regional Police Service (le « NRP » ). L'incident qui a donné lieu à l'accusation portée contre lui s'est déroulé alors qu'il n'était pas en service. Néanmoins, on l'a immédiatement retiré de l'équipe de patrouille pour l'affecter à des tâches de bureau en attendant son procès. Il savait parfaitement bien que s'il était reconnu coupable d'une telle infraction, sa carrière de policier s'en trouverait sérieusement entachée. C'est pourquoi il a retenu les services d'un avocat pour préparer et présenter sa défense. Il a témoigné qu'il n'aurait pas demandé à un avocat de le défendre et qu'il se serait représenté lui-même n'eût été du risque qu'il courait de perdre du salaire, voire son emploi, s'il était condamné. Je n'ai aucune raison de douter de cet élément de preuve. De fait, j'ai été favorablement impressionné par le témoignage de M. Blackburn, et je l'accepte dans son intégralité.

[3]      Pour des raisons qui n'ont pas été expliquées au cours du témoignage et qui ne sont pas pertinentes, M. Blackburn a mis fin au mandat de son premier avocat et a demandé à un autre de s'occuper de l'instruction. Il a versé en tout 10 000 $ aux deux avocats pour les services rendus, y compris la représentation au procès. Le procès s'est tenu le 30 avril 1999 et M. Blackburn a été condamné. Le 11 août 1999, le juge Collins lui a imposé une peine de 30 jours d'emprisonnement. Le même jour, l'inspecteur Damian Parrent du NRP a suspendu l'appelant de ses fonctions sans solde, résultat direct et immédiat de la peine d'emprisonnement.

[4]      Monsieur Blackburn a ensuite retenu les services d'un troisième avocat pour interjeter appel et obtenir sa libération sous caution en attendant l'appel. Le 13 juillet 2000, le juge McLean de la Cour supérieure de l'Ontario a siégé à l'appel et l'a accueilli. Le 19 juillet 2000, le chef par intérim du NRP a signé l'ordre courant no 82-2000[1] dans lequel on peut lire :

[TRADUCTION]

Le 13 juillet 2000, un appel de la condamnation et la peine [...] a été annulée et un nouveau procès a été ordonné. À la suite de la décision judiciaire et conformément à la Loi sur les services policiers de l'Ontario, le policier Meichland Blackburn a été suspendu avec solde à compter du 13 juillet 2000.

Bien que l'ordre courant n'en fasse pas mention, il est clair, d'après la preuve, que la suspension sans solde qui avait frappé l'appelant jusqu'à ce moment a été convertie en suspension avec solde. Le 13 octobre 2000, le chef par intérim des services administratifs du NRP a confirmé par écrit que le montant net de la paye de M. Blackburn pour la période de suspension du 11 août 1999 au 13 juillet 2000 allait être déposé dans son compte en banque le 2 novembre 2000[2], ce qui a d'ailleurs été fait. Le versement de ce montant, sur lequel l'appelant a dû bien sûr payer de l'impôt, était la conséquence directe et immédiate du résultat favorable de l'appel. Le montant de salaire brut pour la période en cause était de 51 832,37 $.

[5]      L'appelant allègue maintenant qu'il a le droit de déduire de son revenu de 2000 tous les frais juridiques qu'il a payés pour le procès et pour l'appel. Il a fait valoir vigoureusement que la raison qui l'a poussé à retenir les services des trois avocats était d'éviter la perte de salaire qui serait certainement survenue s'il avait été condamné pour conduite dangereuse. L'avocate de l'intimée défend pour sa part qu'il n'a pas droit à la déduction en vertu de l'alinéa 8(1)b) étant donné qu'aucun salaire ne lui était dû au moment où il a fait appel aux avocats, que son employeur n'était pas partie au litige et que le motif pour lequel il a retenu les services d'un avocat et a payé des honoraires était simplement de se défendre contre une accusation et, plus tard, d'interjeter appel d'une condamnation, et non de recouvrer des arriérés de salaire.

[6]      La question sur laquelle je dois me prononcer est simplement de savoir si, à la lumière des faits présentés, il est correct de dire que les paiements respectent le libellé de l'alinéa, où on peut lire :

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

Je traiterai d'abord des honoraires que l'appelant a payés pour être représenté au procès devant le juge Collins. À ce moment-là, personne ne devait un traitement ou un salaire à l'appelant. On l'avait affecté à d'autres fonctions, sans perte de salaire. Je comprends qu'il ait retenu un avocat et payé les honoraires pour se prémunir contre l'éventualité (qui s'est réalisée) d'être condamné, ce qui aurait notamment entraîné une perte de salaire. Néanmoins, les frais juridiques qu'il a dû payer ne répondent pas à la définition étroite donnée à l'alinéa 8(1)b). Il se trouvait en fait dans la même situation que l'appelant dans l'affaire Blagdon c. La Reine[3]. Le capitaine Blagdon a retenu un avocat pour le représenter lors d'une enquête menée en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada[4] parce qu'il savait que, si les conclusions de l'enquête lui étaient défavorables, il risquait de se voir retirer son brevet de capitaine, de perdre des revenus et peut-être sa carrière. Sa demande de déduction des honoraires payés a été refusée parce que personne ne lui devait un salaire. Dans cette cause, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge en chef adjoint Bowman, et je suis tenu de la respecter. La demande de déduction des honoraires versés pour la représentation lors du procès est donc rejetée. Ce sont les mêmes raisons qui me poussent à prendre la même décision au sujet des honoraires que M. Blackburn a payés à son avocat pour son deuxième procès, à la suite de l'appel où il a eu gain de cause.

[7]      Cependant, la nature des honoraires versés à l'avocat engagé pour l'appel est d'un autre ordre. Après le prononcé de la peine, l'appelant a perdu un revenu précisément à cause de la peine. La seule solution était de faire annuler la condamnation et la peine, ce qu'il a fait. Il a ainsi récupéré automatiquement le salaire qu'il avait perdu. Il n'y a pas eu d'audience et nul besoin d'en tenir une en vertu de laLoi sur les services policiers[5]. L'annulation de la condamnation a eu pour effet d'établir un droit au traitement ou au salaire qui lui était dû.

[8]      Il peut sembler facile de penser que le raisonnement dans la cause Blagdon s'applique aussi aux honoraires payés pour l'appel. Aucun arriéré de salaire n'était « dû » à M. Blackburn jusqu'à ce qu'il gagne son appel et que sa condamnation soit annulée. Cependant, en lisant dans son contexte toute l'expression « pour établir un droit » au « traitement ou salaire qui lui était dû » , on doit comprendre qu'elle couvre les situations dans lesquelles le traitement ou le salaire devient dû au contribuable à cause du litige (ou autres services juridiques) qui a donné lieu aux frais. Établir un droit, c'est lui donner une existence; or, si le salaire était dû avant la prestation des services juridiques, on ne peut pas dire que ce sont les services qui ont donné naissance au droit. Sur le plan grammatical, le membre de phrase doit inclure l'application du droit existant au traitement et au salaire dû, et aussi établir ce droit au traitement ou au salaire (lui donner une existence), qui devient alors dû au contribuable. Dans la présente cause, l'appel a eu pour effet d'établir ce droit au salaire. Donc, les honoraires rattachés à l'appel tombent sous la définition de la déduction admissible.

[9]      Maître Dumel prétend que les dépenses juridiques rattachées à l'appel n'ont néanmoins pas été engagées dans le but d'établir le droit au traitement ou au salaire. Elle a affirmé que le but était de faire annuler la condamnation. À mon avis, c'est une façon trop étroite de voir les choses. Dans la cause Ludco Enterprises Ltd. c. Canada[6], la Cour suprême du Canada a soutenu qu'en l'absence de fraude ou d'autres circonstances viciant l'opération (qui ne sont pas présentes ici) :

[...] une fin accessoire poursuivie par le contribuable en effectuant l'investissement peut néanmoins constituer une fin réelle ou véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité de l'intérêt que toute autre fin principale plus importante[7].

[10]     Le même principe s'applique à la déductibilité des frais juridiques lorsque, comme ici, preuve est faite de manière indiscutable que le contribuable avait plus d'un objectif véritable et réel en tête. Heureusement, ce résultat concorde avec une politique fiscale saine (sans être dicté par cette politique); l'accueil de l'appel a donné lieu à un revenu imposable pour l'appelant.

[11]     L'appelant a droit à une déduction pour les frais juridiques dans la seule mesure où il les a payés en vue d'obtenir l'annulation de sa condamnation. Les honoraires versés pour la demande de cautionnement en attendant que l'appel soit entendu ne répondent pas à la définition de l'alinéa 8(1)b). En tout, cinq factures présentées par le cabinet chargé de l'appel ont été fournies en preuve :

Pièce     R-2                     1 918,65 $

            R-3                        531,92 $

            R-4                     4 129,95 $

            R-6                     3 507,68 $

            R-7                     2 725,00 $

[12]     Les quatre premières factures se rapportent à l'appel et la cinquième, au deuxième procès. La pièce R-2 se rapporte à des frais payés pour la préparation, la signification et le dépôt de l'avis d'appel, ainsi que l'obtention d'une ordonnance de cautionnement en attendant l'appel. Une façon de répartir ce montant de manière raisonnable serait d'attribuer 600 $ à l'avis d'appel et le reste à la demande de cautionnement. L'appelant a droit de déduire 8 770 $ en vertu de l'alinéa 8(1)b) de
la Loi. L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur cette base.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de février 2004.

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juillet 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Pièce A-7.

[2]           Pièce A-10.

[3]           no 2001-2986(IT)I, 8 février 2002, [2002] A.C.I. no 79, conf. par 2003 CAF 269.

[4]           L.R., ch. S-9.

[5]           L.R.O. 1990, ch. P-15.

[6]           [2001] 2 R.C.S. 1082.

[7]           Au paragraphe 51.

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